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L’état des connaissances historiques sur le personnage de Ludger Duvernay s’avère déjà bien garni. Connu, entre autres, comme le fondateur de la Société Saint-Jean-Baptiste en 1834 et surtout comme le propriétaire du journal patriote La Minerve, il représente un acteur phare de l’histoire des Patriotes du Bas-Canada au même titre que Papineau et les frères Nelson. Cependant, les auteurs Georges Aubin et Jonathan Lemire ont su dévoiler un pan de sa vie qui était demeuré pour l’instant méconnu du grand public, c’est-à-dire la correspondance qu’il a maintenue avec de nombreux Patriotes lors de son exil aux États-Unis de près de cinq ans, entre la fin novembre 1837 (au moment où un mandat d’arrestation est émis contre lui) et son retour définitif à Montréal au printemps 1842. De cette volumineuse correspondance, plus de 700 lettres envoyées à Duvernay par quelque 230 correspondants et une trentaine de lettres rédigées par Duvernay à l’intention d’amis patriotes et de journaux ont été préservées. Le présent ouvrage publie la trentaine de lettres écrites par Duvernay, ainsi qu’une quinzaine des lettres qu’il a reçues lors de son séjour au sud de la frontière canadienne[1].

Les deux auteurs offrent également une introduction, dans laquelle ils présentent la biographie de Duvernay en insistant particulièrement sur son séjour aux États-Unis. Par l’entremise d’extraits de lettres qu’il a reçues, on met de l’avant le rôle central qu’il joue dans le mouvement patriote. On découvre aussi les conditions de vie pénibles dans lesquelles se retrouvent ces dizaines de Patriotes exilés et éparpillés dans les États du Vermont et de New York. Souvent en difficultés financières, ils peinent à subvenir à leurs besoins. Duvernay ne fait pas exception, car il doit quitter Burlington au Vermont à l’automne 1838, avant la seconde vague d’insurrections au nord de la frontière, pour trouver du travail à l’imprimerie de William Lyon Mackenzie (un réformiste du Haut-Canada également exilé aux États-Unis). Il revient à Burlington à l’hiver 1839 et décide d’y rester définitivement jusqu’à son retour au Canada. Grâce à l’aide de nombreux amis patriotes, il parvient même à fonder un journal, Le Patriote Canadien, pour transmettre aux exilés canadiens les nouvelles du Bas-Canada. Cependant, son projet tombe rapidement à l’eau, puisqu’après sa première parution le 9 août 1839, le journal est imprimé pour la dernière fois le 26 janvier 1840 faute d’un financement adéquat.

Dans cette introduction sur la vie de Duvernay lors de son exil, les deux auteurs le décrivent comme un meneur naturel et une tête dirigeante des Patriotes. Ils lui prêtent un rôle prépondérant dans le conflit qui divise les principaux chefs patriotes en deux clans. Un important désaccord existe pour déterminer la suite des actions à entreprendre après l’échec de l’insurrection de 1837. On retrouve les plus modérés d’un côté, comme Papineau, qui privilégie la solution politique, et les plus radicaux de l’autre, tel le docteur Robert Nelson, qui préfère l’action militaire. Aubin et Lemire mentionnent que Duvernay est grandement apprécié de part et d’autre et qu’il s’impose comme un médiateur et un rassembleur entre les deux groupes. Même s’il semble plutôt modéré dans sa vision des choses, les auteurs pensent fortement qu’il est partisan d’une insurrection armée. Tout au long de leur introduction, ils le présentent comme un grand homme aux nombreuses qualités et dont les mérites ne se tarissent pas. Par exemple, ils racontent que la correspondance publiée dépeint « un homme courageux, intelligent, visionnaire, bon vivant, imbu d’un grand idéal et qui a mis, sa vie durant, la patrie avant toutes choses » (p. 9). Cette description semble teintée d’une vision quelque peu idéalisée, voire romantique, du personnage et dénuée de tout esprit critique. Il est mentionné à quelques reprises que Duvernay ne fait pas l’unanimité et que son côté intempestif le mène plus d’une fois au coeur de nombreux duels, mais on n’insiste pas autant sur cet aspect négatif du personnage comme on a pu le faire pour ses qualités. La description des auteurs se distancie donc très peu de ce qui ressort de la correspondance et l’analyse critique s’avère plutôt minimale. De plus, une erreur historique est mise de l’avant à la page 74, lorsqu’il est affirmé que le journal Le Patriote Canadien constitue « le premier journal franco-américain ». Cette affirmation est fausse, puisque plusieurs journaux francophones avaient vu le jour bien avant à La Nouvelle-Orléans après que la Louisiane fut devenue un territoire américain en 1803.

Malgré ces petites faiblesses, l’introduction de cet ouvrage offre de nombreux renseignements méconnus sur la vie de Duvernay et celle de nombreux Patriotes exilés aux États-Unis pendant plusieurs années après la première insurrection de novembre 1837. Ces renseignements ne seront sûrement pas nouveaux pour les historiens spécialistes de l’histoire des Patriotes, mais ils intéresseront grandement les amateurs d’histoire qui aimeraient en apprendre davantage sur cette période de l’histoire canadienne. Également, la publication de la correspondance complète de Duvernay lors de son exil s’avérera très utile pour tous, car elle donne plus facilement accès à une source qui est souvent consultée par les historiens et qui saura fasciner les férus d’histoire.