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Introduction

Au moment où la volonté des pouvoirs publics est de renforcer le poids des entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans le tissu économique français, il convient de s’interroger sur le mode de financement des PME en croissance qui constitue le vivier naturel des ETI. Au demeurant, cette orientation suppose une bonne identification des problèmes de ce type d’entreprises qui nécessite de prendre en compte l’hétérogénéité qui les caractérise (St-Pierre et Fadil, 2011). Pour appréhender le besoin de capitaux propres des PME en croissance, nous avons utilisé la capacité d’autofinancement disponible [capacité d’autofinancement – flux d’investissement – variation du besoin en fonds de roulement (BFR)] qui donne une mesure des besoins non couverts par les ressources financières internes[1].

La recherche de capitaux propres par les PME en croissance est généralement présentée comme un impératif (Watson, 2006 ; Westhead et Storey, 1997 ; Gregory, Rutherford, Oswald et Gardiner, 2005). Il s’agirait de réunir les ressources financières nécessaires au rétablissement de l’équilibre de la structure financière afin d’éviter la saturation de la capacité d’endettement (Higgins, 1981). C’est l’approche traditionnellement présente dans la littérature. Ce faisant, la demande de capitaux propres émanant des PME en croissance apparaît comme la conséquence mécanique de l’incapacité de l’entreprise à financer par ses ressources financières internes les besoins générés par la croissance (investissements et augmentation des besoins en fonds de roulement) (Carpenter et Petersen, 2002).

Il convient cependant de se demander si la non-couverture des besoins par les ressources financières internes est la seule raison qui conduit une PME en croissance à rechercher des capitaux propres (Seville et Wirtz, 2010). Cette interrogation a notamment pour fondement la prise en compte de la préoccupation de dirigeants de PME en croissance de se doter d’une marge de manoeuvre financière en vue de saisir les opportunités d’investissement susceptibles d’apparaître dans le futur (George, 2005 ; Barbero, Casillas et Feldman, 2011). Dès lors, la demande de capitaux propres n’aurait plus pour seule origine un impératif financier, mais résulterait aussi de la volonté du dirigeant animé par une démarche proactive de maîtrise du futur (Marchica et Mura, 2010 ; Myers et Majluf, 1984 ; Julien, St-Jean et Audet, 2006).

L’étude porte sur une population de 2 161 PME en croissance localisées en Rhône-Alpes réalisant un chiffre d’affaires compris entre 2 et 50 millions d’euros. Il ressort de l’étude trois profils d’entreprises ayant recouru à une levée de capitaux propres. L’étude fait notamment ressortir un besoin de capitaux propres jusqu’alors non identifié et montre que, même en l’absence de contraintes financières, il existe une demande de capitaux propres associée à une forte croissance de l’activité. Cette demande répondrait à un besoin de précaution alimenté tant par une volonté des dirigeants de se prémunir contre les risques de déstabilisation inhérents au processus d’hypercroissance que par un souci de sauvegarder une marge de manoeuvre afin d’être réactif en présence d’opportunités de croissance.

La mesure ex post du besoin de financement met en évidence la dualité du besoin de capitaux propres selon que ce besoin est appréhendé ex ante en univers d’incertitude ou mesuré ex post à partir des comportements réels.

L’éclairage par grandes variables permet de caractériser les entreprises qui lèvent des capitaux propres par rapport à celles qui n’en lèvent pas, mais aussi d’affiner l’analyse selon l’existence ou non d’un besoin de financement. Le rôle de la taille, de l’export, du profil de croissance, de l’innovation, de l’intensité capitalistique et des caractéristiques économiques et financières (structure de financement, performance) est ainsi souligné.

Après une revue de la littérature consacrée au financement des PME en croissance (1), nous présentons l’intérêt d’utiliser la CAF disponible (CAFD) pour caractériser le besoin de financement des PME en croissance de Rhône-Alpes (2). La mesure ex post du besoin de financement permet d’appréhender le comportement des PME en matière de levées de capitaux propres (3) et de l’analyser (4 et 5). Le dernier point (6) synthétise et discute les résultats obtenus.

1. Revue de la littérature

Pour certains (Berger et Udell, 1998 ; Wagenvoort, 2003 ; Westhead et Storey, 1997), le développement des PME en croissance serait freiné par les difficultés qu’éprouveraient ces entreprises à surmonter certains obstacles financiers, notamment une demande de capitaux propres difficilement satisfaite à des moments sensibles de leur développement (extension des capacités de production, conquête de nouveaux marchés, lancement de nouveaux produits…). Il s’agit généralement de périodes se caractérisant par un décalage financier entre des décaissements certains s’effectuant sur une courte période et une suite de recettes aléatoires étalées dans le temps.

La revue des grandes problématiques présentes dans la littérature consacrée au financement des PME fait notamment ressortir trois types de questions relatives au besoin de capitaux propres des PME en croissance.

Le premier type de question traite du niveau de croissance soutenable en fonction des ressources financières internes (1.1). Il s’agit d’apprécier l’aptitude d’une entreprise à autofinancer les besoins induits par la croissance. Le deuxième type de question concerne l’impact de la croissance sur les modes de financement (1.2). Partant du constat du faible poids qu’occupe le financement par capitaux propres des PME, se pose la question de l’existence d’une contrainte financière appelée à se manifester différemment selon l’âge et la taille de l’entreprise. Le troisième type de question prend en compte l’impact sur les choix de financement des spécificités du cadre juridico-patrimonial (1.3). En quoi les préférences des dirigeants sont susceptibles d’expliquer la faiblesse du recours à des investisseurs en capitaux propres ?

1.1. Le niveau de croissance soutenable à partir des ressources financières internes

La notion de croissance financièrement soutenable exprime la croissance permise par les ressources financières générées par l’entreprise. Elle prend souvent la forme d’une équation dans laquelle le taux de croissance de l’activité est défini à partir de la rentabilité financière corrigée du taux de distribution (Higgins, 1981).

  • gCA (ou gAE) ≤ Rf (1 – d) avec :

  • gCA = taux de croissance du chiffre d’affaires

  • gAE = taux de croissance de l’actif économique

  • Rf = rentabilité financière

  • d = taux de distribution

La relation faisant dépendre le taux de croissance de l’activité du niveau de rentabilité dégagée conduit à définir une limite dans la croissance dès lors que cette dernière doit être en adéquation avec la rentabilité financière. Il s’agit d’une expression de la contrainte financière susceptible d’être supportée par une PME en croissance (Watson, 2006), contrainte pouvant conduire à sacrifier des opportunités d’investissement si l’entreprise rencontre des difficultés pour trouver les ressources nécessaires.

La validation empirique du schéma d’équilibre financier de la notion de croissance financièrement soutenable a fait l’objet de nombreuses études. Certaines confirment l’existence d’une corrélation entre la croissance et la rentabilité (Davidsson, Delmar et Wicklund, 2006 ; Huot et Carrington, 2006). Au demeurant, la concordance entre la croissance et la rentabilité est loin d’être établie dans la littérature (McMahon, 2001 ; Ramenazi, Soenen et Jung, 2002 ; Markman et Gartner, 2002). Certaines études relèvent même le caractère exceptionnel de la conjugaison d’une croissance forte avec une rentabilité élevée (Nicholls-Nixon, 2005).

D’autres approches ont été utilisées pour appréhender la contrainte financière résultant d’une adéquation entre le sentier de croissance et l’aptitude de l’entreprise à dégager les ressources financières adéquates mesurées à partir de la rentabilité. Dans cette perspective, l’autofinancement semble constituer une alternative pour appréhender et mesurer l’intensité de la contrainte financière (Carpenter et Petersen, 2002).

La contribution de l’autofinancement au financement des besoins induits par la croissance est généralement très élevée dans les PME en croissance. Cette forte contribution explique le recours modéré aux ressources financières externes et justifie l’adoption d’un rythme de croissance de l’actif économique calé sur un indicateur de rentabilité économique mesuré à partir de la capacité d’autofinancement (Carpenter et Petersen, 2002).

1.2. L’impact de la croissance sur les modes de financement

Les études portant sur les modes de financement utilisés par les PME en croissance soulignent le rôle du financement bancaire (Huot et Carrington, 2006 ; Cassia, Gogliati et Paleari, 2009) et la contribution marginale du financement par capitaux propres en provenance d’investisseurs (Picart, 2006 ; Vos, Yeh, Carter et Tagg, 2007) dès lors que l’entreprise se doit de recourir à des ressources financières externes. Par ailleurs, l’ordre observé dans l’utilisation des ressources externes (dettes puis capitaux propres) semblerait accréditer la théorie de l’ordre hiérarchique en matière de financement des PME en croissance (Myers, 1984).

Dans le prolongement de l’étude des types de financement utilisés se pose la question des difficultés rencontrées par les PME en croissance pour trouver des financements. Ces difficultés seraient à l’origine d’une contrainte financière qui se manifesterait différemment selon l’âge et la taille de l’entreprise (Berger et Udell, 1998). Cette contrainte pèserait sur l’exploitation du potentiel de croissance et serait surmontée par la mobilisation des relations sociales du dirigeant-propriétaire. Cependant, la réalité de cette contrainte fait débat dans la mesure où les banques semblent manifester un intérêt certain pour les PME en démarrage qui présentent un potentiel de croissance (Huyghebaert et Van de Gucht, 2007).

La croissance s’accompagne de franchissement d’étapes. Elle introduit une dimension dynamique dans la structure financière en raison de la double évolution de l’âge et de la taille de l’entreprise. Wagenvoort (2003) montre que la croissance des entreprises de petite taille serait sensible au niveau des ressources financières internes, ces entreprises recourant moins aux ressources financières externes que les entreprises de plus grande taille. Au demeurant, la question mérite d’être posée pour savoir si cette situation est le résultat d’une contrainte financière subie par l’entreprise ou la conséquence de la volonté du dirigeant-propriétaire. Cette dualité expliquerait les résultats divergents des études consacrées à la problématique financière du maintien de la croissance dans les PME.

Si, pendant longtemps, les études ont été orientées sur l’existence d’une contrainte financière (Westhead et Storey, 1997 ; Gregory et al., 2005) qui constituait un obstacle à surmonter, voire un facteur de discontinuité dans le processus de croissance (Julien, St-Jean et Audet, 2006), l’approche a été renouvelée par une série de travaux remettant en question l’existence même d’une contrainte financière (Moreno et Casillas, 2007 ; Vos et al., 2007).

1.3. L’impact des spécificités du cadre juridico-patrimonial de la PME en croissance

Les levées de capitaux propres réalisées par les PME en croissance concernent une minorité d’entreprises et ces levées ont une contribution réduite dans le financement. Dans l’explication de cette faiblesse, il convient de prendre en compte les spécificités du cadre juridico-patrimonial des PME, notamment l’interdépendance entreprise-famille. C’est ce cadre qui explique la réticence du dirigeant-propriétaire à ouvrir le capital à un investisseur extérieur en raison du risque de perdre le contrôle. C’est aussi ce cadre qui justifie la volonté de ce même dirigeant-propriétaire de limiter l’engagement de son patrimoine dans son entreprise. La forte concentration du patrimoine familial généralement observée dans les PME engendre des coûts de faillite élevés pour les actionnaires familiaux (Berger et Udell, 1998). Cette concentration observée au niveau du patrimoine se retrouve au niveau des revenus en provenance de l’entreprise, contribuant ainsi à une élévation du risque supporté par les actionnaires familiaux des PME.

La réticence des dirigeants-propriétaires de PME à ouvrir leur capital a fait l’objet de nombreuses études. Dans ce cadre, le rôle de la dilution du contrôle familial induite par une ouverture du capital à un actionnaire extérieur est souvent mis en évidence (Ang, Lin et Floyd, 1995 ; Dunn et Hughes, 1995 ; Gallo et Vilaseca, 1996). Cependant, il convient de s’interroger pour savoir si cette réticence est à l’origine de la contrainte financière généralement attribuée aux PME en croissance, réticence susceptible de conduire le dirigeant-propriétaire à privilégier l’indépendance de son entreprise au détriment de la croissance. À l’instar du profil PIC (Pérennité – Indépendance – Croissance) opposé par Marchesnay (1991) au profil CAP (Croissance – Autonomie – Pérennité). En effet, la relation causale précédemment formulée peut être inversée (Hamelin, 2010) et conduire à fonder la contrainte financière subie par les PME en croissance sur le comportement de réserve des acteurs du capital investissement en raison de l’existence de facteurs propres à l’investissement dans ce type d’entreprises susceptibles de nuire à la valorisation de leur investissement (La Porta, Lopez de Silanes, Shleifer et Vishny, 2000).

2. Méthodologie

La notion de CAF disponible définie dans le premier point (2.1) permettra d’apprécier la contribution de l’autofinancement au financement des besoins induits par la croissance et, par différence, d’appréhender les besoins non couverts par les ressources financières internes. L’analyse sera focalisée sur le financement externe par capitaux propres. Le deuxième point (2.2) présente les critères retenus pour définir les PME en croissance de Rhône-Alpes ainsi que la population étudiée.

2.1. Éclairage de la CAF disponible (CAFD) pour la localisation du besoin de capitaux propres

Il convient de rappeler que la seule croissance du chiffre d’affaires n’est pas à elle seule génératrice d’un besoin de capitaux propres externes dans la mesure où une part significative des besoins induits par la croissance est couverte par la capacité d’autofinancement. Le besoin de capitaux propres existe lorsque la capacité d’autofinancement ne couvre pas les besoins bruts (flux d’investissement + variation du BFR) sachant qu’une partie de la différence peut être couverte par un recours à la dette financière, ou un prélèvement sur la trésorerie, le solde constituant le besoin de capitaux propres.

Pratiquement, le repérage des entreprises générant un besoin de capitaux propres susceptible d’être couvert par une levée de capitaux propres repose sur l’existence d’une capacité d’autofinancement disponible négative (CAFD = CAF – flux d’investissement – variation du BFR) et la réalisation d’une performance en adéquation avec les attentes des investisseurs.

Afin de caractériser les entreprises distinguées selon le signe de la CAF disponible, nous nous appuyons sur des comparaisons de variables économiques et financières qui serviront également à apprécier les caractéristiques des entreprises ayant recours aux levées de capitaux propres. Deux types d’indicateurs susceptibles d’avoir une influence sur le mode de financement sont utilisés :

  • des indicateurs liés aux caractéristiques générales de l’entreprise tels la taille, l’âge, l’innovation, l’ouverture à l’export et le secteur d’activité ;

  • des indicateurs de performance et de structure financière.

Les indicateurs liés aux caractéristiques générales de l’entreprise doivent permettre de préciser les conditions d’accès aux financements externes de la part de certaines entreprises comme signalé dans la littérature (Berger et Udell, 1998). Les variables âge, taille, secteur, sont ainsi classiquement utilisées dans la plupart des études portant sur les modes de financement des PME (Adair et Adaskou, 2011), Huot et Carrington (2006) soulignant le rôle de l’innovation et de l’export.

Les indicateurs financiers sont également largement présents dans les recherches empiriques tant pour comparer des catégories d’entreprises que pour apprécier le rôle des caractéristiques précédentes dans la génération du besoin de capitaux propres des PME et de la contrainte financière subie par ces dernières. Citons en particulier le niveau de rentabilité (Davidsson, Delmar et Wicklund, 2006), l’endettement (Huot et Carrington, 2006), l’intensité capitalistique (McMahon, 2001), l’intensité de la croissance (Nicholls-Nixon, 2005) ou le degré d’autofinancement (Carpenter et Petersen, 2002). Nous avons retenu 12 indicateurs financiers regroupés en cinq dimensions. Les indicateurs retenus permettent d’appréhender la rentabilité économique de l’entreprise (déclinée en taux de marge et taux de rotation des capitaux investis), le sentier de croissance [mesuré à partir de l’évolution du chiffre d’affaires (CA), de l’actif économique et du pourcentage d’entreprises en hypercroissance], la structure financière, l’intensité capitalistique (besoin brut/CA complété par le taux de rotation précédemment cité), et la contribution de l’autofinancement au financement du besoin (CAF/besoin brut ; CAFD).

Le détail du mode de calcul des indicateurs financiers est présenté en annexe. Sauf indication contraire, les données présentées correspondent aux médianes, privilégiées par rapport aux moyennes afin de neutraliser les valeurs extrêmes. La présence de valeurs extrêmes liées aux indicateurs financiers provient pour l’essentiel de numérateurs de montants faibles.

La distribution des variables étudiées ne suivant pas une loi normale (test de Kolmogorov Smirnov) même en enlevant les valeurs extrêmes, nous avons conservé les valeurs extrêmes et choisi de travailler sur les médianes. Nous utilisons le test statistique non paramétrique de Mann Whitney pour apprécier la pertinence des comparaisons d’entreprises. Le test de Mann Whitney est l’adaptation du test paramétrique de comparaison de moyenne (test de Student) pour deux échantillons indépendants. Ce test de rangs présente l’avantage de ne pas exiger la normalité de la distribution des variables étudiées. Il est également employé par Courault, Perez et Teyssier (2012) sur le même profil de population. Le principe du test consiste à classer les données de façon croissante et à comptabiliser les rangs. On calcule la somme puis la moyenne des rangs pour chacun des échantillons afin de tester s’il existe une différence significative entre les deux.

2.2. Présentation de la population

Les données utilisées proviennent de la base de données DIANE qui contient les informations comptables (bilans, comptes de résultat, annexes) des entreprises françaises ayant la forme juridique de sociétés. DIANE contient également de nombreux renseignements relatifs à l’activité, l’actionnariat, et à la structure juridique des entreprises.

La base de données utilisée issue de DIANE comportait 2 161 PME de croissance en Rhône-Alpes au 31/12/2011. Parmi les entreprises ayant une antériorité de plus de cinq ans et un chiffre d’affaires supérieur à 2 M€, ont été sélectionnées celles dont la croissance du chiffre d’affaires ou des effectifs a été supérieure à 46 % sur la période de quatre ans (cinq derniers exercices, notés N-4 à N) ; pour les entreprises d’une antériorité inférieure à cinq ans, les critères ont été ajustés prorata temporis. Le taux de croissance réel (10 % par an) correspond à la moitié du taux de croissance (20 % par an) généralement retenu pour caractériser les entreprises en hypercroissance. Ont été éliminées les filiales de groupe et les sociétés de portefeuille.

Les indicateurs financiers utilisés pour caractériser les PME sont également issus de DIANE. Les données sur l’innovation (nombre de brevets déposés depuis 1997) proviennent de l’INPI. Sauf indication contraire, les indicateurs sont calculés pour la dernière année disponible, notée année N, les indicateurs de croissance annuels étant appréciés sur la période de quatre ans. La CAFD est calculée pour la totalité de la période de quatre ans (CAF cumulée – besoin brut cumulé), de même que le taux de couverture du besoin brut par la CAF. Les données ont été ajustées pour les entreprises en démarrage.

En termes de poids, les entreprises de croissance en Rhône-Alpes représentent[2] :

  • 16 milliards de chiffre d’affaires (dont 1,5 milliard à l’export) ;

  • 4,4 milliards de valeur ajoutée, soit 3 % du PIB de la région ;

  • 71 259 salariés, soit 4 % des emplois salariés de la région.

Tableau 1

Répartition des PME de croissance par secteur

Répartition des PME de croissance par secteur

(1) Activités financières et d’assurance (1 %) ; activités immobilières (2 %) ; agriculture, sylviculture et pêche (0 %) ; arts, spectacles et activités récréatives (1 %) ; autres activités de services (0 %) ; enseignement (1 %) ; industries extractives (0 %) ; production et distribution d’eau ; assainissement, gestion des déchets et dépollution (1 %) ; production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné (0 %) ; santé humaine et action sociale (2 %).

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Nous utilisons la nomenclature de l’INSEE pour repérer l’appartenance sectorielle des entreprises françaises. Nous utilisons la nomenclature d’activité française (NAF) niveau 1, regroupée en secteurs.

Quatre secteurs (activités spécialisées, scientifiques et techniques ; commerce, réparation d’automobiles et de motocycles ; construction ; industrie manufacturière) regroupent 72 % des entreprises. Le secteur des activités spécialisées, scientifiques et techniques regroupe entre autres des laboratoires médicaux, des bureaux d’études et d’ingénierie, des cabinets de conseil…

Tableau 2

Répartition des PME de croissance par tranche de chiffre d’affaires en N

Répartition des PME de croissance par tranche de chiffre d’affaires en N

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57 % des entreprises réalisent un chiffre d’affaires compris entre 2 et 5 millions d’euros.

Le rythme annuel de croissance du chiffre d’affaires sur la période est de 17 % (taux médian). Le pourcentage de sociétés en hypercroissance (taux de croissance annuel supérieur ou égal à 20 %) est de 40 %.

Deux tiers des entreprises ont des effectifs compris entre 10 et 50 salariés. 57 % des entreprises n’ont pas d’activité à l’international. Seulement 6 % des entreprises ont procédé à des dépôts de brevet. Au demeurant, cette information est à relativiser en raison du poids élevé des entreprises ayant une activité commerciale ou de services. Les sociétés en démarrage (5 ans et moins) représentent 7 % des PME de croissance.

3. Profil des PME de croissance ayant procédé à une levée de capitaux propres

Parmi les 2 161 PME de croissance, 541 PME ont procédé à une augmentation de capital (variation du capital social et des primes d’émission et variation des obligations convertibles) d’un montant supérieur ou égal à 50 k€ sur la période de quatre ans.

Tableau 3

Caractéristiques des PME ayant levé des capitaux propres par rapport à celles qui n’en ont pas levé

Caractéristiques des PME ayant levé des capitaux propres par rapport à celles qui n’en ont pas levé

(1) Les entreprises ayant levé des capitaux propres (G1) sont celles pour lesquelles le montant des levées est ≥ 50 k€. Ceci explique que le total G1 + G2 est inférieur au nombre d’entreprises composant la population totale (2 161 PME).

(2) Seuil de significativité du test de comparaison non paramétrique de Mann Whitney entre les PME ayant levé des capitaux propres (G1) et celles qui n’en ont pas levé (G2).

*** ; ** : résultats significatifs respectivement au seuil de 1 % et 5 %.

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Tableau 4

Performance et structure financière des PME qui ont levé des capitaux propres par rapport à celles qui n’en ont pas levé

Performance et structure financière des PME qui ont levé des capitaux propres par rapport à celles qui n’en ont pas levé

(1) Le nombre d’entreprises peut être inférieur pour certains indicateurs compte tenu des données manquantes ou de numérateurs négatifs (Annexe 1).

Les entreprises ayant levé des capitaux propres (G1) sont celles pour lesquelles le montant des levées est ≥ 50 k€. Ceci explique que le total G1 + G2 est différent du nombre d’entreprises composant la population totale (2 161 PME).

(2) Seuil de significativité du test de comparaison non paramétrique de Mann Whitney entre les PME ayant levé des capitaux propres (G1) et celles qui n’en ont pas levé (G2).

*** : résultats significatifs au seuil de 1 %.

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Comparativement aux PME n’ayant pas levé de capitaux propres, les entreprises ayant procédé à des levées de capitaux propres se démarquent significativement sur la quasi-totalité des caractéristiques, notamment par :

  • une taille plus importante (5,6 millions d’€ contre 4,0) ;

  • une ouverture à l’exportation et à l’innovation plus marquée ;

  • une croissance plus forte (+9,8 points de croissance au niveau de l’actif économique et +3,4 points au niveau du chiffre d’affaires), avec un pourcentage plus fort d’entreprises en hypercroissance ;

  • une intensité capitalistique plus élevée (+4,6 points au niveau du ratio actif économique/CA), conjuguée à un effort d’investissement plus soutenu ;

  • une profitabilité moindre ;

  • une rentabilité économique plus faible (13,4 % contre 24,2 %) ;

  • un taux d’autofinancement moindre comme le montrent les deux indicateurs rapportant la CAF aux investissements. À noter cependant le poids significatif d’un groupe d’entreprises ayant une CAFD positive (3e quartile = 463 k€).

Les tests confirment les résultats des études antérieures, notamment le rôle attribué à certaines caractéristiques des PME en croissance dans la génération de leur besoin de capitaux propres. On peut citer la taille (Berger et Udell, 1998 ; Hamelin, 2010), l’intensité de la croissance (Nicholls-Nixon, 2005), l’intensité capitalistique (McMahon, 2001), le niveau de la rentabilité (Davidsson, Delmar et Wicklund, 2006), la contribution de l’autofinancement au financement des besoins (Carpenter et Petersen, 2002). Par ailleurs, est confirmé le rôle de l’innovation et de l’ouverture à l’export (Huot et Carrington, 2006). Au demeurant, la mise en évidence d’un profil paradoxal (entreprises ayant levé des capitaux propres bien qu’ayant une CAFD positive) montre la nécessité de procéder à une segmentation de la population à l’aide du signe positif ou négatif de la CAFD.

4. Analyse des levées de capitaux propres associées à l’existence d’un besoin de financement

Une rentabilité économique (moyenne de la période ou année N) supérieure à 5 % et une CAF cumulée positive sur la période ont été considérées comme des indicateurs de performance minimale susceptibles de satisfaire les exigences des investisseurs. Le seuil de 5 % correspond à la rentabilité moyenne du capital investissement en Europe (source AFIC[3]).

La CAF disponible (CAFD) négative donne une mesure du besoin couvert par des ressources externes (capitaux propres et/ou dettes financières) ou un prélèvement sur la trésorerie. La répartition des PME de croissance selon le signe positif ou négatif de la CAF disponible et du niveau de performance fait ressortir trois catégories d’entreprises ayant procédé à une levée de fonds, chaque catégorie représentant environ un tiers du montant des levées de capitaux propres (Tableau 5).

À partir des 541 PME de croissance qui ont levé des capitaux propres, nous avons identifié 315 PME présentant un besoin de financement (CAFD négative). Parmi ces dernières, 183 PME ont une rentabilité économique (rentabilité moyenne ou rentabilité du dernier exercice) supérieure à 5 % et une CAF cumulée positive sur la période. Les 132 PME restantes conjuguent un besoin de financement (CAFD négative) et des performances peu susceptibles de contenter des investisseurs. L’étude porte sur ces deux catégories d’entreprises et prend également en compte les 226 PME ne présentant pas de besoin (CAFD positive).

Tableau 5

Répartition des levées de capitaux propres réalisées selon le signe de la CAF disponible

Répartition des levées de capitaux propres réalisées selon le signe de la CAF disponible

* Levées (variation du capital social et des primes d’émission et variation des obligations convertibles) d’un montant supérieur ou égal à 50 k€ sur la période.

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Le tableau 5 met en évidence deux catégories « paradoxales » puisque l’on observe que des levées de capitaux propres ont été réalisées par des PME de croissance n’ayant pas de besoin (CAFD positive) et que par ailleurs, des PME en croissance ayant un profil de performance (CAF et rentabilité) ne répondant pas aux exigences des investisseurs ont aussi procédé à des levées de capitaux propres. Enfin, les PME en croissance conjuguant un besoin de financement avec une performance en adéquation avec les exigences des investisseurs, catégories constituant a priori la cible du capital investissement, ne représentent que le tiers de la demande de capitaux propres satisfaite sur le marché du capital investissement, poids identique aux PME en croissance réalisant une contre-performance. Au demeurant, la part des PME en croissance générant un besoin de financement (CAFD négative) représente les deux tiers des levées de capitaux propres.

L’importance de la demande de capitaux propres émanant des deux catégories paradoxales (entreprises dégageant une capacité d’autofinancement disponible positive tout en procédant à une levée de fonds propres et entreprises ayant un profil de performance ne répondant pas aux exigences des investisseurs) met en évidence la dualité du besoin de fonds propres selon que ce besoin est appréhendé ex ante en univers d’incertitude ou mesuré ex post à partir des comportements réels. En effet, la prise en compte dans l’analyse du décalage séparant l’univers de la prise de décision (univers incertain reposant sur des anticipations) du monde réel observé ex post est de nature à expliquer les trois catégories identifiées précédemment.

Ainsi, il paraît plausible d’émettre l’hypothèse que les levées de capitaux propres émanant des PME en croissance n’ayant pas un profil de performance en phase avec les exigences des investisseurs traduisent une situation d’échec dans la réalisation du plan d’affaires de l’entreprise. En effet, les investisseurs étant censés être rationnels dans leur prise de décision, l’anticipation de cette contre-performance les aurait dissuadés d’investir en capitaux propres dans ces entreprises. Le paradoxe résulte du décalage entre une situation réelle dégradée observée ex post et un prévisionnel élaboré ex ante sur la base duquel ont été prises les décisions. Nous qualifierons ces entreprises de « contre-performantes ».

Le profil des PME en croissance n’ayant pas de besoin, mais procédant cependant à des levées de capitaux propres, nous paraît avoir une double explication. La première explication correspondrait à une situation réelle appréhendée ex post plus favorable que le prévisionnel du plan d’affaires. Ex post on constate que l’entreprise aurait pu se dispenser de lever des capitaux propres. Une autre explication peut être retenue en considérant que cette situation anachronique est le résultat d’une volonté du dirigeant-propriétaire soucieux de maîtriser les risques liés au processus de croissance. Le dirigeant procèderait à une levée de capitaux propres en vue de réduire les risques financiers de son entreprise. Nous qualifierons ces entreprises de « précautionneuses »[4].

À l’inverse, les levées de capitaux propres émanant des PME en croissance conjuguant besoin de financement et performance traduiraient la réalisation du plan d’affaires sur lequel les investisseurs se sont appuyés. Le réel observé ex post serait conforme au prévisionnel élaboré ex ante. Nous qualifierons ces entreprises d’« équilibrées » en raison d’un appel aux capitaux propres en vue de maintenir l’équilibre de la structure financière déformée par la croissance.

5. Analyse comparative des trois profils de PME ayant procédé À une levée de capitaux propres

Dans un premier temps, il est recherché l’existence de caractéristiques propres aux trois catégories distinguées : équilibrées, contre-performantes, précautionneuses. Dans un deuxième temps, l’analyse s’oriente sur l’identification des caractéristiques propres aux PME ayant levé des capitaux propres comparativement aux entreprises présentant le même niveau de performance et supportant ou non un besoin de financement.

5.1. Comparaison entre entreprises ayant levé des capitaux propres

Tableau 6

Caractéristiques des PME

Caractéristiques des PME

(1) Les entreprises ayant levé des capitaux propres sont celles pour lesquelles le montant des levées est ≥ 50 k€.

(2) Seuil de significativité du test de comparaison non paramétrique de Mann Whitney.

***, **, * : résultats significatifs respectivement aux seuils de 1 %, 5 % et 10 %.

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Tableau 7

Performance et structure financière des PME

Performance et structure financière des PME

(1) Le nombre d’entreprises peut être inférieur pour certains indicateurs compte tenu des données manquantes ou de numérateurs négatifs (Annexe 1).

Les entreprises ayant levé des capitaux propres sont celles pour lesquelles le montant des levées est ≥ 50 k€.

(2) Seuil de significativité du test de comparaison non paramétrique de Mann Whitney.

***, ** : résultats significatifs respectivement aux seuils de 1 % et 5 %.

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Les comparaisons entre entreprises ayant levé des capitaux propres regroupées par catégorie (équilibrées, contre-performantes et précautionneuses) font ressortir des caractéristiques spécifiques, notamment :

  • une différence de taille entre les équilibrées et les précautionneuses d’une part et les contre-performantes d’autre part ;

  • une forte proportion d’entreprises en démarrage au sein des contre-performantes ;

  • une profitabilité des équilibrées inférieure à celle des précautionneuses ;

  • une intensité capitalistique des équilibrées sensiblement supérieure à celle des précautionneuses (rapport du simple au double) ;

  • une rentabilité économique des précautionneuses sensiblement supérieure à celle des équilibrées (rapport du simple au triple) ;

  • la présence d’une trésorerie positive, nette d’endettement chez les précautionneuses ;

  • un taux d’autofinancement des précautionneuses très sensiblement supérieur à celui des équilibrées.

Les différences semblent associées à l’appartenance à un secteur d’activité : l’industrie pour les équilibrées et les activités spécialisées pour les précautionneuses. Au demeurant, l’effet sectoriel n’explique pas les différences constatées dans la profitabilité puisque les taux de marge des équilibrées sont inférieurs à ceux des précautionneuses bien que les différences d’intensité capitalistique auraient dû se traduire par une situation inverse.

Par ailleurs, alors que les équilibrées sont contraintes de lever des capitaux propres pour couvrir un besoin de financement inexistant chez les précautionneuses, ces dernières procèdent à une levée de capitaux propres volontaire en raison de l’absence de besoin. L’hypothèse peut être formulée que les précautionneuses cherchent à maîtriser le risque lié à la croissance et à se doter ou à renforcer une marge de manoeuvre financière.

Enfin, l’analyse comparative montre que les précautionneuses se caractérisent par une absence totale de pression financière. En s’en tenant à une comparaison entre équilibrées et précautionneuses, on constate que ces dernières ont une profitabilité et une rentabilité plus élevées associées à une intensité capitalistique plus faible et à l’existence d’une trésorerie positive. Ces caractéristiques argumentent en faveur du caractère volontaire des levées de capitaux propres des précautionneuses et justifient d’attribuer aux levées de fonds de ces dernières d’autres finalités, notamment la gestion du risque induit par la croissance (Hambrick et Crozier, 1985 ; Beaudoin, St-Pierre et Bourgeois, 1996) ou la volonté de se doter d’une marge de manoeuvre (George, 2005).

5.2. Comparaison des entreprises ayant levé des capitaux propres comparativement à celles qui n’en ont pas levé

Nous présentons dans les deux tableaux comparatifs ci-après les profils économiques et financiers des trois catégories d’entreprises définies à partir du signe positif ou négatif de la CAFD, en distinguant au sein de chacune d’elles les PME ayant levé des capitaux propres des autres.

Tableau 8

Caractéristiques des PME

Caractéristiques des PME

(1) Les entreprises ayant levé des capitaux propres (G1) sont celles pour lesquelles le montant des levées est ≥ 50 k€. Ceci explique que le total G1 + G2 est différent du nombre d’entreprises composant la population totale.

(2) Seuil de significativité du test de comparaison non paramétrique de Mann Whitney entre les PME ayant levé des capitaux propres (G1) et celles qui n’en ont pas levé (G2).

***, **, * : résultats significatifs respectivement aux seuils de 1 %, 5 % et 10 %.

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Tableau 9

Performance et structure financière des PME

Performance et structure financière des PME

(1) Le nombre d’entreprises peut être inférieur pour certains indicateurs compte tenu des données manquantes ou de numérateurs négatifs (Annexe 1).

Les entreprises ayant levé des capitaux propres (G1) sont celles pour lesquelles le montant des levées est ≥ 50 k€. Ceci explique que le total G1 + G2 est différent du nombre d’entreprises composant la population totale.

(2) Seuil de significativité du test de comparaison non paramétrique de Mann Whitney entre les PME ayant levé des capitaux propres (G1) et celles qui n’en ont pas levé (G2).

***, **, * : résultats significatifs respectivement aux seuils de 1 %, 5 % et 10 %.

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5.2.1. PME conjuguant performance et besoin de financement

Comparativement aux PME n’ayant pas levé de capitaux propres, les 183 entreprises ayant procédé à des levées de capitaux propres (les équilibrées) se démarquent par :

  • une taille plus importante (7,0 millions d’€ contre 4,0) ;

  • une ouverture à l’exportation et à l’innovation plus marquée ;

  • une croissance plus forte (+6,6 points de croissance au niveau de l’actif économique et +3,5 points au niveau du chiffre d’affaires), avec un pourcentage plus fort d’entreprises en hypercroissance ;

  • une intensité capitalistique plus élevée (+4,6 points au niveau du ratio actif économique/CA) ;

  • une rentabilité économique plus faible (12,5 % contre 15 %) ;

  • le poids important de l’industrie manufacturière.

5.2.2. PME conjuguant contre-performance et besoin de financement

Comparativement aux PME n’ayant pas levé de capitaux propres, les 132 entreprises ayant procédé à des levées de capitaux propres (les contre-performantes) se démarquent par :

  • une croissance sensiblement plus forte (+12,2 points de croissance au niveau de l’actif économique) ;

  • une contre-performance plus marquée au niveau des taux de marge (-1,1 point) et de la rentabilité économique (-2,0 points) ;

  • des besoins d’investissement annuels élevés (+2,7 points) ;

  • un montant négatif de CAF disponible double de celui de l’ensemble de la population et ne s’expliquant pas par les différences de taille.

La présence significative d’entreprises en démarrage nécessite de relativiser la qualification de contre-performante attribuée à cette population. Les entreprises en démarrage, particulièrement lors de leur phase d’amorçage[5], supportent des besoins d’investissement élevés alors que leur CAF est obérée par des coûts de mise au point du produit et de développement commercial et la réalisation d’un chiffre d’affaires inférieur au point mort.

Le problème est particulièrement criant pour les entreprises en phase d’amorçage qui développent des modèles économiques très consommateurs de capitaux alors que les besoins financiers liés au développement des entreprises faiblement consommatrices de capitaux (services, basse technologie…) sont généralement couverts par les apports des fondateurs complétés par des prêts d’honneur et l’obtention d’aides publiques.

5.2.3. PME conjuguant performance et absence de besoin de financement

Comparativement aux PME n’ayant pas levé de capitaux propres, les précautionneuses se démarquent par :

  • une taille sensiblement plus élevée (5,8 millions contre 4 millions d’€ au niveau du chiffre d’affaires et 20 contre 16 au niveau des effectifs) ;

  • un âge moins élevé ;

  • une rentabilité économique sensiblement inférieure (-13,2 points) ;

  • une intensité capitalistique plus lourde (+3,0 points) ;

  • une croissance de l’actif économique qui est dans un rapport du simple au double, à l’origine d’une lourdeur de l’actif économique expliquant la différence de rentabilité soulignée ci-dessus ;

  • une plus forte proportion d’entreprises en hypercroissance ;

  • une CAFD en valeur plus élevée.

5.2.4. Enseignements

L’analyse comparative réalisée au sein des trois catégories de PME regroupées par signe positif ou négatif de la CAFD, met en évidence des caractéristiques communes aux entreprises ayant procédé à une levée de fonds, caractéristiques indépendantes du signe de la CAFD et des caractéristiques différenciantes, spécifiques au signe positif ou négatif de la CAFD.

Nous exclurons du champ d’analyse les contre-performantes, dont les caractéristiques sont biaisées par les conséquences financières de leur contre-performance. En limitant l’analyse aux équilibrées et aux précautionneuses, on observe qu’une taille élevée, une croissance forte, une intensité capitalistique forte et une rentabilité faible constituent des caractéristiques communes aux PME ayant levé des capitaux propres indépendamment du signe positif ou négatif de la CAFD. Par contre, le poids du secteur des activités spécialisées et un âge moins élevé sont des caractéristiques propres aux précautionneuses tandis que l’effort d’innovation et l’ouverture à l’export caractérisent les équilibrées au sein desquelles les entreprises industrielles occupent un poids significatif.

6. Synthèse et discussion

1/ Le constat de levées de capitaux propres corrélées à une forte croissance de l’activité confirme empiriquement l’existence d’un niveau de croissance plafond adapté aux flux de ressources financières générées par l’entreprise (notion de croissance financièrement soutenable). La nécessité de procéder à une levée de capitaux propres paraît d’ailleurs d’autant plus impérieuse que la rentabilité des entreprises ayant procédé à une levée de capitaux propres est inférieure à celles qui n’y ont pas recouru alors que leur intensité capitalistique est plus élevée (Tableau extrait du tableau 4).

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Les levées de capitaux propres seraient alors une réponse nécessaire à la réalisation d’une forte croissance conjuguée à une rentabilité « insuffisante » au regard du poids de l’actif économique. De même, à l’instar du constat souligné dans la littérature, l’ouverture à l’export (+4,2 points) et l’effort d’innovation (+3,2 points) plus marqués dans les entreprises procédant à des levées de capitaux propres contribueraient à la nécessité de renforcer les capitaux propres, surtout dans le cas des PME relevant de l’industrie manufacturière.

2/ S’agissant de l’impact de la croissance sur les modes de financement, la CAFD, outre la confirmation de la contribution déterminante de la CAF dans le financement des besoins d’investissement, met en évidence trois profils de PME en croissance susceptibles de lever des capitaux propres. Notamment, est mise en évidence une catégorie de PME jusqu’alors non identifiée qui présente la particularité de procéder à des levées de capitaux propres bien que n’ayant pas de besoin de financement. Peut-être en réponse aux risques liés à la croissance, notamment le risque de discontinuité du processus de croissance si l’entreprise rencontre des difficultés pour mobiliser des capitaux. De même l’existence de PME en croissance générant une CAF disponible négative conjuguée à une performance décevante, permet de repérer ex post une composante de la demande de capitaux propres émanant d’entreprises, dont on peut raisonnablement supposer que la profitabilité effective s’est révélée en deçà des prévisions du plan d’affaires. Au demeurant, les levées de capitaux propres émanant de ces entreprises constituent une composante effective de la demande de capitaux propres même si, ex post, il apparaît que cette demande aurait dû ne pas être satisfaite au regard de la contre-performance de l’entreprise.

3/ Les caractéristiques des précautionneuses en termes d’intensité capitalistique et de croissance sont potentiellement des facteurs de fragilité susceptibles d’être d’autant plus influents que la forte croissance de ces entreprises se conjugue avec une rentabilité qui, bien qu’élevée, s’avère cependant inférieure à celles des entreprises n’ayant pas procédé à une levée de capitaux propres. Or la littérature consacre une place significative à la contribution de la rentabilité pour garantir le maintien d’une forte croissance de l’activité (Higgins, 1981 ; Davidsson, Delmar et Wicklund, 2006 ; Huot et Carrington, 2006).

Dans cette perspective, les levées de capitaux propres réalisées par les entreprises en croissance n’ayant pas de besoin de financement constitueraient un moyen de garantir l’adaptation aux pressions organisationnelles et environnementales attachées à la croissance. Les levées de capitaux propres seraient réalisées en vue d’assurer la constitution de réserves financières (notion de financial slack) appelées à être utilisées pour surmonter les dérapages fréquemment observés dans les contextes de croissance ou assurer la réactivité nécessaire pour saisir les opportunités de croissance externe (George, 2005 ; Barbero, Casillas et Feldman, 2011 ; Hambrick et Crozier, 1985 ; Beaudoin, St-Pierre et Bourgeois, 1996 ; Steffens, Davidsson et Fitzsimmons, 2009). Ce comportement est à rapprocher du faible niveau d’endettement observé dans les entreprises dynamiques, dans les années précédant la réalisation d’un investissement de croissance. La maîtrise de l’endettement s’expliquerait par la volonté de ces entreprises de disposer d’une marge de manoeuvre financière pour saisir, le moment venu, les opportunités d’investissement (Myers et Majluf, 1984 ; Marchica et Mura, 2010). En raison de son financement par capitaux propres, la spécificité du besoin de précaution est affirmée par analogie avec le financement des investissements immatériels des entreprises innovantes obligées de recourir aux capitaux propres en raison du degré élevé de spécificité de ces derniers (Williamson, 1988 ; Marion, 1995).

4/ En complément des travaux privilégiant la gestion d’un équilibre entre la rentabilité et la croissance (Steffens, Davidsson et Fitzsimmons, 2009), une place doit être accordée aux décisions et arbitrages arrêtés par les dirigeants de PME pour soutenir dans le temps la croissance de leur entreprise (George, 2005 ; Barbero, Casillas et Feldman, 2011). En effet, dans une PME, la forte croissance est dépendante de la capacité du dirigeant-propriétaire à saisir des opportunités. Dans cette perspective, l’existence d’une réserve financière devient un facteur favorisant le processus de croissance et les conditions de sa constitution doivent être étudiées. La réalisation de levées de capitaux propres par des PME générant une CAFD positive conforte l’idée d’une stratégie planifiée visant à doter l’entreprise du stock de ressources jugé nécessaire pour garantir le bon déroulement du processus de croissance. Cette garantie paraît aussi pouvoir s’appuyer sur le statut d’actionnaire actif du capital-risque ayant pour conséquence une implication dans le pilotage de l’entreprise. Cette relation partenariale est potentiellement créatrice de valeur en raison des apports de conseil et de partage de réseaux qu’elle permet (Hsu, 2004 ; Desbrières, 2001). Au demeurant la contribution d’un fonds d’investissement ne se réduit pas à ces apports (Alexy, Block, Sandner et Ter Wal, 2010). Sa présence au capital d’une PME peut aussi renforcer le capital-réputation de l’entreprise contribuant à une diminution du risque perçu par les parties prenantes (banques, clients, salariés…).

Conclusion

Les PME en croissance ayant un besoin de financement représentent les deux tiers des levées de capitaux propres ; un tiers des levées émanent de PME en croissance n’ayant pas de besoin. Même si la forte proportion d’entreprises en hypercroissance (près de la moitié des entreprises) est une constante au sein des trois catégories de PME ayant levé des capitaux propres, l’étude montre que la croissance n’est pas la seule caractéristique de ces entreprises, l’intensité capitalistique, la profitabilité, la rentabilité et la taille ayant aussi un rôle dans la formation de la demande. Au demeurant, l’influence de la croissance ne se réduit pas à générer un besoin de capitaux propres consécutif à la seule incapacité de l’entreprise à autofinancer ses besoins d’investissement. La croissance, notamment lorsqu’elle est intense, serait aussi à l’origine d’un besoin de précaution qui se manifeste par des levées de capitaux propres réalisées en l’absence de tout besoin à couvrir. Cela en réponse à une double volonté des dirigeants : se prémunir contre le risque de déstabilisation inhérent à l’hypercroissance et se doter d’une marge de manoeuvre financière.

Au regard des questions relatives au besoin de capitaux propres des PME en croissance, la CAF disponible apporte un éclairage original et pertinent. Nos travaux confirment le besoin de capitaux propres ayant une origine strictement financière qui se manifeste par l’incapacité à couvrir par la CAF les besoins induits par l’hypercroissance.

Concernant le niveau de croissance financièrement soutenable, la capacité d’autofinancement disponible, en raison de son caractère synthétique et intégré, apporte une approche renouvelée. Ainsi, la limite de la croissance soutenable peut être définie à partir de l’aptitude de l’entreprise à lever les ressources financières externes (capitaux propres et dettes financières) nécessaires à la couverture du besoin de financement mesuré par la CAF disponible. Dans cette perspective, une mesure du besoin de capitaux propres non satisfait constitue une piste de recherche future sachant que les précautionneuses disposent d’une trésorerie positive nette d’endettement alors que les équilibrées et les contre-performantes (56 % et 61 %), deux catégories d’entreprises se caractérisant par un besoin de financement, sont endettées.

Par ailleurs, l’existence d’une catégorie de PME en croissance procédant à des levées de capitaux propres en l’absence de contrainte financière, conduit à nuancer la réticence des dirigeants-propriétaires à ouvrir leur capital et justifie d’élargir les facteurs explicatifs des choix des ressources financières en prenant en compte notamment les caractéristiques des dirigeants (vécu, aptitude managériale, et intentions de croissance) (Seville et Wirtz, 2010). Afin d’appréhender l’exploitation effective des opportunités de croissance, une étude longitudinale des PME de cette catégorie constitue une piste de recherche future. Si la permanence de ce profil semble acquise, l’intensité de sa manifestation nécessitera d’être étudiée ultérieurement, notamment au regard de l’influence de l’état de la conjoncture qui constitue a priori une variable explicative.