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Intermédialité, cinéma, musiqueLa symphonie-histoire d’Alfred Schnittke ["Raconter / Telling", no 2 automne 2003][Notice]

  • Johanne Villeneuve

Cette étude d’une narrativité intermédiale dans la musique du compositeur russe Alfred Schnittke nécessite, dans un premier temps, une mise au point quant à l’usage qui sera fait ici du concept d’intermédialité. Davantage qu’une longue introduction, cette première partie fournira donc l’essentiel d’une réflexion personnelle sur ce nouveau paradigme, non sans faire sienne la proposition formulée par Jürgen E. Müller, selon laquelle « l’approche intermédiatique constitue […] un axe de pertinence » au lieu d’un « système fermé ». En premier lieu, de manière superficielle — ce qui n’est pas péjoratif en l’occurrence — l’intermédialité se laisse concevoir comme l’interaction entre différents médias. Le concept trouve alors sa pertinence dans la diversité actuelle des médias et l’extraordinaire expansion des moyens de communication contemporains. La croissance rapide du multimédia et de ses enjeux économiques, la problématique de l’adaptation cinématographique ou télévisuelle d’une littérature à succès, les croisements de plus en plus nombreux entre la presse écrite et les chaînes d’informations télévisées, l’expansion des images numériques et la nécessité de s’inscrire dans une économie des savoirs sont autant de phénomènes qui rendent nécessaire la réflexion sur le rapport qu’entretiennent entre eux les médias. Mais pour peu qu’on y réfléchisse, on se rend compte que la perméabilité entre les différents médias censée caractériser notre époque est, en réalité, la caractéristique des médias eux-mêmes. En étudiant de plus près l’émergence de certains médias, on constate qu’il faut du temps avant que ne se cristallise un médium, avant que celui-ci ne fasse « institution ». D’un point de vue plus sociologique, donc, l’intermédialité se laisserait concevoir comme une des conditions d’apparition d’un nouveau médium. C’est le cas, par exemple, du cinéma dont l’émergence traduit un amalgame entre la photographie, le spectacle fantasmagorique et le music-hall, lorsque certains des premiers appareils du cinéma ressemblaient à des phonographes. Toujours dans une perspective historique, force est de constater qu’en certains points du globe, il en fut de même lors de l’apparition de l’écriture — laquelle n’est jamais à proprement parler une « apparition » tant son instauration est lente et qu’en entretenant un lien compétitif avec la parole, elle maintient en elle la « trace » de la voix, comme la présence problématique de ce qui est amené à s’absenter. Cet usage contextualisé du concept d’intermédialité a l’avantage de faire valoir la matérialité des médias et de mettre l’accent sur la difficile délimitation des frontières qui les départagent. Il n’est pas de tâche plus malaisée, lorsqu’on s’apprête à expliquer ce qu’est l’intermédialité, que de distinguer entre le médium et le support, entre le média institutionnalisé et la médiation au sens large (médiation narrative au sens de Paul Ricoeur, médiation du langage, médiation au sens juridique). Car la question demeure : qu’entendons-nous par « médialité » lorsque, par le moyen d’un simple préfixe (inter), nous prétendons ouvrir tout un champ de la recherche ? Ne faut-il pas alors prendre le problème frontalement, en liant la matérialité des médiations humaines (les supports, mais aussi les dispositifs techniques) à l’idéal de médiation qui consiste à « vivre ensemble » ? La médialité serait alors le propre de toute organisation politique, voire de toute collectivité humaine dès l’instant où celle-ci se manifeste à elle-même le désir de la communauté. L’intermédialité serait le rapport institué entre, d’une part, les matérialités par lesquelles la communauté s’interpelle elle-même, se construit, conçoit ses échanges ; et d’autre part, sa visée proprement politique, son idéal de communauté. C’est ce que Jean-Louis Déotte  appelle « l’appareil » lorsqu’il nomme le système de représentation d’une époque (à la limite le jeu entre la représentation esthétique et …

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