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Après s’être intéressé à L’histoire nationale à l’école québécoise (Septentrion, 2012, avec Marie-Claude Larouche), le trio composé de Michel Allard, Paul Aubin et Félix Bouvier se penche sur la formation des maîtres au Québec, en s’adjoignant cette fois l’expertise de la spécialiste des sciences de l’éducation Rachel Desrosiers. Ce projet ambitieux, qui consiste à retracer quatre siècles d’histoire, est réalisé en bonne partie à l’aide d’études de cas.
Le premier chapitre, signé Michel Allard, adopte une allure classique, embrassant toute la période qui va du Régime français à la fondation des premières écoles normales publiques au milieu du XIXe siècle. À l’époque où le réseau éducatif ne peut encore prétendre au nom de « système », le métier d’enseignante et d’enseignant s’apprend surtout sur le terrain. La nécessité d’une qualification et d’une certification des maîtres se fait sentir plus fortement lorsqu’on cherche à implanter un véritable système scolaire à partir des lois créant successivement l’Institution royale pour l’avancement des sciences (1801), les écoles de fabrique (1824) et les écoles de syndics (1829). Trois dates marquantes sont à retenir : en 1822, un premier traité de pédagogie est publié au Québec, rédigé par Joseph-François Perreault ; en 1831, une loi crée la fonction de visiteur des écoles ; et l’année suivante, une autre loi impose aux candidats au métier d’enseignant d’obtenir un certificat de compétence et de moralité. Ce n’est toutefois qu’après l’Union que seront mis en place, à Montréal et à Québec, des bureaux d’examinateurs délivrant des brevets.
Le chapitre 2 examine l’implantation des écoles normales publiques dans la seconde moitié du XIXe siècle, en réponse aux recommandations du rapport Sicotte, qui en 1853 avait conclu à l’incompétence des enseignants. La création du Conseil de l’instruction publique (1856) de même que l’ouverture de trois écoles normales – Laval (à Québec), McGill et Jacques-Cartier (à Montréal) – doivent remédier à ces déficiences et favoriser l’avancement de l’éducation. Pour rendre compte de cette étape, Michel Allard se concentre plus particulièrement sur l’École normale Jacques-Cartier, depuis sa fondation en 1857 jusqu’au transfert de la formation des maîtres à l’université à la fin des années 1960. C’est à travers l’oeuvre des principaux directeurs et maîtres de l’école que cette histoire est relatée. Certains d’entre eux étaient aussi auteurs de traités pédagogiques : Hospice-Anthelme Verreau, Roland Vinette, etc. L’analyse s’attarde, entre autres, à l’équilibre changeant entre les matières d’enseignement et les savoirs pédagogiques proprement dits, ces derniers prenant plus d’importance au fil des ans. L’auteur s’intéresse aussi aux rapports Église-État qui forment la toile de fond de cette période.
Plus descriptif, le chapitre 3 suit l’évolution de la formation des enseignantes à Montréal dans la longue durée. Rachel Desrosiers y observe comment celle-ci accompagne le difficile développement de l’éducation des filles, depuis les initiatives pionnières de Marguerite Bourgeoys en Nouvelle-France jusqu’à la Révolution tranquille. Le milieu du XIXe siècle est déterminant à cet égard, marqué par l’entrée en scène de plusieurs congrégations religieuses féminines spécialisées. Certaines viennent d’Europe, telles les soeurs du Sacré-Coeur et de Sainte-Croix. D’autres sont des fondations locales, comme les soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie. Lorsqu’à partir de 1856 des écoles normales d’État sont créées pour former les maîtres, la formation des femmes enseignantes laïques catholiques échoit à des communautés religieuses : les Ursulines à Québec puis, quelques décennies plus tard, la Congrégation de Notre-Dame à Montréal. Avec le développement de l’enseignement supérieur des filles – toujours contrarié, puisque la « femme savante » effraie –, la nécessité d’une formation pédagogique supérieure s’impose. En 1926, l’ouverture de l’Institut pédagogique de la Congrégation de Notre-Dame est enfin autorisée à cette fin ; il sera rattaché à l’Université de Montréal.
Paul Aubin signe un quatrième chapitre substantiel consacré à la formation à l’enseignement chez les Frères des écoles chrétiennes. Très importante dans le paysage éducatif, cette communauté s’implante au Québec en 1837, apportant avec elle l’héritage de son fondateur, Jean-Baptiste de Lasalle, auteur de La conduite des écoles chrétiennes (1706). Fiers promoteurs de la méthode d’enseignement simultané, les Frères sont néanmoins forcés de s’accommoder au contexte québécois en développant une approche « simultanée-mutuelle » où des élèves plus avancés soutiennent le maître dans son travail (p. 137). La formation à l’enseignement, d’abord enchâssée dans le noviciat, s’étoffe au fil des années. En 1887 s’ouvre le premier véritable scolasticat voué à l’apprentissage du métier. L’expertise des Frères en matière pédagogique essaime aussi au-delà de leur communauté. Ils contribuent en effet à la formation des soeurs enseignantes et des instituteurs laïcs. À partir de 1929, leur nouvel Institut pédagogique Saint-Jacques, rattaché à l’Université de Montréal, offre une formation plus avancée. En matière pédagogique, la communauté joue aussi un rôle important dans la rédaction et l’édition de manuels scolaires.
On doit à Michel Allard et Félix Bouvier le cinquième et dernier chapitre du livre qui aborde le passage de la formation des maîtres dans l’orbite universitaire à la fin des années 1960. Les auteurs mettent l’accent sur le développement du réseau de l’Université du Québec, dont les composantes régionales sont en grande partie vouées, les premières années, à la formation des maîtres. La filiation avec les anciennes écoles normales est manifeste : la rupture n’est pas aussi radicale qu’on a bien voulu le raconter, soutiennent les auteurs. Proposant un survol de ce secteur d’activité universitaire jusqu’en 2015, le chapitre fournit des données sur les effectifs étudiants et le nombre de personnes diplômées. On suit la structuration progressive du champ des sciences de l’éducation, avec son corps professoral spécialisé, ses études supérieures et ses activités de recherche propres. Ce mouvement rompt d’ailleurs avec certaines orientations initiales selon lesquelles « [l]a formation des maîtres ne peut être le fait d’un seul département, d’une seule faculté qui vivrait isolée du reste de l’université » (Maurice Boisvert, vice-président à l’enseignement et à la recherche de l’Université du Québec, 1969). Ce trop court chapitre donne envie d’en savoir davantage. Bien qu’il soit présenté comme le « bilan d’une réflexion », nous y voyons plutôt l’ouverture d’un chantier.
À l’instar de Normand Baillargeon et de Guy Rocher, respectivement auteurs de la préface et de la postface, on soulignera la pertinence d’un tel regard rétrospectif à l’heure où le métier d’enseignant traverse une véritable crise (pénurie de maîtres, désistements nombreux, etc). Une histoire de la formation des maîtres au Québec, ceci dit, n’est pas une oeuvre sans failles, la principale étant son identité incertaine. En effet, le livre semble hésiter entre l’ouvrage de synthèse et l’ouvrage de recherche. Peut-être n’a-t-on pas suffisamment défini le public visé ? Les premiers chapitres s’appuient en bonne partie sur des savoirs déjà constitués. Les derniers sollicitent davantage les archives et contribuent plus nettement à la connaissance. À l’évidence, ce qui manque à cet ouvrage est un solide bilan historiographique sur lequel on aurait pu édifier une problématique plus serrée. Après les travaux des Hamel, Mellouki, Piquette, Dufour et Dumont et autres, on aurait aimé savoir où en est rendue la recherche et quels sont les territoires à investiguer en priorité. Les réponses à ces questions auraient permis de mieux baliser ce récit qui est, par ailleurs, d’une grande richesse factuelle.