ProgrammerProgramming

Introduction[Notice]

  • Suzanne Leblanc

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  • Suzanne Leblanc
    Université Laval

L’objectif du présent numéro est de réunir un certain nombre de problématiques présentant des usages du terme « programmer » qui ne coïncident pas avec celui auquel l’informatique nous a habitués. Ces usages, bien qu’ils n’excluent pas nécessairement la présence de l’ordinateur, ont pour caractéristique de le déborder, de le contextualiser, ou encore de s’inscrire dans un continuum avec certains usages antérieurs à son apparition, tel que nous le connaissons maintenant, depuis le milieu du 20e siècle. Faut-il attribuer à ces usages alternatifs la puissance d’une rupture paradigmatique quant à l’activité de programmation ainsi qu’aux fonctions de l’ordinateur ? Il est à tout le moins intéressant de penser qu’elles manifestent un glissement depuis une position réductionniste correspondant au développement de machines logiques vouées à l’atteinte d’objectifs bien déterminés et atteignables en un nombre fini d’étapes, vers une attitude contextualiste adaptée à un certain nombre de circonstances qui font notre actualité et qui nous obligent à nuancer considérablement le sens dans lequel nous contrôlons notre réalité. Pour simplifier, j’appellerai « paradigme cybernétique » la position réductionniste, en référence au rôle crucial joué par le projet cybernétique et par sa caractérisation du concept de système, dans le développement de la signification informatique du concept de programmation. Je qualifierai de « paradigme climatique » l’attitude contextualiste, en quelque sorte « post-cybernétique », en résonance avec le caractère emblématique de la météorologie et de la climatologie pour le domaine émergent des sciences de la complexité. Ces dernières se démarquent en effet par la non-linéarité des déterminismes caractérisant les phénomènes auxquels elles s’intéressent et dont l’un des cas de figure est la sensibilité aux conditions initiales, à savoir que de petites et mêmes infimes différences dans les paramètres de départ de l’évolution d’un certain nombre de phénomènes résultent en des différences disproportionnelles qui rendent généralement impossible l’exercice de prédictions à long terme les concernant. Le temps qu’il fait, la stabilité du climat — sa reconnaissabilité, si l’on peut dire —, tout autant que la bourse et ses variations, constituent sans doute, à l’heure actuelle, les manifestations les plus visibles et les plus saisissantes (en partie parce que les plus médiatisées) de ce genre de phénomènes. Si l’activité de programmer s’avère particulièrement sensible au glissement de profondeur paradigmatique qui vient d’être évoqué, c’est que les multiples crises qui nous assaillent actuellement et dont nous pouvons dire à tout le moins qu’elles l’accompagnent, remettent en question le concept de contrôle qui se trouve au coeur de la cybernétique. De la rétroaction en vue de l’atteinte d’une cible et, plus en amont sur le plan mathématique, du potentiel exécutoire des opérations à travers la succession programmée des états d’un système conduisant linéairement à la résolution automatique d’un problème, qui caractérisent le « déterminisme de prédictibilité » des systèmes cybernétiques, nous devons en effet faire face à un « déterminisme d’imprédictibilité » qui déborde cette autonomie de l’« artefactualité » humaine constitutive de la vocation première des systèmes informatiques. Les phénomènes auxquels nous faisons face ne se totalisent pas comme purs artefacts humains : ils impliquent, en proportions diverses et à différentes échelles, un environnement naturel dont nous sommes nous-mêmes partie prenante en amont de ces artefacts, de sorte qu’il devient impensable d’inscrire ces derniers, dont font partie nos machines, en démarcation simple de cet environnement. Ces phénomènes pointent en direction du dépassement de l’automaticité vers une compréhension intégrative et exigeante de nos artefacts qui n’est pas sans rappeler, de prime abord, le projet d’augmentation de l’intellect humain de Douglas Engelbart, mais dans lequel le rapport humain-machine serait complété par un troisième terme, la nature. En réalité, le …

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