Corps de l’article

Introduction

La recherche germanophone (en entrepreneuriat et PME) est pratiquement inconnue des chercheurs francophones. Il suffit de consulter la bibliographie des principales revues publiées en français pour s’en rendre compte. Même si les premiers écrits de Schumpeter (1912) comme sa « Théorie du développement éonomique » (Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung) sont quelquefois cités avec leur titre d’origine, les références à la littérature germanophone, en général, sont extrêmement rares. La barrière linguistique pourrait constituer le principal frein à ce manque de visibilité et l’avènement de l’anglais comme lingua franca pour les publications scientifiques et dans le monde des affaires semble avoir encore amoindri cette visibilité. Comme le fait remarquer Cossette (1997), l’emprise de la langue anglaise sur la science n’est pas sans inquiéter. La constitution des connaissances possède un lien avec la langue du chercheur, étant donné que cette dernière lui fournit les mots et les règles à partir desquels il peut « penser », on peut donc craindre une absence de diversité associée à une science de plus en plus unilingue.

Cette ignorance de la recherche germanophone est regrettable car, d’une part, les chercheurs germanophones ont souvent été des pionniers dans le domaine de la PME et de l’entrepreneuriat. D’autre part, les PME (en allemand : KMU pour Klein- und Mittelunternehmen) occupent une place prépondérante dans l’économie et la politique économique des trois pays germanophones (République fédérale allemande, Suisse et Autriche). Cela constitue d’ailleurs un trait commun avec les régions francophones. De plus, comme nous le verrons dans l’analyse qui suit, c’est paradoxalement une institution germanophone – l’Institut suisse pour les Arts et Métiers de l’Université de Saint-Gall – qui a publié (en français !) le premier ouvrage international sur les PME.

L’objectif de cet article est de faire un état des lieux sur la recherche germanophone en entrepreneuriat et PME des dix dernières années, soit de 1997 à 2006. L’article se veut donc de nature essentiellement descriptive. Il s’agira de répondre aux questions : Qui ? Quoi ? Combien ? Notre démarche, qui s’inspire d’études similaires (Cossette, 1997 ; Boissin, Castagnos et Guieu, 2000), vise à fournir un inventaire de trois revues scientifiques germanophones (Schmalenbachs Zeitschrift für betriebswirtschaftliche Forschung – ZfbF, Zeitschrift für Betriebswirtschaft – ZfB et Zeitschrift für Klein- und Mittelunternehmen – ZfKE), afin de cerner les aspects suivants :

  • Qui sont les auteurs, à quelles institutions sont-ils rattachés et de quel pays proviennent-ils ?

  • Comment peut-on caractériser les techniques de collecte et d’analyse des données utilisées dans les recherches empiriques ?

  • Les références germanophones sont-elles nombreuses dans les textes publiés ? Quelle est leur proportion par rapport à l’ensemble des références ?

  • Quels sont les thèmes et disciplines concernés par les travaux publiés ?

L’article est composé de trois parties : la première partie donne un aperçu des origines de la recherche en entrepreneuriat et PME dans les pays germanophones. La deuxième partie présente la méthode utilisée dans cet article. La troisème partie, décomposée en trois sous-parties, détaille les résultats obtenus en les classant selon les auteurs, les types de publications et les disciplines abordées.

1. Les origines de la recherche germanophone en entrepreneuriat et PME

La direction de la Revue internationale PME relevait récemment que « Tout le monde a appris les fables de La Fontaine dans lesquelles soit les petits viennent aider les plus grands (Le Lion et le Rat, La Colombe et la Fourmi), se montrent supérieurs (Le Chêne et le Roseau), ou n’ont aucun intérêt à grandir (La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf) » (RIPME, 2003). Bref, le « small is beautiful » propre à la génération des sixties ou du new age – autant d’américanismes chargés de nous faire croire que c’est une chose nouvelle – revenait à la mode. Et la Revue ajoutait qu’en un quart de siècle, la recherche sur les organisations de petite taille, ou de taille « humaine », a considérablement progressé !

Un constat similaire peut être dressé au sujet de la recherche germanophone sur les PME et l’entrepreneuriat et force est de constater que l’intérêt pour la PME est encore plus ancien dans le monde germanophone. En effet, déjà en 1948, l’Institut suisse pour les Arts et Métiers (Schweizerisches Institut für gewerbliche Wirtschaft, 1948) de l’Université de Saint-Gall publie la première « Documentation artisanale » (gewerbliche Dokumentation) en langue allemande. En janvier 1950, le premier numéro de la « Documentation internationale » est publié en français sous l’égide de l’Union internationale de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises (UIAPME). Créée à Paris en 1947, l’UIAPME regroupe à l’origine la Fédération internationale de l’artisanat, la Fédération internationale de la petite et moyenne entreprise et la Fédération internationale du petit et moyen commerce. Elle défend le principe de l’économie libérale, de l’initiative personnelle et de l’indépendance des entreprises gérées sous l’entière responsabilité de leurs dirigeants.

La « Documentation internationale » vise à combler le besoin d’information qui est ressenti par les associations affiliées à l’UIAPME, en particulier en ce qui concerne les conditions régnant dans l’artisanat, la petite et moyenne industrie et le petit et moyen commerce. « En conséquence, immédiatement après sa fondation, l’Union internationale approuva au Congrès de Paris, en novembre 1947, la proposition de publier tout d’abord une revue documentaire périodique, rédigée sur la base de consultations régulières » (avant-propos de la « Documentation internationale »). La « Documentation internationale » est publiée pendant quatre ans, de 1949 à 1953, et elle présente, entre autres, les résultats de plusieurs enquêtes sur des thèmes aussi divers que le financement des entreprises indépendantes de l’artisanat et du commerce, le travail illicite ou, encore, la législation concernant les arts et métiers.

La « Documentation internationale » est le précurseur de Internationales Gewerbearchiv qui est la plus ancienne revue germanophone consacrée à la PME. Le premier numéro de Internationales Gewerbearchiv, édité par l’Institut suisse pour les Arts et Métiers, paraît en 1953. La revue prendra ensuite la nom de IGA – Zeitschrift für Klein- und Mittelunternehmen, puis sera rebaptisée Zeitschrift für Klein- und Mittelunternehmen – ZfKE en 2004. Il s’agit de la seule revue consacré aux PME et à l’entrepreneuriat dans le milieu germanophone. Comme le font remarquer Boissin, Castagnos et Guieu (2000), l’existence d’une revue spécifique n’introduit pas un biais, mais constitue un fait marquant, significatif de l’état de maturation d’une problématique. S’il existe une revue spécifique, c’est que le champ de recherche est considéré comme important par les acteurs qui y opèrent et interagissent avec d’autres champs.

L’après-guerre voit aussi l’émergence de plusieurs conférences et réseaux centrés sur les PME ; les « Rencontres de Saint-Gall » occupent une place particulière parmi ceux-ci. C’est en 1948 que l’Université de Saint-Gall, fidèle à l’esprit de neutralité de la Suisse, décide pour la première fois de réunir des chercheurs européens sur le thème de la PME. Il faut dire qu’à l’époque les temps sont moins à la réconciliation qu’à la reconstruction d’après-guerre où la place des petits entrepreneurs prend toute son importance. Le but de ces « Rencontres » est de réunir les chercheurs pour renouer le dialogue après la Deuxième Guerre mondiale et faire progresser la recherche, l’enseignement et les politiques économiques dans le domaine des PME (Schmidt, 2004). Les Rencontres de Saint-Gall existent toujours sous forme de conférence biannuelle réunissant 40 à 50 chercheurs du monde entier pendant trois jours.

2. La méthode retenue

Notre analyse de la littérature contemporaine sur la recherche en entrepreneuriat et PME se base sur trois revues scientifiques germanophones : Schmalenbachs Zeitschrift für betriebswirtschaftliche Forschung – ZfbF, Zeitschrift für Betriebswirtschaft – ZfB et Zeitschrift für Klein- und Mittelunternehmen – ZfKE. Les trois revues ont un comité scientifique et chaque article publié a été soumis à un processus d’évaluation auprès de deux membres du comité. La ZfbF et la ZfB sont deux revues en sciences de gestion établies de longue date et jouissant du plus grand prestige dans la communauté scientifique germanophone. Ainsi, le premier numéro de la ZfbF fut publié en 1906 sous l’appellation Zeitschrift für handelwissenschaftliche Forschung. La ZfB paraît pour la première fois en 1924. Le ZfKE est un journal entièrement consacré à l’entrepreneuriat, la PME et les entreprises familiales et il paraît pour la première fois en 1953 sous l’appellation Internationales Gewerbearchiv. Seuls les articles ayant trait à l’entrepreneuriat et aux PME ont été retenus dans la ZfbF et la ZfB, alors que tous les articles du ZfKE entrent dans le champ de l’analyse, en raison de la nature même de ce journal.

Au total, notre analyse porte sur 180 articles (151 articles dans ZfKE, 22 dans ZfB et 7 dans ZfbF) datés de janvier 1997 à décembre 2006. Tous les articles ont été regroupés dans une base de données qui a été analysée à l’aide du logiciel TextStat. Ce logiciel de repérage textuel permet d’effectuer des recherches d’occurrences de mots selon divers paramètres. Plus concrètement, ce logiciel analyse la base de données, en extrait les mots qui la composent et publie des listes de fréquence de ces mots ainsi que les occurrences des éléments recherchés.

3. Les résultats

3.1. Les auteurs et les institutions

Le tableau 1 détaille les principaux producteurs d’articles. Les auteurs les plus productifs, Norbert Kailer et Johan Lambrecht, ont chacun publié cinq articles dans ZfKE au cours des dix dernières années. Les travaux de Norbert Kailer portent surtout sur la gestion des compétences dans les PME (Kailer, 1998, 1999) et, plus récemment, sur la création d’entreprise (Kailer, 2001, 2002) ; ceux de Johan Lambrecht et de son équipe, basée à l’EHSAL (Katholieke Universiteit, Bruxelles), ont principalement trait aux aspects sociologiques de l’entrepreneuriat et de la gestion des PME. Ainsi, les thèmes abordés vont de l’expansion des PME dans les agglomérations (Donckels et Lambrecht, 1997) à l’entrepreneuriat chez les réfugiés (Von Braum et Lambrecht, 2006), en passant par une étude sur le « paupérisme parmi les entrepreneurs d’un pays riche » (Lambrecht et Beens, 2005).

Tableau 1

Les principaux producteurs d’articles entre 1996 et 2007

Auteurs (institution, pays)

ZfKE

ZfB

ZfbF

P. Davidson (Jönköping International Business School, Suède)

2

-

-

R. Donckels (Katholieke Universiteit Brussel, Belgique)

2

-

-

M. Falgatter (BU Wuppertal, Allemagne)

-

1

1

D. Grichnik (Uni Köln und Heinrich-Heine-Uni, Allemagne)

1

1

-

M. Gruber (LMU, Allemagne)

2

-

-

H. Grüner (FH Eberswalde, Allemagne)

2

-

-

N. Kailer (Uni Bochum, Allemagne ; Johannes Kepler Uni, Autriche)

5

-

-

S. Klein (European Business School, Allemagne)

2

-

-

L. Koch (BU Wuppertal, Allemagne)

1

1

-

J. Lambrecht (EHSAL - Katholieke Universiteit Brussel, Belgique)

5

-

-

C. Lettmayr (WU Wien, Autriche)

2

-

-

A. Martin (Uni Luneburg, Allemagne)

2

-

-

J. Mugler (WU Wien, Autriche)

2

-

-

H. Pichler (WU Wien, Autriche)

2

-

-

D. Rössl (WU Wien, Autriche)

2

-

-

K.H. Schmidt (Uni Paddeborn, Allemagne)

2

-

-

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Les autres auteurs recensés dans ce tableau ont publié deux articles dans les revues que nous avons retenues. Il est par ailleurs intéressant de noter l’orientation internationale de ZfKE : cette revue publie les travaux d’auteurs de divers pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Suède, pour n’en mentionner que les principaux), alors que ZfB et ZfbF ont principalement publié des travaux d’auteurs allemands. On remarquera par ailleurs dans le tableau 1 différents pôles de recherche forts à l’Université de Vienne (quatre auteurs et huit articles), à l’Université catholique de Bruxelles (deux auteurs et sept articles) et à l’Université de Wuppertal (deux auteurs et quatre publications).

Le décompte du total de ces articles publiés ne donne qu’une image (peut-être biaisée) des principaux auteurs et des centres/pôles de recherche en PME et entrepreneuriat, puisqu’il est par exemple possible qu’un auteur ait publié de nombreux articles, mais que ceux-ci ne soient pas lus ou ne suscitent pas d’intérêt dans la communauté scientifique. En outre, il existe d’autres supports pour divulguer ses travaux, comme les livres ou les communications à des conférences. Il nous est donc apparu important de faire une analyse des citations pour donner un aperçu plus général du champ de recherche. Pour cette analyse, nous n’avons pris en compte que les travaux écrits en allemand, puis exclu les autocitations des auteurs.

Les auteurs les plus cités dans les 180 articles que nous avons analysés sont mentionnés dans le tableau 2. Parmi eux, Albach et Picot sont souvent considérés comme des chercheurs « généralistes » car ils ont publié de nombreux travaux dans d’autres disciplines (management, théorie des organisations, systèmes d’information). D’autres auteurs ont publié des travaux qui peuvent être classés dans deux champs différents, par exemple Sternberg, dont beaucoup de travaux peuvent être classés aussi bien en entrepreneuriat qu’en géographie économique, ou Bakes-Gellner (en gestion des ressources humaines et en PME). Une dernière catégorie de chercheurs sont ancrés dans deux disciplines et ont publié des travaux distincts dans ces deux disciplines, à l’image de Pfohl qui a publié tour à tour des travaux en logistique, d’une part, et en gestion des PME, d’autre part.

Tableau 2

Les auteurs les plus cités dans les 180 articles de ZfKE, ZfB et ZfbF*

Auteurs (insitutions, pays)

Nombre de citations

Auteurs (insitutions, pays)

Nombre de citations

H. Klandt (Uni Dortmund, EBS, Allemagne)

20

H.C. Pfohl (TU Darmstadt, Allemagne)

9

H.J. Pleitner (Uni St. Gallen, Suisse)

19

R. Sternberg (Uni Köln, Allemagne)

8

J. Mugler (WU Wien, Autriche)

18

E. Fröhlich (TU Graz, Autriche)

7

H. Albach (Uni Bonn, Freie Uni Berlin, Allemagne)

18

N. Szyperski (Uni Köln, Allemagne)

7

H. Pichler (WU Wien, Autriche)

12

N. Kailer (Uni Bochum, Allemagne ; Johannes Kepler Uni, Autriche)

6

J. Brüderl (Uni Mannheim, Allemagne)

11

U. Bakes-Gellner (Uni Köln et IFM, Allemagne ; Uni Zürich, Suisse)

5

A. Picot (Uni Hannover, LMU, Allemagne)

10

F. Welter (RWI, D)

5

*

Les citations de différentes publications d’un même auteur dans un article (citations multiples, comme par exemple Klandt, 1994 et 1998) ont été comptabilisées comme une seule citation. Les citations d’un auteur de ses propres articles (autocitations) ne sont pas prises en compte.

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Les trois auteurs les plus cités, Klandt, Mugler et Pleitner, ont été des pionniers dans la recherche et l’enseignement en PME et entrepreneuriat. Ce sont cependant leurs livres (Klandt, 1998 ; Mugler, 1995) ou leurs chapitres dans des livres (Klandt, 1990, 1994 ; Pleitner, 2000), plutôt que leurs articles dans des revues, qui sont le plus souvent cités. Cela est un phénomène typique de la recherche germanophone où l’adage anglo-saxon du « Publish or perish » n’est apparu que récemment et ne concerne que les jeunes chercheurs.

Le schéma 1 donne un aperçu des réseaux de recherche germanophones en PME et entrepreneuriat sur la base des citations dans les articles de notre échantillon. Il faut interpréter ce schéma avec prudence, car la seule analyse des auteurs les plus cités risque de surévaluer les auteurs répertoriés dans les bibliographies bien que non lus, de même que les articles méthologiques (Callon, Courtial et Penan, 1993). Les auteurs sur la gauche du schéma (Pichler, Neubauer, Pleitner, Mugler) font partie du réseau « traditionel PME », alors que les auteurs sur la droite du schéma (Klandt, Franke, Falgatter, Brüderl, Koch) sont plutôt associés au réseau nouvellement établi en entrepreneuriat. De nombreuses passerelles existent entre ces deux réseaux et il n’est pas rare de voir des chercheurs qui participent aux conférences des deux réseaux ou qui publient des travaux tantôt liés à la PME, tantôt liés à l’entrepreneuriat. Les contours flous de ces réseaux reflètent d’ailleurs la difficulté de bien cerner les frontières entre les divers champs de recherche (PME, entrepreneuriat ou encore entrepreneuriat familial). La distinction entre entrepreneur, patron de PME et propriétaire-dirigeant d’une entreprise familiale en plein essor reste en effet loin d’être évidente.

Schéma 1

Les principaux auteurs germanophones du réseau PME et entrepreneuriat

Les principaux auteurs germanophones du réseau PME et entrepreneuriat

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3.2. Les types de recherche et les méthodes utilisées

Les distinctions entre les différents types de recherche ne sont pas faciles à établir. Nous avons repris dans cette étude les trois principaux types de recherche retenus par Cossette (1997) : empirique, lorsqu’il s’agit d’une recherche sur le terrain ou réalisée à partir d’informations provenant d’une banque de données ; conceptuel, lorsqu’il s’agit d’une réflexion ou d’une analyse partant sur un thème particulier et où les données chiffrées, s’il en existe, ne viennent qu’illustrer ou appuyer un aspect de la réflexion ; et épistémologique, quand l’objet fondamental du travail est d’étudier les travaux d’autres chercheurs en vue d’en déterminer les caractéristiques.

Comme le montre le tableau 3, les études empiriques dominent, suivies des recherches à caractère conceptuel et, loin derrière, se situent les travaux de nature épistémologique. Notons aussi que parmi les 120 études empiriques répertoriées, la majorité (108) se base sur une méthode de traitement des données quantitative. Seuls huit travaux empiriques sont de nature qualitative.

Tableau 3

Types d’articles publiés dans ZfKE, ZfB et ZfbF

 

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Total

Empirique

13

12

7

15

7

13

14

11

10

18

120

Conceptuel

4

2

5

3

7

4

8

3

3

2

41

Épistémologique

2

2

5

1

3

-

-

2

1

3

19

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Le questionnaire reste de loin la technique de collecte des données la plus prisée pour les études quantitatives. L’analyse de bases de données existantes est également employée, mais de façon beaucoup moins récurrente. Le nombre d’observations dépasse rarement 100 dans les études quantitatives. L’article qui se base sur le plus grand nombre d’observations a été publié par Leicht et Lauxen-Ulbrich (2005). Dans cet article, les deux auteurs font une analyse de l’évolution et des facteurs déterminant l’entrepreneuriat féminin à partir de 820 000 observations d’un microrescensement annuel effectué en Allemagne. De nouvelles méthodes de recherche, comme l’expérimentation (Maurer et Schade, 2006), ont récemment été employées.

Les entretiens et les observations sont les techniques les plus utilisées pour les études qualitatives. Par ailleurs, celles-ci se basent souvent sur des études de cas. Notons aussi l’absence totale d’études de type transversal ou longitudinal, se basant sur des données récoltés pendant plusieurs années.

Bien que moins nombreux, les travaux de type conceptuel et épistémologique n’en demeurent pas moins importants. En effet, ils ont joué un rôle prépondérant dans l’émergence de l’entrepreneuriat comme domaine de recherche en développant un corpus conceptuel et méthologique. Les travaux de trois auteurs parmi ceux que nous avons répertoriés peuvent servir d’exemple. Fallgatter (2001, 2004), par exemple, s’attache à définir les contours du domaine de recherche de l’entrepreneuriat et, dans une démarche typiquement épistémologique, il tente d’établir un taxonomie de l’entrepreneuriat et une théorie de la connaissance (comment l’entrepreneuriat prend-il forme ?) qui servira également dans l’enseignement de l’entrepreneuriat. À l’image de Verstraete (1999), l’article de Falgatter (2001) sur l’entrepreneur et ses spécificités dans l’analyse scientifique souligne que la particularité de l’entrepreneuriat réside dans la centralité de l’entrepreneur. Fallgatter propose une typologie de l’entrepreneur au travers de l’histoire économique et examine le type d’organisation impulsé. L’article de Welpe et Grichnik (2006) sur la finance entrepreneuriale constitue un second exemple. Les deux auteurs font un recensement exhaustif de la littérature dans ce domaine et montrent les spécificités de la finance des nouvelles entreprises par rapport aux grandes entreprises établies.

3.3. Les disciplines et les thèmes de recherche

Il est parfois très difficile d’associer une recherche à un domaine particulier. Le découpage du champ des sciences de gestion en divers sous-champs et les frontières de ces champs ne font pas l’unanimié. Ajoutons que plusieurs thèmes de recherche peuvent relever de plus d’une discipline (Cossette, 1997). Dans chaque numéro de la RIPME, on trouve les indications suivantes relatives à la spécificité de la revue :

La Revue vise à promouvoir la diffusion […] de recherches concernant l’économie et la gestion des petites et moyennes entreprises (PME). Par économie, on entend, par exemple, des études sur le rôle et la place de la PME dans le développement national et régional ou encore sur la relation entre la PME et son environnement économique. Par gestion, on pense à des recherches sur les comportements de la PME ou des entrepreneurs et sur les différentes fonctions de la gestion telles que la stratégie, le marketing, la finance, les ressources humaines, l’information, etc.

Ces précisions, y compris le découpage partiel qu’elles suggèrent, ont été retenues ici et, finalement, huit catégories ont été déterminées pour ce qui est du domaine de l’économie d’entreprise et de la gestion (des PME). Nous avons également retenu trois disciplines principales en entrepreneuriat : économie, management et stratégie. Le tableau 4 présente le nombre de textes qui peuvent être associés à chacune de ces disciplines sur les dix années considérées. On constate que, dans le champ des PME, les articles portant sur le management dominent. Les thèmes abordés en management des PME sont multiples et englobent, par exemple, la gestion de la succession dans les PME familiales (Letmathe et Hill, 2006), la gestion du changement (Martens et Michailow, 2006) ou, encore, le processus d’internationalisation (Bamberger et Wrona, 1997).

Tableau 4

Disciplines auxquelles sont rattachés les articles

PME

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Total

Management

3

1

3

3

4

5

2

3

4

4

32

Économie

3

5

4

1

3

5

3

3

1

-

28

Comportement organisationnel

2

-

5

1

2

-

-

1

-

3

14

Gestion des RH

1

3

-

3

-

1

2

2

-

2

14

Stratégie

2

2

-

4

-

2

2

-

1

-

13

Finance

-

-

3

-

-

-

1

1

2

1

8

Production/système d’information

-

1

-

-

-

-

-

-

-

1

2

Marketing

1

-

-

-

-

-

-

-

-

-

1

Entrepreneuriat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Économie

4

2

1

5

7

3

6

3

4

7

42

Management

1

1

-

-

1

-

3

2

-

3

11

Finance

-

-

1

1

-

-

2

-

2

1

7

Stratégie

-

1

-

1

-

1

1

1

-

1

6

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Nous avons recensé 28 travaux en économie des PME et 14 dans les disciplines du comportement organisationel et de la gestion de resssources humaines. Dans le domaine de la stratégie, 13 travaux ont été publiés. Le marketing, la gestion de la production ainsi que les systèmes d’information organisationnels n’ont suscité au total que trois travaux sur les dix années observées.

La deuxième partie du tableau 4 répertorie les travaux publiés dans le champ de l’entrepreneuriat. Nous constatons un essor considérable du nombre de publications en entrepreneuriat. Alors que quatre à cinq travaux par année étaient publiés dans ce champ entre 1997 et 1999, il n’est pas rare de relever que plus de dix travaux par année sont publiés entre 2003 et 2006. La revue ZfB a par ailleurs consacré deux numéros spéciaux (no 2 en 2003 et no 4 en 2006) au thème de l’entrepreneuriat.

Cet engouement s’explique en partie par l’avènement d’Internet et de la « new economy » à la fin des années 1990. D’autres développements concomittants montrent l’intérêt des chercheurs pour l’entrepreneuriat : en décembre 1997 se tient le premier « G-Forum » qui deviendra la conférence scientifique de référence en entrepreneuriat. Le Förderkreis Gründungs-Forschung - l’équivalent germanophone de l’Académie de l’Entrepreneuriat -, dont le but est de promouvoir la recherche et l’enseignement de l’entrepreneuriat, voit le jour à la même époque. Et, en 1998, la première chaire d’entrepreneuriat du monde germanophone est créée dans l’European Business School (EBS) à Berlin.

La grande majorité des travaux publiés en entrepreneuriat portent sur ce que nous pourrions appeler l’économie d’entreprise. Les thèmes abordés sous cette appellation touchent, par exemple, aux conditions des cadres (Albach, 1997 ; Bergmann, 2004), à la propension des étudiants à devenir entrepreneurs (Franke et Lüthje, 2002 ; Kailer, 2002), à l’enseignement de l’entrepreneuriat (Koch, 2003 ; Neubauer, 2003) ou, encore, à la dynamique des start-ups (Schwarz, Harms et Breitenecker, 2006). L’approche retenue dans ces travaux est le plus souvent de type macroéconomique et considère un territoire ou une population, plutôt que l’entrepreneur et son projet. La nature des travaux présente une grande richesse : nous trouvons des articles empiriques, conceptuels et épistémologiques. Les travaux en management entrepreneurial représentent la deuxième catégorie la plus importante dans le champ de l’entrepreneuriat. Ici aussi, les thèmes abordés reflètent la diversité des situations entrepreneuriales : la gestion des start-ups (Brettel, Heinemann et Hiddemann, 2006), l’intrapreneuriat (Siegert et al., 1997) ou, encore, les spin-offs dans les universités (Riesenhuber, Walter et Auer, 2006).

Remarquons finalement le regain d’intérêt que suscitent les entreprises familiales. Bien que nous n’ayons pas comptabilisé les articles sous une rubrique spécifique « family business », pour reprendre la terminologie anglo-saxonne, il faut relever que le nombre de travaux dans ce domaine est en constante progression depuis l’année 2000. En 2002, par exemple, la ZfB y a consacré un numéro spécial (no 5) sous le titre « Gründungs- und Überlebenschancen von Familienunternehmen » (création et pérennité des entreprises familiales). Par ailleurs, toute une série de thèmes propres aux entreprises familiales ont été abordés ces dernières années, tels que la gouvernance (Klein, 2005), la gestion financière (Zellweger, 2006) ou, encore, un sujet plus « traditionnel », la pérennité de l’entreprise (Albach, 2002 ; Letmathe et Hill, 2006).

Conclusion

Cet article propose un état des lieux sur le développement récent de la recherche germanophone en entrepreneuriat et PME. Ces deux domaines jouissent d’une longue tradition de recherche dans le monde germanophone. Cette tradition remonte à l’après-guerre où plusieurs publications et conférences ont vu le jour pour faciliter le transfert de savoir et tenter de développer une politique économique favorable aux PME. Le premier constat qui s’impose au sujet des 180 articles recensés dans notre échantillon est la formidable diversité des auteurs, des méthodes et des thèmes abordés. Les auteurs proviennent principalement des pays germanophones (Allemagne, Autriche et Suisse), cependant, des chercheurs d’autres pays (Belgique, Suède, Angleterre, Afrique du Sud) publient également des travaux en allemand.

Les techniques de collecte et d’analyse des données employées laissent penser que les auteurs se placent dans une perspective plutôt traditionnelle et associée au modèle orthodoxe de production des connaissances. Ainsi, les résultats reposent souvent sur une approche quantitative, privilégiant des données obtenues en réponse à des questions fermées ou à un éventail de questions. Le traitement des données fait appel à divers logiciels d’analyse statistique. Une telle approche est « structurante » puisqu’elle fournit au sujet un cadre de référence qui n’est pas le sien mais celui du chercheur (Cossette, 1997).

La diversité des thèmes abordés montre également la richesse des recherches en PME et en entrepreneuriat. Parfois même, cette diversité est si grande qu’elle peut laisser une impression de « fragmentation ». Mais peut-être vaut-il mieux voir dans cette diversité un signe de vigueur et laisser un processus de sélection s’opérer. La recherche et les publications ne sont pas à l’abri des effets de mode, comme le prouve l’engouement pour l’entrepreneuriat. Les publications dans ce champ ont connu un essor remarquable au cours des dix ans que nous avons analysés. L’intérêt récent pour les entreprises familiales n’échappe pas à ce phénomène et trouve aussi son origine dans les « family office » des grandes banques, les conseillers en entreprise et la presse populaire.

La diversité recensée ne met cependant pas le champ des PME et de l’entrepreneuriat à l’abri de l’influence (hégémonique) de la pensée anglo-saxonne ; la constante augmentation des citations de travaux publiés en anglais témoigne de cette influence grandissante. S’il ne faut certes pas recommander aux jeunes chercheurs germanophones d’ignorer la littérature anglo-saxonne, il convient de leur faire prendre conscience de la nécessité de publier dans leur langue maternelle. La langue est un instrument essentiel. Elle constitue l’un des éléments de notre identité ; elle aide à structurer notre pensée et elle définit notre relation à l’entreprise. On oublie par ailleurs trop souvent qu’avec 90 millions de locuteurs, l’allemand est la langue maternelle la plus utilisée en Europe !

La recherche que nous avons menée est cependant loin d’être exhaustive : d’autres revues et d’autres supports (livres, Internet) auraient aussi pu être pris en compte. L’étude des objets et des questions de recherche à la base des articles aurait certainement été fort intéressante et enrichissante, notamment dans la perspective d’une comparaison internationale ; mais cette tâche aurait dépassé les objectifs de cet article. Il en va de même pour l’étude plus appronfondie de certains aspects abordés ici. Par exemple, quels sont les auteurs anglophones les plus cités ? Quel est le pourcentage d’autocitations ? Comment devient-on un auteur de référence ?

Les résultats de cette recherche ont mis en évidence la diversité et la richesse de la recherche germanophone en entrepreneuriat et PME. Nous avons relevé les principales tendances et les auteurs clés dans ce domaine. Espérons que cet état des lieux servira à alimenter les réflexions des chercheurs dans les années à venir.