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Issu d’un séminaire tenu en novembre 2016 à Sherbrooke intitulé « Pouvoir et territoire au Québec : acteurs, enjeux et processus de 1850 à nos jours », l’ouvrage recensé contient dix textes qui abordent la relation entre le concept de « pouvoir » et de « territoire » dans l’histoire du Québec depuis le milieu du XIXe siècle. À cela s’ajoute une introduction pertinente qui présente sous l’angle théorique et historiographique les concepts étudiés et qui propose des pistes de recherche dans l’optique de développer un champ historiographique à l’intersection entre le politique et le géographique. Le livre se divise en deux parties, chacune qui traite sous un angle précis les deux concepts étudiés.
Les textes de la première partie s’intéressent « au processus de spatialisation du pouvoir dans un contexte local urbain ou régional »[1]. Le premier article de Benoît Grenier et Michel Morissette se penche sur deux régions, l’île d’Anticosti et la municipalité de Rivière-du-Loup, afin d’explorer la continuité du pouvoir seigneurial suite à son abolition en 1854. Les auteurs démontrent que l’influence des anciens seigneurs persiste dans le temps et qu’ils continuent d’occuper des positions avantageuses dans le système politique local, particulièrement à Rivière-du-Loup. Ensuite, le texte de Michèle Dagenais étudie la question de la gouvernance de la ville de Montréal par l’exemple de la taxation de l’eau. En portant le regard à l’échelle municipale, le texte démontre comment « la transformation de l’exercice du pouvoir » dans la deuxième moitié du XIXe et au début du XXe élabore « une nouvelle façon de gouverner »[2] au niveau local et provincial. Dans la même optique, Harold Bérubé analyse les outils politiques utilisés par Saint-Hyacinthe, Saint-Jean-sur-Richelieu et Sherbrooke sur leur territoire respectif. Les deux textes démontrent que les villes transforment et construisent un nouveau territoire urbain « gouvernable ». Ensuite vient le texte de Jean-Philippe Bernard qui s’intéresse aux projets de colonisation des années 1920–30 et les manières dont ils altèrent le rapport politique de l’État québécois avec le territoire abitibien. Enfin, Frédéric Mercure-Jolette scrute les débuts de l’urbanisme à Montréal, ainsi que la volonté des premiers urbanistes de repenser sa planification en fonction de son statut de métropole.
La deuxième partie se penche sur les « processus d’instrumentalisation du territoire »[3]. D’abord, Pierre Lanthier explore les relations entre les villes moyennes et leur région avant 1960. Lanthier propose deux observations : les villes et leur région s’influencent mutuellement et les villes qui possèdent une économie variée peuvent s’imposer comme capitale régionale. Ensuite, Maude Flamand-Hubert et Nathalie Lewis s’intéressent à la représentation symbolique de la forêt dans la littérature québécoise des années 1920–30 en contraste avec les discours scientifiques et étatiques contemporains. Un troisième texte de Dominique Morin s’attarde à la mise en récit de l’histoire du Bureau d’aménagement de l’est du Québec (BAEQ) et son lien avec l’idéologie du développement régional. Ce texte propose d’aller au-delà du BAEQ et de la période de la Révolution tranquille afin de mieux comprendre cette idée. Par la suite, Stéphane Savard examine un comité interne à Hydro-Québec, la Direction de l’environnement (DE) créée en 1973, et « la manière dont Hydro-Québec a traité le problème environnemental et ses conséquences sur les choix et les orientations de la société d’État »[4]. Enfin, Marie-José Fortin entame une réflexion théorique sur les sciences du territoire et leur relation épistémologique avec leur objet d’étude à partir d’une étude de cas du développement de l’énergie éolienne dans l’est du Québec.
L’objectif de l’ouvrage, qui est d’aborder de façon variée les rapports entre les concepts de territoire et de pouvoir, est atteint. Les différents textes réunis sont pertinents et touchent à de multiples sujets et périodes. Au duo conceptuel de territoire-pouvoir, il serait intéressant d’ajouter le concept de savoir qui apparaît dans plusieurs textes et qui s’avère étroitement lié aux deux autres. Par contre, certains sujets ne sont pas traités dans le livre. Il aurait été pertinent et à propos d’intégrer les concepts étudiés dans le contexte de l’histoire autochtone. Néanmoins, cette absence est notée en introduction : « … il y a la question de la place des peuples autochtones dans ce portrait. Il va sans dire que les notions de pouvoir et de territoire sont au coeur de leur histoire lointaine et récente, et que tout un travail reste à faire, sur le plan historiographique, pour mieux intégrer cette trame complexe à l’histoire du Québec »[5]. Somme toute, l’ouvrage recensé s’insère judicieusement dans l’historiographie par l’éventail des textes présentés et par ses réflexions historiographiques et théoriques.