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« Existe-t-il une médecine juive ? » C’est une question complexe qui a toutefois été habilement traitée dans l’ouvrage Médecins juifs du Xe au XVIIe siècle. Rédigé par Régis-Nessim Sachs, un cardiologue co-auteur de nombreuses publications sur la médecine, ce livre est un traité historique avant tout et représente un travail d’enquête approfondi sur la médecine juive. En effet, il avertit le lecteur que son oeuvre ne prétend pas être un travail de recherche ou une analyse philologique d’un manuscrit[1]. Maîtrisant parfaitement l’arabe et l’hébreu, R. N. Sachs met à profit ses connaissances afin de constituer un livre richement détaillé. Dans un style clair et compréhensible, il s’appuie sur des sources hébraïques et arabes. Pour faciliter la lecture, l’ouvrage contient de nombreuses cartes et illustrations. Le livre possède toutefois une limite temporelle déterminée par l’auteur : R. N. Sachs concède qu’il était difficile de circonscrire le Moyen Âge[2]. Suivant la proposition de J. Le Goff pour un long Moyen Âge, il justifie son choix de datation en expliquant qu’il ne pouvait dissocier les biographies des médecins dits marranes, crypto-juifs ou judéo-chrétiens, de leurs prédécesseurs. Enfin, R. N. Sachs avise le lecteur que son étude n’est pas exhaustive : les médecins médiévaux sont choisis selon leur notoriété et les sources, selon leur disponibilité, leur accessibilité et leur langue[3].

Le but de l’auteur, clairement énoncé dans l’avant-propos , est d’une part, de prouver que les médecins juifs ont contribué à la diffusion de la médecine gréco-arabe vers l’Occident ; d’autre part, de déceler la place de ces savants dans les progrès de la pratique médicale[4]. Plus encore, Sachs désire montrer que, s’il existe véritablement une médecine juive, elle trouve ses origines dans la Bible (et par extension dans le Talmud), mais qu’elle a surtout été influencée par des théories médicales grecques et par son environnement culturel. L’avant-propos détermine, par conséquent, l’organisation générale de l’ouvrage. Le travail est divisé en trois parties. La première[5], Généralités, vise à voir de façon large le rôle de la médecine dans la Bible et dans le Talmud, mais aussi de passer à travers l’histoire des persécutions et des interdits pour démontrer le rôle malgré tout significatif de nombreux médecins juifs. La deuxième partie[6] expose la vie des médecins du Moyen Âge les plus connus et qui ont joué des rôles significatifs comme médecins de cour, ministres, traducteurs, etc. On retrouve parmi eux, Isaac Israéli (v. 850-932 ?), Shabbetaï Donnolo (913-982 ?), Hasdaï ibn Shaprut (c.915-917 ou 990 ?), Maïmonide (1135/38-1204), la dynastie des Tibbonides (1120-1304), ainsi qu’Elia Di Sabbato da Fermo (né dans la deuxième moitié du XIVe siècle). Enfin, l’auteur introduit la dernière partie[7] en retraçant l’histoire de médecins marranes, histoire qu’il estime être en lien direct avec les médecins juifs médiévaux. Il consacre ensuite les six derniers chapitres aux biographies de médecins de la Renaissance, tels que Garcia da Orta (1500-1568), Amatus Lusitanus (1511-1568), Hector Nunes (1520-1591), Élie de Montalto (1567-1616), Isaac Cardoso (1603-1683), Abraham Cardoso (1627-1706), Isaac Orobio de Castro (1617/20-1687), ainsi que Juan de Prado (1612-1669). Ces biographies servent à porter une réflexion sur l’identité des marranes, laquelle est très complexe puisque ces derniers seraient « pris entre deux religions[8] » : non acceptés parmi les chrétiens et rejetés par leurs anciens coreligionnaires.

La méthodologie employée par R.N. Sachs est, dans l’ensemble, bien établie. Afin de définir et de comprendre ce qu’est la médecine juive, l’auteur propose un parcours spatio-temporel continu et logique et essaye ainsi de ne pas perdre le lecteur. Explorer l’histoire des médecins juifs sur sept siècles est un travail laborieux qui a su être relativement bien exécuté. Cependant, la structure des trois parties génère quelques interrogations. On peut se demander pour quelles raisons la première partie exclut les faits historiques postérieurs au XVe siècle, lesquels sont rejetés dans la troisième partie de l’ouvrage. Par ailleurs, pourquoi insérer un chapitre biographique, consacré à Asaph Ha Iehoudi, dans la première partie et non dans la deuxième avec les autres biographies de médecins juifs de son temps ? Il y a malgré tout un juste désir de synthèse. Le grand mérite du travail de R.N. Sachs réside dans le fait qu’il a brillamment documenté son ouvrage, toujours avec un grand souci de précision. C’est la principale force du livre.

Bref, l’ouvrage de Régis-Nessim Sachs constitue une base solide pour tous ceux qui désirent comprendre la complexité de la vie juive du Xe au XVIIe siècle en chrétienté ou en terres musulmanes, et ce, par le biais de médecins juifs et marranes. L’ouvrage réalisera pleinement son objectif lorsque, comme l’auteur l’espère[9], d’autres chercheurs décideront de pousser plus loin son étude.