Comptes rendus

Castonguay, Stéphane, Le gouvernement des ressources naturelles. Sciences et territorialités de l’État québécois, 1867-1939 (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2016), 203 p.[Notice]

  • Jean-Philippe Bernard

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  • Jean-Philippe Bernard
    Université du Québec à Montréal

L’analyse que nous offre Stéphane Castonguay dans son ouvrage Le gouvernement des ressources naturelles permet de combler certains vides laissés par l’historiographie de l’État au Québec. En continuité avec les travaux pionniers de James Ian Gow et de son Histoire de l’administration publique québécoise, 1867-1970 (1986), mais inspiré davantage des analyses plus critiques de l’État et de l’influence qu’y ont exercée les sciences, l’ouvrage de Castonguay rappelle l’importance de s’intéresser à l’État pour comprendre les transformations du Québec au tournant du XXe siècle. Se référant au concept des savoirs « technoscientifiques » de Bruno Latour, l’auteur décrit, de manière convaincante, la façon dont le personnel administratif des différents services responsables de la gestion des ressources naturelles et de l’organisation du territoire s’accroît en taille et en influence. Son portrait met en évidence les mécanismes de « modernisation » de l’État québécois, nous rappelant ainsi que les premières décennies du XXe siècle constituent un moment charnière dans la consolidation d’un pouvoir proprement provincial et davantage en mesure d’intervenir auprès des populations et des territoires aux marges de l’oekoumène québécois. Dans une analyse bien ordonnée et avec une plume limpide, l’auteur commence l’ouvrage par un bilan historiographique et une présentation des approches théoriques ayant influencé son écriture. S’ensuit un chapitre sur l’administration de l’État québécois et l’étude de l’influence des savoirs et pratiques scientifiques sur les différents ministères de la province. Ces « interventions technoscientifiques » sont relevées par Castonguay dans une déclinaison des différents « régimes de pratique de connaissance » (p. 27) au sein des activités de l’État. L’évolution, par exemple, du travail de description effectué par certains ministères s’observerait à travers les activités de mesure (analyse, travail de laboratoire, arpentage, etc.) ou d’inventaire (collecte, exploration, relevé, etc.) effectuées par ces scientifiques sur le territoire ou dans les laboratoires de l’État. C’est cette transformation des pratiques qui est au coeur de l’étude et qui permet, selon Castonguay, de mieux comprendre le processus de modernisation de l’État québécois, du moins en ce qui a trait aux ressources naturelles et au territoire. Pour relever les continuités, mais également les ruptures, observables au sein des différentes administrations responsables des ressources naturelles, l’auteur s’applique, dans les quatre chapitres qui suivent, à décrire et analyser les activités technoscientifiques qui concernent, respectivement, l’espace minier, la forêt et les sols, la chasse et la pêche ainsi que l’agriculture. Le portrait est convaincant. Alors que l’historiographie a souvent réduit le rôle de l’État, en cette première partie du XXe siècle, à celui d’un défenseur des intérêts du grand capital, peu préoccupé par l’administration du territoire et le contrôle de l’exploitation de ses ressources, la présentation qu’en propose Castonguay est plus nuancée. Sans défaire entièrement l’image d’une succession d’administrations libérales adoptant une politique du laissez-faire, l’auteur décrit une administration qui se transforme et adopte de nouvelles pratiques scientifiques. S’inspirant tantôt des analyses effectuées par la Commission géologique du Canada, tantôt des travaux de l’École de foresterie de l’Université Laval, ou encore des recherches effectuées au sein même de ses installations scientifiques – telles celles du biologiste W. B. Taylor sur les ressources ichtyologiques –, l’État québécois, au tournant du XXe siècle, s’impose en tant qu’acteur important dans l’administration du territoire et des ressources. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de remarquer que cette augmentation du personnel scientifique et technique au sein de son administration publique aura servi à constituer les fondements d’une gouvernance technoscientifique du territoire qui ira en s’accentuant dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale. Pour quiconque s’intéresse aux données plus factuelles de la transformation de ce « gouvernement des ressources », les …