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Introduction

Depuis une dizaine d’années, la distinction conceptuelle entre l’entrepreneuriat de nécessité et l’entrepreneuriat d’opportunité, telle qu’elle est établie par Reynolds et al. (2001), est utilisée dans de nombreux travaux s’intéressant aux caractéristiques de l’entrepreneur. Cette typologie fait implicitement référence aux motivations de création de l’individu. Ces motivations peuvent être de nature « push » ou « pull » (Thurik et al., 2008 ; Acs, 2006). On parlera d’entrepreneuriat de nécessité ou contraint, quand un individu crée son entreprise, entre autres, par absence d’autres alternatives d’emploi et / ou de contrainte familiale, et d’entrepreneuriat d’opportunité ou volontaire, quand un individu crée son entreprise notamment à la suite de la découverte d’une opportunité et / ou pour le désir d’indépendance (Verheul et al., 2010 ; Bhola et al., 2006)[2]. Depuis Reynolds et al. (2001), nombre de travaux ayant adopté une approche individuelle de l’entrepreneuriat contraint et volontaire ont montré qu’il existe plusieurs différences socioéconomiques notamment en termes de niveau d’éducation, d’expérience professionnelle, d’âge, de sexe ou de « role model » entre un entrepreneur contraint et un entrepreneur volontaire (Verheul et al., 2010 ; Block et Sandner, 2009 ; Williams, 2009 ; Schjoedt et Shaver, 2007 ; Uhlaner et Thurik, 2007 ; Bhola et al., 2006 ; Wagner, 2005 ; Noorderhaven et al., 2004 ; Vivarelli, 2004 ; Carter et al., 2003 ; Ritsilä et Tervo, 2002 ; Orhan et Scott, 2001).

Aujourd’hui, plusieurs chercheurs plaident en faveur d’études s’intéressant au rôle que peuvent avoir les motivations de contrainte et volontaires du créateur sur ses décisions ou ses aspirations entrepreneuriales (Zhao, Seibert et Lumpkin, 2010 ; Shane, Locke et Collins, 2003). En effet, les décisions entrepreneuriales d’un individu pourraient être liées à ses motivations (Hechavarria et Reynolds, 2009). À ce sujet, Shane, Locke et Collins, (2003) soulignent que les motivations de l’individu peuvent avoir une influence sur la valeur de l’activité qu’il développe. Selon ces auteurs, les individus, en raison de leurs différences motivationnelles, ne sont pas tous identiques quant à leur capacité à repérer des opportunités à haute valeur ajoutée. Par ailleurs, on considère parfois que l’entrepreneuriat contraint n’a que peu d’impact sur le développement économique, contrairement à l’entrepreneuriat volontaire (Acs, 2006). L’ensemble de ces éléments pourrait s’expliquer par le fait qu’en raison de ses motivations, l’entrepreneur contraint, dépendant au jour le jour de son activité pour survivre, ne contribue pas à l’innovation, à la croissance de l’emploi et aux exportations (Hessels, Van Gelderen et Thurik, 2008). Shane, Locke et Collins (2003) supposent que, si les motivations jouent un rôle dans l’évolution de l’entreprise, elles peuvent aussi influencer le choix sectoriel fait par le créateur. Malgré cette hypothèse, aucune étude n’a, à ce jour, analysé l’influence des motivations de contrainte et volontaires sur le choix sectoriel de l’individu. Or, on peut supposer qu’un entrepreneur principalement guidé dans sa création par des raisons de survie, et donc de dépendance économique envers son entreprise, choisira un secteur dans lequel il pourra facilement et rapidement créer son activité. À l’inverse, le créateur volontaire pourrait choisir un secteur davantage axé sur la croissance et l’innovation nécessitant une vision à long terme.

Sur la base de ces constats, l’objectif de cet article est de déterminer l’influence des motivations de contrainte et volontaires sur le choix sectoriel fait par l’individu. Pour ce faire, nous utilisons un échantillon de 538 entrepreneurs.

Cet article est organisé comme suit. La section 1 résume la littérature relative aux différentes aspirations entrepreneuriales et présente nos hypothèses. Dans la section 2, nous décrivons notre base de données, ainsi que la méthodologie utilisée. La section 3 est consacrée aux résultats de notre recherche et ceux-ci sont discutés dans la section 4. Enfin, nous soulignons les principaux enseignements pouvant être tirés de notre travail, ainsi que des pistes de recherches futures.

1. Revue de la littérature et formulation des hypothèses

Depuis les travaux, entre autres, de Smith et Miner (1983) ou, plus récemment, ceux de Cassar (2007), de Van Stel, Storey et Thurik (2007) et de Baum et Locke (2004), nous savons que le profil du créateur a une incidence sur son entreprise ou sa stratégie. Ces travaux ont établi l’existence d’un lien entre le profil du créateur et le type d’entreprise qu’il décide de créer notamment en termes de création d’emploi, de taille, de croissance et d’exportations. Des différences semblent également exister entre les entrepreneurs contraints et volontaires (Hessels, Van Gelderen et Thurik, 2008). Ci-dessous, nous présentons les principaux résultats des recherches ayant récemment abordé cette question.

1.1. Innovation, croissance, exportation et motivation

McMullen, Bagby et Palich (2008) montrent que les entrepreneurs volontaires, en raison de leurs motivations, sont orientés vers l’innovation, la croissance et l’exportation, contrairement aux entrepreneurs contraints. De leur côté, Hessels, Van Gelderen et Thurik (2008) soulignent que l’entrepreneur volontaire a, contrairement à l’entrepreneur contraint, des objectifs d’exportations. Hechavarria et Reynolds (2009) et Morris et al. (2006) observent également un différentiel de croissance entre les deux types d’entrepreneuriat. En matière de création d’emplois, les entrepreneurs volontaires ont une ambition plus importante que les entrepreneurs contraints (Reynolds et al., 2002). D’autres études ont montré que les entreprises créées par les entrepreneurs volontaires sont plus profitables que celles fondées par les entrepreneurs contraints (Block et Sandner, 2009 ; Block et Wagner, 2006). Ces derniers imitent des activités déjà existantes[3] et leur entreprise a une rentabilité faible (McMullen, Bagby et Palich, 2008).

1.2. Aspiration sectorielle et motivation

Il semble qu’il existe aussi des différences sectorielles entre les deux profils d’entrepreneurs. Reynolds et al. (2001) montrent que le pourcentage de créateurs contraints est plus élevé dans les secteurs de l’agriculture, de la forêt, de la pêche et de l’Horeca, comparativement aux créateurs volontaires lesquels semblent être plus présents dans les secteurs de l’automobile et des services aux entreprises. Ces différences sectorielles sont aussi relevées par Hughes (2006). Pour ce dernier, les entrepreneurs « forcés », comparativement aux entrepreneurs « classiques » sont plus présents dans le secteur du commerce. De leur côté, Caliendo et Kritikos (2009) concluent que les entrepreneurs contraints sont plus représentés dans le secteur du commerce de détail, alors que les entrepreneurs volontaires sont davantage présents dans les secteurs technologiques. Pour Block et Wagner (2006), étant donné que les entrepreneurs contraints ont un salaire de réserve[4] plus faible, ceux-ci pourraient décider de créer une entreprise dans des secteurs d’activité à faible revenu. Indépendamment du niveau de salaire de réserve, on peut se demander si, en raison du caractère de survie que reflète la création par contrainte, les entrepreneurs inscrits dans cette dynamique ne se soucient pas plus de leurs besoins de court terme que des besoins réels du marché. Cela pourrait dès lors expliquer que l’entrepreneuriat contraint puisse se retrouver, d’une part, dans des secteurs où il n’existe pas de réel déséquilibre entre l’offre et la demande et, d’autre part, où le développement d’une nouvelle activité est relativement aisé. Cette vision est soutenue par Van Stel, Storey et Thurik (2007). Pour ces auteurs, les entrepreneurs contraints, contrairement aux entrepreneurs volontaires, ne développent pas une activité pour répondre à une demande du marché.

S’il est établi que les motivations (contraintes ou volontaires) de l’entrepreneur influencent bien la croissance, la création d’emplois, les exportations et les investissements, nous ne savons pas si ces motivations influencent le choix sectoriel qu’il réalise. En effet, si Caliendo et Kritikos (2009), Hughes (2006) et Reynolds et al. (2001) observent, d’un point de vue descriptif, des différences sectorielles entre les deux types d’entrepreneuriat, ces auteurs n’ont pas déterminé de façon robuste et significative si ces différences pouvaient être dictées par les motivations de création de l’individu. Or, pour Shane, Locke et Collins (2003), si les motivations jouent un rôle dans le processus entrepreneurial et ont un impact sur les caractéristiques de l’entreprise, elles peuvent aussi influencer le choix sectoriel fait par le créateur. Relevons à ce stade qu’il n’est pas exclu qu’un même individu soit guidé dans sa création à la fois par des motivations de contrainte et volontaires (Williams, 2009). Nous parlerons donc de création guidée principalement par des motivations de contrainte et de création guidée principalement par des motivations volontaires.

On peut supposer qu’un entrepreneur principalement guidé dans sa création par des raisons de survie, et donc de dépendance économique envers son entreprise, choisira un secteur dans lequel il pourra facilement et rapidement créer son activité. Par exemple, il pourra s’orienter vers un secteur ne nécessitant pas d’investissements de départ trop importants, où l’accès à la profession n’est pas ou peu restreint ou réglementé (faible niveau de formation) et / ou dans lequel les démarches administratives de pré-création sont peu contraignantes et rapides. À l’inverse, le créateur volontaire pourrait choisir, en raison de ses motivations premières, un secteur davantage axé sur la croissance et l’innovation, nécessitant une vision à long terme, dans lequel il existe une demande importante et où la concurrence (présente et future) peut être limitée notamment par les coûts et / ou les conditions d’accès sectoriels.

Ces différents constats nous permettent de formuler les deux hypothèses suivantes :

H1 : Les entrepreneurs principalement motivés par des raisons de contrainte ont une probabilité plus forte de créer dans des secteurs à faible barrière à l’entrée, tels que le commerce, l’Horeca et le service.

H2 : Les entrepreneurs principalement motivés par des raisons volontaires ont une probabilité plus forte de créer dans des secteurs innovants, à rentabilité élevée et / ou à forte croissance, tels que la finance et l’industrie.

Comme l’observe Hughes (2003), les motivations de contrainte et volontaires d’un individu sont en fonction de sa situation et des circonstances dans lesquelles il se trouve au moment de la création. Dès lors, il est probable que l’influence des motivations sur le choix sectoriel puisse être modérée par certaines caractéristiques du créateur. Par exemple, le niveau de formation et la connaissance préalable du secteur peuvent être des éléments déterminants du choix sectoriel. À ce sujet, Block et Sandner (2009) soulignent l’importance majeure du capital humain, à savoir le niveau de formation et l’expérience acquise, dans la décision entrepreneuriale. Par ailleurs, il est établi qu’une expérience antérieure dans le même secteur joue un rôle significatif dans le choix sectoriel du créateur (Buenstorf, 2009). Le « role model » est un autre élément influençant la décision entrepreneuriale de l’individu (Van Auken et al., 2006). En effet, des contacts avec d’autres entrepreneurs peuvent permettre au créateur de se familiariser avec un secteur (fournisseurs et / ou clients potentiels, barrières à l’entrée, concurrence, etc.) d’activité et donc influencer son choix sectoriel. Enfin, il est possible que le sexe de l’individu puisse aussi avoir une influence sur son choix sectoriel. Certains auteurs n’hésitent pas à parler d’un stéréotype masculin de l’entrepreneuriat (Gupta, Turban et Bhawe, 2008). En effet, souvent, les caractéristiques associées à l’entrepreneur, telles que l’indépendance, l’agressivité, l’autonomie, le courage, etc., sont assimilées à celles d’un individu de sexe masculin (Gupta et al., 2009). L’influence d’un tel stéréotype peut entraîner chez un individu une perception négative de ses compétences entrepreneuriales, ce qui pourrait expliquer la différence de comportement entrepreneuriale entre les hommes et les femmes (Krueger, 2007). L’influence de ce stéréotype pourrait également avoir un impact sur le choix sectoriel de l’individu. Certaines études montrent que les femmes ont davantage tendance à s’orienter vers les secteurs du commerce ou des services (Brush et al., 2004). À l’inverse, les hommes seront plus présents dans les secteurs de l’industrie ou de la construction (Allen et al., 2008). Ces caractéristiques personnelles pourraient donc moduler l’influence des motivations sur le choix sectoriel.

Ces différents constats nous permettent de formuler l’hypothèse suivante :

H3 : L’influence des motivations de création sur le choix sectoriel de l’individu est liée aux caractéristiques personnelles.

2. Base de données et méthodologie

2.1. Construction de la base de données

Afin d’identifier les nouvelles entreprises créées ex nihilo, nous avons, dans une première étape, exploité l’information disponible dans le répertoire administratif des entreprises belges (le répertoire Eurodb[5]) afin d’isoler les entreprises créées entre le 1er juin 1998 et le 31 mai 2000[6]. Sur la base de ces critères de sélection, 12 748 entreprises au sein du répertoire Eurodb ont été identifiées comme étant des nouvelles entreprises.

Dans une deuxième étape, l’ensemble de ces 12 748 entreprises a été contacté par voie postale entre le 15 septembre et le 30 octobre 2001 afin, d’une part, d’isoler les entreprises créées ex nihilo et, d’autre part, d’identifier, pour ces dernières, le(s) créateur(s) et leur situation en termes d’expérience antérieure en matière de création. Cette enquête a été réalisée entre octobre et novembre 2001. Sur les 12 748 entreprises contactées, près de 4 562 ont répondu à cette enquête d’identification des primo-créateurs, ce qui correspond à un taux de réponses de 35,8 %. Parmi les entreprises ayant répondu à l’enquête d’identification des primo-créateurs, un peu plus de sept sur dix correspondent à des créations ex nihilo. Les autres ont été créées par fusion, filialisation ou scission. Au total, sur ces 4 562 entreprises, nous avons pu identifier 6 392 créateurs dont 4 322 sont des primo-créateurs, ce qui représente un peu plus de sept créateurs sur dix.

Dans une troisième étape, l’attention a été portée sur l’identification des caractéristiques socioéconomiques des créateurs. L’ensemble des créateurs identifiés lors de la phase précédente a été invité, entre septembre et octobre 2004, à participer à une enquête de type socioéconomique[7] (par voie postale et relance téléphonique) destinée à faire ressortir certaines de leurs caractéristiques. Le questionnaire de l’enquête a été structuré en quatre grands volets. Le premier volet portait sur l’identification de l’entreprise au moment de sa création, c’est-à-dire entre le 1er juin 1998 et le 31 mai 2000 (date de création, nom de l’entreprise, secteur d’activité, etc.). Le deuxième volet concernait la stratégie et le processus de création de l’entreprise. Ce volet visait plus particulièrement à identifier la temporalité entre l’idée de création d’une entreprise et le passage à l’acte, les déclencheurs personnels et professionnels ayant joué dans le passage à l’acte, le type de démarches effectuées, les soutiens obtenus et souhaités, et les freins éventuellement rencontrés par les créateurs. Le troisième volet abordait les ressources financières mobilisées lors de la création de l’entreprise et les grandes orientations stratégiques prises. Le quatrième et dernier volet était centré sur le créateur et son entourage immédiat. Les questions portant sur le créateur concernaient différentes dimensions de son identité telles que son âge, ses titres scolaires, sa situation socioprofessionnelle et socioéconomique au moment de la création de l’entreprise. Une question portait sur les motivations personnelles poursuivies par le créateur à travers l’acte de création.

Ce questionnaire a été adressé à 3 520 créateurs sur les 4 322 créateurs identifiés comme tels lors de la phase précédente. Cette différence résulte de l’absence des coordonnées personnelles de près de 800 créateurs. Après une phase de relance téléphonique, 538 questionnaires valides ont finalement été réceptionnés, ce qui correspond à un taux de réponse de 12,4 %[8].

2.2. Méthodologie

Avant d’exposer la méthodologie suivie dans notre recherche, nous présentons les mesures que nous avons utilisées pour connaître, d’une part, le caractère contraint et volontaire de la création chez chacun des individus et, d’autre part, les secteurs d’activité.

2.2.1. Identifications des motivations de contrainte et volontaires

Pour vérifier nos hypothèses, nous devons au préalable établir la nature sous-jacente des motivations de contrainte et volontaires (Kautonen et Palmroos, 2009). Pour ce faire, nous utilisons des indicateurs (voir tableau 1) pouvant soit bénéficier du support de recherches antérieures, soit être justifiés sans qu’il ne soit nécessaire d’émettre des hypothèses trop restrictives. Sur cette base, nous avons classé les motivations de création choisies dans notre questionnaire selon que celles-ci reflètent une création contrainte ou volontaire.

En ce qui concerne l’indicateur sortir du chômage, notre classement repose sur les travaux antérieurs de Block et Wagner (2006) ; van Praag (2003) ; Ritsilä et Tervo (2002) ; Evans et Leighton (1989) ; Mason (1989) et Harrison et Hart (1983). L’absence de valorisation personnelle dans l’emploi et / ou le besoin de reconnaissance chez l’individu sont généralement considérés comme pouvant être synonymes d’une insatisfaction professionnelle ou privée et donc d’entrepreneuriat contraint (Noorderhaven et al., 2004). Pour ces raisons, nous avons classé les indicateurs acquérir du prestige et être reconnu socialement sous la rubrique « contraint ». Les indicateurs répondre aux attentesfamiliales et perpétuer la tradition familiale ont été, au vu de leur libellé, classés sous la rubrique « contraint » dans la mesure où ils renvoient à des situations où les individus ont été poussés par leur entourage à créer ou reprendre une activité entrepreneuriale. Ce choix fait, en outre, écho aux travaux de Bhola et al. (2006) qui démontrent qu’un individu peut être poussé vers l’entrepreneuriat parce qu’il se sent obligé de reprendre l’entreprise familiale. Nos choix et notre classification dans la catégorie « volontaire » des indicateurs[9]gagner un maximum d’argent, augmenter vos revenus, être autonome, créer votre propre emploi, ne plus avoir de patron, développer de nouveaux produits et développer de nouveaux procédés de fabrication se justifient, quant à eux, notamment par les recherches antérieures de Cassar (2007) ; Carter et al. (2003) ; Kolvereid (1990) ; Mason (1989) ; Harrison et Hart (1983).

Tableau 1

Classification des indicateurs sous-jacents de l’entrepreneuriat contraint et volontaire

Classification des indicateurs sous-jacents de l’entrepreneuriat contraint et volontaire

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2.2.2. Identification des secteurs d’activité

La base de données regroupe les créateurs en 15 secteurs d’activité[10]. Afin d’éviter tout problème de représentativité de l’échantillon, nous avons choisi d’éliminer les secteurs ne représentant qu’un faible pourcentage (inférieur à 1,5 % des observations). De même, en raison du caractère (quasi) monopolistique (Production et distribution d’électricité de gaz et d’eau) ou étatique (Administration publique) de certains secteurs, nous avons éliminé ceux-ci de la base de données. À l’issue de cette opération, notre base de données regroupe les neuf secteurs les plus représentatifs : agriculture, industrie manufacturière, construction, commerce, Horeca, finance, immobilier, santé et services (voir le tableau 2). Ceux-ci regroupent 88,7 % des créateurs initialement présents dans notre base de données. À la lecture du tableau 2, on constate notamment que le secteur le plus représenté est celui de l’Immobilier (26,8 %).

Tableau 2

Répartition des créateurs au sein des 9 secteurs agrégés

Répartition des créateurs au sein des 9 secteurs agrégés

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2.2.3. Traitement statistique

Sur le plan du traitement des données, nous utilisons une méthode en trois étapes. Dans un premier temps, nous identifions les motivations de contrainte et volontaires. Pour ce faire, nous appliquons une analyse factorielle en composante principale (ACP) aux données relatives aux indicateurs contraints-volontaires retenus (voir le tableau 1). Il nous sera ainsi possible d’établir les positionnements individuels des créateurs face aux deux types de motivations de contrainte et volontaires. Dans la deuxième phase, nous analysons à l’aide d’une analyse univariée de type ANOVA[11] les différences de sensibilité entre les différents secteurs d’activité par rapport aux motivations contraintes-volontaires relevées dans notre ACP. L’hypothèse (Ho)[12] testée par l’ANOVA est que, en moyenne, l’importance des motivations de contrainte et volontaires est identique entre les différents secteurs. Conjointement à notre ANOVA, nous réalisons une analyse en comparaison multiple pour déterminer quels secteurs présentent des sensibilités différentes des autres secteurs selon les motivations de création. Bien que nous supposions que nos données suivent une distribution normale, nous préférons le test de Levene au test de Bartlett pour vérifier l’homogénéité des variances. Le test de Levene est moins sujet à l’erreur de type I (rejet de l’hypothèse nulle quand celle-ci est correcte) en cas d’absence de normalité des données. Lorsque la propriété d’homogénéité des variances n’est pas rencontrée, nous faisons appel au test de Welch. En effet, en cas d’absence d’homogénéité des variances, le test de Fischer utilisé pour l’analyse ANOVA n’est pas totalement robuste et les résultats fournis par celui-ci peuvent être incorrects. Le test de Welch a donc l’avantage de procurer des résultats ANOVA plus fiables tout en permettant la non-homogénéité des variances. Dans la troisième et dernière étape de notre analyse, pour vérifier nos hypothèses, nous procédons à une analyse régressive à l’aide d’un modèle Logit Multinomial non ordonné. Cette modélisation a pour principal intérêt de permettre de tenir compte de la logique du choix de la pluriactivité chez les créateurs d’entreprises. D’un point de vue un peu plus formel, dans ce type de modélisation, on pose comme hypothèse qu’un individu i doit choisir une et une seule alternative (notée n) parmi un ensemble de N alternatives. À chacune de ces N alternatives (indicées par n=1,…, N), correspond une fonction d’utilité qui peut s’écrire sous la forme :

Où X'i,n β est le vecteur des variables observables et εi,n est le vecteur des variables aléatoires indépendantes. L’individu est supposé choisir la modalité qui maximise son utilité. La probabilité de choisir n revient à estimer par maximum de vraisemblance le modèle suivant :

Dans notre modèle, la variable dépendante comporte neuf modalités en fonction du secteur de création : i) agriculture, ii) industrie manufacturière, iii) construction, iv) commerce, v) Horeca, vi) finance, vii) immobilier, viii) santé et ix) services. La modalité de référence est constituée par le groupe des créateurs dont l’activité de création se situe dans l’immobilier. En ce qui concerne les variables explicatives utilisées, en plus des six motivations[13] identifiées, nous faisons appel à quatre variables modératrices. Ces variables sont liées à certaines caractéristiques socioéconomiques du créateur ayant pu jouer un rôle dans son choix sectoriel. Comme nous l’avons souligné, les motivations de contrainte et volontaires d’un individu dépendent de sa situation et des circonstances dans lesquelles il se trouve au moment de la création (Hughes, 2003) ; dès lors, il est probable que l’influence des motivations puisse être modérée par certaines caractéristiques du créateur.

Sur ces bases, nous nous proposons donc d’estimer deux modèles. Le premier (modèle 1) a pour objectif de vérifier nos hypothèses H1 et H2 en déterminant l’influence stricte des seules motivations de contrainte et volontaires sur le choix sectoriel réalisé par le créateur. Le second modèle (modèle 2) a pour objectif de vérifier notre troisième hypothèse H3 en examinant si l’influence des motivations, identifiée par le modèle 1, sur le choix sectoriel est modérée par les caractéristiques de créateur. Pour ce faire, nous utilisons quatre variables modératrices dans le second modèle :

  • le niveau de formation : trois variables dichotomiques sont incluses dans notre modèle. Elles mesurent le plus haut diplôme obtenu par le créateur au moment de la création. Par l’intermédiaire de ces variables dichotomiques, trois niveaux d’éducation sont distingués : 1) sans diplôme ou ayant au maximum un diplôme d’études secondaires inférieures, 2) diplôme d’études secondaires supérieures, 3) diplôme universitaire, post-universitaire ou doctorat ;

  • le secteur d’activité de l’entrepreneur avant la création : une variable dichotomique valant 1 si le secteur d’activité précédent est identique à celui dans lequel l’entreprise a été créée et 0 sinon ;

  • l’entourage entrepreneurial : une variable dichotomique valant 1 si le créateur connaissait personnellement (parents, oncles, amis) un chef d’entreprise ;

  • le sexe du créateur : une variable dichotomique valant 1 si le créateur est un homme.

L’ensemble des analyses est réalisé à l’aide du logiciel SPSS 18.0.

3. Résultats

Avant de procéder à nos analyses empiriques, nous avons souhaité vérifier la validité interne de notre classification des indicateurs contraints-volontaires (voir supra) à l’aide de l’alpha de Cronbach. Nous obtenons un alpha de 0,879 pour la classification « contraint » et de 0,907 pour la classification « volontaire ».

Ensuite, nous avons déterminé si, pour les individus de notre échantillon, il est possible de traduire leur passage à la création d’activité en termes d’entrepreneuriat contraint volontaire. Pour ce faire, nous avons recours à une ACP, à l’instar d’études telles que celles de Carter et al. (2003) et de Birley et Westhead (1994) s’intéressant aux facteurs décisionnels de création. Celle-ci est menée sur l’ensemble des indicateurs contraints volontaires retenus. L’objectif est de vérifier si ces derniers se combinent entre eux suivant l’axe présupposé entrepreneuriat contraint et entrepreneuriat volontaire. À l’issue de notre ACP, nous obtenons six facteurs dont la valeur propre est supérieure à 1 et expliquant 87,594 % de la variance totale expliquée par l’ACP. Les résultats finaux[14] de l’ACP sont présentés dans le tableau 3.

Tableau 3

Matrice des composantes après rotation

Matrice des composantes après rotation

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L’analyse du tableau 3 nous permet de tirer les conclusions suivantes. Pour l’axe 1 (alpha de Cronbach : 0,818), les motivations être autonome, ne plus avoir de patron et créer votre propre emploi sont les plus représentatives. La nature de ces trois motivations suggère que l’axe 1 représente le désir d’indépendance comme motivation de création. L’analyse de l’axe 2 (alpha de Cronbach : 0,760) nous montre que les motivations perpétuer la tradition familiale et répondre aux attentes familiales sont les plus corrélées avec cet axe. Ce dernier peut être interprété comme renvoyant à la motivation de création résultant d’une pression familiale. Les motivations développer de nouveaux procédésde fabrication et développer de nouveaux produits sont, quant à elles, les plus corrélées avec l’axe 3 (alpha de Cronbach : 0,710). Celui-ci renvoie à l’opportunité de marché comme motivation de création. Les motivations augmenter vos revenus et gagner un maximum d’argent sont les plus corrélées à l’axe 4 (alpha de Cronbach : 0,725). Ce dernier est interprété comme étant la motivation de création « recherche du profit ». La quête de valorisation sociale comme motivation de création est identifiée à l’axe 5 (alpha de Cronbach : 0,651)[15]. Les motivations acquérir du prestige et être reconnu(e) socialement sont les plus associées à cet axe. Finalement, l’absence d’emploi comme raison de création est clairement identifiée par l’analyse de l’axe 6[16] et la motivation absence d’emploi.

En termes de motivations de contrainte volontaires, notre ACP nous a permis d’identifier trois types de motivations de contrainte (la pression familiale, la quête de valorisation sociale et l’absence d’emploi) et trois types de motivations volontaires (l’opportunité de marché, le désir d’indépendance et la recherche de profit).

3.1. Importance des motivations au sein des secteurs d’activité

Dans une première phase, afin de pouvoir déterminer le ou les liens éventuels entre les secteurs d’activité et le caractère contraint volontaire de la création, nous avons transformé chacune des six composantes identifiées par notre ACP en variable binaire (0, 1), et ce, pour chaque individu. Pour transformer les scores de l’ACP en variable binaire, nous avons utilisé la méthode median cut (Bair et al., 2006). Cette méthode consiste à calculer la valeur médiane de chaque variable et à attribuer la valeur 0 à la variable lorsque sa valeur est inférieure à la valeur médiane et 1 lorsque sa valeur est supérieure à la valeur médiane.

Le tableau 4 nous permet, d’un point de vue purement descriptif, de déterminer, d’une part, pour chaque motivation, le secteur où elle est la plus (la moins) représentée et, d’autre part, la motivation la plus (la moins) importante pour chacun des secteurs.

Tableau 4

Motivations et secteurs d’activité

Motivations et secteurs d’activité

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Premièrement, en ce qui concerne l’importance des motivations, on note que l’absence d’emploi est plus (moins) présente dans le secteur Horeca (santé). La pression familiale est plus (moins) importante dans le secteur agricole (immobilier et santé). La quête de valorisation sociale est plus (moins) importante dans le secteur du commerce (industrie manufacturière). La motivation opportunité de marché est plus (moins) importante dans le secteur manufacturier (santé). L’autonomie est plus (moins) importante dans le secteur de la construction (santé). Enfin, la recherche de profit est plus (moins) importante dans le secteur de la santé (Horeca).

Deuxièmement, si l’on examine la motivation la plus (la moins) importante pour chaque secteur, on trouve la pression familiale (l’absence d’emploi) pour l’agriculture, l’opportunité de marché (l’absence d’emploi) pour l’industrie manufacturière et les services, l’autonomie (l’absence d’emploi) pour la construction, la finance et l’immobilier, la recherche de profit (l’opportunité de marché) pour le commerce, l’absence d’emploi et la pression familiale (l’opportunité de marché et la recherche de profit) pour l’Horeca et la recherche de profit (l’absence d’emploi) pour la santé.

Ces résultats descriptifs confirment l’idée selon laquelle les motivations de contrainte et volontaires sont plus importantes dans certains secteurs que dans d’autres. Ce constat est en ligne directe avec les résultats de Caliendo et Kritikos (2009), Hughes (2006) et Reynolds et al. (2001).

Dans une seconde phase, afin de déterminer s’il existe bien une différence significative de sensibilité entre les secteurs d’activité par rapport aux six types de motivations contraintes volontaires identifiés, nous avons réalisé une analyse ANOVA suivie d’une analyse en comparaison multiple. Avant de réaliser l’ANOVA, nous avons vérifié la condition d’égalité des variances pour l’ensemble des motivations identifiées. Lorsque cette condition n’était pas respectée, nous nous sommes basés sur le test de Welch afin de déterminer si une différence de sensibilité existe ou non.

Le tableau 5 ci-dessous présente les résultats du test d’homogénéité. On note que pour les motivations absence d’emploi, pression familiale, valorisation sociale et autonomie, la propriété d’homogénéité des variances n’est pas rencontrée. L’interprétation des résultats ANOVA (tableau 6) pour ces quatre motivations se fera donc à l’aide du test de Welch. À titre indicatif, les résultats du test de Fischer sont également présentés.

Tableau 5

Test d’homogénéité des variances des six motivations

Test d’homogénéité des variances des six motivations

* p < 0,05 ; ** p < 0,000.

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Tableau 6

Table ANOVA

Table ANOVA

* p < 0,05 ; ** p < 0,000.

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Les résultats de l’ANOVA, repris dans le tableau 6, montrent qu’il existe une différence significative de sensibilité entre au moins deux secteurs, et ce, pour chacune des motivations identifiées, exception faite de la motivation liée à la valorisation sociale. Cependant, ces résultats ne nous permettent pas d’identifier de façon significative quels secteurs diffèrent sensiblement des autres, par rapport à une même motivation. À cette fin, nous avons réalisé une analyse en comparaison multiple pour déterminer quels secteurs présentent des sensibilités différentes des autres secteurs. Pour réaliser cette analyse en comparaison multiple, nous avons recours au test non paramétrique de Tamhane. En effet, le test de Levene ayant démontré que les variances des motivations ne sont pas toutes homogènes, nous ne pouvons utiliser un test paramétrique nécessitant cette propriété. Nous ne présentons dans le tableau 7 que les résultats significatifs de notre analyse en comparaisons multiples.

Tableau 7

Analyse en comparaison multiple des secteurs et des motivations

Analyse en comparaison multiple des secteurs et des motivations

* p < 0,05 ; ** p < 0,000.

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Premièrement, en ce qui concerne la motivation « absence d’emploi », en moyenne, celle-ci est significativement plus importante chez les créateurs du secteur du commerce que chez les créateurs des secteurs de la finance et de l’immobilier. Deuxièmement, il apparaît que la motivation « pression familiale » est plus importante chez les créateurs du secteur agricole que chez les créateurs des secteurs de la construction, du commerce, de la santé et de l’immobilier. Les créateurs de ce dernier secteur sont moins sensibles à cette motivation que les créateurs du secteur des services. Troisièmement, la motivation « opportunité de marché » est plus importante chez les créateurs du secteur de l’industrie manufacturière que chez les créateurs du secteur de la construction. Quatrièmement, la motivation « autonomie » est moins importante chez les créateurs du secteur de la santé que chez les créateurs des secteurs de l’agriculture, du commerce, de l’immobilier et de la construction. Les créateurs de ce dernier secteur sont, quant à eux, plus sensibles à cette motivation que les créateurs du secteur de l’industrie manufacturière. Finalement, la motivation « recherche de profit » est plus importante chez les créateurs du secteur de la santé que chez les créateurs du secteur de l’immobilier.

À l’issue de nos analyses ANOVA et en comparaisons multiples, nous pouvons conclure qu’il existe entre les secteurs des sensibilités significativement différentes quant à l’importance des motivations de contrainte et volontaires. Nos résultats confirment donc statistiquement les conclusions descriptives de Caliendo et Kritikos (2009), Hughes (2006) et Reynolds et al. (2001). Examinons à présent si ces différences peuvent jouer un rôle dans le choix sectoriel fait par le créateur.

3.2. Impact(s) des motivations sur le choix sectoriel de l’individu

Les analyses menées dans la section précédente montrent que certaines motivations sont plus fortes dans certains secteurs que dans d’autres. Il convient d’étayer ces résultats par une analyse plus poussée. Pour ce faire, nous nous proposons d’estimer l’effet « toutes choses égales d’ailleurs » des motivations de contrainte et volontaires du créateur sur son choix sectoriel. Afin de déterminer, d’une part, l’influence des motivations de contrainte et volontaires sur le choix sectoriel et, d’autre part, le rôle modérateur des caractéristiques du créateur sur l’influence des motivations, nous nous proposons d’estimer deux modèles probabilistes. Pour rappel, le premier modèle (modèle 1) a pour objectif de déterminer l’influence des seules motivations de contrainte et volontaires sur le choix sectoriel réalisé par le créateur. Le second modèle (modèle 2) nous permet de vérifier si l’influence des motivations sur le choix sectoriel identifiée par le modèle 1 est modérée par les caractéristiques de créateur. L’ensemble des résultats[17] est présenté dans le tableau 8.

Tableau 8

Influence des motivations sur le choix sectoriel

Influence des motivations sur le choix sectoriel

Tableau 8 (suite)

Influence des motivations sur le choix sectoriel

* p < 0,05 ; ** p < 0,000.

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3.3. Vérification de H1 et H2

À la lecture des résultats du modèle 1, un premier constat s’impose : le choix sectoriel d’un créateur n’est pas guidé uniquement par des motivations de contrainte ou volontaires. En effet, chaque choix sectoriel semble être influencé, dans une certaine mesure, par un ensemble de motivations de contrainte et volontaires. Cela confirme donc les réflexions de Williams (2008) et Hughes (2006) pour qui un même individu peut être guidé dans sa création à la fois par des motivations de contrainte et volontaires. Pour certains secteurs, on observe toutefois des motivations dominantes. Ainsi, le choix des secteurs du commerce, de l’Horeca, de l’agriculture et des services est principalement dicté par des motivations de contrainte. Ce constat est d’autant plus marqué pour les deux premiers. À l’inverse, le choix de l’industrie manufacturière, de la finance et de la santé est principalement imputable à des motivations volontaires. Enfin, le choix du secteur de la construction est dicté, de façon équilibrée, par des motivations de contrainte et volontaires. H1 et H2 sont donc vérifiées.

3.4. Vérification de H3

Globalement, les résultats du second modèle montrent que l’influence des motivations de contrainte ou volontaires, lorsque l’on contrôle celles-ci à l’aide des caractéristiques socioéconomiques du créateur, est plus nette dans certains secteurs.

Contrairement aux résultats du modèle 1, le choix du secteur manufacturier et de la construction est uniquement dicté par des motivations volontaires, à savoir l’opportunité de marché, l’autonomie et / ou la recherche de profit. Les résultats du modèle 2, tout comme ceux du modèle 1, confirment que le choix du secteur de la finance et de la santé est uniquement guidé par un entrepreneuriat volontaire, à savoir l’opportunité de marché et / ou la recherche de profit. Dans les secteurs de la finance et de l’industrie manufacturière, notons aussi l’impact positif du niveau de formation. Ce dernier a, par contre, un impact négatif dans le secteur de la construction. Le choix du secteur de la santé est, quant à lui, influencé positivement par l’expérience sectorielle et négativement par le fait d’être de sexe masculin.

Les résultats du modèle 2 montrent aussi que le choix du secteur de l’agriculture, du commerce, de l’Horeca et des services est dicté à la fois par des motivations de contrainte et volontaires. Bien que ces résultats soient en adéquation avec ceux du modèle 1, on note que l’influence des deux types de motivation est plus nuancée. Ainsi, pour ces quatre secteurs, contrairement au modèle 1, la seule motivation volontaire présente est la recherche de profit et l’influence des motivations de contrainte se limite à l’absence d’emploi et / ou à la pression familiale. Le fait d’être une femme influence positivement le choix des secteurs de l’Horeca, du commerce et des services. L’expérience du secteur influence négativement le choix des secteurs de l’Horeca, de l’agriculture et du commerce. Pour ces deux derniers, on note aussi l’influence négative du niveau de formation.

L’ensemble des résultats du modèle 2 confirment donc notre hypothèse selon laquelle les caractéristiques de l’individu modèrent et / ou précisent l’incidence des motivations sur le choix sectoriel. H3 est donc vérifiée.

Discussion

Nos deux premières hypothèses consistaient, d’une part, à vérifier si les entrepreneurs principalement motivés par des raisons de contrainte ont une probabilité plus forte de créer dans des secteurs à faible barrière à l’entrée tels que le commerce, l’Horeca et le service et, d’autre part, si les entrepreneurs principalement motivés par des raisons volontaires ont une probabilité plus forte de créer dans des secteurs innovants, à rentabilité élevée et / ou à forte croissance tels que la finance et l’industrie. Notre dernière hypothèse consistait à examiner si l’influence des motivations sur le choix sectoriel pouvait varier selon le profil du créateur. Les résultats de notre recherche confirment nos hypothèses.

Comme nous l’avons montré à l’aide de nos analyses ANOVA et en comparaisons multiples, il existe bien, entre les secteurs étudiés, des différences quant à l’importance des motivations de contrainte ou volontaires au sein de ceux-ci. Ces résultats confirment donc les conclusions descriptives de Caliendo et Kritikos (2009), Hughes (2006) et Reynolds et al. (2001). Après avoir obtenu ces résultats exploratoires, nous avons analysé, à l’aide d’un modèle régressif probabiliste, l’influence des motivations de contrainte et volontaires sur la probabilité qu’un individu décide de créer dans un secteur plutôt qu’un autre. À ce jour, aucune étude n’avait examiné cette relation sous un angle de causalité. En effet, nos connaissances relatives à la relation entre les motivations de contrainte volontaires et le choix sectoriel de l’individu se limitaient aux conclusions purement descriptives de quelques rares études (supra). À l’issue de nos analyses régressives, différents constats émergent.

Dans un premier temps (modèle 1), nous avons pu établir que les créateurs ayant décidé de développer une activité dans le secteur de l’agriculture, du commerce, de l’Horeca et des services étaient principalement guidés par des motivations de contrainte. À l’inverse, les secteurs de l’industrie manufacturière, de la finance et de la santé sont davantage choisis par des créateurs principalement guidés par des motivations volontaires. Ces résultats ont été affinés en tenant compte des caractéristiques personnelles du créateur pouvant, conjointement à ses motivations de création, jouer un rôle dans son choix sectoriel. À l’issue de notre seconde analyse (modèle 2), nous constatons que l’influence des motivations, en particulier volontaires, sur le choix sectoriel est plus nette. Le choix des secteurs de l’industrie, de la construction, de la finance et de la santé résulte uniquement de motivations volontaires. Cela peut sans doute s’expliquer par le fait que l’entrée dans ces secteurs est, entre autres, conditionnée par l’existence de barrières liées à l’accès à la profession ou à des capitaux de départ importants. De même, le fait que ces secteurs ne permettent pas de dégager quotidiennement des liquidités, contrairement aux secteurs du commerce, de l’Horeca ou des services, pourrait expliquer que les individus principalement guidés par des motivations de contrainte s’y retrouvent moins fréquemment.

L’influence des motivations sur le choix des secteurs de l’agriculture, du commerce, de l’Horeca et des services semble moins nette. En effet, les individus ayant choisi ces secteurs sont guidés à la fois par des motivations de contrainte et volontaires. Néanmoins, et sans remettre en question l’argument selon lequel un même individu peut être guidé vers la création à la fois par des motivations de contrainte et volontaires, nous pensons que le choix sectoriel vers les secteurs du commerce, de l’Horeca et des services correspond à un entrepreneuriat contraint. En effet, pour ces trois secteurs, conjointement à l’influence des motivations de contrainte « absence d’emploi » et / ou « pression familiale », seule la motivation volontaire « recherche de profit » joue un rôle significatif. Selon nous, l’influence de cette dernière sur le choix sectoriel de l’individu pourrait, dans ce cas, s’expliquer de la façon suivante. Tout d’abord, ce sont des secteurs dans lesquels il est relativement aisé de créer une activité en raison de faibles barrières à l’entrée. De plus, ces secteurs, souvent moins porteurs d’innovations, connaissent des situations où l’offre est quasi saturée. Ces constats vont dans le sens des conclusions de Van Stel, Storey et Thurik (2007). Pour ces auteurs, les entrepreneurs contraints, contrairement aux entrepreneurs volontaires, ne développent pas une activité pour répondre à une demande. Sur ces bases, la présence de la motivation volontaire « recherche de profit » comme élément influençant le choix sectoriel de l’individu pourrait même paraître logique. En effet, comme nous l’avons souligné précédemment, il y a fort à parier que les entrepreneurs principalement guidés par des raisons de survie choisissent des secteurs dans lesquels ils pourront rapidement dégager du profit. Il n’est donc pas surprenant que la motivation volontaire relative au profit soit également présente chez ces entrepreneurs. Par ailleurs, l’influence simultanée de motivations de contrainte et d’une motivation initialement considérée comme volontaire n’est pas sans rappeler qu’une même motivation peut avoir, selon la situation de l’individu, une connotation volontaire ou de contrainte (Williams, 2009 ; Hughes, 2003). Dès lors, il est probable que l’influence de la motivation volontaire « recherche de profit » fasse écho, dans ce cas, à la survie économique des entrepreneurs contraints. Enfin, les caractéristiques individuelles (le sexe, le niveau de formation ou l’expérience) influençant le choix des secteurs du commerce, de l’Horeca et des services, appuient également l’idée d’un entrepreneuriat contraint dans ces secteurs. En effet, il est établi que l’entrepreneuriat contraint est plus important chez les femmes que chez les hommes (Bergmann et Sternberg, 2007 ; Wagner, 2005). De même, un faible niveau d’éducation est généralement assimilé à un entrepreneuriat contraint (Bergmann et Sternberg, 2007). Les recherches soulignent également que les entrepreneurs contraints développent moins souvent des activités dans un secteur où ils bénéficient d’une expérience, contrairement aux entrepreneurs volontaires (Block et Sandner, 2009). Dès lors, au regard de ces différents éléments, nous pensons donc que le choix des secteurs du commerce, de l’Horeca et des services est généralement, voire uniquement, guidé par ces motivations contraintes.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons voulu éclairer l’articulation entre les motivations de création d’un entrepreneur et le choix sectoriel opéré par celui-ci. Plusieurs éléments ont guidé notre travail. Les études de Caliendo et Kritikos (2009), Hughes (2006) et Reynolds et al. (2001) ont démontré d’un point de vue uniquement descriptif l’existence de différences sectorielles entre l’entrepreneuriat contraint et volontaire. Cependant, comme Zhao, Seibert et Lumpkin (2010) l’ont récemment rappelé, l’influence de ces motivations sur le choix sectoriel n’a, à ce jour, pas encore été démontrée. Pourtant, les caractéristiques de l’activité entrepreneuriale sont vraisemblablement liées aux motivations de l’individu (Hechavarria et Reynolds, 2009). De plus, pour Shane, Locke et Collins (2003), si les motivations jouent un rôle dans le processus entrepreneurial et dans la détermination des caractéristiques de l’entreprise, elles peuvent aussi influencer le choix sectoriel du créateur. On peut supposer qu’un entrepreneur principalement guidé par des raisons de survie, et donc de dépendance économique envers son entreprise, choisira un secteur dans lequel il pourra facilement et rapidement créer son activité. À l’inverse, le créateur par opportunité pourrait choisir un secteur plus axé sur la croissance et l’innovation, nécessitant une vision à long terme.

À l’issue de notre étude, deux constats principaux émergent. Premièrement, nos résultats montrent qu’il existe bien, entre les différents secteurs d’activité, des sensibilités significativement différentes aux motivations de contrainte et volontaires. Deuxièmement, ils indiquent que les motivations de contrainte et volontaires ont un impact significatif sur le choix sectoriel réalisé par l’individu. En effet, certains secteurs sont préférés par les entrepreneurs en raison de leurs motivations de contrainte ou volontaires. Les secteurs du commerce, de l’Horeca ou des services, par exemple, sont choisis pour des raisons de contrainte, tandis que les secteurs de la finance, de l’industrie ou de la santé correspondent davantage à un entrepreneuriat volontaire. Ces constats confirment nos hypothèses de départ.

Si notre étude se base sur le modèle conceptuel développé par Reynolds et al. (2001), nos résultats plaident pour une approche plus large de l’entrepreneuriat contraint volontaire. Il conviendrait de développer un cadre théorique qui permettrait de tenir compte des différents aspects de l’entrepreneuriat contraint volontaire et, notamment, du fait que :

  1. en amont du processus de création entrepreneurial, les individus ont rencontré et perçu des situations de contraintes et / ou des opportunités et sont, par conséquent, inscrits dans une dynamique de contrainte et / ou volontaire avec plus ou moins d’intensité ;

  2. les événements de contraintes et d’opportunités à l’origine de la création peuvent avoir des significations différentes selon le candidat créateur ;

  3. les caractéristiques sociales et le passé du candidat créateur ont un impact sur son positionnement en termes d’entrepreneuriat contraint volontaire à la fois en termes d’intensité et de modalité.

Nous souhaitons avancer deux pistes de recherches futures. Premièrement, comme nous l’avons montré, une même motivation peut être soit de contrainte, soit volontaire, et cela, en fonction du profil de l’individu. Il semble donc nécessaire qu’à l’avenir les études portant sur l’entrepreneuriat contraint et / ou volontaire intègrent davantage les caractéristiques socioéconomiques des individus. Une telle approche permettra d’affiner une classification trop dichotomique comme celle du GEM qui se base uniquement sur les motivations de l’individu pour le qualifier d’entrepreneur contraint ou volontaire. Deuxièmement, comme certaines études l’ont montré, les démarches de pré-création (réalisation d’un plan d’affaires, recherche de financement, prise de contact avec les futurs fournisseurs, etc.) réalisées par l’entrepreneur ont un impact positif sur la réussite du projet entrepreneurial (Carter, Gartner et Reynolds, 1996). Dès lors, il serait intéressant d’examiner s’il existe un lien entre les démarches de pré-création des entrepreneurs contraint et / ou volontaire et leur réussite entrepreneuriale. Une telle étude longitudinale permettrait de mieux comprendre les raisons du taux d’échec plus important dans le chef des entrepreneurs contraints (et donc dans les secteurs choisis par ces derniers) et d’adapter les mesures d’accompagnement destinées à ce type d’entrepreneuriat (Van Praag, 2003). En effet, les entrepreneurs contraints et volontaires ne s’inscrivent pas dans une même logique entrepreneuriale en termes de croissance, d’innovation, d’emplois, d’exportations ou de choix sectoriel. Nous pouvons donc supposer que les politiques destinées à favoriser et accompagner l’entrepreneuriat doivent être différentes selon que l’individu s’inscrit dans une dynamique d’entrepreneuriat contraint et / ou volontaire (Verheul et al., 2010).

Notre étude a également des implications pour les pouvoirs publics. Depuis un certain nombre d’années, plusieurs mesures ont été prises afin de stimuler l’esprit et la création d’entreprises. Cet engouement pour l’entrepreneuriat trouve ses origines dans la prise de conscience de son rôle majeur pour la croissance économique régionale (Audretsch, 2003 ; Staber et Bögenhold, 1993) et dans la lutte contre le chômage. Néanmoins, les mesures politiques actuelles destinées aux (futurs) créateurs font rarement la distinction entre une logique de création de contrainte et / ou volontaire. Les résultats de notre étude peuvent constituer un premier pas vers un affinement des politiques en matière de création d’entreprise selon le profil du candidat entrepreneur.