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L’historiographie de l’enfance pendant l’Ancien-Régime, abondamment alimentée par les écrits d’auteurs européens, n’a pas été le sujet de prédilection des historiens canadiens. Rares sont ceux qui se sont attardés aux conditions de l’enfance en Nouvelle-France[1]. Ainsi, l’ouvrage de Nathalie Poirier, issu de la thèse de maîtrise qu’elle a soutenue en 2007[2], tombe parfaitement à point. Il propose de scruter la période de la jeune enfance par le biais des archives judiciaires du gouvernement de Montréal sous le Régime français.

Cette brève étude se décline en quatre parties. Le premier chapitre met en lumière le contexte socio-idéologique de la naissance et de la mort en Nouvelle-France. Sous l’emprise de la religion catholique, cette société d’Ancien Régime était contrôlée par les normes religieuses de l’Église mais, aussi, par les normes sociales admises par la communauté. Si l’Église catholique s’est montrée contraignante en prônant un carcan de valeurs teintées par le patriarcat, il n’en reste pas moins qu’elle s’est faite protectrice de l’enfance en adoptant des mesures coercitives contre ceux qui portaient atteinte à la vie d’un enfant à naître ou d’un nouveau-né (p. 32). Par ailleurs, la destinée spirituelle des petits constituait un enjeu primordial aux yeux des autorités religieuses. Celles-ci croyaient en la nécessité du baptême qui purifiait du péché originel, ouvrait les portes de la communauté des chrétiens et, finalement, garantissait le salut éternel. L’auteure soutient que la société habitante s’est également portée à la défense des enfants en marginalisant les individus qui ont attenté à la vie de ces petits.

Le second chapitre trace plutôt un portrait de la criminalité dirigée envers les foetus et les nouveau-nés en définissant les infractions survenues dans le gouvernement de Montréal. Dans un premier temps, Nathalie Poirier s’attarde aux crimes dirigés directement contre des enfants à naître et des nouveau-nés ; sur un total de quarante-neuf épisodes judiciaires, ils sont au nombre de dix. Ceux-ci consistent en la grossesse cachée, l’avortement, l’infanticide et l’abandon. Les trois premiers délits, commis afin de dissimuler une grossesse non désirée et honteuse, étaient sévèrement jugés par les autorités ; l’abandon, pour sa part, était perçu comme un moindre mal puisqu’il laissait la vie sauve à l’enfant. Dans un second temps, l’auteure se penche sur les crimes affectant indirectement la survie des petits ; ceux-ci constituent plus des trois quarts de son échantillon. Ils consistent en des actes de violence sur la femme enceinte, mais aussi, en des tentations de séduction ou de viol. Ces délits, s’ils portaient davantage atteinte à la réputation des mères, étaient également susceptibles d’affecter les nourrissons.

Le troisième chapitre, constituant une part importante de l’ouvrage, se penche sur les lois et ordonnances implantées en Nouvelle-France ainsi que sur les grandes étapes de la procédure judiciaire en sol canadien. Nathalie Poirier mentionne que le système légal mis en place par les autorités françaises avait pour but de châtier sévèrement ceux qui portaient atteinte à la vie des enfants à naître et des nouveau-nés. Les lois instaurées se voulaient avant tout coercitives. L’édit promulgué par Henri II en 1556[3] réprimandait l’avortement, l’infanticide et l’abandon d’enfants et soumettait les individus coupables de ces délits à la peine de mort. Le viol, la fornication, le rapt de séduction et la violence faite sur la femme enceinte étaient également punis durement. Dans tous ces cas, Nathalie Poirier affirme qu’un procès judiciaire était instauré suite à la plainte émise par un particulier ; la justice était donc soumise au bon vouloir de la population qui dénonçait les crimes commis et alimentaient les autorités en informations susceptibles de les éclairer dans leur jugement.

Finalement, le dernier chapitre fait le point sur les sanctions attribuées aux accusés mais, aussi, sur les mesures préventives mises en place afin de réduire les crimes perpétrés contre les petits. L’auteure en vient à affirmer que la jurisprudence était particulièrement efficace afin de décourager les délits envers les enfants, mais que les autorités en venaient rarement à punir sévèrement les individus déclarés coupables. Les autorités du gouvernement de Montréal étaient donc plus efficaces pour prévenir que guérir.

En somme, l’ouvrage de Nathalie Poirier est fort intéressant dans la mesure où il retrace une bonne cinquantaine de procès tenus pendant le Régime français. Le récit est bien ficelé et les sources premières sont bien mises en évidence. Il s’agit définitivement d’un apport considérable à l’historiographie de l’enfance en Nouvelle-France.