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Introduction

Les enjeux économiques des pays développés, ainsi que les pressions grandissantes d’une très forte concurrence internationale conduisent les institutions nationales de ces zones à accentuer les efforts d’accompagnement des PME, pour l’amélioration de leurs performances et le développement de leurs activités. Malgré leur importance, ces efforts n’ont pas toujours un écho favorable. Certaines critiques sont institutionnelles, d’autres émanent des dirigeants eux-mêmes. « La puissance publique n’aide guère les entreprises à s’adapter à la mondialisation et au poids croissant de l’innovation » (Blanc, 2004, p. 12). Certains auteurs font état d’une insuffisance d’appui aux PME, notamment en matière d’insertion dans des réseaux (St-Pierre, Raymond, Laurin et Uwizeyemungo, 2011), ou d’un manque de ciblage des aides proposées (Levratto, 2008). De leur côté, les dirigeants de PME jugent les programmes et outils comme étant trop éloignés de leur réalité et de ce fait peu pertinents (Morrison et Bergin-Seers, 2002 ; Couteret, St-Jean et Audet, 2006), souvent fragmentés, avec des règles d’entrée et de mise en oeuvre trop contraignantes (Bramanti, 2002), et mal ou non adaptés à leur contexte (Bayad, Gallais et Schmitt, 2006).

Quels objectifs doivent alors viser les programmes d’accompagnement pour les PME ? Dans le cas particulier du déploiement de projets d’innovation et/ou d’internationalisation, Sammut (2003) souligne que l’enjeu principal de l’accompagnement réside moins dans l’accroissement des bases de connaissances des acteurs que dans le développement et l’enrichissement de leurs capacités à faire évoluer leur système de représentation et à s’ouvrir à de nouvelles complexités. Cela semble donc vouloir dire que l’efficacité des programmes d’accompagnement n’est pas seulement dépendante de l’apport de contenus, ni même d’ailleurs de l’amélioration de ces derniers selon Messeghem, Naro et Sammut (2010). La question se pose donc des modalités d’accompagnement et de la création éventuelle de contenus et connaissances (que nous retrouverons tout au long de l’article sous le terme savoirs) à mettre à la disposition des dirigeants potentiellement concernés.

Les projets d’innovation et/ou d’internationalisation sont souvent l’application des visions des propriétaires-dirigeants ; une vision étant une projection ou une image d’un état futur désiré à propos de la place qu’ils veulent voir occuper par leurs produits ou services sur le marché (composante externe de la vision) et de la configuration souhaitée pour leur organisation afin d’y parvenir (composante interne de la vision) (Filion, Ananou et Schmitt, 2012). Or, la vision prend forme autour d’un système de relations, tant internes qu’externes, dans lequel l’entrepreneur dirigeant développe ses apprentissages et structure, ses références cognitives (Bayad, El Fenne et Aït Razouk, 2012). Nous comprenons dès lors que l’apport de contenus techniques du type « Connaissance des marchés internationaux » ou « Gestion d’un projet d’innovation » par exemple, ne seront pas suffisants pour le développement de l’entreprise. L’efficacité des programmes d’accompagnement apparaît ainsi également dépendante de la capacité de l’intervenant à comprendre la vision du dirigeant, au-delà de ses savoir-faire techniques, ainsi que les stratégies cognitives de ce dernier (ses représentations, ses apprentissages…) ; ceci pour pouvoir moduler une proposition conforme, en adaptant l’usage des outils prescrits à l’organisation, mais aussi son approche et ses comportements (Gallais et Bayad, 2010).

Dans cet article, nous souhaitons approfondir cette idée d’adaptation nécessaire à l’amélioration de l’efficacité de ces dispositifs et fournir des éléments de réponse à la question des objectifs que doit poursuivre l’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME en situation de changement. Faut-il adapter les savoirs produits ou les relations dans le processus d’accompagnement ? Ces orientations, qui se veulent complémentaires aux approches classiques, doivent nous inciter à nous interroger sur le métier de l’accompagnement – en particulier dans le cadre institutionnel – et à faire évoluer les pratiques du domaine.

Pour ce faire, notre travail s’appuie sur le concept de rapport de prescription proposé par Hatchuel (2001). Celui-ci nous paraît en effet intéressant dans la mesure où il permet d’étudier le processus d’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME, en prenant en compte la problématique des savoirs et des relations. Celui-ci nous amène à proposer dans une première partie une représentation des continuums ouverts de l’accompagnement, faisant interagir les accompagnants et les entrepreneurs dirigeants de PME, et sur lesquels se construisent les savoirs et les relations de nature différente en fonction des situations et des besoins. Au regard de cette représentation, nous étudierons un programme d’accompagnement de PME à fort potentiel de croissance : « France Investissement. LeClub ». Nous conclurons sur les apports de cette réflexion pour ce dispositif institutionnel et de manière plus générale pour le champ et le métier de l’accompagnement en PME.

1. Le concept de rapport de prescription : quels apports pour représenter l’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME en situation de changement ?

1.1. Le rapport de prescription contextualisé à l’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME

Pour Hatchuel (2001), dès lors qu’un acteur A possède des savoirs qui lui sont propres et s’adresse à un acteur B, il est nécessaire de penser l’impact de l’acteur A sur l’acteur B. La prise en compte de cet impact nécessite une relation qui constitue le mode d’interaction de A et B. Mais cette relation peut à son tour être modifiée par cet impact. Dans cette perspective, ce que nous appelons généralement « transmission », « communication », « transfert », n’est donc pas seulement le moyen de l’action collective, il en est aussi et à la fois le but et la condition nécessaire. Selon Hatchuel (2001), le terme « d’impact » évite par ailleurs la métaphore du « transfert de savoir », car rien ne nous permet d’affirmer que le savoir se « transfère » comme un objet qui ne serait pas modifié pendant sa transmission. Ainsi le rapport de prescription de A vers B n’est rendu possible qu’à partir du moment où certaines configurations de savoirs et de relations rendent possible l’impact d’une partie du savoir de A vers B.

L’examen succinct des deux opérateurs « savoir » et « relation » conduit alors Hatchuel (2001) à énoncer le principe de non-séparabilité (ou principe S/R). Cette proposition suppose que toute théorie de l’action collective s’appuie sur un principe fondamental d’inséparabilité des savoirs et des relations. En ce sens, l’existence d’une connaissance est dépendante de la manière dont les acteurs se perçoivent les uns les autres et interagissent entre eux.

Dans le cas des programmes d’accompagnement, la préoccupation concernant les contenus, et donc l’opérateur « savoir », est primordiale. Elle domine la construction de l’offre d’accompagnement. Si nous revenons à la définition proposée par Hatchuel et Weil (1992, p. 16), les savoirs apportés dans le cadre de l’accompagnement doivent se composer d’un ensemble de thèses et de questions à partir desquelles une activité peut être conduite ou une information acquérir un sens en générant le cas échéant de nouvelles thèses ou des nouvelles questions, c’est-à-dire des apprentissages. L’hypothèse est alors celle de la nécessité d’un savoir utile, où la « pertinence pratique » reste forte (Avenier, 2009). L’acquisition de ce savoir doit en effet permettre à l’entrepreneur dirigeant d’agir grâce à des connaissances supplémentaires. Or, pour que ces savoirs soient utiles, ils doivent pouvoir s’intégrer à sa vision. Les projets de changement comme l’innovation et/ou l’internationalisation de la PME sont l’application de cette vision. Rappelons en effet qu’une vision est une projection ou une image d’un état futur désiré à propos de la place qu’il veut voir occuper par ses produits ou services sur le marché (composante externe de la vision) et de la configuration souhaitée pour son organisation afin d’y parvenir (composante interne de la vision) (Filion, Ananou et Schmitt, 2012). Rappelons également que cette vision est elle-même influencée par le profil de l’entrepreneur dirigeant de PME (ses apprentissages et ses références cognitives). Par exemple, les propriétaires-dirigeants qui favorisent des stratégies internationales adhèrent plus souvent « à des valeurs comme l’ambition, l’agressivité, le pouvoir, la compétition et l’argent » (Cadieux, 2009, p. 5). Selon Cadieux (2009), ils ont aussi tendance à être « proactifs, innovateurs et à avoir une mentalité et une vision globale du monde des affaires ». La structuration des savoirs de l’entrepreneur dirigeant conduit alors à s’intéresser à ces pratiques sociales et à la récursivité de ces dernières dans l’accompagnement. Pour Giddens (1986), la récursivité s’exprime par le contrôle continu que chaque être humain exerce sur son action. L’acteur attend en retour des autres qu’ils exercent aussi un contrôle semblable (le contrôle réflexif). La définition de l’opérateur savoir selon Hatchuel (2001) nous plonge ainsi directement dans le collectif. Parler du savoir de l’entrepreneur dirigeant de PME n’est possible qu’à condition que l’accompagnant existe et qu’il possède lui aussi un « savoir ». L’opérateur « savoir » débouche donc sur la nécessité d’un second opérateur qui lui est corrélatif dans le processus d’accompagnement : l’opérateur « relation ».

Dès lors, le rapport de prescription de l’accompagnant vers l’entrepreneur dirigeant de PME ne semble possible qu’à partir du moment où il existe des configurations adaptées de savoirs et de relations. Le concept de rapport de prescription et son principe de non-séparabilité des savoirs et des relations permettent de structurer notre réflexion. Il est en effet pertinent dans la mesure où la question de l’impact de l’accompagnement peut être étudiée en abordant à la fois la production des contenus (les savoirs) et les modalités d’interaction (les relations), tout en prenant en compte la problématique de cognition de l’entrepreneur dirigeant de PME.

Le cadre de la réflexion étant posé, nous souhaitons maintenant étudier plus en avant les enseignements relatifs à la nature et au mode de construction des savoirs, puis à la relation, dans le processus d’accompagnement des propriétaires-dirigeants de PME.

1.2. Nature et construction des savoirs des entrepreneurs dirigeants de PME dans le processus d’accompagnement

Se référant à une conception piagétienne de l’apprentissage, l’entrepreneur dirigeant va mobiliser deux facultés face à une situation appelant un changement : l’assimilation et l’accommodation (Piaget, 1996 ; Piaget et Inhelder, 2006).

L’assimilation permet d’intégrer une situation nouvelle aux anciennes structures, parce que cette situation présente suffisamment d’éléments reconnaissables pour la structure cognitive de l’individu. Cela revient donc à transformer « l’autre » en « même » et positionne l’acteur dans une situation sereine d’adaptation à la problématique, car relativement connue. Cette fonction semble se rapprocher du changement de type 1 énoncé par Watzlawick (1974), où par une recombinaison des moyens, l’acteur change de stratégie, sans remettre en cause les schémas fondamentaux sur lesquels il fonctionne. Le changement reste alors, dans cette hypothèse, marginal.

L’accommodation transforme quant à elle le processus d’assimilation en raison des limitations ou des obstacles que l’individu rencontre, et se traduit par la capacité de l’individu à désorganiser sa connaissance, pour intégrer une nouvelle situation rencontrée. S’agissant là de l’aspect dynamique de l’adaptation cognitive de l’individu, l’état de la structure antérieure n’est pas détruit ou remplacé par le nouvel état, mais remodelé pour pouvoir s’ajuster efficacement au contexte. L’accommodation semble se rapprocher du changement de type 2 énoncé par Watzlawick (1974), qui suppose pour l’acteur une remise en cause de ces cadres et schémas fondamentaux. Le changement est alors plus fondamental.

Dans la conception piagétienne, assimilation et accommodation ne peuvent être dissociées et constituent les deux pôles fonctionnels de toute adaptation. Tel que présenté par Vassileff (1992), le rapport d’adaptation est une démarche répétitive, dans la mesure où il mobilise chez l’individu toujours le même type de compétences, quelles que soient la nature et la singularité de l’environnement auquel il doit s’adapter. Il lui permet d’identifier et d’intégrer les repères que l’environnement lui présente comme essentiels et d’en faire l’ossature de son propre système de vie. Fonctionnant par assimilation face à des situations suffisamment reconnaissables, ou désorganisant une partie de sa connaissance pour intégrer les éléments de situations nouvelles à ses schèmes d’assimilation, l’entrepreneur dirigeant de PME s’adapte par intériorisation d’un système de valeurs hétérofinalisées. Les pratiques d’accompagnement peuvent rester uniformes, puisque l’entrepreneur dirigeant reste relativement confiné et centré autour de son propre système cognitif (représentations, valeurs, type d’apprentissage…).

En proposant un modèle général d’intelligibilité du fonctionnement individuel, les travaux de Piaget (1996) introduisent l’idée de transformation des savoirs de l’acteur dans l’action. Cela signifie que dans le cadre de projets de développement organisationnel, les savoirs de l’entrepreneur dirigeant de PME sont amenés à évoluer. Pour Argyris (2003), dans l’action, l’individu fait référence à une théorie dite « théorie d’usage ». L’auteur identifie alors deux types de théories d’usage dites de modèle 1 et de modèle 2, caractérisées par des valeurs directrices et des stratégies d’action qui en découlent. Les théories d’usage relevant du modèle 1 ont toutes les chances d’aboutir à des raisonnements et routines défensifs, au malentendu et à des processus auto-réalisateurs et auto-justificateurs. Ainsi, la référence aux théories d’usage de modèle 1 conduirait dans l’organisation[1], à ce qu’Argyris et Schön (2002) appellent un apprentissage en simple boucle. Il s’agit d’un apprentissage opérationnel qui modifie les stratégies d’action ou les paradigmes qui sous-tendent ces stratégies, en ne modifiant pas pour autant les valeurs de la théorie d’action. Les stratégies d’action qui découlent des théories d’usage de modèle 2 sont différentes, et amènent à limiter les raisonnements et routines défensifs, par l’usage de raisonnements constructifs. La référence à ces théories conduirait dans l’organisation, à ce qu’Argyris et Schön (2002) appellent un apprentissage en double boucle. Suite à l’expérience vécue, la PME peut être amenée à questionner les valeurs directrices sur lesquelles elle se fonde. L’apprentissage en double boucle induit donc un changement des valeurs de la théorie d’usage, mais aussi des stratégies d’action et de leurs paradigmes. Le changement peut alors être consécutif ou simultané au changement de valeurs.

Jusqu’ici notre réflexion se limite à la construction du savoir de l’entrepreneur dirigeant pour s’adapter à des situations nouvelles. Or, l’objectif de la plupart des programmes d’accompagnement – en particulier ceux qui parlent d’innovation ou d’internationalisation des PME – est également de contribuer à faire évoluer les schémas de référence de l’entrepreneur dirigeant pour stimuler son passage à l’acte en matière de développement de son organisation.

Il s’agit donc également d’accompagner le dirigeant dans la projection de ce savoir. Pour Vassileff (1992), la capacité de projection se décrit comme le symétrique inverse de la capacité d’adaptation. L’acteur se projette dans son environnement, « il prend en lui quelque chose et le projette, le jette devant lui ». La projection est ainsi entendue comme l’extériorisation d’un système de valeurs auto-finalisé ; « elle consiste à donner du sens à ses actes […] à partir de ses propres valeurs, de ses propres conceptions ». Dès lors, l’accompagnement est à visée éducative. Le conseiller accompagne de manière contingente le sujet dans la construction de son projet. Ainsi, si le rapport d’adaptation est répétitif, le rapport de projection est extensif. Se projeter, c’est produire ses propres repères. L’environnement s’en trouve alors modifié, certes, dans une mesure très partielle, mais suffisante pour permettre le développement de nouvelles projections, entraînant à leur tour d’autres modifications de l’environnement.

L’introduction du couple adaptation/projection permet alors l’élaboration de ce que Vassileff (1992) appelle une définition opérationnelle de l’autonomie. En ce sens, la compétence issue du rapport d’adaptation (identification et intégration des repères essentiels de l’environnement) va servir l’affirmation et l’implantation dans l’environnement des repères personnels produits par celui qui se projette. Le travail de l’accompagnant vers l’entrepreneur dirigeant de PME va donc être de l’amener à développer sa capacité de projection. Pour Vassileff (1992), il s’agit de le mettre « en situation de se projeter ».

Ainsi, selon que le but est de rompre significativement avec la situation antérieure ou selon que l’ambition reste limitée et localisée à un changement périphérique, marginal des savoirs, de même, selon que les propriétaires-dirigeant de PME se situent dans une phase d’adaptation ou de projection de leur savoir, nous distinguons donc que la démarche d’accompagnement ne va pas être la même. Notre propos n’est pas de préconiser l’une ou l’autre posture d’accompagnement, ni même de les opposer. Au terme de ce paragraphe, il s’agit de fournir un éclairage complémentaire de la construction du savoir de l’entrepreneur dirigeant de PME dans l’accompagnement sur le continuum ouvert, d’intériorisation de savoirs de nature hétéro-finalisée et d’extériorisation de savoirs de nature auto-finalisée. La figure 1 propose une représentation de ce continuum :

Figure 1

Nature et construction des savoirs du propriétaire-dirigeant de PME dans le processus d’accompagnement

Nature et construction des savoirs du propriétaire-dirigeant de PME dans le processus d’accompagnement
Source : auteurs

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Le rapport de prescription d’Hatchuel (2001) se basant sur le principe de non-séparabilité des savoirs et des relations, dans le paragraphe suivant, nous proposons d’aborder les enseignements relatifs à la nature et à la construction de la relation dans le processus d’accompagnement.

1.3. Nature et construction de la relation d’accompagnement des entrepreneurs dirigeants de PME

Pour Hatchuel (2001), l’opérateur relation se définit comme tout lien que A ou B peut établir entre le savoir de A et celui de B. Une relation est donc à la fois un savoir sur ce qui « relie » des acteurs et une condition pesant sur les savoirs détenus par chacun. Ramenés à notre problématique, les propos d’Hatchuel (2001) conduisent à envisager la double relation que l’accompagnant entretient avec l’entrepreneur et que l’entrepreneur entretient avec l’accompagnant. Dans les deux cas, il s’agit de rendre intelligible le savoir des acteurs dans la relation.

Pour Bernoux, Amblard, Herreros et Livian, (1996), en effet, les acteurs d’une situation quelconque ne peuvent se retrouver en convergence autour d’une situation de changement, qu’à partir du moment où cette situation est traduite. La traduction peut ainsi être introduite comme une opération permettant d’établir un lien d’intelligibilité entre des activités hétérogènes ; ici entre celle de l’entrepreneur dirigeant de PME qui se caractérise par sa vision, et celle de l’accompagnant qui doit comprendre cette vision pour adapter au mieux son intervention.

Pour rendre intelligibles ces activités, Bernoux et al. (1996) mettent en exergue une phase préalable, qui consiste à problématiser. Cela permettrait de faire passer l’accompagnant et l’entrepreneur dirigeant de PME, d’une position singulière et isolée, à une acceptation de coopération. Pour Schmitt, Fick et Laurent (2007), si beaucoup de dispositifs d’accompagnement existent aujourd’hui pour soutenir l’entrepreneur dans ses projets, il reste que l’approche de ces derniers reste souvent limitée à la résolution de problèmes, alors que l’entrepreneur a besoin de construire ces problèmes (Schmitt et Bayad, 2006). Ainsi, bien souvent les entrepreneurs ne passent pas par cette étape de problématisation. Schmitt, Fick et Laurent (2007) proposent ainsi d’aborder les deux perspectives de manière complémentaire. La problématisation permettrait de passer d’une idée quelconque à la conception d’un projet de développement, et la résolution de problèmes amènerait l’entrepreneur dirigeant à formaliser sa réflexion sur le terrain.

La traduction des savoirs dans le processus d’accompagnement reste cependant complexe dans la mesure où nous avons deux publics aux comportements et aux pratiques totalement différents (Sammut, 1998). La difficulté repose ainsi sur la création et le développement d’un langage commun, que Schmitt (2005) appelle le langage « projet entrepreneurial », alors que l’accompagnant et l’entrepreneur dirigeant de PME parlent souvent des langages « différents » et notamment des langages « métier ». À la lumière de ce paragraphe, nous conviendrons donc aisément que la traduction des savoirs dans la relation d’accompagnement suppose que dans leurs interactions, l’accompagnant et l’entrepreneur dirigeant de PME puissent parler un langage commun et trouver un objectif commun.

Dans ce cadre, les notions de dialogue et de discussion semblent intéressantes à aborder. Dans la lignée de Bohm (1996), Audet (2007) propose une définition du dialogue. Il s’agit d’une pratique collective, qui vise la compréhension plutôt que la décision et qui repose sur l’échange, l’écoute, l’observation et l’exploration des suppositions de base et de leurs conséquences sur nos actions et notre façon d’interagir avec les autres. La pratique du dialogue permet ainsi d’explorer et de comprendre des enjeux complexes grâce à la diversité des points de vue et la création d’un espace où les participants peuvent ralentir leur pensée et échanger ouvertement et librement.

Ce faisant, le dialogue est un mode de conversation particulier où les participants déploient des qualités de respect, d’empathie et de réciprocité ; par le dialogue, l’accompagnant et l’entrepreneur dirigeant de PME essaient de comprendre plutôt que de juger. Puis, le dialogue est un mode de questionnement associé à l’introspection, aux prises de conscience, ainsi qu’à des qualités d’ouverture et de courage. Il permet également la création d’un sens commun, puisqu’il s’établit au-delà du simple partage des points de vue différents. Enfin, le dialogue peut être assimilé à une médiation, incluant certes les aspects cognitifs de l’expérience du moment, mais aussi les émotions et les réactions des individus en relation.

Les notions de dialogue et discussion font souvent l’objet de confusions, alors qu’elles sont bien distinctes. Le dialogue permettrait de comprendre les problèmes dans une réunion par exemple ; ce faisant, il est de nature exploratoire et divergente. Alors que la discussion conduit à des décisions d’actions immédiates ; en ce sens, elle est de nature convergente et décisionnelle. La distinction entre la discussion et le dialogue repose donc principalement sur la nature de la conversation.

La relation d’accompagnement s’éclaire alors selon l’approche mobilisée, mais aussi selon la nature des échanges dans l’activité communicationnelle. Une approche centrée sur la résolution de problèmes semble conduire à des schèmes de conversation de l’ordre de la discussion. Une approche favorisant la construction de problèmes s’appuierait, quant à elle, davantage sur une pratique communicationnelle basée sur le dialogue. Encore une fois, notre propos n’est pas de préconiser l’une ou l’autre posture d’accompagnement, ni même de les opposer. La figure 2 montre que l’interaction entrepreneur dirigeant de PME et accompagnant se construit sur un continuum ouvert, de relation de nature convergente et décisionnelle, et de nature divergente et exploratoire :

Figure 2

Nature et construction de la relation dans le processus d’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME.

Nature et construction de la relation dans le processus d’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME.
Source : auteurs

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Au terme de cette première partie, nous comprenons bien que l’impact de l’accompagnement n’est pas seulement dépendant de l’apport de contenus techniques, mais aussi de la capacité de l’accompagnant à comprendre la vision, les représentations et les modes d’apprentissage des propriétaires-dirigeants de PME, pour adapter l’usage des démarches prescrites à l’organisation, tout comme son approche et ses comportements. C’est ainsi qu’il est légitime dans son action. Il nous semble que le principe de non-séparabilité des opérateurs savoir et relation, et le rapport de prescription qui en découle, offrent un cadre intéressant pour comprendre les risques de défaillance et les conditions de succès de l’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME en situation de changement.

Cette première partie a ainsi fourni une représentation des continuums ouverts de l’accompagnement, sur lesquels se construisent des savoirs et des relations de nature différente en fonction des situations et des besoins. Elle offre un certain nombre d’enseignements amenant à réfléchir sur l’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME. Ainsi, après avoir présenté le contexte de la recherche, nous proposons dans la suite de cet article d’interroger et de commenter les modalités de fonctionnement d’un programme d’accompagnement de PME à fort potentiel de croissance : « France Investissement. LeClub ».

2. Contexte et méthodologie de la recherche

Sur le plan méthodologique, notre choix s’est porté, sur une approche qualitative s’appuyant sur une étude de cas. Cette démarche est destinée à nous éclairer sur le processus de création et de mise en oeuvre d’un programme d’accompagnement de PME à fort potentiel, dans lesquelles des fonds venaient d’être investis.

Le cas est le suivant : en 2006, les pouvoirs publics lancent en France un dispositif public-privé « France Investissement », pour financer par des investissements en capital la création et le développement de PME à fort potentiel de croissance[2]. En 2007, les initiateurs de « France Investissement » souhaitent que soit mis en place un programme de soutien destiné à accompagner les dirigeants de ces entreprises, afin de compléter et d’optimiser l’investissement financier effectué. C’est dans ce contexte que sera conçu le programme d’accompagnement « France Investissement. LeClub »[3].

Il s’agit d’une étude centrée sur un cas bien défini comme système délimité, avec un grand respect des principes de contextualisation. Notre objectif était bien la « recherche de la compréhension, de l’analyse du sens donné par les acteurs eux-mêmes » (Dumez, 2011). Ce choix méthodologique « pouvant mobiliser différents outils allant de l’observation, l’intervention, les entretiens aux modèles formels et méthodes quantitatives » permet en effet, comme le suggère Hlady Rispal (2002) de saisir le sens subjectif et intersubjectif d’une activité humaine concrète, à partir des perceptions et actions des différents acteurs en présence, ainsi que la découverte de causalités récursives, essentielles pour nous dans le cadre d’une analyse des apprentissages générés dans la relation d’accompagnement de projets de développement de PME. Le recours à une observation fine des usages des acteurs économiques est alors préférable à une démarche plus distante.

Notre position a été une position d’observation participante pendant la phase de création du programme de France Investissement sur une période de dix mois, à hauteur d’une réunion d’une demi-journée par mois, complétée par quatre « interviews » avec les opérateurs après le lancement du programme d’accompagnement, portant sur les contenus adoptés et les modalités de mise en pratique. Ce choix d’observation combinée à des « interviews » était pertinent dans la mesure où nous avions besoin de collecter des données sur la façon dont se construisait le programme, sur les objectifs des initiateurs et sur les avis posés par les membres du comité de pilotage. Les acteurs en présence étaient préoccupés par la création du programme, et son efficacité dépendait de cette capacité à le créer. En revanche, ces acteurs ne disposaient pas des connaissances/compétences permettant d’apprécier les dimensions cognitive et relationnelle de l’accompagnement de l’entrepreneur dirigeant de PME (ces modalités d’apprentissage notamment). Il était donc intéressant que nous puissions être « à l’intérieur du groupe » pour pouvoir collecter les informations, sans que les questions ne soient forcément traitées directement, et pour ainsi dépasser la non-verbalisation des questions qui nous intéressaient.

Cette observation, chronophage comme toute observation participante (Olivier de Sardan, 2008), a été rendue possible grâce à notre intégration dans ce comité au titre d’expert des questions d’internationalisation de PME et à nos travaux sur les processus d’accompagnement des PME. Le fait que nous soyons deux chercheurs, l’un intégré dans le comité de pilotage et l’autre pas, ayant déjà travaillé sur l’approche théorique et le cadre conceptuel d’Hatchuel (2001) et par ailleurs oeuvré dans des Chambres consulaires françaises pour la mise en oeuvre de programmes d’accompagnement, nous a permis de garder le recul nécessaire à l’observation et de respecter une triangulation de données. Nous avons, comme le recommande Hlady Rispal, beaucoup lu, « avec la volonté de trouver des correspondances entre données observées et concepts théoriques susceptibles d’apporter un éclairage sur nos propres commentaires, une aide à la compréhension de la réalité observée » (Hlady Rispal, 2009). Nous avons ainsi participé à l’ensemble des réunions qui se sont déroulées avant le lancement du programme, au sein d’un groupe composé d’acteurs très différents : dirigeants de PME, investisseurs, responsables de projets entrepreneuriaux, institutionnels et chercheurs. L’objectif était de clarifier les objectifs d’un tel programme et de proposer un contenu pour celui-ci.

Le point de départ était le suivant : d’une part, des entrepreneurs propriétaires-dirigeants de PME pris dans un rythme de croissance pouvant dépasser leur savoir-faire et leurs compétences, manquant de temps pour trouver toutes les solutions dont ils ont besoin quasi quotidiennement, mais aussi de recul pour identifier, reconnaître et analyser les problématiques de développement de leurs organisations si rapidement mouvantes (Mustar, 2001 ; Garnsey et Heffernan, 2003) ; d’autre part, des institutionnels préoccupés par leur propre gouvernance, exigeant des résultats en termes de nombre d’entrepreneurs acceptant de s’inscrire au programme et satisfaits de l’avoir fait. Il y avait donc un double enjeu : la demande puissante d’une capacité d’apprentissage (assimilation et accommodation [Piaget, 1996 ; Piaget et Inhelder, 2006], changement de type 1 et 2 [Watzlawick, 1974]) d’une part, et la nécessité de créer une satisfaction rapidement pour justifier de la mise en place du programme d’autre part. Pour les entrepreneurs, les questions cruciales de l’innovation et de la commercialisation (domestique et internationale) nécessitent des décisions parfois banales et rapidement opérationnelles, mais parfois stratégiques, à insérer dans des trajectoires qui peuvent être très diverses (Mustar, 2001) et souvent remises en question, sans pouvoir s’appuyer sur aucune routine. Les questions des premières réunions du comité de pilotage ont ainsi porté sur le dilemme en termes de savoir et de relation suivant :

  • le programme d’accompagnement doit-il produire des savoirs permettant aux dirigeants de PME de s’adapter rapidement pour résoudre des problèmes existants dans une relation de nature convergente et décisionnelle ?

  • ou doit-il aider ces derniers à construire les problèmes autrement pour se projeter dans des situations de changement et devenir autonomes, ceci dans le cadre d’une relation de nature exploratoire et divergente ?

Nous proposons dans la dernière partie de présenter les résultats de la recherche.

3. Présentation des résultats

Au final, après onze réunions et après intégration des différentes propositions de chaque acteur, le programme propose deux types d’actions :

  • les unes orientées vers des apports de type technique, directement liés à des questions explicites et supposant des réponses d’expert ;

  • les autres orientées vers des apports orientés « mise en réseau ».

Nous avons en effet noté, au cours des différentes réunions, une propension des différents acteurs à argumenter pour le développement de savoirs propres à leur expertise et orientés vers le développement de contenus techniques, alors que les concepteurs du programme étaient attentifs à écouter les experts, mais aussi à prendre en compte le besoin d’appartenance à un réseau et de reconnaissance des dirigeants concernés.

3.1. Construction des savoirs de type technique des entrepreneurs dirigeants et nature de la relation d’accompagnement dans le programme France Investissement

En termes de résultats sur le plan de la création du programme, différents apports techniques ont été proposés puis mis en oeuvre plus ou moins longuement dans le temps. Les quatre « outils » principaux permettant aux entrepreneurs dirigeants de construire des savoirs techniques sont :

  • Un plan « Vigicash », destiné à améliorer la rentabilité de l’entreprise en menant des actions prioritaires pour gérer la trésorerie à court et long terme avec l’intervention d’une équipe spécialisée.

  • Un programme AFAQ 1000NR, destiné à évaluer l’ensemble de la problématique développement durable (performances en matière de responsabilité sociétale, résultats environnementaux, sociaux, économiques).

  • Un outil de diagnostic PDG® (développé par l’Institut de recherche sur les PME au Québec) sur la performance et la vulnérabilité globales de la PME, à partir de l’évaluation des pratiques dans les différentes fonctions. L’objectif de cet outil est de formaliser pour les dirigeants l’état de leur vulnérabilité, et de les aider ainsi à mieux expliciter leurs besoins d’appui « fonctionnel » et à mettre des priorités sur leurs actions correctives.

  • Des interventions personnalisées d’experts en stratégie(Strategies Keys), pour aider les dirigeants à approfondir et optimiser la stratégie de leur entreprise.

En termes d’analyse en lien avec notre approche théorique, les apports techniques sont pour le plan « Vigicash » et le programme AFAQ 1000NR, le support de nouveaux savoirs pour le modèle existant de l’entreprise, et peuvent en améliorer la gestion et optimiser les capacités de financement apportées par France Investissement. Leur objectif vise une forme d’assimilation, qui permet d’intégrer des situations nouvelles à l’entreprise, sans toutefois remettre en cause ses schémas fondamentaux (Gallais et Bayad, 2010). Ils sont explicites, faciles à évaluer, et facilement intégrables dans le fonctionnement actuel des entreprises. Ces savoirs de type technique contribuent à ce que l’entrepreneur dirigeant de PME s’adapte plus facilement et plus rapidement à des situations nouvelles, en générant des routines, c’est-à-dire en mobilisant toujours le même type de compétences.

La relation d’accompagnement est de nature plutôt convergente et décisionnelle. Les outils prescrits par l’accompagnant relèvent d’avantage de démarches de résolution de problèmes et conduisent à des décisions d’action immédiate, en termes de gestion de la trésorerie pour le plan « Vigicash » ou de problématiques de développement durable pour le programme AFAQ 1000NR.

En termes d’impact de l’accompagnement, les entrepreneurs dirigeants de PME du programme France Investissement semblent mieux armés pour s’adapter à des situations nouvelles de développement de leur entreprise, face aux problématiques de gestion de trésorerie ou à celles de développement durable. Il y a là un apport de type managérial contribuant à l’amélioration de l’efficacité des entreprises avant tout sur des points opérationnels.

Les interventions touchant à l’élaboration d’un diagnostic PDG ou de conseils personnalisés en stratégie d’entreprise sont quant à elles davantage orientées vers une forme d’accommodation. Leur logique est celle d’une réflexion pouvant aboutir à la validation ou à la complète remise en cause du modèle d’affaires actuel, non pas dans sa forme existante pour le présent, mais dans ce que les conditions du développement peuvent imposer par la suite. Il y a dialogue autour de l’existant, pour construire le cadre de développement et élaborer les questions que pose ce dernier. La relation d’accompagnement est plutôt de nature divergente et exploratoire dans la mesure où elle contribue à ce que l’entrepreneur dirigeant comprenne mieux les termes du problème et construise ce dernier.

3.2. Construction des savoirs orientés « mise en réseau » des entrepreneurs dirigeants et nature de la relation d’accompagnement dans le programme France Investissement

Des sessions de formation thématiques (gestion de ressources humaines, développement commercial, stratégie internationale, financement de la croissance…) sont également proposées aux entrepreneurs dirigeants de PME.

Elles se déroulent sous forme de séminaires résidentiels, et visent à la fois l’apport de contenus de haut niveau, mais aussi la création de réseaux. Les entrepreneurs dirigeants qui s’inscrivent sont invités à se rendre pendant 48 heures sur un site « légitime » en matière de connaissances tant académiques que managériales autour d’une thématique donnée (gestion de ressources humaines, développement commercial, stratégie internationale…). Le principe pédagogique de chaque module proposé s’appuie sur « l’apprentissage par le détour » : présentations théoriques courtes, cas pratiques et échanges autour des problématiques des dirigeants d’entreprise avec des réflexions/débats. Certaines interventions apportent une vision décalée des organisations : philosophe, astronaute, chef d’orchestre se succèdent pour présenter différentes idées liées au développement, sans forcément partir de l’entreprise ni s’y raccrocher directement. Leurs propos sont retranscrits sur le site de France Investissement. LeClub. Les affirmations sont parfois provocantes : « La relation à l’autre nous perturbe, nous interroge, elle remet en cause nos certitudes, elle nous dérange, elle nous fracture parfois. En réalité, nous en avons peur, nous sommes inquiets face aux contradictions qui pourraient nous être opposées. Nous n’apprenons plus à être en relation. Un chef d’entreprise a le devoir de s’exposer » (J.P. Farges, écrivain, site France Investissement, intervention du 18 octobre 2011). Certaines questions conduisent à prendre du recul : « Un orchestre peut-il se passer de son chef ? » (question posée à Michel Podolak, musicien) ; « Le recours à l’imaginaire, c’est quelque chose d’important pour un astronome ? » (question posée dans le cadre de l’Université des dirigeants FSI France Investissement sur le thème des révolutions scientifiques à Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche au CNRS, astrophysicien à l’observatoire de Paris-Meudon).

Le responsable du programme d’accompagnement accompagne et organise toute la durée du séminaire. Les temps intermédiaires (accueil, repas, petits déjeuners, pauses) sont utilisés pour la mise en relation et la création du réseau « France Investissement. LeClub » au sein duquel nous pouvons observer des dialogues autour de l’activité managériale. Y sont notamment exprimées des situations qui peuvent être remises en questionnement, malgré les évidences dont elles semblent découler. Le responsable du programme d’accompagnement y joue alors le rôle d’animateur et traducteur, contribuant à la problématisation, mais aussi au partage d’un langage commun dans les dialogues.

Nous comprenons là que, plus qu’un simple apport sur la thématique choisie, il s’agit de faire entrer les acteurs dans une relation de dialogue ouvrant sur de nouvelles perspectives voire un nouveau modèle de gestion, soutenu par des représentations différentes, car élaborées à partir d’avis divergents, sans volonté décisionnelle immédiate, en acceptant des niveaux de complexité forts. La participation d’un chef d’orchestre ou d’un pilote d’avion peut illustrer cette volonté d’apporter dans ces groupes une vision « hors cadre » propice à la désorganisation des connaissances existantes et à un réaménagement tournant autour de la gestion de la croissance.

Si les apports techniques sont faits par des intervenants extérieurs et de façon ponctuelle, au-delà de la légitimité institutionnelle de la Caisse des dépôts et de France Investissement, se développe alors une relation de confiance propice à désamorcer les routines défensives s’opposant à des apprentissages durables et efficaces. Les entrepreneurs dirigeants de PME et responsables de projets entrepreneuriaux impliqués dans le programme d’accompagnement semblent alors à même de pouvoir se projeter dans des situations nouvelles de développement de leur entreprise. C’est à partir des données qui leur sont proposées que se met en place une démarche d’assimilation, mais l’installation dans un temps suffisant, la formule « en résidence », la présence de pairs et d’experts développent la confiance et autorisent la problématisation, ainsi que la construction de questionnements et la remise en cause des schémas existants. Là où les différents acteurs peuvent mobiliser des langages différents, ce côtoiement permet aussi la mise en place d’un vocabulaire commun qui va rendre intelligibles à tous des activités différentes.

4. Discussion et conclusion

Dans cet article, nous avons cherché à développer le principe d’adaptation des programmes d’accompagnement en réponse à l’écho défavorable fait à ces derniers. En s’appuyant sur le concept de rapport de prescription d’Hatchuel (2001), nous avons ainsi proposé une représentation des continuums ouverts de l’accompagnement, au sein desquels accompagnants et entrepreneurs-dirigeants de PME interagissent, et sur lesquels se construisent des savoirs et des relations de nature différente, en fonction des situations et des besoins.

L’analyse du programme d’accompagnement « France Investissement. Le Club » a montré qu’il était important de fournir aux entrepreneurs dirigeants de PME à fort potentiel, des savoirs techniques contribuant à leur processus d’apprentissage par assimilation-accommodation des savoirs et de fait, à développer leurs capacités d’adaptation face à des situations nouvelles. Ceci dans une relation avec l’accompagnant, qui peut être de type convergent et décisionnel ou de type divergent et exploratoire, suivant qu’il s’agisse de situations appelant des décisions d’action immédiate ou de situations nécessitant avant toute chose de mieux se représenter les problèmes. L’analyse de ce cas montre aussi que pour soutenir la projection des savoirs de l’entrepreneur dirigeant de PME dans des situations nouvelles et son autonomisation, au-delà de savoirs techniques, les programmes d’accompagnement doivent également favoriser la mise en réseau de ces derniers. En effet, au sein du réseau « France Investissement. Le Club » les entrepreneurs dirigeants de PME questionnent leurs activités managériales, ouvrant ainsi sur des apprentissages efficaces et durables. Bien plus qu’un expert qui agit dans une relation unilatérale de conseil aux entrepreneurs dirigeants de PME, l’accompagnant joue alors le rôle d’animateur et traducteurs de ces dialogues, mais surtout celui de catalyseur des apprentissages.

À la question « pour avoir un impact plus conséquent, les programmes d’accompagnement doivent-ils développer des savoirs ou des relations ? », nous répondons en reprenant le principe d’inséparabilité de ces opérateurs proposés par Hatchuel (2001). Il est en effet pertinent dans la mesure où la question de l’impact de l’accompagnement doit être abordée en traitant à la fois de la production des contenus (les savoirs) et des modalités d’interaction (les relations), tout en prenant en compte la problématique de cognition de l’entrepreneur dirigeant de PME.

En interrogeant les pratiques d’accompagnement des entrepreneurs dirigeants de PME, cet article a pour objectif de proposer un regard novateur sur la notion d’accompagnement et d’inciter les accompagnants à adopter une vision élargie de leur mission. Cette perspective se veut complémentaire des approches plus classiques. L’étude du programme d’accompagnement « France Investissement. Le Club » est intéressante, car elle montre que l’accompagnant peut sortir de cette relation unilatérale d’expert pour aller vers une relation d’animateur, traducteur et de catalyseur des apprentissages, dans le cadre de réseaux. L’entrepreneuriat est source de croissance (Isenberg, 2011). Pour se développer, l’entrepreneur dirigeant de PME doit en effet pouvoir s’appuyer sur un écosystème entrepreneurial favorable. Nous nous référons en ce sens à la stratégie d’écosystème entrepreneurial d’Isenberg (2011). Au coeur de cette stratégie, six domaines (politiques favorables, marchés, capital, compétences, culture et accompagnement) interagissent et fonctionnent selon le principe d’un cercle vertueux, contribuant de fait au développement de l’entrepreneuriat.

Un enjeu du programme France Investissement était d’accompagner les dirigeants de PME à forte croissance ayant obtenu des financements, pour leur donner les moyens d’aborder de façon plus ouverte et plus efficace leurs problématiques de développement. Notre recherche montre que, de façon assez intuitive et/ou supportée par l’expérience des concepteurs du programme, la mise en oeuvre du programme s’est faite autour des axes d’assimilation (via des substrats techniques décrits précédemment), mais aussi d’un axe de projection vers des situations nouvelles. C’est à partir de notre approche théorique centrée sur les apports d’Hatchuel (2001), que nous pouvons expliciter ce qui a été fait et mieux comprendre pourquoi l’accumulation de contenus (par exemple sur les stratégies innovantes ou sur la nature des marchés internationaux) aboutit à des résultats décevants en matière d’intérêt et d’appropriation des dispositifs proposés, et pourquoi l’apport de solutions à des questions non problématisées reste insuffisant pour autoriser des changements conséquents. Aucun membre du comité de pilotage n’était en mesure de cadrer a priori la question des modalités d’apprentissage, en revanche, tous étaient proches, quel que soit leur statut, de l’univers de la gestion. Or, il semble a posteriori, que les deux types d’actions proposées correspondent d’une part, à des processus d’intériorisation de hétérofinalisés, et d’autre part, à des processus d’extériorisation et de projection de savoirs autofinalisés. Mais, la formulation ne pouvait être celle-ci, les acteurs en présence n’ayant pas de cadre théorique approprié. Cette question est d’importance, elle revient à suggérer aux animateurs de programmes d’accompagnement d’intégrer des experts de l’apprentissage dans leur temps de réflexion autour des contenus.

Cet exposé autorise aussi, notamment pour les organismes d’accompagnement, une meilleure compréhension des différentes conditions de réussite d’un accompagnement de PME, et permet de revenir sur la préférence donnée à l’amélioration ou la multiplication de contenus qui améliorent la gestion sans toutefois donner la capacité à reconfigurer l’entreprise en cas de besoin (ou d’anticipation de besoin). Comme suggéré dans le concept d’inséparabilité des savoirs et des relations, il est souhaitable pour compléter ces apports, d’intégrer la complexité du processus d’apprentissage et les particularités de la place de l’entrepreneur dirigeant de PME.

Une limite de notre recherche est le traitement d’un cas unique comme nous l’avons évoqué dans la question méthodologique, mais aussi la nature et l’objectif expérimental de ce cas. Tous les programmes d’accompagnement ne sont pas construits et mis en oeuvre avec autant de ressources humaines et financières que celui que nous avons étudié dans le cas de France Investissement. Pour autant, l’apport sur le plan théorique peut mobiliser l’attention d’organismes plus généralistes, du type par exemple des chambres de commerce, pour prendre en compte les modalités de construction des savoirs, et intégrer de nouvelles compétences, via de la formation ou via des recrutements plus orientés sur la transmission et l’appropriation des savoirs que sur les savoirs eux-mêmes.

Enfin, et par voie de conséquence, nous avons aussi noté que, sur le plan managérial, il est utile pour les entrepreneurs de gérer la croissance en améliorant leurs savoir-faire sans toutefois survaloriser les apports techniques. Ces derniers peuvent être totalement ou partiellement délégués, laissant une plus grande disponibilité à la projection des savoirs. C’est à partir de ce processus qu’ils peuvent identifier les nouveaux repères des environnements mouvants et intégrer leurs stratégies dans ces nouveaux repères, à partir de représentations innovantes.