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La francophonie nord-américaine, collaboration dirigée par Yves Frenette, Étienne Rivard et Marc Saint-Hilaire et offerte dans le cadre de la série Atlas historique du Québec, se compose de cinq chapitres et d’une cinquantaine d’articles organisés de façon plutôt chronologique. Somme toute, cet ouvrage s’insère habilement dans le courant des études plutôt globales – pas forcément globalisantes  ! – de groupes culturels et de leurs transformations diachroniques dans l’espace d’un continent, comme les ont écrites des chercheurs chevronnés comme Dean Louder et Éric Waddell. L’adjectif « nord-américain » ici est restreint aux réalités canadiennes et états-uniennes et n’inclut pas le Mexique, l’Amérique centrale ou la région des Caraïbes, à l’exception d’Haïti, dont on fait mention dans l’ultime chapitre sur les reconfigurations de la francophonie nord-américaine à partir de 1960.

Bien que ce livre n’ait pas d’hypothèse ou d’idée directrice en particulier, le cadre de base de cette compilation se construit en commençant par l’idée que des approches nettement historiques, géographiques et identitaires sont privilégiées, plutôt que des approches axées sur l’imaginaire. Certes, les sujets « traditionnels » de la francophonie nord-américaine, tels l’Acadie des Maritimes, le Québec, l’Ontario français, la Francophonie des Prairies, la Franco-Américanie et l’Acadiana, trouvent leur compte dans cette collaboration. Pourtant, les auteurs enrichissent et élargissent sensiblement le champ, incluant d’autres parties souvent négligées ou délaissées de cette francophonie, comme les Français et les Canadiens français de la Californie, la région du Madawaska qui dépasse trois frontières géopolitiques ou l’héritage huguenot sur la Côte est américaine, pour en nommer quelques exemples.

Écrire ou diriger un ouvrage synthétique comporte toujours des dangers comme une généralisation abusive ou des omissions de certains thèmes charnières. Même si cette collaboration ne peut couvrir toutes les bases de recherches sur la francophonie nord-américaine, elle permet au lecteur d’acquérir un bon minimum de connaissances. En plus, la bibliographie non pas exhaustive, mais bien ample quand même, ouvre d’autres pistes d’exploration. Les illustrations nombreuses servent de complément aux textes variés, mais y créent également un espace propre de narration. Tant sur les couvertures recto et verso qu’éparpillées partout dans les articles, elles font preuve dans toutes leurs couleurs de l’évolution visuelle et spatiale de cette francophonie transcontinentale.

Dès le début, il est évident que cet ouvrage veut décortiquer ces thèmes et lieux moins présents sur l’échiquier professionnel et même populaire des études francophones nord-américaines. Dans le chapitre un, sur soixante pages, seulement six abordent le peuplement français de la vallée du Saint-Laurent. D’ailleurs, les études de toutes les régions de l’époque de la Nouvelle-France sont généralement examinées de manière innovatrice. L’article de Nicolas Landry et de Nicole Lang, qui combine l’analyse des deux avant-postes à l’embouchure du golfe Saint-Laurent, Plaisance et Île-Royale (Louisbourg), mérite une mention spéciale. Il est coutume d’étudier des aspects de l’un ou de l’autre de ces deux endroits, mais non pas les deux ensemble. Ce prisme convergent permet de mieux tisser des liens d’interdépendance ou d’y constater l’indépendance de chacun, selon le cas.

Le deuxième chapitre sur la frontière, ou bien « les frontières », du commerce et de l’agriculture de 1760 à 1860 présente une panoplie d’articles sur des parties quelque peu occultées de la francophonie nord-américaine, tel le rôle des marchands francophones dans la région de Santa Fe au Nouveau-Mexique. Dans le troisième chapitre, dans le cadre des grandes migrations de 1860 à 1920, il y a d’autres frontières culturelles sous la loupe comme l’interaction en Gaspésie de quatre groupes francophones divergents – Canadiens français, Français, Anglo-Normands et Acadiens. L’article d’Annick Foucrier sur l’interaction entre les Français et les Canadiens français en Californie à partir de 1850 peut être considéré comme une étude portant sur des frontières culturelles. Cet article se distingue également par son innovation thématique.

Le troisième chapitre est le plus long de cette compilation. Sans doute, ces migrations de près et de loin et inouïes en termes quantitatifs aident à faire rayonner et renforcer cette francophonie transcontinentale. Un bémol à ajouter, si petit fût-il : on perd de vue la Franco-Américanie de la Nouvelle-Angleterre entre les troisième et quatrième chapitres, quoique dans les articles d’Yves Roby, un des pionniers de la recherche sur les Franco-Américains, et de Roberto Perrin et de Matteo San Filippo, on fasse état avec raison du commencement d’une acculturation accélérée vers les manières de penser et la langue prédominantes. Un article sur cette métamorphose linguistique de la communauté franco-américaine dans le quatrième chapitre, qui a pour titre « Les années de transition, 1920 à 1960 », y trouverait parfaitement sa place. Il serait également intéressant d’y voir peut-être un article qui examine de quelle manière les communautés acadiennes (notamment de Fitchburg, Massachusetts et d’Old Town, Maine) et franco-américaines interagissent en Nouvelle-Angleterre à cette époque-là. Néanmoins, ces deux chapitres, pris dans leur ensemble, possèdent une complexité et une cohésion remarquables.

Le cinquième chapitre se consacre à la problématique des reconfigurations de la francophonie continentale à partir de 1960. Peut-être les deux articles les plus emblématiques de ces transformations sont-ils l’étude diachronique formidable sur Welland, Ontario de Sylvie Roy et le regard exemplaire sur les enjeux identitaires louisianais de Sara Le Menestrel et Jacques Henry, spécialement en ce qui concerne la ou les communautés créoles. Une autre combinaison thématique, révélatrice de la transfiguration et de l’élargissement de la francophonie en terre nord-américaine, est évidente dans l’article de Robert A. Stebbins qui analyse l’interaction entre l’immigration et l’immersion française. Pour boucler ce volume collaboratif, les trois directeurs signent une étude qui présente leurs perspectives sur les mutations de l’aire francophone.

Bref, cet ouvrage polyvalent, qui décloisonne en quelque sorte et avec un succès remarquable les espaces professionnels et populaires sur le thème de ce sujet bien vaste, pourra s’avérer utile et facile d’accès tant pour les amateurs d’histoire que pour les étudiants de cégep ou d’université inscrits dans un cours d’introduction à la francophonie nord-américaine. D’ailleurs, il serait intéressant de le voir traduit en anglais afin de combler ces mêmes besoins dans le monde anglophone.