Regards croisés sur une parution récenteNancy Christie, The Formal & Informal Politics of British Rule in Post-Conquest Quebec, 1760-1837 : A Northern Bastille (Oxford, Oxford University Press, 2020), 432 p.[Notice]

  • Benoît Grenier,
  • Thierry Nootens,
  • Mary Anne Poutanen et
  • Nancy Christie

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  • Benoît Grenier
    Université de Sherbrooke

  • Thierry Nootens
    Université du Québec à Trois-Rivières
    Centre interuniversitaire d’études québécoises

  • Mary Anne Poutanen
    Université Concordia

  • Nancy Christie
    University of Western Ontario

Note de la direction

À la suite de la publication par la professeure Nancy Christie d’un ouvrage consacré au Régime britannique, la Revue d’histoire de l’Amérique française a souhaité faire le point sur cette période jadis controversée de l’histoire du Québec en invitant des spécialistes à examiner cette nouvelle contribution à l’historiographie. Nous espérons que les trois points de vue qui suivent, ainsi que la réponse de l’auteure à ces regards croisés, permettront à notre lectorat de prendre la mesure de cette oeuvre substantielle. Les auteurs et l’auteure des recensions n’ont pas souhaité répliquer à l’auteure de l’ouvrage, leurs textes et la réponse rendant amplement compte des différents points de vue.

À l’heure où le monde universitaire est secoué par le débat sur la liberté académique, l’ouvrage de Nancy Christie n’est pas sans faire écho à l’oeuvre de Pierre Vallières dont il ne fait plus bon prononcer le titre… Dès les premières pages de ce livre qui veut proposer rien de moins qu’une réinterprétation de l’histoire du Québec post-Conquête (p. vii), l’auteure annonce son ambition de réintégrer le Québec du Régime anglais dans le cadre plus large de l’empire et du colonialisme britannique. « Rethinking Quebec as a colonial space », écrit-elle en p. 11. Ce recadrage passerait par la nécessité de reconnaître l’infériorité, disons « systémique », des conquis canadiens au cours de la période 1760-1837. Selon Christie, « the French Canadian majority fully comprehended their subaltern status as a conquered people possessing fewer rights than the archetypal freeborn Englishman, despite the fact they had formally been defined as British subjects » (p. 12). Plus loin à la même page, citant un témoin s’exprimant en 1800, elle écrit : « French Canadians were “nearly as black as a mulatto” ». Christie propose donc d’intégrer ces Canadiens à la nouvelle histoire impériale et de montrer que le Québec était aussi « a society founded upon notions of ethnic, class, and gender inequality » (p. 11). Pour ce faire, elle vise à étudier le plus minutieusement possible les diverses couches du discours politique pour en cerner l’expression en divers espaces, d’abord à travers les journaux, lesquels expriment essentiellement les positions britanniques jusqu’en 1806. L’analyse est également fondée sur un corpus de plusieurs milliers de dépositions en cour sur une période de sept décennies, dans une approche d’analyse de discours, pour en révéler les « politiques de la vie quotidienne » et réfutant l’approche « conventionnelle » de l’histoire du droit. Combinées à de nombreuses autres sources complémentaires, dont des correspondances, des pétitions ou les annonces de fuites d’esclaves dans les journaux, les sources de cette étude permettent à l’auteure d’explorer l’interrelation entre les discours et la pratique de l’impérialisme britannique à travers les multiples relations de pouvoir coloniales qui s’exercent à l’endroit des conquis. L’ouvrage de plus de 400 pages se divise en 6 chapitres selon un plan mi-chronologique mi-thématique. Certains sont chronologiques au sens où l’on y analyse longuement les conséquences d’événements précis de la période sur la relation entre conquérants et conquis. Ainsi, le chapitre premier aborde ce que l’on considère généralement comme le premier test de la loyauté des conquis : la Révolution américaine. Or, loin d’insister sur le rôle bien connu joué par l’aristocratie seigneuriale et l’Église catholique en vue de soutenir les autorités britanniques, Christie relève de multiples exemples de la « déloyauté » des Canadiens et, surtout, de la perception généralisée chez les Britanniques, à commencer par le gouverneur Haldimand, des habitants et des Premières Nations comme « rebel sympathizers ». Si certains exemples sont neufs, on sait depuis longtemps que le peuple des campagnes, moins de 15 ans après la bataille des Plaines d’Abraham, demeure peu sympathique à la Grande-Bretagne. Le seigneur Taschereau l’a appris à ses dépens en Beauce, comme le rappelait Brian Young dans Patrician Families and the Making of Quebec. Ajoutons que la vision traditionnelle des Canadiens en tant que guerriers féroces et toujours prêts à partir au combat a été considérablement nuancée par l’ouvrage posthume de Louise Dechêne et que les Canadiens de 1775 sont certainement aussi peu enclins à reprendre les armes contre les Américains qu’ils ne le seront en 1812 ou qu’ils l’étaient au tournant du XVIIe siècle, indépendamment du roi requérant leur loyauté. Néanmoins, il faut …

Parties annexes