Recensions

Quenet, Grégory. Versailles, une histoire naturelle, Paris, La Découverte, 2015, 220 p.[Notice]

  • Laëtitia Deudon

…plus d’informations

  • Laëtitia Deudon
    Candidate au doctorat en histoire, Université de Montréal—Canada, Université de Valenciennes—France

Prenez note qu’en raison des retards qui ont affecté sa production, ce volume 33, n° spécial (double) est publié en 2017, mais enregistré pour l’année 2015.

À travers cette histoire environnementale du domaine de Versailles, Grégory Quenet illustre une « autre histoire », loin du stéréotype d’une nature rationalisée et contrôlée que laisse supposer le fantasme de l’« absolutisme environnemental » où la nature serait entièrement au service du souverain et ordonnée, à l’image des jardins à la française. Sa volonté est de faire revivre le « Versailles organique, vivant, énergétique » (p. 8) d’autrefois, faisant intervenir une multitude d’acteurs autres que le Roi. Il s’agit aussi de faire ressortir un Versailles « heurté, incontrôlé, contesté », au territoire dynamique dont l’emprise s’étendait bien au-delà des terres du Roi, à travers les grands travaux d’hydraulique et la gestion de la faune et de la flore à des fins cynégétiques au sein du Grand Parc. G. Quenet s’éloigne des récits anthropocentristes et déclinistes au profit d’une étude des interactions société-environnement où nature et culture se confondent, se façonnent mutuellement pour créer des formes hybrides, sur lesquelles les récents travaux nord-américains et européens mettent particulièrement l’accent (Quenet, 2014). Pour structurer son travail, l’auteur reprend le modèle de l’histoire naturelle de Diderot composé de quatre grands temps : la naissance, la croissance, la régénération et la mort. Cette approche organique, métabolique, souligne bien la dynamique du territoire versaillais. La première partie, « Naissance. Le château dans son environnement », débute par l’histoire de « L’animal Versailles » qui peine à être abreuvé au site à première vue hostile « sans vue, sans bois, sans eau, sans terre, parce que tout y est sable mouvant et marécage » (p. 20). Toutefois, il se distingue par son abondance de gibier où sont chassées quotidiennement plusieurs centaines de bêtes. Cependant, l’intensité des prélèvements consécutifs à la sédentarisation de la cour conduit à l’épuisement des ressources cynégétiques, sans compter la ponction des villages compris dans le domaine du Grand Parc. Le mélange extrêmement hétérogène d’hommes et d’animaux entraîne une difficile cohabitation conduisant à de nombreux délits, désordres et conflits d’usage imposant négociations et ajustements. La deuxième partie (« Croissance. Flux de matière et réseaux ») traite de l’immense réseau hydraulique déployé composé de canaux, d’aqueducs, de tuyaux, de pompes, de réservoirs, d’un chapelet d’étangs artificiels et de la fameuse Machine de Marly, le tout aménagé dans le dernier tiers du XVIIe siècle pour alimenter Versailles en eaux potables et d’agrément. L’expansion du territoire hydraulique entraîne des recompositions territoriales, sociales et par conséquent des résistances et des dysfonctionnements causés par le morcellement et l’absence de dispositif de conciliation et d’arbitrage où les différentes logiques et les droits multiples s’entrechoquent, entraînant une situation de crise. Ce désordre est en partie compensé par la constitution d’une « police des flux » et d’un durcissement des règlements, sans résoudre totalement le problème tant la cohabitation entre les différents usages est incompatible, les représentants du roi étant souvent contraints de recourir au compromis et à la négociation. La troisième partie (« Régénération. Parquer et conserver ») traite des politiques de conservation du gibier. Le difficile contrôle de la circulation des bêtes conduit à clôturer progressivement le domaine pour les maîtriser. L’éradication de certains prédateurs débouche sur des « cascades trophiques » (p. 121) où la disparition de certaines espèces (loups, renards, fouines) entraîne la prolifération d’autres, parfois nuisibles (lapins, cervidés). G. Quenet démontre avec justesse que les transformations anthropiques concourent à créer une « nature factice », une « seconde nature » (p. 144) artificielle, rythmée par les interventions humaines. Ces changements génèrent de surcroît des inégalités sociales et environnementales. L’importante concentration humaine conduit à une forte compétition pour l’accès aux ressources progressivement privatisées. La terre devient …