Prix de l’Institut d’histoire de l’Amérique française[Notice]

Voici une réalisation extraordinaire, une monographie riche et dense qui témoigne d’une maîtrise phénoménale des archives et de l’historiographie sur le colonialisme franco-américain. Sous la plume de Cécile Vidal, le lecteur découvre une Nouvelle-Orléans socialement très complexe – en phase avec la « normalité » des villes-frontières du XVIIIe siècle. L’auteure reconstitue ce monde grouillant à partir des concepts à la fois de classe, de race et de genre ainsi que des statuts socioprofessionnels des groupes de diverses origines. Elle utilise des sources juridiques qui révèlent comment les gens se représentaient dans leurs relations et dans leurs choix intimes, domestiques et publics. Le lecteur pénètre ainsi au coeur d’une société magnifiquement révélée comme « intégrative, mais fondamentalement hiérarchisée » (p. 430). Vidal décrit notamment, avec des nuances fascinantes, la création et la signification de la société esclavagiste. Elle explore aussi les liens entre soldats et esclaves – qui s’enfuit avec qui, qui épouse qui, qui ne peut pas se marier – et met en relief un métissage ne reflétant pas tant l’ouverture raciale, que la fermeture et la domination. L’auteure rend enfin intelligible le désir universel d’embrasser le commerce. Tous ces points d’analyse, à la fois remarquablement intimes et si difficiles à cerner et à comprendre, permettent ici de mettre au jour à la fois de nouveaux faits et des identités sophistiquées et nuancées. Le portrait plus large de la Nouvelle-Orléans en tant que ville incrustée dans le monde des Caraïbes, caractérisée par la racialisation croissante des relations, du commerce, du travail et de la punition, constitue une avancée significative de notre compréhension de cet univers – et de ses dettes envers une certaine Amérique spécifiquement française. Il n’est jamais aisé de revisiter un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. À ce titre, le pari endossé par Max Hamon contenait une part supplémentaire de risque, dans la mesure où le personnage de Louis Riel demeure encore aujourd’hui un objet polémique du récit historique canadien. Le résultat net est à la hauteur du pari : l’auteur livre une étude audacieuse et convaincante du parcours de Riel, qui lui permet de tracer un portrait novateur des tribulations politiques entourant la naissance de l’État canadien moderne. La réussite de Max Hamon s’explique d’abord par un tour de force historiographique : il dégage son personnage des ornières téléologiques du grand récit national, prenant le contrepied des producteurs de récits de toutes allégeances. À ceux qui réduisent Riel à un caillou dans la construction de l’État libéral, l’auteur rappelle qu’il est un acteur de premier plan de cette entreprise ; aux autres qui le posent en martyr ou comme dernier rempart contre la marche des « industriels financiers de l’Est », il répond qu’on ne peut limiter le personnage à un rebelle. Sa démonstration, qui s’appuie sur un assemblage de sources étendu, offre au premier chef de nouvelles perspectives sur l’environnement idéologique du milieu du XIXe siècle. Son récit met en relief les réseaux intellectuels qui ont construit Riel, en dépoussiérant notamment de manière surprenante l’époque de sa formation dans la région montréalaise. Le coeur de l’enquête permet de repousser les limites de la compréhension des enjeux identitaires et territoriaux touchant à la fois les portions ouest et est du Canada en devenir ; la définition des frontières elles-mêmes apparaît alors accessoire ou impertinente. L’analyse des replis de la pensée de Riel fait émerger d’autres conceptions du territoire et des groupes qui s’y entrechoquent et collaborent. De nouveaux espaces de possibles se dégagent. Le politicien remplace bientôt la figure du rebelle ; l’intellectuel prend le pas sur le Métis. Et le …