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La loi fédérale sur les Indiens, toujours en vigueur au Canada, a été instaurée en 1876, instituant un registre où est consigné le nom de chaque personne ayant le droit d’être inscrite comme Indien, et définissant les conditions d’accès au territoire pour ces populations. Des réserves indiennes furent créées alors que cette même loi édictait les conditions de gouvernance des communautés autochtones. Conseil de bande, réserve, statut d’indien sont les termes qui désignent encore aujourd’hui la gestion par le gouvernement du Canada des populations autochtones. De même, longtemps le Canada s’est représenté à partir de la thèse des deux peuples fondateurs, laissant dans l’ombre la contribution des Premières Nations à la construction de ce pays. Bénéficiant des récentes avancées dans le champ des études autochtones et des mobilisations sans précédent des communautés des Premières Nations pour la reconnaissance de leurs droits au sein de l’espace canadien, un nouveau regard sur l’histoire de ce pays émerge et force une relecture des représentations des Premières Nations et des Métis.

Ce thème, qui est au centre de ce numéro de la RIÉC, a permis de recueillir des contributions originales et significatives sur la question. Alors que le sujet autochtone surgit dans la sphère politique et juridique, sur la scène canadienne, qu’en est-il des représentations provenant du cinéma, de la littérature, ou des sciences sociales en général? Au point de départ, ce projet de numéro avait pour but de questionner le rôle et de penser l’importance des Premières Nations et des Métis dans l’imaginaire culturel et dans la réalité sociopolitique du Canada d’aujourd’hui. Cette réflexion constitue en ce moment un champ important à l’intérieur des études canadiennes et nous sommes heureux de contribuer à la circulation d’idées et d’analyses qui permettront de mieux comprendre les acteurs et les enjeux qui en émergent.

Les articles regroupés dans ce numéro s’articulent autour de deux grands blocs. En première partie on retrouvera cinq textes qui ont en commun de discuter des mécanismes et pratiques de gestion du territoire et des ressources récemment instaurés ou revendiqués par différentes communautés au sein des Premières Nations. Que ce soit la question des casinos comme choix politique, celle des relations de pouvoir entre activistes indigènes et non indigènes, de l’intégration du savoir traditionnel dans les programmes de gestion des déchets, des ententes entre les communautés cries et le gouvernement du Québec pour la gestion du territoire ou de la cause entendue en 2007 entre le gouvernement du Canada et les Métis du Manitoba sur les droits territoriaux ancestraux, on trouvera dans ce premier bloc des analyses qui contribuent à élargir la connaissance des plus récentes actions allant dans le sens de l’affirmation des peuples des Premières Nations sur leur destinée. La deuxième partie de ce numéro, le dossier Calderón-Roy, regroupe des contributions qui puisent leur source dans la littérature.

En ouverture de la première partie, le texte de Yale Belanger porte sur les casinos des Premières Nations, examinant leur signification en termes de gouvernance et d’autodétermination ainsi que leur impact sur la santé des populations locales. En 2008, on comptait sur le territoire canadien 17 casinos des Premières Nations. Alors que le jeu est choisi comme voie de développement économique, Belanger montre l’importance d’intégrer une approche qui assure le bien-être de l’ensemble des membres des communautés impliquées à travers des programmes pour traiter le jeu compulsif. Si les entreprises de jeu peuvent être vues comme des moyens permettant la réalisation d’un meilleur développement pour les communautés qui prennent cette voie, une stratégie de prévention des problèmes de jeu qui reflète une sensibilité culturelle au milieu visé est aussi un moyen pour les Premières Nations d’affirmer leur autodétermination.

La contribution de Rick Wallace porte sur les échanges entre les communautés Anishnabe et un groupe d’activistes non indigènes à Grassy Narrows en Ontario entre 2002 et 2004 autour d’une action de blocage d’accès à une route de transport du bois en territoire autochtone. Quelles sont les conditions rendant possibles de véritables liens de solidarité entre Autochtones et non-Autochtones, dans un contexte de rapports marqués par l’asymétrie au niveau des relations de pouvoir? Wallace suggère que la confiance est au centre de l’affirmation de nouveaux rapports entre activistes indigènes et non indigènes et examine les dynamiques par lesquelles cette confiance peut s’affirmer.

Avec la prémisse de départ que les peuples indigènes de la planète entière ont développé des connaissances et un savoir traditionnel leur permettant d’assurer leur survie dans le temps et que de nouveaux défis se posent aujourd’hui, Deborah McGregor présente le programme de planification de la gestion des déchets solides « Gardiens de la Terre ». Il s’agit d’un programme unique, qui existe depuis plus de dix ans et qui a été conçu au point de départ par une société autochtone. Un ensemble de facteurs, y compris de récentes décisions de différents tribunaux, convergent vers la reconnaissance de l’inclusion de ce savoir traditionnel dans les initiatives environnementales. Le programme analysé dans ce texte a eu des retombées politiques importantes; en fait, il a permis de décoloniser les efforts de gestion des déchets en incorporant le savoir traditionnel autochtone, conclut McGregor.

Daniel Salée et Carole Lévesque s’intéressent dans leur article aux accords territoriaux et d’autonomie politique entre l’État canadien et les peuples autochtones et à la représentation de ces accords dans la littérature sur le sujet, alors que les questions de colonialisme et de dépossession dominent l’analyse et masquent les récents efforts et les succès de la part des communautés autochtones dans la négociation d’ententes reflétant les choix politiques de ces communautés. Salée et Lévesque se penchent plus particulièrement sur la gestion de la forêt boréale par les Cris de la Baie James et montrent que, dans ce processus qui s’est étalé sur les trente dernières années, les Cris ont confirmé leur pouvoir et se sont réapproprié les instruments nécessaires à leur affirmation collective. Cette étude de cas les amène à remettre en question les analyses qui réduisent l’ensemble des tractations entre les Premières Nations et l’État à une seule logique, celle de la dépossession.

Darren O’Toole présente un article sur la cause opposant les Métis du Manitoba et le gouvernement du Canada qui a été jugée en 2007 sur la question de l’interprétation des traités territoriaux historiques pour cette communauté. L’auteur montre en quoi les arguments retenus par la cour et le témoin principal de la couronne, le politologue Tom Flanagan, peuvent être contredits par une preuve historique appuyée sur la généalogie plutôt que sur l’art. 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba. O’Toole rappelle les déclarations de Louis Riel sur la question et propose une relecture actualisée de sa pensée en lien avec les traités territoriaux pour les Métis du Manitoba.

On trouvera en deuxième partie de ce numéro de la Revue internationale d’études canadiennes un dossier organisé autour de contributions présentées au colloque de l’Association des littératures canadiennes et québécoise en 2008. Les chercheurs étaient invités à présenter des communications sur les représentations des Premières Nations et des Métis dans la production culturelle, littéraire et cinématographique du Canada et du Québec. Quatre textes et deux notes de recherche forment le corpus de ce dossier, qui fait l’objet d’une introduction détaillée par Jorge Calderón et Wendy Roy qui en ont assuré la responsabilité.

En fin de numéro on pourra lire un essai critique très pertinent pour élargir la compréhension des enjeux actuels liés aux représentations des Premières Nations et des Métis. Daniel Salée s’intéresse à deux livres canadiens publiés en 2008 : Disrobing the Aboriginal Industry. The Deception Behind Indigenous Cultural Preservation, de Frances Widdowson et Albert Howard et A Fair Country. Telling Truths About Canada, de John Ralston Saul. Alors que tout semble opposer les thèses présentées dans ces deux ouvrages, Daniel Salée s’attarde à montrer que bien que différents dans leur projet intellectuel respectif, ces deux ouvrages participent d’une entreprise commune de construction d’une expérience autochtone fortement en décalage avec la réalité de cette expérience.

Ce numéro de la RIÉC sur les représentations des Premières Nations et des Métis se veut une contribution à la relecture de la « figure de l’Indien » dans le champ des études canadiennes. L’ensemble des textes regroupés dans ces pages converge vers ce projet, toujours incomplet, en appui aux revendications des Premières Nations pour leur reconnaissance et leur affirmation.

The Indian Act was introduced in 1876 and it is still in effect in Canada today. It is used to record the name of each person who has a right to Indian status, and it defines the conditions by which Native populations have access to lands. Indian reserves were created as the Act set forth conditions for the governance of Aboriginal communities. Band councils, reserves, Indian status—to this day, these terms are used in reference to the Canadian government’s management of Aboriginal populations. Canada has long represented itself from the standpoint of two founding peoples, overshadowing the contributions of First Nations in building this country. Recent advancements in the field of Aboriginal studies, and the unprecedented rallying of First Nations seeking recognition of their rights in Canada, contribute to a fresh perspective on this country’s history and urge a rereading of First Nations and Métis representations.

This theme, which is at the centre of this issue of IJCS, has drawn original and significant contributions. Although the Aboriginal subject arises in Canadian politics and law, what about representations in film, literature, and social sciences in general? From the outset, this issue aimed to question the role and importance of First Nations and Métis peoples in Canada’s cultural imaginary and today’s sociopolitical reality. At present, this reflection constitutes an important field in Canadian Studies, and we are happy to contribute to the exchange of ideas and analyses to further enhance an understanding of emerging actors and issues.

The articles chosen for this issue form two main groups. The first five texts have in common discussions of the mechanisms and practices used in the management of territory and resources and which were either recently established or demanded by different First Nations communities. This first set of analyses contributes to expanding knowledge of the most recent affirmative actions of First Nations peoples over their destiny; whether on the question of casinos as a political choice, power relations between Native and non-Native activists, the integration of traditional knowledge in waste management issues, land administration agreements between Cree communities and the Québec government, or the 2007 case between the Government of Canada and Métis rights in Manitoba regarding ancestral land claims. The second part of this issue, the Calderón-Roy Dossier, brings together contributions that draw from literature.

The issue begins with a text by Yale Belanger, who explores the issue of First Nations casinos and examines their significance in terms of governance and self-determination, as well as their impact on the health of local populations. In 2008, there were 17 First Nations casinos on Canadian territory. Although gambling is chosen as a means of economic development, Belanger demonstrates the importance of integrating an approach that ensures the well-being of all community members across these programmes in order to deal with problem gambling. If gambling establishments can be viewed as a way of strengthening development for the communities who choose this path, then a strategy for preventing problem gambling which reflects a cultural awareness of the targeted milieu is also a way for First Nations to affirm self-determination.

The contribution by Rick Wallace looks at exchanges between Anishnabe communities and a group of non-Native activists at Grassy Narrows, Ontario, between 2002 and 2004, regarding a blockade that impeded access of logging trucks on Aboriginal land. In a context marked by asymmetrical power relations, under what conditions is true solidarity possible between Aboriginals and non-Natives? Wallace suggests that trust is central to affirming new relationships between Aboriginal and non-Native activists, and he examines the dynamics by which this trust can assert itself.

Based on the premise that the world’s Aboriginal peoples have developed and accrued a traditional knowledge that helps to ensure their survival over time, and that new challenges are present today, Deborah McGregor looks at the solid waste management plan, “Earth Keepers.” In existence for more than 10 years, this is a unique programme that was designed, from the outset, by an Aboriginal society. A number of factors, including recent decisions by various tribunals, converge toward acknowledging the inclusion of traditional knowledge in environmental initiatives. The programme analyzed in this article had important political consequences; in fact, McGregor concludes that it led to decolonizing waste management efforts by incorporating traditional Aboriginal knowledge.

The article by Daniel Salée and Carole Lévesque looks at agreements between the Canadian government and Aboriginal peoples regarding territory and political autonomy, and the representation of these agreements in literature, while questions of colonialism and dispossession dominate the analysis and mask the recent efforts and success of Aboriginal communities in negotiating agreements that reflect their political choices. Salée and Lévesque are particularly interested in Cree management of the boreal forest at James Bay. The authors demonstrate how, over the course of this thirty-year process, the Cree have confirmed their power and have reclaimed the tools needed for collective self-affirmation. This case study leads the authors to question analyses that reduce the overall negotiations between First Nations and the State to a single logic, that of dispossession.

Darren O’Toole presents an article on the 2007 case between Manitoba’s Métis and the Government of Canada regarding the interpretation of historical treaties over Métis lands. The author demonstrates how the position maintained by the Court and the Crown’s main witness, political scientist Tom Flanagan, are contradicted by historical evidence that rests on genealogy rather than on Article 31 of the Manitoba Act [1870]. O’Toole recalls the declarations of Louis Riel and proposes an updated rereading of his thought in conjunction with land agreements for Manitoba’s Métis.

The second section of this issue of the International Journal of Canadian Studies is based on contributions presented at the 2008 colloquium of the Association of Canadian and Québec Literatures. Researchers were invited to present papers on First Nations and Métis representations in Canadian and Québécois culture, literature, and film. Accompanied by a detailed introduction by Jorge Calderón and Wendy Roy, four texts and two research notes make up the corpus of this dossier.

Closing this issue is a highly relevant critical essay aimed at illuminating current subjects linked to representations of First Nations and Métis peoples. Daniel Salée looks at two Canadian books published in 2008: Disrobing the Aboriginal Industry: The Deception Behind Indigenous Cultural Preservation, by Frances Widdowson and Albert Howard, and A Fair Country: Telling Truths About Canada, by John Ralston Saul. Much seems to oppose the theses presented in these two works, but Daniel Salée shows that although they differ in their respective intellectual pursuits, both works share in the construction of Aboriginal experience which is out of step with the reality of this experience.

This issue of IJCS on First Nations and Métis representations will hopefully contribute to a rereading of “the Aboriginal” in the field of Canadian Studies. All of the texts brought together for this issue are aimed at this project, still incomplete, and in support of First Nations claims for recognition and affirmation.