Corps de l’article

Introduction

Dans le but de découvrir les facteurs de réussite des PME et de comprendre les déterminants de leur performance, de nombreux chercheurs ont tenté d’établir un lien entre le profil du dirigeant et le succès de son entreprise. Par exemple, les valeurs personnelles, les antécédents familiaux ou d’autres caractéristiques individuelles sont dans certains cas corrélés avec la performance (Getz et Petersen, 2005 ; Gundry et Welsch, 2001 ; Kotey et Meredith, 1997 ; Morris et al., 2006 ; Walker et Brown, 2004), mais ces relations sont modestes et parfois équivoques. Bien que ces caractéristiques individuelles se soient parfois avérées reliées à la performance de la PME, cela n’indique pas aux dirigeants comment ils doivent agir concrètement pour être efficaces (Sadler-Smith et al., 2003).

Plusieurs chercheurs se sont alors tournés vers l’étude des comportements des dirigeants de PME et leur relation avec la performance de leur entreprise. Au plan théorique, cette façon d’aborder la question est plus prometteuse pour comprendre ce qui se passe (Driessen et Zwart, 1999 ; Gartner, 1988). Au plan pratique, cela comporte un avantage considérable pour les dirigeants : contrairement à la majorité des caractéristiques individuelles, les comportements peuvent être acquis par apprentissage, constituant ainsi autant de pistes pour qui désire s’améliorer (Hofer et Sandberg, 1987). On considère dès lors un processus dynamique par lequel les dirigeants acquièrent continuellement des compétences qui, par la suite, influent sur leurs comportements (Aouni et Surlemont, 2007 ; Cope, 2005). La présente recherche porte sur les comportements des dirigeants de PME et la performance de leur entreprise. Pour la première fois dans un tel contexte, une perspective multisource sera adoptée : les comportements seront mesurés non seulement par une autoévaluation effectuée par les dirigeants, mais aussi par une évaluation provenant des membres de leur entourage. Ces évaluations seront effectuées au moyen d’un instrument multisource spécialement conçu pour des dirigeants de PME. L’objectif de cette recherche est de vérifier l’apport de ce type d’instrument pour détecter quelles sont les compétences des dirigeants de PME qui sont reliées à la performance de leur organisation.

1. Contexte théorique

Dans un article intitulé « The compleat entrepreneur », Mitton (1989) décrit en détail les comportements typiques de l’entrepreneur. Cette description, à l’instar de plusieurs autres à avoir été publiées, est certes un pas dans la bonne direction ; mais elle demeure fondée sur des observations personnelles et, en conséquence, on ignore si ces comportements peuvent être généralisés et s’ils se traduisent réellement par une performance accrue de l’entreprise. En réponse à cette lacune, on retrouve des recherches qui ont examiné empiriquement la relation entre les comportements, ou les compétences du dirigeant, et la performance de sa PME. Voyons quelques exemples dignes d’intérêt et ce que nous pouvons en apprendre.

Chandler et Jansen (1992) ont étudié un échantillon de 134 fondateurs à la tête d’une PME du secteur manufacturier ou des services de l’Utah. Les résultats ont révélé que les entreprises qui connaissent la plus forte croissance ont tendance à être dirigées par des fondateurs qui, notamment, s’évaluent fortement par rapport à deux compétences : l’habileté à reconnaître les opportunités et le désir de voir son entreprise se réaliser (cette dernière étant plutôt une caractéristique personnelle). En contrepartie, les entreprises les plus rentables sont celles des fondateurs se voyant compétents sur les plans managérial, technique et politique (relationnel). En 1994, Chandler et Hanks ont repris sensiblement la même étude, à la différence principale que cette fois, les compétences sont considérées comme des variables modératrices entre, d’une part, les opportunités et l’accès aux ressources et, d’autre part, la croissance et le volume d’affaires de l’entreprise. L’échantillon comprend 155 fondateurs ou CEOs à la tête d’une PME manufacturière de la Pennsylvanie. Les résultats obtenus, en plus d’être semblables aux précédents (le volume d’affaires ayant remplacé la rentabilité), supportent le rôle modérateur des compétences. Cependant, l’étude qui suit semble contredire ces résultats en ce qui concerne l’habileté à reconnaître les opportunités.

Ensley, Carland et Carland (2000) ont examiné l’effet, sur la croissance des ventes, de trois compétences mesurées par l’instrument de Katz/Herron (la découverte d’opportunités, la planification et l’évaluation des fonctions de l’entreprise) ainsi que de deux caractéristiques mesurées par le Carland Entrepreneurship Index (le sentiment d’efficacité personnelle et la vision entrepreneuriale). L’échantillon était formé de deux groupes comprenant respectivement 116 et 115 fondateurs dont l’entreprise figure dans la liste Inc 500 qui regroupe des entreprises américaines, surtout des PME à très forte croissance. Seule la vision entrepreneuriale du dirigeant s’est avérée reliée à la croissance des ventes. Pour ce qui est de la croissance des ventes, Hunt et Adams (1998) ont observé l’influence positive des comportements de surveillance (monitoring) de la clientèle et des compétiteurs. L’échantillon était composé de propriétaires-dirigeants de PME, soit 239 provenant du Canada (région de l’Ontario) et 196 des États-Unis (région de Kansas City). Alors qu’en Pologne, au terme d’un sondage effectué par Wasilczuk (2000) auprès de 93 propriétaires-dirigeants de PME manufacturières, les répondants ont mentionné que la croissance de leur entreprise est influencée positivement par le degré de planification stratégique et de délégation de leur part.

Certains chercheurs ont voulu aller au-delà de la simple étude corrélationnelle ou comparative. Ainsi, Sadler-Smith et al. (2003) considèrent simultanément la relation entre les comportements de gestion, le style entrepreneurial et la croissance des ventes. Les résultats obtenus auprès de 156 PME du Royaume-Uni sont surprenants. Bien que certains comportements de gestion soient reliés au style entrepreneurial et que ce dernier soit relié à la croissance, les comportements de gestion ne sont pas reliés directement à la croissance. Ce dernier aspect n’est pas sans rappeler l’absence de relation observée par Chandler pour les compétences managériales et techniques (Chandler et Jansen, 1992 ; Chandler et Hanks, 1994).

Ce type de résultats trouve un éclairage particulier dans les études publiées par Baum et ses collègues (Baum, 1995 ; Baum, Locke et Smith, 2001). À partir de données recueillies auprès de propriétaires-dirigeants de PME américaines du secteur de la menuiserie, soit 363 pour la publication de 1995 et 307 pour celle de 2001, ces études testent sensiblement le même modèle. Il s’agit d’un modèle à niveaux multiples, mettant en jeu le dirigeant, l’organisation et l’environnement et leur effet sur la croissance de l’entreprise. Les variables qui touchent le dirigeant concernent a) des traits de personnalité (p. ex., ténacité, proactivité, passion pour le travail), b) des compétences particulières (p. ex., habiletés de gestion, reconnaissance des opportunités), c) des compétences particulières (p. ex., connaissance du secteur, habiletés techniques) et d) des éléments de la motivation propre à la situation (p. ex., vision, objectifs de croissance, sentiment d’efficacité personnelle). Dans les deux études, les résultats relatifs au dirigeant sont les mêmes. Il n’y a que les compétences spéciales et la motivation qui entretiennent une relation directe avec la croissance de l’entreprise. Quant aux traits et aux compétences générales, leur effet se fait sentir indirectement en ayant une relation à la fois sur les compétences particulières et la motivation, et sur les choix stratégiques. Les auteurs en concluent que la croissance d’une PME est possiblement un processus complexe, influencé par une multitude de variables, elles-mêmes interreliées et appartenant à plusieurs niveaux d’analyse (individu, organisation, environnement).

Ces études empiriques permettent de croire que certains comportements ou compétences des dirigeants sont reliés à la performance de leur entreprise. Parmi ces éléments, on peut mentionner les compétences techniques propres au secteur d’activité, les compétences reliées à la vision et à la planification stratégique, les comportements de surveillance de la clientèle et de la compétition. Toutefois, ces résultats peuvent paraître modestes compte tenu de l’ampleur des efforts de recherche qu’ils ont nécessités. Que faut-il en déduire ? Que ces résultats traduisent fidèlement le phénomène étudié et que la performance de la PME, par nature, ne se réduirait pas à quelques compétences prises isolément, comme le soutiennent Baum et ses collègues ? Ou, comme c’est souvent le cas, faut-il attribuer ces résultats aux imperfections méthodologiques inhérentes à toutes recherches ? Or, dans l’ensemble de ces études, les comportements et les compétences du dirigeant sont presque toujours mesurés dans le cadre d’une autoévaluation (self-report ou self-rating), effectuée dans la plupart des cas lors d’une enquête par la poste, ce qui peut constituer une entrave aux résultats recherchés. Bien que de telles évaluations recèlent une certaine validité (Chandler et Jansen, 1992), il est depuis longtemps reconnu dans la littérature en psychologie et en gestion, que l’autoévaluation de ses propres compétences comporte des biais notoires, comme le souci de bien paraître, la tendance à la surévaluation ou la perception déformée de soi (voir Mabe III et West, 1982). À l’instar des propos de Sadler-Smith et al. (2003), il serait opportun d’avoir recours à d’autres méthodes d’évaluation.

Considérant les limites de l’autoévaluation, la présente recherche utilise pour la première fois un instrument multisource, communément appelé feed-back 360o (Bracken, Timmreck et Church, 2001 ; Handy, Devine et Health, 1996), pour mesurer les compétences des dirigeants de PME. L’évaluation multisource est particulièrement appropriée au contexte de développement personnel afin de connaître ses forces et ses points d’amélioration. Ce type d’instrument a la particularité de faire appel à plusieurs évaluateurs dans l’entourage de la personne évaluée, en plus de l’autoévaluation effectuée par cette dernière. En raison de son point de vue distinct, chaque évaluateur ajoute ainsi une information unique qui contribue à accroître la validité des évaluations (Smither et Walker, 2001). Selon les études, les évaluations en seraient plus fiables et plus représentatives de la réalité (Brutus et Brassard, 2005).

L’objectif de la présente recherche est de vérifier l’apport que peut avoir un instrument multisource pour détecter quelles sont les compétences des dirigeants de PME pertinentes à la performance de leur organisation. Plus précisément, il s’agit d’examiner si les évaluations provenant de l’entourage, comparativement aux autoévaluations réalisées par les dirigeants, fournissent de meilleurs corrélats de la performance organisationnelle. S’il y a lieu, cette recherche permettra de mettre en lumière les compétences des dirigeants les plus reliées à la performance de leur entreprise. L’instrument multisource utilisé est constitué d’un répertoire de compétences développé spécialement pour des dirigeants de PME.

2. Méthodologie

2.1. Déroulement

La recherche s’est déroulée auprès d’une association regroupant des dirigeants de PME du Québec ayant au moins 50 % de leur volume d’affaires consacré à des activités manufacturières. Ces dirigeants étaient à la recherche d’un instrument qui leur permettrait d’obtenir une rétroaction sur leurs agissements comme chef d’entreprise et qui appuierait leur démarche de perfectionnement professionnel. En réponse à cette demande, un instrument de rétroaction multisource a été élaboré en collaboration entre leur association et un laboratoire de recherche universitaire, puis mis à leur disposition par le biais de leur association. Chaque dirigeant désireux d’utiliser cet instrument pouvait le faire sur une base volontaire, tout en déboursant un montant comparable aux tarifs du marché. L’instrument multisource devait alors être rempli individuellement par le dirigeant lui-même, qui est la personne évaluée, et par au moins trois membres de son entourage qui ont l’occasion de l’observer fréquemment. C’est le dirigeant lui-même qui choisissait les membres de son entourage, après avoir obtenu préalablement leur consentement. Chacun d’eux devait avoir eu l’occasion d’observer fréquemment le dirigeant. Des dispositions ont été adoptées pour préserver leur anonymat, car la valeur de la rétroaction repose sur la sincérité de leurs réponses.

2.2. Échantillon

L’échantillon comprend 43 dirigeants de PME québécoises et 215 membres de leur entourage. Parmi ces dirigeants, tous des hommes sauf trois femmes, on compte 34 (79,1 %) présidents-directeurs généraux, 4 (9,3 %) présidents et 4 (9,3 %) directeurs généraux (un dirigeant n’a pas répondu). Ils occupent leur fonction depuis au moins 5 ans, 38 ans pour le plus ancien, donnant lieu à une moyenne de 14,7 et à un écart type de 6,9 ans. Au plan de la scolarité, 19 (44,2 %) détiennent un diplôme d’études universitaires, 16 (37,2 %) un diplôme collégial et 8 (18,6 %) un diplôme d’études secondaires (un dirigeant n’a pas répondu). Plusieurs ont étudié l’administration (n = 15 ou 34,9 %), le marketing (n = 12 ou 27,9 %), la comptabilité ou la finance (n = 10 ou 23,3 %) ou une technique reliée à un métier (n = 14 ou 32,6 %), alors que très peu ont fait des études en génie (n = 2 ou 4,7 %) ou en informatique (n = 2 ou 4,7 %). Les répondants pouvaient indiquer plus d’un domaine d’études. Les PME de ces dirigeants ont entre 13 et 265 employés. Elles oeuvrent principalement dans le secteur manufacturier et dans celui de la distribution. Quant aux 215 membres de l’entourage qui ont évalué leur dirigeant respectif, 169 (78,6 %) sont cadres ou membres de l’équipe de direction, 10 (4,7 %) sont employés de production, 8 (3,7 %) sont commis ou secrétaires, 7 (3,3 %) appartiennent au conseil d’administration alors que 12 (5,6 %) occupent divers autres emplois (p. ex., représentants aux ventes, acheteurs, chefs d’équipe) (9 n’ont pas répondu). On compte de trois à huit membres de l’entourage par dirigeant évalué, ce qui donne une moyenne de 5,0 et un écart type de 1,54.

2.3. Instruments de mesure

L’instrument multisource qui a servi à mesurer les comportements de leadership a été développé pour répondre à des dirigeants de PME en quête d’une rétroaction sur leurs comportements dans leur rôle de chef d’entreprise (Auteur A, 2006 ; Auteur B, 2009). Le développement de l’instrument s’est déroulé sur une période de 24 mois, où les dirigeants ont été consultés régulièrement pour s’assurer que l’outil répondait à leurs besoins. La qualité de l’instrument ainsi que la pertinence en tant qu’outil d’amélioration des compétences ont donc été attestées directement auprès des personnes concernées. L’instrument est constitué de 144 énoncés de comportement regroupés en 30 compétences. Pour chaque énoncé, le répondant, qui est le dirigeant évalué ou un membre de son entourage, doit répondre à la question suivante : « Selon vos propres observations, dans quelle mesure le chef de l’entreprise adopte-t-il chacun des comportements suivants lorsque requis ? » Le répondant indique sa réponse au moyen d’une échelle de type Likert formée de six choix allant de « 1 = Dans une très faible mesure » à « 6 = Exagérément ». Mais si ses observations ne lui permettent pas de se prononcer de façon certaine, le répondant est invité à cocher « Ne sais pas ». L’évaluation d’une compétence est obtenue en calculant la moyenne des réponses aux énoncés qui forment cette compétence.

Ce répertoire de comportements est fondé à la fois sur l’examen des comportements de dirigeants de PME et, comme suggéré par Sadler-Smith et al. (2003), sur les modèles de compétences génériques issus des études sur le travail des gestionnaires. Les comportements liés aux compétences fonctionnelles et techniques ne sont pas couverts. Contraint par l’espace, il n’est pas possible de présenter dans cet article l’ensemble des 144 énoncés comportementaux. Il faudra plutôt s’en tenir aux 30 compétences qui, de toute façon, portent un nom qui résume assez fidèlement les énoncés contenus dans chacune d’elles. Le tableau 1 présente les 30 compétences réparties en six facteurs.

Pour chaque dirigeant, la performance de son entreprise est mesurée au moyen de trois indicateurs, dont les deux premiers sont de nature perceptuelle. Le premier concerne la rentabilité. Sa mesure est obtenue en posant la question suivante au dirigeant : « À votre avis et par comparaison avec vos concurrents ou en relation avec des entreprises que vous considérez comparables à la vôtre, comment évaluez-vous votre niveau moyen de rentabilité depuis trois ans ? » L’échelle-réponse est en cinq points, allant de « Très inférieure » à « Très supérieure ». Le deuxième indicateur porte sur la croissance des ventes. Il est mesuré de la même manière que le premier, sauf que la question porte cette fois sur « la croissance moyenne des ventes depuis trois ans ». Les données financières sont souvent difficiles d’accès dans les PME et peuvent même constituer un frein à la participation des dirigeants aux enquêtes sur le terrain. On peut dès lors leur substituer des mesures subjectives ou perceptuelles qui, bien qu’étant imparfaites, donnent une estimation approximative de la performance des PME (Sapienza, Smith et Gannon, 1988 ; Tehrani et Noubary, 2005). Ces indicateurs ont aussi l’avantage de prendre en compte, du moins partiellement, les objectifs de performance des dirigeants, ce que ne peuvent faire directement les données financières (Jarvis et al., 2000).

Tableau 1

Les compétences mesurées par le questionnaire multisource

Les compétences mesurées par le questionnaire multisource
*

Le chiffre entre parenthèses indique le nombre d’énoncés comportementaux qu’il y a dans la compétence.

-> Voir la liste des tableaux

Le troisième indicateur est le taux de départs volontaires des employés de production. Il est obtenu en divisant le nombre de départs volontaires au cours de la dernière année chez les employés de production par le nombre d’employés dans cette catégorie ; le taux est exprimé en pourcentage. Cette mesure, en plus d’être de nature factuelle, porte sur un aspect de la performance qui a été peu étudié dans les PME, contrairement aux grandes entreprises qui ont les ressources pour mettre en place des pratiques étendues de gestion des ressources humaines (Sels et al., 2006). Pourtant, le taux de départs volontaires constitue un indicateur d’une dimension importante de l’efficacité organisationnelle (Morin, Savoie et Beaudin, 1994). Il est d’autant plus pertinent d’inclure cet indicateur que plusieurs des comportements mesurés chez les dirigeants sont susceptibles de se répercuter sur le climat de travail et sur la motivation du personnel à demeurer au sein de l’entreprise. Par ailleurs, cet indicateur de nature comportementale peut être plus précis que les mesures de performance financière, ces dernières étant plus distantes des agissements des dirigeants. En effet, un indicateur de performance intermédiaire ou proximal comme le taux de départs volontaires devrait refléter plus rapidement les actions ou les décisions des dirigeants que ne le feront les indicateurs financiers, plus globaux et dont les fluctuations peuvent prendre un certain temps à se manifester.

3. Présentation et analyse des résultats

Les comportements étant trop nombreux pour être analysés séparément, la présentation des résultats est effectuée par compétence. De toute façon, chacune d’elles porte un nom qui résume assez fidèlement les comportements qu’elle contient. Elles constituent en outre des regroupements suffisamment homogènes pour permettre une interprétation explicite des comportements dont elles sont formées. Les indices alpha de Cronbach varient effectivement de 0,70 à 0,89 pour l’ensemble des compétences, sauf pour trois d’entre elles lorsque les répondants sont les dirigeants et pour une compétence lorsque ce sont les membres de l’entourage (Auteur B, 2009).

L’objectif de la recherche est d’examiner si les évaluations provenant de l’entourage, comparativement aux autoévaluations réalisées par les dirigeants, sont effectivement davantage reliées à la performance de l’organisation. Voyons d’abord les résultats concernant l’évaluation des compétences dont les moyennes et les écarts types sont présentés au tableau 2. On remarque qu’il y a une certaine convergence entre les évaluations moyennes effectuées par les dirigeants et celles proposées par leur entourage. Cette convergence, attestée par une corrélation de 0,74 entre les deux ensembles de moyennes, laisse néanmoins place à 14 compétences dont la différence de moyenne est statistiquement significative (test t). Dans 13 de ces cas, la moyenne de l’entourage est plus basse que celle des dirigeants, ce qui se reflète dans les moyennes globales respectives (3,81 contre 3,96 ; p < 0,05). Est-ce à dire que les membres de l’entourage seraient plus exigeants dans leur barème d’évaluation, à moins que ces deux groupes de répondants ne s’appuient pas sur les mêmes observations ? Il est intéressant de constater que plusieurs de ces écarts de points de vue apparaissent pour des compétences de nature relationnelle ayant pu mettre en jeu ces mêmes membres de l’entourage (p. ex., nos 15, 17, 19, 20, 22, 24, 26, 27 et 28). Ce qui serait un niveau d’adoption suffisant pour le dirigeant ne le serait peut-être pas pour « l’autre partie », d’où la divergence de perception. Peu importe la véritable explication, la présence de divergence est de bon augure quant à la pertinence de ne pas avoir seulement recours à des autoévaluations et invite à poursuivre l’analyse au niveau de la question principale, à savoir si les relations avec les indicateurs de performance sont les mêmes selon que les évaluations sont effectuées par le dirigeant ou par son entourage.

Les statistiques descriptives pour les trois indicateurs de performance organisationnelle apparaissent au tableau 3, alors que les corrélations sont présentées au tableau 4, lorsque les compétences sont autoévaluées par les dirigeants, et au tableau 5, lorsque c’est l’entourage qui les évalue. Dans ce dernier cas, le niveau d’adoption pour chaque dirigeant est la moyenne des évaluations que lui ont attribuées les membres de son entourage. Concernant les indicateurs de performance, il n’y a rien à signaler de particulier dans les données présentées au tableau 3 qui pourrait entraver la poursuite de la démarche. Notons que six PME n’ont pas fourni de réponse concernant les départs volontaires chez leurs employés de production, ce qui ramène l’échantillon à 37 pour cet indicateur.

Tableau 2

Moyennes et écarts types du niveau d’adoption des 30 compétences autoévaluées par les dirigeants et évaluées par leur entourage (échelle de 1 à 6)

Moyennes et écarts types du niveau d’adoption des 30 compétences autoévaluées par les dirigeants et évaluées par leur entourage (échelle de 1 à 6)
*

p < 0,05

**

p < 0,01 (test t entre chaque moyenne des dirigeants et celle leur entourage)

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 3

Statistiques descriptives pour les indicateurs de performance de l’entreprise

Statistiques descriptives pour les indicateurs de performance de l’entreprise

-> Voir la liste des tableaux

Sur 90 corrélations entre l’autoévaluation des dirigeants et les indicateurs de performance, seulement deux sont significatives, et encore qu’au seuil de p < 0,05, ce qui est moins que ce que le hasard aurait pu produire (voir tableau 4). Pour les indicateurs de rentabilité et de croissance des ventes, on obtient même plusieurs corrélations négatives, dont l’une est significative (« Être à l’écoute, chercher à comprendre », no 22). En fait, les corrélations pour ces deux indicateurs semblent plutôt se distribuer de façon aléatoire, hormis une légère tendance vers la négative pour la rentabilité. Pour ce qui est de l’indicateur taux de départs volontaires des employés de production, la situation est plus cohérente. Conformément aux attentes, la plupart des corrélations sont négatives, bien que généralement non statistiquement significatives. Plus les dirigeants estiment adopter les compétences, moins leurs employés auraient tendance à prendre la décision de quitter l’entreprise. La corrélation la plus forte est obtenue pour la compétence « Faire preuve de jugement et de sens pratique, choisir les bonnes solutions » (no 13), avec un indice de 0,38.

Tableau 4

Corrélations entre la performance de l’entreprise et l’adoption des compétences par les dirigeants tels qu’autoévalués par eux-mêmes

Corrélations entre la performance de l’entreprise et l’adoption des compétences par les dirigeants tels qu’autoévalués par eux-mêmes
*

p < 0,05

**

p < 0,01.

-> Voir la liste des tableaux

Les résultats sont fort différents lorsque le niveau d’adoption des compétences est évalué par les membres de l’entourage (voir tableau 5). D’abord, on constate cette fois que la majorité des corrélations sont dans le sens prévu, dont 17 sont statistiquement significatives. Ensuite, certaines compétences sont corrélées systématiquement avec les trois indicateurs de performance. C’est particulièrement le cas pour « Savoir gérer son temps, être efficace » (no 30), « Faire preuve de jugement et de sens pratique, choisir les bonnes solutions » (no 13) et « Avoir le sens des responsabilités, être fiable » (no 27), ainsi que, dans une moindre mesure, pour des compétences comme « Contrôler l’exécution du travail et des projets, en assurer le suivi, évaluer les progrès accomplis » (no 11) et « Planifier le long terme, élaborer une vision claire de l’avenir de l’entreprise » (no 1). Des 17 corrélations statistiquement significatives sauf une (no 13), aucune n’est corroborée lorsque les compétences sont autoévaluées par les dirigeants (tableau 4).

Il est intéressant de remarquer que c’est avec le taux de départs volontaires, soit l’indicateur le plus objectif parmi les trois, donc possiblement le plus fiable, qu’on retrouve les résultats les plus révélateurs. C’est aussi un indicateur comportemental qui serait peut-être plus apte à mesurer directement les effets des comportements des dirigeants sur leur personnel. Toutes les corrélations sont dans le sens prévu, à l’exception de quatre qui sont nulles ou pratiquement nulles (nos 6, 15, 17 et 29). Sept sont statistiquement significatives, dont trois au seuil de p < 0,01. Et ce sont trois compétences de gestion, et non de nature humaine ou relationnelle, qui semblent le plus en lien avec les départs volontaires : « Contrôler l’exécution du travail et des projets, en assurer le suivi, évaluer les progrès accomplis » (no 11), « Planifier et organiser le travail et les projets, faciliter l’atteinte des résultats » (no 9) et « Faire preuve de jugement et de sens pratique, choisir les bonnes solutions » (no 13). Qui plus est, ce n’est pas un excès, mais une insuffisance de contrôle de la part du dirigeant qui vient en tête de liste des compétences reliées à la décision des employés de production de quitter l’entreprise. Il faut peut-être y voir une indication de l’importance pour les employés d’avoir accès à des objectifs clairs et à de la rétroaction, de travailler pour un dirigeant qui sait où il s’en va et qui est à son affaire. La corrélation obtenue avec la compétence « Savoir gérer son temps, être efficace » (no 13) va aussi en ce sens.

Pour la croissance des ventes, les corrélations significatives sont avec « Savoir gérer son temps, être efficace » (no 30), « Faire preuve de jugement et de sens pratique, choisir les bonnes solutions » (no 13), « Planifier le long terme, élaborer une vision claire de l’avenir de l’entreprise » (no 1), « Avoir le sens des responsabilités, être fiable » (no 27), « Former et développer les membres de l’entreprise, agir comme mentor, préparer la relève » (no 21) et « Connaître ses clients, satisfaire leurs exigences, les traiter en partenaires » (no 5).

Tableau 5

Corrélations entre la performance de l’entreprise et l’adoption des compétences par les dirigeants telle qu’évaluée par l’entourage

Corrélations entre la performance de l’entreprise et l’adoption des compétences par les dirigeants telle qu’évaluée par l’entourage
*

p < 0,05

**

p < 0,01

-> Voir la liste des tableaux

Quant à la rentabilité, on retrouve également les compétences nos 30, 13 et 27, auxquelles s’ajoute « Planifier et organiser le travail et les projets, faciliter l’atteinte des résultats » (no 9).

4. Discussion

Cette recherche met en évidence le bien-fondé de procéder à l’évaluation des compétences des dirigeants autrement que par des autoévaluations. En premier lieu, des divergences substantielles ont été observées entre les autoévaluations et les évaluations effectuées par les membres de l’entourage (tableau 2). Quoiqu’une certaine dissonance entre les perceptions des dirigeants et celles des collaborateurs soit normale dans un contexte organisationnel, cette tendance peut être particulièrement tenace dans le cas de dirigeants d’entreprise. La recherche démontre que la quantité du feed-back reçue décroît avec l’augmentation du niveau hiérarchique de l’employé (Ashford et Northcraft, 2003). Les dirigeants ne reçoivent donc que peu d’information sur leurs compétences et quand elle est disponible, cette information est souvent biaisée (c.-à-d. plus positive qu’elle ne devrait l’être). Cet environnement de feed-back peut donc être propice à une surévaluation de la perception de soi par ces dirigeants, comme observé au tableau 2.

Toutefois, ces seules divergences ne permettent pas de préjuger de la validité, ou de la supériorité, de l’un ou de l’autre type d’évaluation. En revanche, une fois l’évaluation des compétences mise en corrélation avec la performance de l’entreprise, il apparaît que les évaluations issues de l’entourage (tableau 5) affichent une meilleure capacité prédictive de la performance que les autoévaluations (tableau 4). En effet, les autoévaluations ont donné lieu à des corrélations généralement faibles, voire pratiquement aléatoires pour deux indicateurs de performance sur trois. En comparaison, les évaluations par les membres de l’entourage ont entraîné des corrélations très majoritairement dans le sens prévu, dont 19 % (17/90) sont statistiquement significatives. Ces résultats sont d’autant plus révélateurs que les trois indicateurs de performance sont fournis par les dirigeants, donc indépendants des évaluations obtenues des membres de l’entourage et éliminant d’emblée la possibilité de relation fallacieuse pour ces dernières.

Faut-il en conclure que les compétences des dirigeants seraient mieux évaluées par les membres de l’entourage que par les dirigeants eux-mêmes ? Ou est-ce que les divergences de points de vue entre les dirigeants et leur entourage reflètent des perspectives véritablement différentes parmi les évaluateurs, comme le suggèrent Tsui et Ohlott (1988) et plus récemment Hoffman et Woehr (2009) ? En effet, non seulement les observations sur le dirigeant ne sont pas systématiquement les mêmes pour l’entourage et pour le dirigeant, mais une même observation peut prendre différentes significations selon le point de vue de l’évaluateur. Chose certaine, l’utilité de l’autoévaluation comme méthode d’évaluation unique est controversée (Folger et Lewis, 1993). Il y a longtemps que cette méthode fait l’objet de critique importante pour sa faible validité (Brutus et Gosselin, 2007 ; Mabe III et West, 1982), affectée notamment par sa vulnérabilité au biais d’indulgence qui a tendance à varier en fonction de l’amour-propre de l’évaluateur (Farh et Dobbins, 1989 ; Harris et Schaubroeck, 1988). Il faut ajouter cependant que la validité de l’autoévaluation serait moins affectée lorsqu’elle est effectuée au moyen d’un instrument structuré et dans un contexte de développement (Chandler et Jansen, 1992), ce qui est le cas de la présente recherche, et que les écarts de perception devraient avoir tendance à diminuer (Smither, London et Reilly, 2005).

Par ailleurs, les évaluations effectuées par l’entourage ont permis de dégager, chez cet échantillon de 43 dirigeants de PME, les compétences les plus en lien avec la performance de leur entreprise. Les résultats obtenus s’accordent avec les études antérieures, notamment en ce qui touche l’importance de la vision, de la planification et de l’organisation, du suivi et de la résolution de problème. Par exemple, on avait déjà observé que la rentabilité est davantage reliée à des compétences de gestion comme la planification et l’organisation (Chandler et Hanks, 1994 ; Chandler et Jansen, 1992), alors que les indicateurs de croissance le sont plus avec des compétences comme la planification stratégique et la connaissance de la clientèle (Barringer, Jones et Neubaum, 2005 ; Hunt et Adams, 1998 ; Wasilczuk, 2000). D’autres compétences ont émergé, comme le sens des responsabilités et la fiabilité qui est reliée aux trois indicateurs de performance. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une étude causale, il est plus logique de présumer que les compétences du dirigeant influencent la performance de l’entreprise, plutôt que l’inverse.

En contrepartie, des compétences qu’on aurait cru corrélées avec la performance ne sont pas apparues comme telles. En effet, il est étonnant qu’être orienté vers l’action, innover (no 4) ne soit pas relié à la croissance des ventes par exemple. Que reconnaître et récompenser les contributions (no 19), ou que consulter, impliquer, déléguer des responsabilités (no 17) n’ait aucune influence sur les départs volontaires. Il se peut que certaines compétences soient plus difficilement évaluables par l’entourage (p. ex., no 4), mais ce n’est sans doute pas le cas des compétences nos 19 et 17. Il y a d’autres corrélations faibles ou inexistantes qui sont difficiles à expliquer : celles relatives aux compétences nos 14 et 15 touchant l’esprit de décision, ou no 16 portant sur le recrutement et le choix de ses collaborateurs. Peut-être que ces corrélations surprenantes sont le fruit du hasard. Avant de spéculer davantage sur les explications, il convient de mener d’autres études afin de voir si de tels résultats vont se répéter. À l’instar de Baum et de ses collègues (Baum, 1995 ; Baum, Locke et Smith, 2001), nous devons admettre que la performance d’une entreprise est un phénomène complexe, influencé par une multitude de facteurs, internes et externes. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que chaque compétence ait un effet suffisamment prédominant pour être observable.

On a aussi observé que les trois indicateurs de performance ne sont pas reliés uniformément aux diverses compétences. Ce constat devrait inciter les auteurs à faire preuve de nuances dans leurs travaux, en n’associant que les compétences logiquement pertinentes à chacune des dimensions de la performance de l’entreprise. Dans une étude portant sur l’influence du dirigeant, le taux de départs volontaires est peut-être un indicateur plus approprié que la performance financière de l’entreprise dont le résultat est fonction de nombreux paramètres qui échappent au dirigeant. Cet état de fait pourrait expliquer pourquoi plusieurs auteurs ont des difficultés à lier les comportements du dirigeant à la performance de l’entreprise lorsque celle-ci est mesurée de façon trop globale. Il convient également d’ajouter que la croissance n’est pas le souhait de tous les dirigeants, ce qui en fait un indicateur de performance parfois inapproprié selon les contextes (McMahon, 2001).

La présente étude comporte certes des limites. Premièrement, il peut y avoir un risque de biais dans les évaluations provenant des membres de l’entourage dû au fait que ces personnes ont été choisies et sollicitées par le dirigeant lui-même. Mais considérant que l’évaluation a été faite à la demande du dirigeant dans un contexte de développement personnel et qu’il est le seul à recevoir le rapport d’évaluation, on peut supposer que la plupart des dirigeants ont intérêt à chercher un feed-back objectif et ainsi à choisir des évaluateurs consciencieux. Quant à ces derniers, leur anonymat leur était garanti. Une deuxième limite tient au fait que tous les évaluateurs proviennent du personnel de l’entreprise, alors que des personnes externes (p. ex., clients, fournisseurs, membres de la communauté) auraient pu fournir un point de vue différent. Une troisième limite est constituée par la taille restreinte de l’échantillon qui impose la prudence quant à la généralisation des résultats obtenus.

En conclusion, l’usage d’un instrument de type multisource semble représenter un apport prometteur. Toutefois, les relations entre le dirigeant et la performance de son entreprise peuvent être complexes vu la multitude d’autres facteurs. Les prochaines recherches devront donc tenter de contrôler certaines variables de l’entreprise, à commencer par l’âge et le stade de développement, car elles peuvent être corrélées avec la rentabilité (Aldrich, Rosen et Woodward, 1987 ; Dyke, Fischer et Reuber, 1992). Il faudrait aussi tenir compte du secteur d’activité et de la complexité des opérations sous la responsabilité du dirigeant, nécessitant des comportements particuliers de sa part (Aouni et Surlemont, 2007). D’autres variables sont à considérer, telles que la stratégie ou l’environnement économique. Idéalement, il faut se diriger vers des modèles plus complexes, à multiples niveaux, qui intègrent le dirigeant, l’organisation et l’environnement (voir Baum, 1995 ; Baum, Locke et Smith, 2001). Par ailleurs, des études longitudinales seraient nécessaires afin de vérifier la causalité des modèles de performance de l’entreprise (Cragg et King, 1988 ; Ensley, Carland et Carland, 2000) et l’influence relative du chef lorsque l’entreprise est étudiée de façon dynamique, permettant ainsi de mettre en évidence le processus d’apprentissage nécessaire au développement des compétences (Cope, 2005).