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La désindustrialisation, ce processus de déclin industriel débutant dans les années 1950 dans le monde occidental, fut abordée de moult façons par les historiens spécialistes à travers le monde. Depuis la publication phare de Barry Bluestone et Bennett Harrison The Deindustrialization of America, datant de 1982, une pléthore d’ouvrages a principalement traité de la réorganisation du capital sous les notions de masculinité, de travail, de culture, de classe, de santé et de façon environnementale. Cette profusion de publications sur le sujet pourrait laisser croire que le débat sur la désindustrialisation est clos. Toutefois, l’ouvrage collectif The Deindustrialized World. Confronting Ruination in Postindustrial Places, publié en 2017 et édité par Steven High, Lachlan MacKinnon et Andrew Perchard, est révélateur d’un débat qui reste encore à être exploré.

Réunissant 17 historiens, ayant personnellement vécu et observé les vestiges de la désindustrialisation, l’ouvrage collectif suit le développement de ce phénomène global au sein de divers espaces : en Amérique du Nord, en Europe et en Australie. Ancrés dans différents contextes politiques et géographiques, les essais analysent les processus locaux aux côtés du global, autrement dit des processus tant régionaux, nationaux que globaux, apportant un point de vue à la fois transnational et international sur le sujet. L’ouvrage entend démontrer les façons dont la désindustrialisation se développe dans différents contextes nationaux et régionaux à partir des années 1950 et comment cette dernière est également le résultat de processus politiques et économiques inhérents au développement du capitalisme.

L’ouvrage est constitué de trois parties, chacune divisée en quatre à six chapitres comportant pour certains essais quelques documents iconographiques. Les trois parties « Living in and with Ruination », « The Urban Politics of Deindustrialization », et « The Political Economy of Deindustrialization », offrent une analyse complète sur le sujet. La première section explore les impacts de la désindustrialisation à la fois dans l’espace, mais également sur les corps. En l’occurrence, l’essai de Robert Storey rejoint une littérature historiographique existante dans lequel l’auteur place les corps des travailleurs au sein de son étude. Il argumente que le capitalisme profite des capacités physiques, mentales et spirituelles des travailleurs, et qu’il s’agit là d’une accumulation by dispossession. Les chapitres de cette section explorent aussi les représentations du passé industriel, qu’elles soient nostalgiques, colériques ou pleines d’espoir, et permettent de révéler comment les populations à travers différents espaces vivent avec cette mémoire collective de perte et de douleur (Mackinnon, Parnaby, Clarke, Taksa).

La seconde section se centre sur l’après. Que se passe-t-il lorsque les usines ferment une à une ? Comment se déroule cette transition entre une économie industrielle vers une économie de services ? Le processus de désindustrialisation est abordé à la croisée des notions de pouvoir et d’agentivité. Tracy Neumann adopte une approche comparative entre les États-Unis et le Canada, entre Pittsburgh et Hamilton pour montrer comment les politiques et les entreprises se sont unies pour transformer ces villes en des espaces postindustrielles. Aussi, certains chapitres, tels que celui d’Andrew Hurley, explorent l’impact de la désindustrialisation sur les banlieues et comment des facteurs tels que l’immigration, la proximité avec les métropoles adoptant une nouvelle économie, mais également les politiques de gouvernance peuvent influencer le processus de désindustrialisation au niveau local.

Intersectionnelle, la dernière section de l’ouvrage explore les politiques de la désindustrialisation sous les angles de la race, de la classe et du genre. Les auteurs questionnent comment les notions de la blancheur et de la masculinité ont façonné les perceptions sur le processus, révélant ainsi comment ce processus est genré et racisé. Cette dernière section discute également du rôle de l’État au sein des stratégies de développement régional. Trois chapitres se focalisent en particulier sur l’Écosse, au Royaume-Uni et discutent des interventions de l’État entre 1940 et 1990 et du rôle joué par ce dernier dans le processus de désindustrialisation.

L’ouvrage collectif The Deindustrialized World. Confronting Ruination in Postindustrial Places est novateur, car il met en discussion différents espaces et différentes historicités. Si le processus et l’impact de la désindustrialisation semblent similaires à première vue, l’ouvrage démontre que la désindustrialisation se révèle sous différentes itérations selon les espaces. En abordant le processus de déclin industriel d’un point de vue transnational, international et comparatif, les auteurs réussissent néanmoins à humaniser le sujet. En effet, la désindustrialisation n’est pas seulement l’histoire de la fuite des capitaux, c’est également l’histoire des corps brisés en survie, de santé détruite, d’environnements affectés, de luttes syndicales, dans ces villes désindustrialisées où les vestiges sont encore visibles.