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Ce texte propose de suivre le processus frontalier (rendu par l’utilisation de la barre oblique : « / ») tel qu’il se déploie, au Québec, au sein du dualisme colonisateur/colonisé. Ce sont les dynamiques frontalières propres à ce dualisme (ses conditions de production, de brouillage, de consolidation, de raffermissement, d’estompement, etc.) que j’aimerais ici problématiser, en me penchant notamment sur les manières dont elles prennent forme au sein de récits collectifs, d’oeuvres artistiques ou théoriques, et d’essais. Grâce à trois cas singuliers mais aux résonances fortes, la frontière y est étudiée moins comme concept que comme dynamique plurielle de médiation. Le but n’est donc pas de conceptualiser la frontière, mais de répertorier quelques modalités de son effectuation; corollairement, il est aussi de suivre les altérations que cette effectuation fait subir aux rapports rythmant les « contacts » entre colonisateurs et colonisés. Ainsi, dans la première section, la frontière se brouille sous l’effet du métissage et de l’hybridation; dans la seconde, plus théorique et spéculative, un mouvement paradoxal se profile au sein duquel la dissipation de la frontière participe de sa consolidation; dans la troisième, on est en présence d’une transgression frontalière. Dans les trois cas, donc, la frontière est transgressée, brouillée, dissipée; pourtant, comme on le verra, ce n’est souvent que pour mieux se réactualiser sous d’autres formes. C’est pourquoi j’adopte une perspective refusant la condamnation abstraite du concept de frontière au profit d’une enquête — à la fois culturelle, historique et spéculative — sur le processus de « frontiérisation ».

Il doit être clair que l’objectif de ce texte n’est pas un dire-vrai sur la place et le rôle que devrait assurer le processus frontalier liant les réalités colonialistes et colonisées, et encore moins sur les innombrables interactions ayant rythmé les rapports entre autochtones et colons depuis le premier débarquement français. Dans une perspective pragmatique, j’aimerais plutôt interroger les effets de divers discours, pratiques et gestes frontaliers sur les conceptions que la société franco-descendante entretient à propos d’elle-même et de l’autochtonie.

De manière générale, jamais le média (comme concept ou relation) ne sera abordé de front; de manière plus particulière, je n’entends pas non plus mobiliser l’intermédialité en ce qu’elle permet d’appréhender les migrations d’un média vers un autre. En filant diverses trajectoires de frontiérisation, je tenterai plutôt de mettre en évidence « des façons de relier, des modes de transmission ou de communication, des manières d’inscrire ou de tracer des expériences[1] » qui ont été et/ou sont toujours mobilisées par la société franco-descendante pour penser son rapport à l’autochtonie et à elle-même. Dès lors, suivant Méchoulan qui souligne que l’intermédialité incite à « une pensée de l’environnement, voire de ce que nous pourrions appeler “l’ambiance”[2] », j’entends examiner quelques fragments de l’ambiance coloniale.

Cet essai[3] cherche ainsi à jeter un éclairage particulier et partiel sur la vie coloniale québécoise, en insistant notamment sur des tendances s’inscrivant dans le temps long. C’est en raison du caractère exploratoire de cette démarche que je la qualifie de fragmentaire, et non dans un but formel ou stylistique. Chacun des trois fragments permet une plongée dans l’immanence de l’ambiance coloniale : chacun expose des tendances et des intensités qui, toutes, paradoxalement certes, concourent à la reproduction quotidienne de la structure coloniale.

Premier fragment

Brouillage frontalier : contact, hybridité, métissage

Parmi les tropes intellectuels les plus persistants, celui voulant que l’on ait assisté, ces dernières décennies, à une fluidification de la vie et de la socialité nord-occidentales tient une place privilégiée. C’est ce que soulignaient Sara Ahmed et ses collaboratrices[4], il y a quinze ans déjà, quand elles expliquèrent que la grande majorité des théories contemporaines privilégiaient le mouvement comme la forme dominante d’une vie sociale intrinsèquement globalisée. Par contraste avec une certaine époque antérieure lors de laquelle auraient prédominé fixités et cristallisations, nous serions donc à l’ère de l’hybridité ou de l’enchevêtrement (entre autres figures fusionnelles)[5].

Cette fluidification, l’anthropologue James Clifford l’évoquait déjà quinze ans plus tôt, soit en 1988, dans son influent ouvrage The Predicament of Culture. Regrettant une résistance persistante face au métissage et à l’hybridité identitaire dans les recherches en sciences sociales, il déplorait que les histoires de contact et de changement se déploient invariablement autour de l’axe dichotomique absorption/résistance. « Mais que se passe-t-il, questionnait-il ensuite, si l’identité est conçue non comme une frontière à maintenir, mais comme un noeud de relations et de transactions impliquant activement un sujet[6] ? » C’est par cette question performative qu’il appelait à complexifier « les récits de l’interaction[7] », notamment en renversant les dynamiques linéaire, téléologique ou simplificatrice les caractérisant, de même qu’en considérant l’identité davantage comme un milieu relationnel, dynamique et processuel que comme une entité autonome et discrète — dans le sens étymologique de discretus, qui renvoie à une séparation d’avec l’entour.

Si l’appel de Clifford a eu de nombreuses résonances[8] en sciences et en philosophie sociales — on pourrait renvoyer ici aux écrits de Zygmunt Bauman sur la liquidité, à ceux de Manuel Castells sur la société réticulaire ou à tout un pan des études queer, chican@[9] et post-coloniales, pour lesquels une compréhension fondationnaliste et statique de la subjectivité et des identités est foncièrement problématique —, je veux m’attarder d’abord aux diverses manières dont il s’est actualisé en histoire. Dans Le Middle Ground — dont l’exergue initial renvoyait d’ailleurs aux propos susmentionnés de Clifford —, Richard White proposait une relecture de l’histoire nord-américaine à la lumière de l’alliance et du terrain d’entente, de la médiation et du bricolage. Non plus la chronique d’une hégémonie unilatérale, la « rencontre » entre colonisateurs français et Premiers Peuples devenait plutôt, dans la région des Grands Lacs, une alliance dont les rituels et cérémonies « aidèrent à tresser un monde commun » : « Ces changements, opérés dans le cadre du Middle Ground, pouvaient avoir une extrême importance, entraînant des modifications au sein de chacune des sociétés et brouillant les frontières qui les séparaient [je souligne][10]. » C’est ainsi que les groupes et communautés impliqués dans cette alliance devenaient moins définis par une logique interne uniforme que par des interpénétrations mutuelles brouillant leurs limites et démarcations propres[11].

Dans son ouvrage La colonisation du savoir, Samir Boumediene explique de manière plus générale comment cette tendance s’est intensifiée dans le domaine des études historiques, notamment avec le développement de l’histoire connectée. Alors que l’histoire comparée tend à mettre en parallèle des cas précis et indépendants afin de faire ressortir des structures et des systèmes, l’histoire connectée mobilise plutôt des catégories heuristiques telles que la réciprocité, l’hybridation, le métissage ou le contact. Ainsi, si, pour l’histoire comparée, les cas priment sur leurs rapports, pour l’histoire connectée, ce sont plutôt les rapports et relations qui priment sur les divers cas étudiés. Bien qu’il ne dénie pas la pertinence de ce déplacement paradigmatique — l’histoire connectée ayant effectivement « corrigé avec pertinence l’artificialité des études comparées[12] » —, Boumediene note pourtant que l’approche connective échoue trop souvent à appréhender des situations lors desquelles des rapports de force et de pouvoir systémiques fondamentalement incommensurables sont en jeu.

Il est important de saisir, ici, que sa critique n’est pas dirigée vers une quelconque intentionnalité : comme il l’explique, c’est notamment afin de critiquer l’eurocentrisme que l’histoire connectée s’est développée. Malgré cela, note-t-il, l’inclination pour les concepts de transfert, de circulation ou de mélange a contribué à forger « un nouvel exotisme » de réalités ou d’artefacts indigènes (ou non occidentaux), tout en mettant un accent « exagéré et trompeur[13] » sur les mobilités.

Au Québec, après des décennies marquées par l’influence des historiographies négationnistes et nationalistes-conservatrices[14], une tendance similaire, axée sur les contacts, métissages et hybridités, s’accentue dans le champ des études historiques et autochtones. Notons d’abord que la mouvance nationaliste-conservatrice, qui met en scène et retient, « pour l’essentiel, les seuls exploits ou défaites des acteurs[15] “pure laine” et les événements dans lesquels ceux-ci ont été mis en cause[16] », si elle a surtout été influente au 19e siècle, est revenue en force ces dernières décennies, notamment depuis le référendum de 1995 et les polémiques autour des « accommodements raisonnables », en 2006 et 2007[17]. La perspective négationniste, qui vise de son côté à contrecarrer les réalités et spécificités autochtones (pérennité identitaire, authenticité culturelle, rapports territoriaux, etc.), bien qu’elle ait dominé pendant longtemps l’historiographie québécoise, paraît aujourd’hui en déclin — ce qui ne signifie pas qu’elle ait disparu[18]. C’est par contraste avec ces tendances majeures que l’anthropologue Bruce Trigger écrivait, en 1990, que, « s’ils veulent rejeter l’héritage raciste et ethnocentrique que leur a légué le passé, les chercheurs doivent se convaincre que les autochtones ont joué dans l’histoire nationale du Canada un rôle significatif[19] ».

Depuis, nombreux ont été les efforts afin de pallier cette distorsion. Comme l’explique Brian Gettler, afin d’aller au-delà des conceptions négationnistes et nationalistes-conservatrices — de dépasser, donc, l’héritage colonial — les études historiques devraient « encourager une ou, de façon plus réaliste, plusieurs histoires qui feraient le pont entre les autochtones et les Québécois, qui souligneraient les maintes façons dont l’histoire des uns a influencé celles des autres et vice versa, de l’intérieur comme de l’extérieur[20] ».

C’est donc un « héritage commun[21] », tu par les élites intellectuelles blanches de peur de « passer pour des sauvages », que l’histoire, comme discipline, se devrait dorénavant de mettre en relief et d’explorer. Gettler souligne d’ailleurs que cette tendance est déjà lancée, pointant la multiplication récente d’études « mettant en scène des relations étroites entretenues par des communautés amérindiennes et leurs voisins canadiens-français[22] ». Or, cette inclination historiographique pour une relecture des rapports entre Premiers Peuples et franco-descendants par le prisme de l’hybridité et du métissage ne se limite pas à la sphère universitaire ou intellectuelle, loin de là. Elle fait plutôt écho à une mutation de la compréhension des rapports historiques au sein de la société québécoise. Au cours de ses recherches sur « l’auto-autochtonisation », Darryl Leroux a noté qu’entre 2001 et 2016, l’auto-identification métisse avait quadruplé au Québec[23]. Corollairement, depuis quelque 20 ans, un nombre grandissant d’organisations ont vu le jour, avec comme objectif commun la défense des « communautés métisses » du Québec[24]. Parallèlement à cela, deux documentaires fort encensés et discutés sur la place publique[25], soit Québékoisie (Olivier Higgins et Mélanie Carrier, 2013) et L’empreinte (Carole Poliquin et Yvan Dubuc, 2015), ont mis en relief la part résolument autochtone de la société québécoise francophone tout en faisant ressortir l’unicité du colonialisme français, qui, contrairement à sa version anglaise, aurait été d’une bienveillance — sans égale en Amérique — à l’égard des communautés autochtones. Profonde aurait donc été l’empreinte autochtone sur la culture et la société franco-québécoises, apprend-on dans le second documentaire : indéfectible méfiance de la richesse, esprit d’égalité, inclination pour le consensus et la solidarité, refus de l’autorité et de la rigidité institutionnelle, amour de la nature, égalité entre genres et sexes, entre autres.

Ainsi, désormais, selon ce narratif en construction, nous réaliserions à quel point le destin de l’Amérique francophone se noue à celui des Premiers Peuples; à quel point, donc, la frontière colonisateur/colonisé aurait été fictive. Nous — les franco-descendants — constaterions qu’un respect mutuel aurait permis de multiples alliances politiques essentielles à notre établissement; qu’une « hybridité culturelle[26] » se serait dessinée à la suite des échanges et transactions politiques ou économiques; que de multiples emprunts langagiers, coutumiers ou techniques auraient rythmé nos rapports avec les peuples autochtones; sans compter les multiples unions interraciales résultant en un métissage de filiation[27]. Ainsi, à la lecture de ces travaux, 

on en garde au final l’impression qu’en dépit des incompréhensions inévitables et des appétits conquérants de l’Européen, on parvenait de part et d’autre à s’accommoder de la différence — à vivre avec. Le récit des origines en serait un d’accommodement, voire de réciprocité interculturelle, mieux, un récit de synthèse ethnoculturelle — une fusion d’horizons — dont le Québec a émergé comme entité sociétale nouvelle[28].

C’est ainsi que le mythe négationniste ou celui d’un exceptionnalisme franco-canadien seraient déboulonnés au profit d’une nouvelle mythification fondatrice reposant sur le métissage et l’alliance : le mythe de la perméabilité frontalière entre les réalités autochtones et franco-descendantes, perméabilité tendant progressivement à un dense brouillage.

D’un strict point de vue historique, il importe de souligner que ces interprétations contrastent fortement avec les traditions orales des Premiers Peuples, et plus spécialement celle des Innus, qui fait plutôt état, à la suite de l’alliance de 1603, d’une dégradation rapide des relations[29]. De plus, on doit comprendre que les politiques d’alliance et de métissage soutenues par les autorités coloniales françaises étaient motivées stratégiquement par des rapports de force et s’inscrivaient dans un projet biopolitique d’assimilation compris comme une étape nécessaire au succès de l’entreprise coloniale[30]. En somme, une telle lecture oblitère une réalité patente : les « rapports de pouvoir fondamentalement inégalitaires qui, malgré certains mouvements de résistance autochtone réussis, se sont toujours déclinés en dernière analyse au profit des Européens et de la consolidation de leur présence de plus en plus hégémonique dans le Nouveau Monde[31] ».

Sous un angle théorique, bien que de tels travaux permettent une critique adéquate et nécessaire de la tradition historiographique coloniale, l’utilisation d’un bréviaire de la rencontre, du contact et du métissage se révèle tout de même problématique. Daniel Salée remarque d’abord qu’une profonde réflexion quant aux concepts mobilisés (échange, contact, métissage, rencontre, hybridité, alliance, etc.) fait trop souvent défaut. Ainsi, de multiples glissements permettent au contact de devenir interpénétration sans que les facteurs complexes concourant à ce processus n’apparaissent vraiment clairs[32].

En contestant explicitement une historiographie raciste et colonialiste, ces lectures renouvelées des interactions entre franco-descendants et peuples autochtones oblitèrent implicitement des rapports de pouvoir, d’oppression et de domination manifestes et toujours structurants. Corollairement, en renvoyant l’autochtonie à son indétermination inhérente, elles ébranlent les assises des revendications territoriales et identitaires des Premiers Peuples[33].

Second fragment

La frontier : dynamiques paradoxales du processus frontalier

Au sein des travaux critiques sur le colonialisme, les modalités du pouvoir comme celles de la résistance et de la révolte sont communément perçues — dans un contraste évident avec les discours du métissage explorés précédemment — comme corollaires d’une conception frontalière forte renvoyant dos à dos les sphères colonialiste et colonisée[34]. Dans Les damnés de la terre, Frantz Fanon explique l’aspect foncièrement manichéen du colonialisme, qui instaure une coupure franche entre deux régimes d’existence : « Le monde colonisé est un monde coupé en deux. La ligne de partage, la frontière en est indiquée par les casernes et les postes de police[35]. » Ici, c’est du cas algérien, et de manière plus générale du colonialisme d’exploitation, que traite Fanon. La frontière y coupe un monde en deux parce qu’elle ne vise pas l’extinction de la population indigène, mais plutôt l’extraction et l’exploitation des corps, des denrées ou des ressources au profit, fondamentalement, d’une puissance spatialement exogène (la métropole). Le colonialisme d’exploitation repose donc sur une domination claire, souvent justifiée grâce à des logiques raciales et culturelles; la frontière, dont Fanon constate l’actualisation par un agencement de dispositifs militaires, délimite ainsi deux sphères et instaure une relation tranchée et saillante[36]. Comme l’explique de son côté Albert Memmi, puisque le rapport colonisateur/colonisé permet une fructification, une valorisation, puisqu’il « crée le privilège[37] », central dans la vie du colonisateur, la frontière apparaît comme une matrice essentielle. Dès le départ, elle est non seulement nécessaire, puisque l’indistinction trouble et ralentit la dynamique unilatérale d’extraction des flux et des ressources; mais elle est aussi productive des formes et des rapports de subjectivité étanches inhérents à l’ordre colonial et à sa reproduction[38]. « Le mécanisme est quasi fatal, écrit Memmi : la situation coloniale fabrique des colonialistes, comme elle fabrique des colonisés[39]. »

Dans les études sur le colonialisme de peuplement (settler colonial studies), qui s’attardent principalement aux colonisations australienne, canadienne, états-unienne, israélienne et sud-africaine, la frontière, malgré sa modalité clivante apparentée, est pourtant conceptualisée comme se déployant de manière différente. Dans ses nombreux travaux sur le sujet, Patrick Wolfe explique que le principe fondamental du colonialisme du peuplement est moins une exploitation des corps et des ressources indigènes qu’une appropriation territoriale doublée d’un remplacement des populations[40]. Dès lors, les communautés indigènes deviennent l’objet de techniques d’élimination et de déplacement, et moins d’exploitation au sens premier : leur présence en terra nullius est une anomalie à gérer plus qu’une source potentielle de valorisation[41]. Alors, donc, que le colonialisme assure une subjugation des populations indigènes par une récursivité constante d’un processus frontalier manichéen, le colonialisme de peuplement maintient une « logique d’élimination[42] » visant ultimement une dissolution du rapport colonisateur/colonisé (notamment dans la figure du citoyen) tout en usant et en tirant paradoxalement profit de ce même rapport. J’entends ici étudier, de manière exploratoire et conceptuelle, les liens que cette dynamique entretient avec la notion de frontier.

Rappelons qu’il y a un siècle, dans l’élaboration de son célèbre essai The Frontier in American History (1894)[43], qui allait marquer profondément l’imaginaire et la mythologie, les paradigmes intellectuels de l’époque et la conception nord-américaine du colonialisme de peuplement, l’historien Frederick Jackson Turner renvoyait dos à dos les conceptions européenne et états-unienne de la frontière[44]. Par opposition à celle-là, conçue comme fixe, fortifiée, et séparant des populations et des territorialités délimitées, Turner développait une version américanisée de la frontière comme ligne dynamique séparant « sauvagerie » et « civilisation[45] »; notion « élastique[46] » et sans définition précise; région proto-topologique servant à la fois de marqueur de transformation et d’américanisation des colons européens; bref, lieu de transformation et de possibilité[47] permettant à la destinée coloniale manifeste de se cristalliser et de se réactualiser incessamment. Ainsi, d’un côté, la frontier marque un au-delà territorial vierge, wilderness d’un front pionnier à conquérir et à maîtriser; de l’autre, elle témoigne d’un seuil qualitatif rendu possible en ce même front pionnier, seuil par lequel le colon sera devenu américain. Ici, c’est donc à la fois comme ligne de démarcation — en ce qu’elle permet de séparer les territoires « sauvages » et colonisés, mais plus encore de rendre compte de l’expansion constante de ces derniers au profit de ceux-là — et comme zone de transformation subjective que la frontier opère. Si le concept de Turner a bien évidemment été critiqué de maintes manières, il appert que son aspect fallacieux n’a pas refréné son effectivité et sa performativité, de même que la compréhension dominante que l’on se fait aujourd’hui du colonialisme de peuplement. Comme le souligne Patrick Wolfe, « the point is not simply that the idea of the frontier was misleading. What matters is that it was a performative representation — it helped the invasion to occur[48] ». Or, si on assimile souvent les fronts pionniers (et leur logique frontalière) à des événements historiques (c’est-à-dire ponctuels et passés) ayant participé à construire des imaginaires et des récits encore influents aujourd’hui (et donc performatifs en ce sens, puisqu’ils continuent d’infléchir des discours, des pratiques et des sensibilités), j’entends éclairer ici une dimension conceptuelle différente et négligée de la frontier. C’est qu’à mon sens, la frontier n’est pas seulement effective par ses modalités performatives, représentatives ou par le biais de traces matérielles héritées du passé (dans sa dimension actuelle, pourrait-on dire[49]); son effectivité est tout aussi perceptible virtuellement, dans le sens où des tendances constitutives de cette dynamique auront ultérieurement revêtu d’autres formes, tout en conservant leur force active première.

Selon Gérard Bouchard, l’historiographie québécoise « a carrément tourné le dos à la problématique de la frontière[50] » telle que développée par Turner, et ce, jusqu’aux années 1970. Depuis, divers travaux[51] ont pourtant soulevé à quel point le Nord (comme territoire, mais aussi comme symbole et trope culturel) avait joué au Québec le rôle d’espace vierge et régénérateur associé à l’Ouest dans l’imaginaire états-unien. Pensons seulement au curé Antoine Labelle qui, au 19e siècle, appellera à la conquête du sol afin de contrer l’exode rural et les migrations vers les États-Unis : les « terres neuves » du Nord seront dès lors appréhendées comme un lieu de revivification propre à fortifier les vertus pastorales[52]. À la suite de l’extension frontalière de 1912, qui fit coïncider la frontière provinciale avec les rives de la baie d’Ungava et du détroit d’Hudson, on pourrait croire — suivant la conception traditionnelle de la frontier — que cette dimension régénératrice s’eût lentement estompée. Car, à mesure que la saisie territoriale s’accroît (et donc que la frontière comme ligne de démarcation « progresse »), la frontier comme zone de transformation se contracte — ou plutôt, et j’y reviens à l’instant, devrait se contracter. Au coeur de ce processus se trouve donc une intrication de tendances contraires, pourtant portées in fine vers une prétendue dissolution de la frontier. Or, une fois la saisie coloniale terminée et pleinement territorialisée[53], la modalité qualitative, c’est-à-dire la potentialité transformatrice du front pionnier par laquelle la « sauvagerie » laisse place à la « civilisation », alors qu’elle devrait — selon la conception spatialement extensive et temporellement linéaire que l’on se fait généralement de la frontier — se dissiper pour laisser place à l’État libre, égalitaire et démocratique, devient plutôt virtuellement coextensive de l’espace saisi par cedit État colonial de peuplement. La modalité clivante de la fontier  alors qu’elle devrait en quelque sorte se fondre dans les frontières territoriales de l’État qui se concrétise peu à peu — perdure, comme nécessitée par son versant qualitatif — la transformation subjective (qui doit se perpétuer pour que la logique d’élimination[54] persiste) ne pouvant se faire sans une démarcation clivante a priori. Ainsi, les fronts pionniers ne constituent pas qu’un « événement historique » et ne portent pas qu’une effectivité représentationnelle ou symbolique; ils ne sont encore moins que les témoins d’un passé révolu auquel aurait succédé l’État libéral et multiculturel. Les conditions de vie dans cedit État impliquent plutôt, comme en puissance, intensivement, un noeud tensif d’affects à la fois clivants et assimilateurs/uniformisateurs, point névralgique de la dimension routinière et ordinaire de la colonie de peuplement. C’est entre autres pourquoi, si de 1912 à 1964 les autorités étatiques québécoises n’exerceront aucune présence dans le Nouveau-Québec[55] et s’évertueront plutôt à défendre leur droit de n’offrir aucun service gouvernemental au peuple inuit, elles oseront tout de même, lorsqu’elles décideront qu’elles y sont maîtresses chez elles, dynamiter et contourner des rivières « pour le bénéfice économique de tous les Québécois[56] », hormis, bien entendu, celui des Eeyou et Inuits (qui ne seront initialement pas consultés). C’est aussi pourquoi, dans les années 1970, Robert Bourassa qualifiera le Nord, celui « tout près de nous, à l’intérieur de nos frontières[57] », d’espace à occuper et à conquérir, de territoire propre à permettre la réinvention du Québec laurentien-sudiste[58]; ou pourquoi il pourra voir, dans les travailleurs harnachant les rivières de la Baie-James, « la copie presque conforme des premiers défricheurs du pays[59] ». C’est pourquoi, quelque quarante années plus tard, Jean Charest, lors du dévoilement du Plan Nord, appellera à « repousser les limites de notre dernière grande frontière du Nord[60] » en mobilisant une fois de plus le bréviaire de la conquête. C’est pourquoi, en somme, ce Nord aura dû — devra — être colonisé, recolonisé, puis recolonisé… Dans une colonie de peuplement ontologiquement marquée par les dynamiques frontalières, la maxime selon laquelle il faudrait coloniser pour vivre[61] garde toute sa prégnance.

Cette dimension de la frontier participe activement de ce que Mark Rifkin appelle un « bon sens colonial[62] » : une manière de vivre et d’entrer en relation rythmée par des modalités affectives qui, catalysées par des dispositifs légaux, culturels et politiques rendant naturelles et coutumières des formes de territorialisation dépossessives et mortifères envers les Premiers Peuples, constituent et reproduisent la vie coloniale tout en garantissant aux colonisateurs des assises territoriales toujours plus fortes et exclusives. Ce noeud, pris dans son extension institutionnelle, participe ainsi de l’aporie centrale de l’État colonial de peuplement, qui « doit pouvoir maintenir de manière souvent ostentatoire la trace de l’indigénéité qu’[il] a pourtant pour tâche et projet d’éliminer et de remplacer[63] ». Ainsi, ce fragment expose à mon sens l’écueil, en contexte colonial, qui consiste à faire principalement reposer les possibilités d’émancipation sur un plan commun, sur un plan de communicabilité et de commensurabilité transparent et ouvert qui serait à développer entre colonisateurs et colonisés[64]; à penser, donc, que l’abolition généralisée des frontières identitaires, subjectives, territoriales, politiques, etc., (dé)liant les sphères colonisatrice et colonisée soit non seulement essentielle, mais réellement possible dans un présent ou un futur proche. Comme le souligne Bruno Cornellier, puisque « le privilège racial, l’arrogance souveraine et les divisions dessinées par de puissantes et indélébiles frontières raciales-coloniales constituent toujours les paradoxales conditions de possibilité[65] » des rapports colonisateurs/colonisés, une telle conception participe de la logique coloniale. Une démarche plus humble[66] et radicale est nécessaire, démarche dont Fanon avait déjà l’intuition : « Disloquer le monde colonial ne signifie pas qu’après l’abolition des frontières, on aménagera des voies de passage entre les deux zones. Détruire le monde colonial, c’est ni plus ni moins abolir une zone, l’enfouir au plus profond du sol ou l’expulser du territoire[67]. »

Troisième fragment

Transgression frontalière, ou se jouer des frontières : identification et appropriation

Malgré tout ce qu’on en dira dans les sphères culturelles et médiatiques dominantes, le nationalisme québécois a une longue histoire d’appropriation raciale doublée d’un déni de l’effectivité de cette même dimension raciale au sein de la société franco-québécoise[68]. Dans Nègres noirs, nègres blancs. Race, sexe et politique dans les années 1960 à Montréal, David Austin souligne les multiples manières dont une esthétique et une économie raciales ont sillonné les mouvements d’émancipation franco-québécois. Jusqu’au milieu du siècle dernier, le narratif en place au Québec fait état de deux « races » séparées par des frontières culturelles, linguistiques et économiques — deux solitudes, donc, anglo et franco, renvoyant les réalités autres (autochtones/racisées/non blanches) à un statut subalterne[69]. Comme le souligne Geneviève Pagé, la notion de race prendra une multitude de significations dans « l’histoire discursive du Québec[70] », de L’appel de la race de Lionel Groulx (1922) jusqu’au slogan « La foi, la langue, la race » de l’Union nationale. Vers le milieu du siècle, lorsque la « race canadienne-française » mute en « peuple québécois », la notion de race est pourtant de moins en moins mobilisée dans les milieux nationalistes.

Or, de l’orée des années 1960, alors que Montréal apparaît comme une plaque tournante des pensées décoloniales[71], jusqu’au Congrès des écrivains noirs (1968) et aux révolte et occupation de la Sir George Williams University[72] (1969), qui feront de la ville un foyer révolutionnaire du Black Power, on constate un retour en force du concept de race dans les discours et pratiques des Franco-Québécois. Au même moment, donc, où se dynamisent les mouvements radicaux noirs et décoloniaux, les Franco- Québécois « vont non seulement affirmer leur nationalisme et leur anticolonialisme, ils vont se construire une identité raciale noire : le Canadien français en tant que nègre[73] ». Évidemment, au paroxysme de cette construction raciale, on retrouve le livre de Pierre Vallières Nègres blancs d’Amérique (1968). Pourtant, contrairement à l’idée reçue, l’expression (et ses variantes) est déjà couramment utilisée dans les milieux artistiques et politiques franco-québécois au moment de la parution du livre de Pierre Vallières[74] : il est donc clair qu’on n’assiste pas à un événement ponctuel ici, mais bien à une lame de fond ébranlant autant les sphères artistique que politique, et autant les milieux à dominance masculine que les mouvances féministes populaires et, dans une moindre mesure, radicales[75]. C’est ainsi que se généralise un mouvement de « négritude blanche », selon l’expression consacrée du poète Paul Chamberland[76].

Gaston Miron sera un de ceux pour lesquels l’investissement affectif dans ce mouvement sera le plus vital. C’est que, pour lui, la réalité franco-québécoise est à ce point résonante avec la figure du colonisé subalterne qu’il affirmera ressentir cette résonance en son corps même : « Certaines oeuvres que j’ai lues depuis un an, comme celle de Césaire par exemple, m’écrasent par l’effarante parenté que je ressens à leur endroit. Certains parallèles de ma démarche se confondent avec les leurs. J’ai peur de ne plus savoir qui je suis, que mon pouls ne se distingue plus du leur. Que dois-je faire ? [je souligne][77] » Pour Miron, cette indistinction n’est pas qu’une figure de style; elle n’opère pas que depuis les domaines métaphoriques, et outrepasse la dimension discursive. Ce sont bien des sensibilités et des perceptions communes que Miron décrit ici : une esthétique du colonisé principalement suscitée par une expérience comparable, sinon assimilable, des structures de pouvoir et d’oppression raciales, politiques et économiques.

Pareillement, pour Vallières[78], le terme n**** n’est pas un trope, mais réfère à une expérience vécue et partagée[79]. Comme il l’établit dès le début de son essai, puisque le Québec n’a pas, contrairement aux États-Unis, de « problème noir[80] », et puisque ce qui différencie les populations noires du Québec et les Franco-Québécois n’est, à son avis, que superficiel[81] — « Ce qui les différencie : uniquement la couleur de la peau et le continent d'origine[82] » —, les expériences de ces deux groupes seraient et auraient été similaires. De là la possibilité de développer une position subjective commune. Selon David Austin, cette conception dérive du « mythe d’une société non racialisée, sans passé colonial[83] », né d’une lecture de l’histoire selon laquelle les communautés noires du Québec n’auraient jamais vécu de quelconque oppression marquée et spécifique, et selon laquelle l’histoire nationale se résumerait au « grand récit d’une petite conquête et d’une coexistence pacifique avec les peuples autochtones avant la victoire de l’Angleterre[84] ».

En plus de dénoncer la compréhension de l’histoire autorisant une telle lecture qui nie un passé esclavagiste et un passé/présent colonial spécifiquement québécois, Austin souligne tout le paradoxe d’une telle analyse reposant sur une indistinction entre les trajectoires noire et franco-québécoise. Car, au moment même où ce mouvement de noircissement participe à nier la singularité du racisme anti-noir, des mouvements noirs essaiment à Montréal pour lutter de manière ciblée et précise contre cette oppression spécifique[85]. Et, similairement, alors que les Franco- Québécois (à tout le moins ceux des classes populaires) sont absous de toute implication colonialiste, les mouvements d’affirmation et d’émancipation autochtones s’organisent et engagent des luttes déterminantes contrastant fortement avec ce récit national émergent[86].

Ainsi, le processus de brouillage frontalier ici présent en est un non pas de partage, mais de surcodage et d’invisibilisation. En opérant une ouverture radicale de la notion de colonisé, c’est-à-dire une identification stricte à celle-ci, cette trajectoire nationaliste place sur un même plan toutes les opprimées en Amérique du Nord. Pourtant, c’est l’homme blanc qui deviendra l’entité centrale de cette figure collective, reléguant aux marges (ou à l’extérieur de ces marges) les altérités colonisées (autochtones, noires, racisées, féminines…). On est bien là en présence d’une alliance au forceps participant moins d’une émancipation collective que d’une reproduction des dynamiques d’oppression et d’invisibilisation.

De plus, ce que ce fragment suggère, c’est que le processus de frontiérisation ne peut être réduit qu’à son rapport au dualisme colonisateur/colonisé : ne (dé)liant pas que ces deux figures, il s’ouvre bien évidemment à une multitude d’autres rapports devant être pris en compte dans toute analyse critique du colonialisme de peuplement. Ce qu’écrit Iyko Day, à propos du cas états-unien, s’applique ainsi au Québec : « the logic of antiblackness complicates a settler colonial binary framed around a central Indigenous/settler opposition[87] ». Ainsi, si ce dualisme reste nécessaire politiquement, éthiquement et stratégiquement — les sections précédentes auront, chacune à leur manière, permis d’explorer ce point —, il paraît tout de même insuffisant et ne doit pas mener à une vision réductionniste de la situation coloniale. Comme le souligne Glen Coulthard, « the colonial relation should not be understood as a primary locus or “base” from which these other forms of oppression flow, but rather as the inherited background field within which market, racist, patriarchal, and state relations converge to facilitate a certain power effect[88] ».

Remarques conclusives

Par cette étude fragmentaire de quelques-unes des multiples trajectoires qu’emprunte le processus frontalier dans son rapport au dualisme colonisateur/colonisé, j’aurai ici tenté de complexifier la problématique plus que de la resserrer. C’est d’ailleurs pourquoi je m’abstiendrai ici de la synthèse usuelle — ce texte, faisant partie d’un processus critique en cours, n’en appelant pour l’instant aucune. J’aimerais plutôt terminer sur quelques éléments qui affleurent çà et là, mais qui méritent d’être énoncés plus expressément.

D’abord, bien que j’aie mis de l’avant les problématiques et les antinomies reliées à un brouillage frontalier, ce texte ne se veut évidemment pas une apologie de la frontière. En fait, s’il rejette quoi que ce soit, c’est plutôt l’inclination à affirmer ou à réfuter de manière unilatérale la validité, l’effectivité ou la productivité d’un concept en soi, et, par extension, ce dont ce concept témoigne. Je soulignerai ici, suivant Gilles Deleuze et Félix Guattari, que nul concept n’est en lui-même — c’est-à-dire extirpé du fouillis de ses actualisations et relations plurielles et singulières — libératoire[89].

Ainsi, le premier fragment de ce texte ne doit pas être lu comme une condamnation de l’hybridité et du métissage au profit d’un rétablissement d’identités et de sphères subjectives claires et délimitées. Simplement, j’aurai voulu signaler que, selon une inclination intellectuelle fort en vogue, l’hybridité est trop souvent à constater, à reconstituer ou à expliquer comme allant de soi, ce qui est donc dire qu’elle a souvent une visée programmatique ou normative; non seulement elle serait plus à construire, mais peut-être devrait-on aussi questionner et enquêter de manière critique sur les processus et conditions de sa production — ce qui ne veut évidemment pas dire, je le répète, la refuser[90].

Je ne prêche pas ici pour l’appréhension d’entités ou de phénomènes réellement distincts, indifférents les uns aux autres, c’est-à-dire séparés par des frontières étanches qu’il conviendrait de systématiquement (re)consolider. C’est plutôt un certain mantra ayant une forte prégnance dans le milieu intellectuel que j’aimerais interroger à la lumière de ces observations : celui voulant que « tout ce qui est bon circule et tout ce qui circule est bon[91] » — formule qui, il convient de le souligner, résume aussi parfaitement une dimension centrale des dynamiques de valorisation et d’accumulation du capitalisme avancé. L’idée, donc, qu’un brouillage des frontières raciales, subjectives, territoriales soit intrinsèquement porteur d’une puissance émancipatrice, égalitaire, voire révolutionnaire. Ce n’est donc pas contre l’hybridité ou le métissage que ce texte aura porté, mais envers certaines modalités de ces notions[92]. En se jetant dans le creuset de l’hybridité et du métissage, peut-être se rend-on incapable d’appréhender les multiples manières dont le colonialisme de peuplement implique un processus de frontiérisation se réitérant incessamment.

Le « blues de la solidarité[93] » qui affecte les collectifs et les mouvements d’émancipation nord-occidentaux ne sera pas transcendé par une énième conceptualisation d’un plan commun, sans frontière, censé offrir des conditions de compréhension, de dialogue et d’action. Il s’effrite(ra) d’abord grâce à des luttes ponctuelles, imparfaites, mais engageant directement les questions de la différence et de l’incommensurabilité plutôt que de les éluder ou de les effacer. Il s’effrite(ra) ensuite au moyen de paroles et de textes ne tentant pas de surjouer leur ascendant grâce à des appels unilatéraux indifférents aux conditions concrètes et singulières du pouvoir et de la résistance; indifférents aux trajectoires, aux paroles et aux gestes des corps, des collectifs et des territoires en lutte, qui nous montrent qu’un faire-avec la frontière est, parfois, plus apte à participer de son estompement qu’un démantèlement discursif.