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The Sack of Rome in 410 AD regroupe 29 articles[1] de chercheurs parmi les plus réputés du domaine de l’Antiquité tardive. Il marque le 1600e anniversaire de la sombre semaine du 24 août 410, moment où les Goths se seraient infiltrés dans Rome pour la mettre à feu et à sang. Il faut dire que le livre dépasse largement cette limite chronologique, alors que plusieurs contributions s’intéressent plutôt à la longue durée et couvrent une période généralement délimitée entre le IIIe et le VIe siècle apr. J.-C. Plusieurs y trouveront donc leur compte, d’autant plus que les thèmes sont extrêmement diversifiés, allant de l’archéologie à l’épigraphie aux courants historiographiques modernes, en passant par une réévaluation des sources anciennes et de discussions sur des concepts comme l’ethnicité.

Le livre est divisé en 3 parties principales au contenu varié en longueur et en qualité : contexte, évènements et impact. L’ouvrage renferme cependant les données les plus à jour sur la question, en plus de fournir quantité d’images et de tableaux.

Le volume s’ouvre par une introduction (p. 11-15) où les éditeurs résument les circonstances du sac, puis son impact sur la populace romaine et dans les classes supérieures. On y mentionne bien (p. 11) à quel point l’évènement a été interprété différemment par les contemporains, certains (Jérôme) y voyaient la fin du monde, alors que d’autres (Augustin et Orose) préféraient minimiser son ampleur pour donner plus de lustre à la religion chrétienne. On mentionne aussi que le livre a vu le jour à la suite de nouvelles découvertes archéologiques, dont une cache de pièces de monnaie datant de la fin du 5e siècle. Notant ensuite de quelle manière les données archéologiques ont été étudiées, étant souvent mariées aux textes littéraires pour construire un récit plus ou moins continu des évènements (p. 11-12), les éditeurs appellent à de nouvelles méthodologies.

Avec une approche moderne et plus critique, les différents experts appelés à contribuer atteignent généralement ce but. Philip von Rummel (p. 17-33) avance qu’on a souvent trop poussé le mariage entre l’archéologie et les textes anciens, alors que Ralph W. Mathisen (p. 87-102) et Neil McLynn (p. 323-333) décortiquent les sources et concluent que le sac de Rome n’avait pas été un évènement aussi déterminant que ce que l’historiographie moderne a popularisé. Fedora Filippi (p. 137-150) et Franz Alto Bauer (p. 259-271) affirment quant à eux que les traces de destructions dans les couches stratigraphiques datant du 5e siècle sont difficilement attribuables au sac de Rome, alors qu’Alessia Rovelli (p. 249-257) remarque que les pièces de monnaie nouvellement découvertes racontent une autre version des évènements, soit celle d’une vie mondaine qui continuait son cours malgré les troubles politiques et militaires du temps.

Ainsi, la plupart des chercheurs réunis dans l’ouvrage (excepté Stefania Fogagnolo, Paolo Liverani et de Quaranta et al.) reconnaissent que l’archéologie est une arme à double tranchant ; il reste extrêmement difficile d’interpréter correctement les couches qui contiennent des marqueurs quelconques. Il s’agit d’un constat simple, mais déterminant pour l’analyse du matériel à notre disposition.

Enfin, deux articles nous ont particulièrement intéressés, soit ceux de Michael Kulikowski et de Peter Heather. Chacun examine le sac d’un point de vue structurel, en essayant de comprendre la place inhabituelle d’Alaric et des Goths dans la machine impériale. Michael Kulikowski (p. 77-83) revisite un sujet familier[2] et, sans apporter de réponse assurée, propose néanmoins un nouvel outil conceptuel (p. 80-81), celui de « colonial mimicry ». Il espère ainsi expliquer comment un homme pouvait s’efforcer d’« imiter » le comportement de l’aristocratie romaine sans réussir totalement : étant un barbare, Alaric était exclu « par nature » des plus hauts échelons du pouvoir. Pour sa part, Peter Heather réaffirme une position inhabituelle qu’il tient depuis la parution de son premier livre en 1991[3]. À ses yeux, Alaric était avant tout un roi goth en rébellion et en quête de terres pour établir son peuple. Heather est plus catégorique que Kulikowski sur la question de l’ethnicité, préférant comprendre Alaric comme un barbare au service de Rome et poussant l’argument aussi loin que de croire qu’il recruta majoritairement des Goths (p. 435-436) dans son armée entre 395-410. Son argument principal (p. 436) est que les armées impériales rebellées durant le IVe siècle avaient toutes plus ou moins le même agenda, soit de faire de leur général « romain » un empereur ou encore une « […] éminence grise derrière le trône […] »[4]. Selon Heather, Alaric ne nourrissait pas ce genre d’ambition et n’avait donc pas un comportement « romain », idem pour ses troupes.

On se doute bien pourtant qu’Alaric, parce qu’il occupait justement un rôle aussi prédominant dans l’Empire au moins de 394 à 410, était plus qu’un simple barbare ; un fait que certains contributeurs ont bien noté (p. 93, p. 451-452).

Au final, The Sack of Rome est le volume le plus à jour sur la question du sac de Rome et des Goths. Tout étudiant ou chercheur qui s’intéresse de près ou de loin à la question des barbares de l’Antiquité tardive devra éventuellement feuilleter cet ouvrage, ne serait-ce que pour se désillusionner sur le sérieux des « ravages » commis par le plus célèbre d’entre tous les groupes barbares.