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Cette courte pièce audio de Mario Gauthier inaugure une nouvelle rubrique, spécifiquement électronique, d'Intermédialités. Nommée Contrepoints, cette rubrique consiste à ouvrir un espace à des chercheurs ou créateurs pour réagir à un thème, un texte, un travail artistique, un document d'archives que nous avons récemment publié dans la revue. C'est ce qu'a fait Mario Gauthier avec la composition ci-dessous qui s'inspire de l'entretien inédit de Glenn Gould paru dans notre dernier numéro synchroniser / synchronizing[1].

Dans Radio as Music, documentaire vidéo inachevé produit en 1975, Gould explique en effet sa vision programmatique d’un type de musicalité propre à la radio et laisse entrevoir combien il fut, à travers ses essais pour la télévision, un artiste intermédial avant la lettre. La partie transposée et publiée de la bande documentait une séance de studio dans laquelle Gould et son collaborateur, le technicien Donald Logan, travaillent au mixage de la pièce radio Quiet in the Land (1977), le producteur John Thompson intervenant alors pour questionner le musicien sur sa conception des « documentaires radio contrapuntiques ». Explicitant de manière remarquable la technique de composition gouldienne, Radio as Music en pointe le mode de production concret jusque dans le détail « musical »[2].

À la transposition textuelle et sous forme de photogrammes qu'Intermédialités a proposée de cet entretien de Glenn Gould, répond ici Mario Gauthier avec sa composition audio Point contre point.

Fig. 1

Radio as Music (Glenn Gould, 1975) produit par la CBC.

© CBC

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Point contre point

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Tout le travail radio de Glenn Gould repose sur l’idée selon laquelle des correspondances de sens pouvaient naître de la simple conjonction de voix différentes qui, par similitude de sons, étaient à même de générer « du sens ». Il aimait également créer des conversations imaginaires qui, comme dans The Idea of North (1967), émergeaient et se refondaient dans un paysage sonore plus général.

Lorsque la revue Intermédialités m’a invité à faire quelque chose avec la bande-son de Radio as Music, vidéo inédite de 1975, ce qui m’a frappé, c’est à quel point les images donnaient une « certaine » cohésion à la bande-son qui, écoutée seule, laisse l’impression que l’ensemble frôle par moments l’anarchie. Paradoxalement, j’y ai aussi retrouvé une facette perceptive que propose souvent Gould dans ses documentaires et ses écrits, mais sur laquelle il n’insistait que rarement : à savoir que quelque chose de signifiant peut cohabiter, voire naître du désordre.

Ce bref travail audio s’inspire de cette idée, jouxtée à celle de contrepoint, cette technique d’écriture de la Renaissance et de l’époque baroque dont Gould se réclamait très souvent. On peut y entendre des séquences extraites de Radio as Music (les voix de John Thompson et Glenn Gould) ainsi qu’un extrait de la pièce radio The Quiet in the Land (1977) entrelacé à quelques clins d’oreille : deux musiques de Bach (comme de raison)[3], un très bref extrait d’une conversation avec Tim Page (1982)[4], un extrait d’enregistrement avec Leopold Stokowski (1971)[5] et quelques traitements sonores de mon cru[6].