Le mot des directeurs[Notice]

  • Pierre Bonnechere et
  • Christian Raschle

…plus d’informations

  • Pierre Bonnechere
    Professeur titulaire

  • Christian Raschle
    Professeur adjoint, Département d’histoire, Université de Montréal

L’histoire s’est depuis longtemps débarrassée de son image d’un simple catalogue de noms, de dates, d’idées et de faits. Voilà plusieurs décennies maintenant que de nouvelles approches et méthodes voient le jour et se développent, qui interpellent les historiens et les forcent à revoir sans cesse leurs techniques de lecture, d’analyse et de synthèse. Elles sont notamment inspirées de l’anthropologie, de la sociologie, ou encore de l’histoire de l’art, et amènent l’historien à structurer son questionnement autour de concepts nouveaux, comme l’histoire du genre ou la théorie du discours par exemple. Conscients de l’intérêt que la théorisation et la conceptualisation suscitent chez les jeunes chercheurs, fût-ce au plan conceptuel ou appliqué, nous les avons encouragés à présenter l’avantage de nouveaux cadres théoriques, ou encore de concepts renouvelés qui constituent une part de leur outillage intellectuel. Ce numéro des Cahiers d’histoire constitue ainsi un lieu de réflexion : quels sont les avantages et les limites que telle ou telle approche, passant par la théorisation et la conceptualisation, issue d’une réflexion moderne, apporte à la recherche sur les sociétés anciennes ? Dans quelle mesure les thèmes aujourd’hui privilégiés par les historiens s’en trouvent-ils modifiés ? Comment l’approche méthodologique des sources en ressort-elle renouvelée ? Comment enfin faire progresser encore et toujours nos connaissances à partir de documents connus depuis longtemps ? Les questions théoriques sont d’évidence davantage prisées dans les champs de l’histoire plus proche de nous, et en fait dans tout type d’histoire pour lequel subsiste une masse critique de documents, qui peut seule contrebalancer la puissance conceptuelle d’une nouvelle théorie ou d’une nouvelle méthode. L’histoire ancienne n’est pas revêche à la théorie, et elle a toujours été à l’avant-garde des collaborations interdisciplinaires, qu’elles fussent centrées sur les disciplines classiques, littérature, archéologie et histoire, ou sur les apports méthodologiques : la théorie économique a de longue date envahi les terres de l’historien des royaumes hellénistiques ou de l’Empire romain, la prosopographie y a gagné ses lettres de noblesse, l’anthropologie religieuse y a fleuri dès les années 1960, les concepts d’altérité et d’identité y ont trouvé un de leurs premiers terreaux fertiles. Mais si l’histoire ancienne n’est pas revêche à la théorisation, bien des historiens, non sans raison, considèrent d’un mauvais oeil tout un pan de la recherche qui fait primer la théorie sur les faits que l’on peut extraire des sources anciennes, souvent sporadiques et incomplètes, et qui en réalité ne font que justifier — en apparence — l’a priori de départ en plaquant quelques faits mal connus sur l’armature d’un raisonnement logique qui emporte l’adhésion. En ce sens, s’il est toujours nécessaire de rester ouvert à la nouveauté, il reste capital aussi de s’armer de garde-fous pour éviter les dérives, dont les effets pernicieux et autres dommages collatéraux sont souvent longs à identifier et ensuite à récuser. Les articles qui suivent reflètent assez bien ces brefs propos : aucun auteur ne s’est lancé dans une vaste entreprise abstraite. Au contraire, c’est toujours à partir de l’évolution d’un paradigme, d’un concept, d’une habitude, que se trouvent appréhendés différemment les faits antiques. À l’origine, les cultes isiaques ont été étudiés dans une perspective philologique et historico-religieuse traditionnelle. L’avènement des « sciences des religions », avec leur dette à l’égard de la sociologie, a radicalement transformé leur image, comme le montre Stéphanie Briaud. De même, la quantification, à la mode en numismatique et en histoire économique, a permis de remarquables avancées quant à l’établissement de l’origine, de la répartition des objets et des coutumes relatives, par exemple, à tel ou tel dieu, ou sous tel ou tel souverain. En politique, les historiens ont …