Comptes rendus

Saint-Pierre, Céline, La première révolution tranquille (Montréal, Del Busso Éditeur, 2017), 229 p.[Notice]

  • Benoit Marsan

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  • Benoit Marsan
    Département d’histoire, Université du Québec à Montréal

Dans La première révolution tranquille, Céline Saint-Pierre, professeure émérite au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal, reprend les grandes lignes de sa thèse de doctorat complétée en 1973. À l’époque, la discipline historique commençait à peine à s’intéresser à l’histoire du Québec contemporain. La sociologue ne possédait alors que très peu de recherches sur lesquelles s’appuyer. Cependant, aucune mise à jour prenant en considération la littérature des 40 dernières années n’a été effectuée pour la publication de ce livre. Cela a pour conséquence de donner un ouvrage qui est quelque peu dépassé. À l’instar de Fernand Dumont, Céline Saint-Pierre voit dans les années 1930 une première révolution tranquille où s’opposent des idéologies anciennes et nouvelles. L’autrice analyse ces débats d’idées à travers les journaux d’époque et les publications des deux principaux pôles du mouvement syndical québécois : la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) et le Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC). Dans un contexte marqué par l’anticommunisme, la CTCC met alors de l’avant le Programme de restauration sociale élaboré par l’École sociale populaire en 1933. Celui-ci vise à préserver les valeurs du Canada français en plus de proposer une troisième voie entre capitalisme et socialisme. L’objectif de ce programme, aussi soutenu par la petite et la moyenne bourgeoisie francophone, le clergé et les intellectuels canadiens-français, est d’organiser la société québécoise selon le modèle corporatiste afin entre autres d’harmoniser les relations entre patrons et ouvriers. À l’opposé, le CMTC, qui est le petit frère canadien de la Fédération américaine du travail (FAT), prône la « démocratie industrielle », se méfie de l’intervention de l’État dans les relations de travail et rejette le syndicalisme confessionnel. Les affrontements idéologiques entre les deux centrales syndicales vont se renforcer autour de la Loi relative à l’extension juridique des conventions collectives de travail de 1934. Cette loi est un élément important du programme corporatiste de la CTCC. C’est au sein de ces affrontements que Céline Saint-Pierre voit l’émergence d’un nouveau modèle québécois qui « prend forme dans les rapports sociaux entre deux nouvelles classes sociales, la classe ouvrière en transformation et la bourgeoisie industrielle capitaliste » (p. 224). À l’instar de plusieurs historiennes et historiens, la sociologue s’attaque ainsi au mythe de la Grande Noirceur. Cependant, quelques éléments du contexte historique présenté dans ce livre posent problème. Tout d’abord, l’autrice présente la classe ouvrière québécoise comme un phénomène nouveau qui prend naissance dans l’entre-deux-guerres. Il s’agit plutôt d’un long processus qui date du XIXe siècle au cours de la première phase d’industrialisation. Le mouvement ouvrier québécois est à ses balbutiements avec les grèves pour la journée de 10 heures en 1833-1834. Saint-Pierre ne tient pas plus compte du contexte de la Première Guerre mondiale et de la Révolte ouvrière au Québec, qui représentent des moments charnières dans l’évolution du mouvement ouvrier québécois de la période étudiée. Elle présente aussi une classe ouvrière québécoise homogène et canadienne-française alors que, dès ses origines, celle-ci se forme dans un contexte multiethnique et multireligieux qui se transforme encore à la fin du XIXe et au début du XXe siècle avec une immigration plus diversifiée. Quant au rôle d’encadrement de la classe ouvrière canadienne-française par l’Église catholique, qui intervient afin de préserver ses valeurs et de contrer les influences « étrangères » en son sein, il ne s’agit pas d’un phénomène propre aux années 1930. En effet, dès la deuxième moitié du XIXe siècle, l’Église mène un combat similaire à l’égard du développement des sociétés de secours mutuel et à la suite de l’implantation des Chevaliers du travail …