L’étude du discours hagiographique a souffert à l’origine de deux handicaps, le premier de nature confessionnelle, le second, méthodologique. L’histoire scientifique s’est, notamment en France, construite dans des milieux intellectuels qui souhaitaient se distinguer nettement de l’ancienne élite de la culture que l’Église a incarnée durant l’essentiel de l’histoire occidentale. Il s’agissait de réagir à la mainmise ecclésiastique et de construire une pensée laïque, souvent hostile au catholicisme et souhaitant rompre avec lui dans le plus grand nombre de domaines possibles. Dans ce contexte, il est évident que les textes hagiographiques, qui ont longtemps été le terrain d’étude des ecclésiastiques catholiques, se sont trouvés pris en mauvaise part : véhicules de la piété, ils produisent un discours normatif, orienté et infléchi, enregistrant les manifestations visibles de Dieu à travers les saints dans l’histoire des hommes et des femmes. Invérifiable, fictionnel, piétiste, ce discours ne pouvait que déplaire aux historiens de l’école dite méthodique dans la mesure où cette dernière rêvait d’établir tous les faits de l’histoire afin d’en proposer une rédaction vraie et définitive. Quelle place laisser dans un tel projet à des récits de miracles souvent difficiles à dater avec précision et qui font la part belle à une complexe intertextualité de reprises et de motifs ? Si les Bollandistes ont bien développé une démarche scientifique pour traiter de leur objet d’étude, leur intention demeurait avant tout apologétique et morale. Ainsi, de nombreuses difficultés demeuraient pour ceux qui pensaient légitime de traiter des sources hagiographiques, nécessitant des progrès dans les recherches menées sur la forme des textes, sur l’histoire de leur transmission, et une meilleure connaissance du corpus, passant notamment par la nécessité de le cerner et de le dater. Les écueils furent si importants que, longtemps, ils découragèrent les historiens universitaires de toutes les périodes pour lesquelles des sources abondantes sont disponibles et circonscrivirent leur usage à la fin de l’Antiquité et aux premiers siècles médiévaux, âges « sombres » où la documentation est terriblement avare de renseignements exploitables, notamment pour l’histoire sociale et culturelle. On convoquait ainsi l’hagiographie quand il semblait impossible ou très difficile de répondre aux nouvelles enquêtes souhaitées avec des matériaux plus sûrs, mieux connus et plus facilement exploitables. Les articles réunis dans ce numéro des Cahiers d’histoire démontrent que cette période est révolue et que, grâce aux progrès de la recherche historique, les textes hagiographiques entrent désormais de plein droit et non par défaut dans les enquêtes, et qu’appuyés par l’ingéniosité de générations de chercheurs, ils sont à présent des sources mieux comprises et dont l’usage, moins sujet à caution, dépasse les questions de spiritualité ou de piété. C’est ainsi que les six articles retenus s’inscrivent dans un ambitus chronologique large, du début du Moyen Âge à la période contemporaine. De même, ils concernent un cadre géographique renouvelé et étendu qui dépasse l’Occident chrétien, vers les pays d’islam et vers l’Extrême-Orient. Les éditeurs sont très heureux de pouvoir ainsi faire connaître ces travaux qui placent les sources hagiographiques et les saints qu’elles racontent au coeur de l’expérience de sociétés variées dans le temps et dans l’espace, exploitant habilement les informations disponibles afin de répondre à des questions politiques, sociales ou culturelles que les courants les plus neufs de la recherche ont placées au coeur des préoccupations historiennes. Le numéro s’organise en deux portions principales. La première accueille deux contributions concernant l’usage des saints dans une optique qu’il convient de qualifier de politique. La réflexion de S. Édouard qui ouvre le numéro montre comment les rois catholiques de l’époque moderne embrigadent les saints au service du pouvoir. Se concentrant sur les fêtes de la …
Introduction. La société au miroir du discours hagiographique[Notice]
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Philippe Genequand
Université de MontréalVéronique Olivier
Université de Montréal