Comptes rendus

Rudin, Ronald, Kouchibouguac. Removal, Resistance and Remembrance at a Canadian National Park (Toronto/Buffalo/Londres, University of Toronto Press, 2016), 383 p.[Notice]

  • Guillaume Blanc

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  • Guillaume Blanc
    Université Rennes 2

Aujourd’hui encore, « Kouchibougouac » est généralement associé au déplacement des 1200 personnes qu’engendra la création du parc fédéral, en 1969, à l’est de la province du Nouveau-Brunswick. Ronald Rudin retrace ici l’histoire de ces populations. Consacrée à la mise en parc de Kouchibougouac, la première partie du livre commence par un chapitre expliquant la logique qui préside au déplacement de ses habitants, « les plus pauvres du plus pauvre comté du Canada » (p. 30). À la fin des années 1960, bureaucrates, aménageurs et chercheurs en sciences sociales sont en fait convaincus qu’une fois déplacées, ces populations « fragiles » et « dysfonctionnelles » pourront d’abord échapper à l’exode rural, et ensuite être « réhabilitées » (p. 35). Voilà pourquoi le gouvernement fédéral planifie simultanément la création du parc, et l’expulsion des occupants de ce territoire de 238 km2 faits de dunes, de marais salants et de forêts. Cette « pensée moderniste » (p. 67), détaillée dans le deuxième chapitre, détermine l’action des responsables provinciaux et fédéraux. Les premiers doivent céder aux seconds la propriété d’un parc libéré de tout droit d’usage et, ensemble, ils oeuvrent dans une complète négation des populations. Ignorant la complexité d’une économie quasi informelle basée sur une agriculture, une pêche et une foresterie de subsistance, la planification experte et chiffrée du déplacement semble alors vouée à l’échec. Objet du troisième chapitre, ce déplacement débute en 1969. Après avoir reçu de l’administration provinciale une offre inconditionnelle de rachat de leur propriété, les premiers résidents partent s’installer de l’autre côté de la frontière du nouveau parc, emportant généralement jusqu’à leur maison. Les mécontentements se font presque aussitôt entendre. Tous contestent la perte de leur droit de pêche. Certains jugent les compensations reçues insuffisantes – ainsi Thérèse Mazerolle qui écrit au printemps 1970 au ministre Jean-Pierre Chrétien : « If the federal government thought that our land was beautiful enough for a National Park, it should pay the price it is worth » (p. 104). D’autres dénoncent une politique fédérale aux relents colonialistes – ainsi John Irvine qui en 1971 associe publiquement le déplacement des populations « au second dérangement acadien » (p. 118). Puis, progressivement entendus par les responsables fédéraux, tous les résidents ou presque finissent par quitter les lieux. En 1974, seules deux familles sont encore présentes. Le départ des sept communautés de l’espace-parc s’est néanmoins accompagné d’une âpre résistance, analysée dans un quatrième chapitre (seconde partie). Face au refus initial de Parcs Canada de revaloriser les compensations, d’offrir davantage d’emplois aux expropriés et de maintenir leur droit de pêche, les résidents font montre d’une résistance devenue, en 1972, particulièrement virulente : occupation et saccage des bureaux du parc, incendie d’anciennes propriétés, menace à l’encontre du personnel du parc, etc. L’administration fédérale pense d’abord pouvoir négocier au cas par cas, et dissuader par la force les plus récalcitrants, suivant la logique du surintendant du parc : « the one who throws the first punch has the advantage on his opponent » (p. 154). Néanmoins en 1976, après que l’accès aux locaux administratifs eut été bloqué six mois durant et que le surintendant eut été agressé, Jean-Pierre Chrétien cède : 700 personnes (au lieu de 166) reçoivent 2 millions de dollars canadiens (au lieu de 300 000$), et elles conservent un droit de pêche en eau peu profonde, là où se pêche le homard. Une autre histoire débute alors : celle de Jackie Vautour, « The Acadian Freedom Fighter » que l’on découvre pleinement au cinquième chapitre. Après avoir refusé toute compensation, participé aux actions de résistance, été jugé puis expulsé de force, il revient …