Comptes rendus

Lamonde, Yvan, Fais ce que dois, advienne que pourra : Papineau et l’idée de nationalité (Montréal, Lux Éditeur, 2015), 240 p.[Notice]

  • Gilles Laporte

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  • Gilles Laporte
    Histoire, géographie et sciences sociales, Cégep du Vieux-Montréal

En 2009, la parution de Signé Papineau fut saluée comme une bouffée d’air frais : enfin le véritable Papineau ! Celui qu’on découvre par sa correspondance, celle avec son fils Amédée en particulier : républicain, annexionniste, mais aussi traversé par le doute. Mis bout à bout, les trois essais peuvent-ils pour autant faire office d’une véritable biographie intellectuelle de Papineau, celle qu’on attend plus depuis des décennies ? L’auteur lui-même s’en garderait, sans doute parce qu’il s’agit davantage dans chaque cas d’une enquête sur une absence : absence de projet politique clair chez Papineau dans Signé Papineau, absence de référence au gouvernement responsable dans Erreur sur la personne, absence d’une pensée nationaliste substantielle dans Fais ce que dois. Traquer Papineau sur l’idée de nation s’avère particulièrement difficile. L’auteur le concède d’emblée. Et le titre de l’essai lui-même exprime à la fois le caractère laborieux et fort délicat de l’opération, puisqu’il s’agit à terme de faire coïncider la pensée du grand Papineau avec les fondements même du nationalisme québécois actuel. Par conséquent, si Lamonde et Livernois pourfendent avec raison l’association entre Papineau et le principe de gouvernement responsable dans Erreur sur la personne, voilà que l’auteur est nettement plus prudent pour constater la minceur du sentiment national chez le grand homme. L’idée de nation chez Papineau est abordée en trois tranches chronologiques, à l’aune des principaux écrits laissés au fil du temps par le chef patriote : avant 1830, de 1830 à 1839, puis de 1845 à 1867, quand Papineau livre son « Testament politique » devant les membres de l’Institut canadien. Au moins jusqu’en 1830, la nationalité pour Papineau se confond avec la communauté politique et repose sur le respect des droits de la majorité : « [r]econnaitre que, dans l’ordre temporel et politique, il n’y a d’autorité légitime que celle qui a le consentement de la majorité au sein de la nation […] » (p. 175) La tutelle britannique est donc d’abord préjudiciable parce qu’un gouvernement canadien redevable devant Londres contrevient aux règles de la représentation et de la majorité : « ce droit imprescriptible de tout sujet anglais et qui devient la source de tous ses privilèges, celui de n’obéir qu’à la loi, et à la seule loi à laquelle il a lui-même consenti par ses Représentants ». (p. 32) La nationalité devient plus substantielle durant les années 1830, en même temps que s’affirme chez Papineau son américanisme et son républicanisme. Lamonde nous ramène alors à l’aphorisme de Paine : « Une nation ne sut jamais en gouverner une autre. » L’incompatibilité « nationale » avec la métropole britannique continue cependant de reposer sur des motifs purement sociopolitiques, du fait du rôle néfaste qu’occupe l’aristocratie anglaise, en particulier par le biais d’un conseil législatif nommé. Au passage, Lamonde s’étonne (se désole ?) que nulle part Papineau ne fasse allusion à l’éveil des nationalités des années 1830, en particulier à l’expérience grecque, polonaise ou latino-américaine. Il y a donc usage, chez Papineau du mot « nationalité » dans la double limite du refus des « distinctions nationales », faites par les Britanniques de la colonie, et d’un non-appel au principe de nationalité, trop identifié à l’Europe, alors que l’Amérique a appris, à sa façon, que « nulle nation n’en peut commander une autre ». (p. 78) Puisque l’indépendance apparaît inéluctable, Papineau l’attend comme un fruit mûr, lors d’une « séparation consentie », suivant le mot du curé Chartier, tandis que bon nombre de patriotes se disent prêts à forcer la séparation politique, rajoutant aux dissensions du mouvement patriote. La rébellion de 1837-1838 précipite les événements au …