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Travail/sursis – délai sans rémissionUn document tourné par des détenus du camp de Westerbork Monté et commenté par Harun Farocki[Notice]

  • Philippe Despoix

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  • Philippe Despoix
    Université de Montréal, Centre canadien d’études allemandes et européennes

Dans son dernier travail de cinéaste et vidéaste, Harun Farocki revient de manière centrale sur les images des camps qu’il avait déjà abordées dans son film-manifeste Bilder der Welt und Inschrift des Krieges (Images du monde et inscription de la guerre, 1988). Respite, en anglais, Aufschub, en allemand, le titre de ce document en format vidéo digital pourrait se traduire tout à la fois par « sursis », « délai », « répit », voire « report ». Il s’agit d’un film muet en noir et blanc, monté à partir de bobines documentaires « amateurs » tournées dans le camp de Westerbork, aux Pays-Bas, en 1944. Ce camp de transit fut utilisé par les nazis pour la déportation des juifs hollandais vers les camps de concentration ou d’extermination de l’Est. Le dossier visuel suivant est composé à partir de photogrammes extraits du film et d’un essai rédigé par l’auteur. Comme toujours chez Farocki, le choix de la technique renvoie à la question d’une mise en forme « adéquate » des matériaux d’origine. Tournées en 1944 dans des conditions précaires, ce sont ici des bobines 16 mm noir et blanc, sans ordre, sans son, même si accompagnées de quelques intertitres. Avec ce matériau on est en présence des seules images connues des camps qui aient été filmées par des déportés. Le fait, toutefois, que leur réalisation ait été ordonnée par le commandement de Westerbork en rend le traitement singulièrement difficile. Selon une méthode éprouvée, Farocki brouille dans son essai filmique les catégories du documentaire traditionnel : au lieu de supposer son matériau « transparent », il s’attache à interroger « l’épaisseur » médiale qui en constitue la condition d’existence. D’où sa décision première de n’utiliser aucune autre image que celles issues du document brut, d’en respecter la technique de prise de vue « muette » et de ne rajouter aucune trame sonore. D’où le choix d’offrir, dans la mesure où celui-ci ne fut jamais monté, plusieurs parcours possibles du matériau ; et celui d’en proposer un « commentaire » qui lui reste homogène en insérant des intertitres dans la tradition du cinéma muet, afin de former un contrepoint à ceux prévus à l’origine. Aucune voix off, aucune musique donc, dans ce document dont le discret sous-titre s’énonce en fait comme un programme : Stummfilm. Silent Movie. Le lieu même, Westerbork, est présenté par une courte série de photographies du camp qui mène au coeur de l’événement intéressant au premier chef Farocki : le tournage du document par le caméraman et son équipe. C’est le travail de production des images qui, de manière récurrente, est thématisé. Bien qu’impulsé par le commandant du camp, le film qui devait documenter la vie à Westerbork n’obéit pas à des standards professionnels. Les images prises avec une caméra 16 mm l’ont été non par un caméraman de métier mais par un photographe détenu — Rudolf Breslauer, qui fut par la suite déporté à Auschwitz et y mourut. Elles appartiennent à cette « zone grise » qui prolifère entre usage officiel et utilisation privée des images, et constitue un matériau mémoriel particulièrement ambivalent. On a retrouvé un cliché du travail du photographe et de ses aides dans les ateliers qui furent l’un des principaux lieux du tournage, en même temps que celui de cette survie en sursis qui caractérisait Westerbork. Cette photographie de Breslauer avec son appareil de prise de vues introduit le matériau filmique lui-même que Farocki expose en deux suites relativement distinctes. La première « mise en série » consiste à transformer l’ordre « spatial » de conservation des bobines …

Parties annexes