Comptes rendus

Prud’homme, Julien, Instruire, corriger, guérir ? Les orthopédagogues, l’adaptation scolaire et les difficultés d’apprentissage au Québec, 1950-2017 (Québec, Presses de l’Université du Québec, 2018), 200 p.[Notice]

  • Marie-Christine Brault

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  • Marie-Christine Brault
    Département des sciences humaines et sociales, Université du Québec à Chicoutimi

La publication du livre de Julien Prud’homme survient à un moment on ne peut plus opportun : jamais n’avons-nous autant parlé des élèves en difficulté, du dépistage précoce, du rôle des spécialistes à l’école et du recours au médical, voire au pharmacologique, en contexte scolaire. Instruire, corriger, guérir ? offre une mise en contexte de ces préoccupations en jetant un regard historique sur les conceptualisations, les politiques, les pratiques et les experts des difficultés scolaires au Québec de 1950 à 2017. Dans ce premier chapitre, Prud’homme précise les assises théoriques et méthodologiques qui ont guidé sa démarche. Comme l’histoire de la difficulté scolaire est autant celle des enfants qui peinent à l’école, que celle des actrices du terrain qui cherchent à aider ces enfants, il exclut de recourir exclusivement à un résumé de la succession des politiques officielles (p. 7). Il choisit plutôt de camper son récit à la croisée de la sociologie des professions et de l’histoire de la médicalisation de la difficulté scolaire. En utilisant l’histoire des orthopédagogues comme fil conducteur à l’histoire de la difficulté scolaire, il met les interactions sociales au coeur du récit et révèle ainsi une nouvelle lecture du phénomène. Le second chapitre raconte l’apparition et l’évolution de la catégorie « enfant inadapté » au Québec entre le XIXe siècle et la Révolution tranquille, alors que se met en place le projet de massification scolaire. D’abord exclus du système et accueillis par les religieuses dans les asiles où des programmes éducatifs leur sont néanmoins destinés, les enfants inadaptés sont ensuite confinés à des classes spéciales à la demande des commissions scolaires. L’absence de directives ministérielles claires à l’égard de ces élèves a comme conséquence de laisser le soin aux conventions collectives de décider des politiques formelles de l’inadaptation scolaire (une manière « devenue typique de l’école québécoise » nous rappelle Prud’homme [p. 30]). Ces premières conventions exigent désormais le recours à un spécialiste compétent de l’enfance inadaptée, ce qui mène à un foisonnement des experts (psychopédagogie, conseiller d’orientation, psychologue, etc.) dans l’école. Émergent alors les premières tensions entre médecine et pédagogie dans la prise en charge de ces enfants, tensions qui subsistent encore aujourd’hui et qui sous-tendent le récit. Le troisième chapitre présente la naissance et le développement plutôt difficiles de l’orthopédagogie. Cette discipline proprement québécoise est, à l’origine, considérée comme une « intervention clinique à l’intérieur de l’école » (p. 38), ayant l’objectif d’évaluer, de diagnostiquer et de rééduquer les enfants. Ce rôle permet aux orthopédagogues de se distinguer de celui des pédagogues de l’enfance inadaptée. Toutefois, dans un Québec où les experts scolaires sont déjà nombreux, l’absence de politiques scolaires appuyant le rôle des orthopédagogues les oblige plutôt à assumer une diversité de rôles qui ne répond pas à leurs idéaux. Surviennent alors des tensions au sein du groupe et le début d’une longue quête identitaire, qui oscille entre diagnostic et gestion de classe ; hôpitaux ou écoles ; métier à part entière ou corpus de savoirs. Le quatrième chapitre couvre la période 1975-1995, durant laquelle l’orthopédagogie comme discipline formelle et corps de métier se transforme d’une double manière : d’abord, lorsque le ministère de l’Éducation affaiblit l’orthopédagogie, en l’amalgamant à toutes les tâches associées à l’enfance inadaptée et en fermant les programmes universitaires du même nom ; ensuite, et contre toute attente, grâce à la création de l’Association des orthopédagogues du Québec (ADOQ). Bien que l’ADOQ soit formée d’un groupe hétérogène de spécialistes de l’adaptation scolaire qui assument des fonctions grandement diversifiées et qui se fondent dans la masse des travailleuses de l’éducation, Prud’homme la considère positivement. Les orthopédagogues en …