Comptes rendus

Théorêt, Hugues, La presse canadienne-française et l’extrême droite européenne 1918-1945 (Québec, Septentrion, 2018), 334 p.[Notice]

  • Xavier Gélinas

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  • Xavier Gélinas
    Musée canadien de l’histoire

À priori, le sujet du livre récent d’Hugues Théorêt, La presse canadienne-française et l’extrême droite européenne (1918-1945) semble avoir été amplement couvert. Combien d’études n’ont-elles pas déjà été consacrées aux liens putatifs entre Lionel Groulx et L’Action française devenue nationale (de Montréal) et Charles Maurras et L’Action française (de Paris) ? N’a-t-on pas examiné sous toutes ses coutures l’antisémitisme du Devoir des années 1930 ? D’autres aspects sont connus grâce, entre autres, aux bons travaux de Caroline Désy sur la Guerre civile espagnole ou d’Éric Amyot sur un Québec tiraillé entre Vichy et la France Libre. Mais l’étude de Théorêt émerge du lot. Elle embrasse le quart de siècle allant de l’Armistice de 1918 à la reddition des Nazis, couvre l’ensemble des régimes d’extrême droite (Italie, Portugal, Allemagne, Espagne, France pétainiste), et surtout – on a envie de dire : enfin ! – elle ne se contente pas de scruter le seul Devoir. On propose ici un panorama de la presse canadienne-française allant de Clarté (communiste) aux journaux fascistes d’Adrien Arcand, en passant bien sûr par Le Devoir, L’Action catholique et Le Droit, mais aussi par les organes libéraux et grand public que sont Le Soleil et La Presse, d’autres journaux libéraux mais plus intellectuels comme Le Canada et Le Jour, sans oublier quelques revues comme La Relève et Vivre. Ce caractère synthétique est le plus grand mérite de l’ouvrage. Il permet une perspective plus juste, moins braquée sur tel ou tel thème. Moins téléologique aussi : Théorêt ne cherche ni à faire le procès du clérico-nationalisme ni à louanger la prescience antifasciste des journaux libéraux, pas plus qu’à réhabiliter ou à débusquer des mythes chez les uns ou les autres. Il se contente simplement, mais pleinement, de suivre et de respecter la chronologie – le Mussolini de 1922 n’est pas celui de 1938, le Pétain de l’été 1940 n’est pas celui de la fin de la guerre – et de donner la parole à une panoplie d’éditorialistes et de chroniqueurs. Il recourt assez peu à l’historiographie préexistante. Certes, les travaux sur l’extrême droite et sur la presse du temps lui sont connus et il s’y réfère à l’occasion, mais le but manifeste de l’auteur n’est pas tant de se positionner au sein d’une école de pensée que de laisser parler les textes, sans déterminisme, dans une approche descriptive et empirique. De cette fresque de plus de vingt-cinq ans, couvrant plusieurs pays d’Europe et une infinité d’événements et de crises, qu’apprend-on ? En quelques mots : que des sympathies se sont souvent manifestées pour les dictatures de droite, à des degrés variables selon les journaux et selon les régimes, sympathies reposant sur l’anticommunisme et les professions de foi corporatistes de ces régimes, mais que rares furent les cas d’appui franc. Plus qu’une adhésion doctrinale ou viscérale au libéralisme ou à la démocratie, c’est le catholicisme professé par la quasi-totalité des organes de presse (sauf Clarté) qui constitue la première grille d’analyse des Canadiens français et explique que presque personne n’appuie inconditionnellement l’un ou l’autre de ces régimes. Ainsi, le Mussolini du début des années 1920 suscite un appui d’ensemble, appui qui se dérobe cependant chaque fois que le gouvernement fasciste entend enrégimenter les diverses organisations catholiques. Les protestations du Vatican sont appuyées par l’ensemble des médias. Certes, les accords du Latran, en 1929, recueillent l’enthousiasme : enfin, la question romaine est réglée, le pape n’est plus prisonnier à Rome. La concrétisation de la statolâtrie mussolinienne inquiète la presse dès le début des années 1930, et l’encyclique Non abbiamo bisogno (« Nous n’avons pas besoin …