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Recueil de dix chapitres qui peuvent être lus indépendamment, cet ouvrage nous amène à repenser les relations humains/animaux dans un contexte urbain au Canada aux 19e et 20e siècles. La particularité de cet ouvrage est justement ceci : l’accent est mis sur les relations et les dynamiques inter-espèces dans des lieux considérés fondamentalement humains, c’est-à-dire les villes. Chaque chapitre met en avant comment ces relations, à la fois spatiales et temporelles, nous aident à mieux conceptualiser la ville, la définir, et même la bâtir. Loin d’être exemptes de présences non humaines, les villes canadiennes sont montrées comme étant des endroits idéals où étudier les animaux, leur agentivité et leur impact dans l’histoire qui est trop souvent anthropocentrique.

Darcy Ingram, Christabelle Sethna et Joanna Dean, dans leur pertinente introduction au sujet, aident les lecteurs moins aguerris en la matière à se situer dans une historiographie encore peu connue. En effet, ces spécialistes divisent les « animal studies », cette branche d’étude qui a comme centre d’intérêt les animaux non-humains, en deux axes : le premier tente de rompre avec les divisions humains/non-humains afin de briser la croyance à l’effet que l’humain est une espèce exceptionnelle vis-à-vis les autres êtres vivants. Cet axe se base surtout sur des notions post-humanistes, ayant pour but non pas d’être contre l’humain, mais plutôt de s’ouvrir aux possibilités qu’offre une analyse en dehors de l’anthropocentrisme. Le deuxième axe proposé est celui de l’animal en tant qu’être sensible. Cette perspective nous amène à réfléchir à l’éthique et la politique des agissements des humains sur les non-humains, et à la sensibilité de ceux-ci face à la douleur physique et psychologique. C’est sous cette optique qu’on voit parfois émerger des considérations féministes et écoféministes, qui tentent de montrer les luttes communes des êtres vivants contre l’androcentrisme culturel. Nous poussant encore plus loin dans nos réflexions, les codirecteurs de l’ouvrage nous rappellent que certaines perspectives existent pour tenter de voir plus largement le lien entre les êtres et les choses, les « formations, networks, and assemblages » telle la Actor Network Theory de Bruno Latour[1]. Vers la fin de l’introduction, on nous rappelle aussi que les premières tentatives d’inclusion des animaux dans l’histoire canadienne proviennent d’historiens de l’environnement dans les années 1990. Ces dernières années, plusieurs historiens du Canada reconnaissent l’impact des non-humains dans l’environnement à la fois urbain et non-urbain.[2]

Une richesse de cet ouvrage est la diversité des êtres vivants considérés dans les chapitres. De même, chaque texte réussit, par des méthodes ou des concepts différents, à montrer un impact non-humain tangible sur la ville, son développement et les humains qui y vivent. Passant des animaux domestiques aux animaux sauvages, des chevaux aux cétacés et aux êtres microscopiques qui jouent, eux aussi, un rôle dans nos relations inter-espèces, l’ouvrage nous convainc de la signification et de l’agentivité historique de ces êtres vivants. Offrant des perspectives féministes, Carla Hustak aborde le lien entre les mères, le lait et les vaches, tandis que Darcy Ingram nous éclaire sur le lien entre le mouvement de bien-être des animaux et les mouvements féministes. D’autres, s’inspirant du deuxième axe de recherche proposé par les directeurs de l’ouvrage, focalisent sur la souffrance et l’emprisonnement animal, telle Christabelle Sethna lorsqu’elle nous parle de Jumbo l’éléphant de cirque, et Jason Colby des baleines dans les aquariums. D’autres illustrent avec habilité les liens inter-espèces, telle Joanna Dean lorsqu’elle tisse un lien entre les humains, les chevaux et le tétanos, ou George Colpitts à propos de la gestion de la maladie de la rage à Banff dans les années 1952–1953, ou encore Kristoffer Archibald à propos de la cohabitation des ours polaires et des gens à Churchill au Manitoba. De son côté, William Knight nous parle des expositions muséales de poissons empaillés à la fin du 19e siècle. Nous éclairant sur leur compréhension de l’espace et de l’impact des animaux dans la municipalité, Sherry Olson et Rachel Poliquin discutent, respectivement, des chevaux à Montréal et des castors à Stanley Park.

Ce qui marque le plus dans cet ouvrage diversifié, c’est comment les comparaisons sociales et les relations de pouvoir entre humains reflètent les relations entre non-humains dans la ville. Les conflits inter-espèces dans les espaces partagés sont omniprésents. L’appropriation à la fois du corps non-humain et de sa capacité pour le travail est souvent mise en avant. Ces conflits vont main dans la main avec le développement urbain des villes canadiennes, ce que tentent d’encadrer les réglementations municipales. Visant à la fois un public plus spécialisé et/ou d’historien.ne.s qui sont prêt.e.s à explorer de nouvelles perspectives, Animal Metropolis impressionne par sa capacité à écouter, à lire les détails dans le cadastre urbain et archivistique, à donner une voix et réintégrer dans l’histoire canadienne des espèces non humaines qui, pourtant, ont tout autant affecté le développement urbain que non-urbain du pays.