Histoire d’émotions : saisir les perceptions, penser les subjectivités

Introduction[Notice]

  • Jacques Dehouck

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  • Jacques Dehouck
    Candidat à la maîtrise, Département d’histoire, Université de Montréal, Canada

En témoigne pour exemple l’importante médiatisation autour de la sortie des différents volumes de l’ouvrage collectif « Histoire des émotions », dans les dernières années, les affects, comme objets d’étude, ont suscité un intérêt croissant autant dans les recherches en sciences humaines que pour un plus large public. Possible symptôme générationnel d’un monde occidental en soif toujours plus grande de contrôle du soi et d’intelligence émotionnelle, ce que le milieu académique anglophone nomme l’« emotional turn » est un phénomène désormais incontournable dans la production scientifique. Les historien.ne.s qui décident d’appréhender l’impact des affects dans leurs différents champs de recherches puisent généralement dans les domaines de l’anthropologie, des neurosciences et de la philosophie afin d’observer de possibles fluctuations émotionnelles à travers les espaces et le temps. La question du rapport que l’émotion entretient à l’histoire porte inévitablement en elle des enjeux de causalités. Les individus et les sociétés produisent-ils par eux-mêmes une série de normes émotives qui se diversifient, se réinventent et s’expriment avec plus ou moins d’intensité et de liberté au fil du temps ? Ou au contraire, en tant que charpente des normes sociales, les émotions agissent-elles comme actrices centrales du cours de l’histoire et par conséquent, bénéficient d’une certaine forme d’autonomie par rapport au temps qui passe ? En outre, d’un point de vue méthodologique et épistémologique, l’historien.ne lui-même ne doit-il/elle pas faire preuve d’humilité et admettre l’influence de ses propres émotions face à son objet d’étude ? En organisant la XXVe édition du colloque de l’Association des Étudiant.e.s Diplomé.e.s du Département d’histoire de l’Université de Montréal (AÉDDHUM) autour du thème des affects, des perceptions et des subjectivités, nous souhaitions faire de l’analyse du phénomène émotionnel le centre d’un espace de discussion, de réflexion et de critique. Nous voulions ainsi offrir aux jeunes chercheur.e.s la possibilité pour eux d’investir un champ maintenant foisonnant en leur permettant d’affiner leurs compréhensions des émotions du passé tout en critiquant les classifications émotionnelles contemporaines. Au-delà des questions majeures déjà exprimées ici, nous nous sommes rendu compte que l’étude des affects ouvrait la voie à une multitude d’autres interrogations. Par exemple, comment est-ce que la foi, l’idéologie, la « race », la classe et le genre influencent l’expression des émotions ? Faut-il s’inquiéter de certaines formes de manipulation émotionnelle ? Comment percevoir les émotions à travers l’infinie multitude de nos sources (qu’elles soient écrites, orales, filmées, enregistrées, dessinées, etc.) ? Les chercheur.e.s, parfois témoins, doivent-ils taire leurs émotions pour en parler ? Et quel est l’engagement affectif des chercheur.e.s envers leurs témoins ? Enfin, nos perceptions et nos subjectivités altèrent elles nos travaux ? La conférence de clôture de notre colloque a été donnée par Rob Boddice qui a déjà publié plusieurs ouvrages sur le sujet des affects. Selon lui, parce qu’elle produit de nombreuses évidences sur les expressions, les expériences et les pratiques émotionnelles, la recherche en histoire peut se poser en intermédiaire sérieuse pour d’autres disciplines scientifiques. L’écriture de l’histoire, au carrefour d’une multitude de méthodologies empruntées librement, peut établir des ponts. Ces liens pourraient réunir des sciences aussi éloignées dans leurs approches de l’étude des émotions que le sont, par exemple, les neurosciences et la philosophie. Les présents actes, qui sont issus d’un colloque se voulant interdisciplinaire, illustrent de façon exemplaire la diversité tout autant que la cohérence des raisonnements dont a fait état notre rencontre. De la sorte, ce numéro se permet humblement d’ajouter une pierre à ce pont en construction. Le premier article de ces actes de colloque se présente comme un essai. Il s’attèle à la question fondamentale de l’influence des émotions dans …

Parties annexes