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Tant attendu, le présent ouvrage forme les actes du deuxième colloque du programme international Compétition dans les sociétés du haut Moyen Âge (400-1100) qui se tint à Limoges en juillet 2012[1]. Ce volume propose une approche originale d’une problématique qui se veut centrale pour la société alto médiévale ; à savoir la relation entre le sacré et la compétition.

Abondamment nourrie par les sciences sociales, dont l’anthropologie ou encore l’économie avec un apport indéniable de la Game Theory telle que développée par John Nash dans sa conception de l’équilibre[2], cette étude sur la compétition tend à considérer en regard du sacré—véritable instrument de pouvoir et facteur d’exclusion—les différents aspects de ce concept, ses objets variés, ses formes et ses moyens.

En s’intéressant principalement aux tendances et aux stratégies mises en place par les différents acteurs, en étant attentives quant à la mobilité sociale et aux modifications du statut ou de la position des biens et des personnes selon un espace-temps donné, mais aussi quant aux possibles recours à la régulation, à la médiation ou encore à l’équilibre, les dix-neuf contributions de ces actes[3] problématisent la rivalité, la confiance, la compétition ou la coopétition (collaboration entre concurrents) vis-à-vis du sacré sous toutes ses formes. En effet, la place et le rôle du sacré (privé et public), sous toutes ses apparences, permettrait la compétition dans une société médiévale où l’interpénétration du religieux et du politique, l’imbrication du sacré et du profane, sont plus qu’importantes et soumises à des changements fréquents. D’ailleurs, il devient quasiment impossible de les distinguer lorsque la symbolique de l’action politique trouve sens au sein d’un idéal politico-religieux (Régine Le Jan).

Parmi la compétition et le sacré au haut Moyen Âge, outre quelques clercs (Céline Martin) tels que le Pape (Annette Grabowsky), des missionnaires (Hans-Werner Goetz, Geneviève Bührer-Thierry) ou des abbés (Rutger Kramer, Albrecht Diem, Gaëlle Calvet-Maracdé, Noëlle Deflou-Leca, Antonio Sennis), les évêques occupent une place prépondérante dans une compétition qui se veut elle aussi singulière, puisque ceux-ci sont à la fois compétiteurs, médiateurs et juges. Ils sont également dotés de ressources spécifiques qui permettent l’exclusion d’un membre de la communauté (Florence Close, Charles West). Ils se sont octroyé un pouvoir parfois considérable et n’hésitèrent guère à établir (Stéphane Gioanni) ou mieux, à changer les règles lorsque nécessaire (Charles Mériaux). Tant la sacralisation des biens et celle des personnes suivirent généralement des chemins identiques, avec les mêmes temps forts, mais ce n’est pas toujours systématique (Alban Gautier).

Alors que du IVe au VIIIe siècle l’autorité sacrale des abbés, mais également de la royauté et, bien entendu, des évêques est en construction, les saints-hommes possèdent un lien direct avec le sacré par leurs vertus, leurs miracles et leurs reliques qui peuvent être utilisés à dessein (Giorgia Vogino, Francesco Veronese). Les contestations sont alors fréquentes et se manifestent par des conflits ou encore des assassinats. Il n’est d’ailleurs pas exceptionnel de constater que l’épiscopat se retrouve au coeur de ces querelles, contre des laïcs, des clercs et des institutions monastiques (Wendy Davies, Marco Stofella), car il s’agit d’une fonction procurant un pouvoir considérable, mais également une source indéniable de prestiges et de richesses.

Comme d’autres acteurs, Régine Le Jan nous rappelle que les évêques mérovingiens sont les protagonistes d’une compétition politique, mais ceux-ci seraient alors possiblement dépourvus d’une sacralité protectrice suffisante pour générer suffisamment de crainte et empêcher une quelconque tentative d’homicide. En ce sens, l’époque carolingienne aurait apporté des changements majeurs ; la compétition serait pleinement médiatisée et régulée, notamment par l’autorité royale qui se serait attachée à limiter le pouvoir politique des évêques tout en accroissant leur prestige intellectuel et, surtout, religieux (facteur de protection). Toutefois, l’homicide d’un évêque pouvait encore survenir lors de crises politiques ou bien par l’abus de leur autorité spirituelle ; par exemple lorsque ceux-ci usent à outrance de l’excommunication. La sacralité des évêques, comprise comme une force qui entraîne le respect ou encore la crainte en raison de l’ordination ou de la consécration, semble n’être jamais complètement établie malgré un effort de médiatisation grandissant. Cela nous amène aussi à nous interroger sur le processus même de construction de la figure et de la fonction épiscopale ; un aspect qui mériterait d’ailleurs une étude à part entière. Ce questionnement doit également être mené en regard des autres figures de pouvoirs en présence telles les abbés ou les abbesses qui participent aussi à la compétition.