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L’initiative de François Deschamps et des presses Baraka Biblio de publier une version annotée d’un texte trop souvent ignoré des historiens ne peut être que saluée. Cette réédition des Anti-Gallic Letters, originalement publiées dans les pages du journal conservateur Montreal Herald, s’inscrit en continuité des travaux précédents de Deschamps, notamment en complément à son livre précédent qui aborde le conflit de 1837 au Bas-Canada sous l’angle de la faction montréalaise des ultra-tories[1]. La première partie de l’ouvrage recensé résume ses recherches en abordant brièvement le contexte historique et politique des Anti-Gallic Letters et de son auteur, Adam Thom. Suite à ce résumé, l’auteur nous présente une introduction succincte, mais efficace, à la pensée politique de Thom et au mouvement ultra-tory présent à Montréal dans les premières décennies du XIXe siècle.

Le coeur du livre est composé de 80 % (soit une quarantaine) des lettres publiées par Adam Thom dans le Montreal Herald entre septembre 1835 et janvier 1836. Celles-ci revêtent la forme d’éditoriaux qui s’adressaient au Comte de Gosford, gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique, et qui abordaient le contexte politique volatile de la colonie du point de vue unique de son auteur. Thom y défend une position pro-Britannique et pro-impériale, et rejette la politique conciliatrice du gouverneur général envers la population francophone de la province de Québec. Une telle posture accorderait trop de pouvoir à la « faction française » de la colonie selon l’auteur et entraînerait éventuellement l’imposition d’un régime tyrannique sur ses habitants britanniques, particulièrement les marchands montréalais. À travers ses lettres, Thom utilise un langage alarmiste lorsqu’il prédit l’avenir de la minorité britannique de la province : « Thus, my lord, will ‘the English inhabitants of this province’ be doomed to ‘a state of political inferiority’, be branded as unworthy of serving his Majesty in any capacity, be oppressed as the common victims of Frenchmen and Frenchified Englishmen »[2].

L’importance historiographique de The Prophetic Anti-Gallic Letters est double. La réédition annotée des lettres d’Adam Thom offre aux historiens et au public une plus grande accessibilité à ce texte important dans l’histoire politique du Canada préconfédéral, d’autant plus que les notes de Deschamps ajoutent un degré appréciable de contextualisation. L’ouvrage ouvre aussi plusieurs pistes de réflexion sur des sujets relativement peu abordés en histoire québécoise. Si la période des rébellions de 1837-1838 au Bas-Canada a été bien étudiée dans les dernières années, ce sont souvent les acteurs patriotes et francophones qui sont mis de l’avant, plutôt que la minorité britannique bien présente dans la province, particulièrement à Montréal, qui est loin d’être inactive politiquement comme le démontre ce livre. L’auteur souligne de plus, à juste titre, l’apport de ce texte dans l’histoire des institutions et de la pensée politique canadiennes, ainsi que dans l’histoire des relations entre anglophones et francophones au pays.

Le livre recensé offre aussi une opportunité aux historiens de réfléchir sur l’histoire du Québec hors du cadre national en l’intégrant à un ensemble impérial britannique dont il fait pleinement partie au XIXe siècle. Une approche s’inspirant du courant de la « New Imperial History » développé dans les dernières années en histoire britannique, qui met l’accent sur l’intersection entre le local et le global dans un contexte impérial, trouverait dans les lettres d’Adam Thom un terreau fertile pour réinterpréter sous cet angle l’histoire politique du Bas-Canada[3]. Dans cette optique, l’étude de l’idéologie tory et du projet politique de Thom éclaircirait la réponse des autorités aux événements de 1837-1838 en les intégrant à une histoire internationale de la restructuration de l’Empire britannique dans la première moitié du XIXe siècle.

The Prophetic Anti-Gallic Letters est donc pertinent pour les historiens qui s’intéressent à la fois à la période tumultueuse des années 1830 au Québec, mais aussi, dans une plus large mesure, à ceux qui s’intéressent à la formation des institutions et de la pensée politique canadiennes, ainsi qu’à la place de la colonie dans l’Empire britannique.