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Pendant longtemps, la finance et l’entrepreneuriat ont été considérés comme des champs disciplinaires distincts. Les recherches en finance, basées principalement sur les théories d’évaluation (du portefeuille, des actifs financiers, des options, de l’efficience des marchés) et sur les théories de la structure du capital (choix de financement, coûts d’agence, asymétrie d’information, signal…), ont surtout porté sur les grandes entreprises cotées. La recherche en entrepreneuriat, quant à elle, a beaucoup emprunté des théories et des méthodes d’autres disciplines comme la psychologie, le management et le marketing (Brophy et Shulman, 1992), la finance ayant été occultée de ce champ de recherche. Pourtant, elle est indissociable de l’acte entrepreneurial et indispensable à sa dynamique pour saisir une opportunité d’affaires, créer une organisation, innover, prendre des risques, se développer et créer de la valeur.

Cette séparation des disciplines s’explique par le décalage entre les problèmes rencontrés par les firmes entrepreneuriales et par les grandes entreprises cotées (Denis, 2004). Les hypothèses de la finance traditionnelle ne semblent pas adaptées aux particularités des PME. En effet, le dirigeant de la PME ne poursuit pas nécessairement des objectifs de maximisation de la valeur actionnariale (chère à la finance classique). Il n’aspire pas systématiquement à la croissance, dès qu’elle va à l’encontre de son désir de contrôle ou de sa qualité de vie. De même, son approche du risque est différente. Son patrimoine (humain et financier) est souvent intégré à celui de son entreprise ; il est de ce fait fortement impliqué, enraciné et dispose d’un avantage informationnel certain qui freine les autres partenaires (notamment financiers) redoutant l’exacerbation du phénomène du hasard moral, de l’expropriation des richesses et de l’importance des coûts d’agence. Enfin, les PME présentent des caractéristiques propres par leur taille, leur flexibilité et leur proximité avec les différentes parties prenantes. Leurs besoins de financement varient en fonction du type d’affaires, du degré de risque, du stade et des perspectives de développement (St-Pierre et Mathieu, 2003). La prise de conscience de ces spécificités oblige le chercheur à intégrer ces considérations dans la formulation du problème, dans la méthode d’investigation et dans l’analyse des résultats.

Cet exercice d’intégration de l’entrepreneur au coeur des problématiques financières a donné naissance au champ « émergent » de la finance entrepreneuriale. Il perce encore timidement dans les revues spécialisées en entrepreneuriat et surtout dans les revues financières. Dans son recensement de la littérature basé sur les six principales revues de finance, Denis (2004) constate l’absence de travaux portant sur la finance entrepreneuriale avant les années 1990 et, à partir de cette période, les publications ont augmenté sans pour autant dépasser six articles par an jusqu’à l’horizon 2002. Le manque de données concernant les sociétés fermées réduit l’opportunité de publication dans les grandes revues financières (Brophy et Shulman, 1992). Cela étant dit, Paré et al. (2009) montrent l’intérêt grandissant de la recherche pour la finance entrepreneuriale en mentionnant l’apparition de revues consacrées à ce sujet : Venture Capital Journal : An International Journal of Entrepreneurial Finance (en 1999) ; Journal of Entrepreneurial Finance and Business Ventures (en 2000) et l’organisation annuelle de la conférence « Academy of Entrepreneurial Finances » (depuis 1989). Les auteurs mentionnent également une conception anglo-saxonne réduite de la finance entrepreneuriale confondue avec le financement par capital-risque. Or ce type de financement ainsi que le recours au marché boursier sont très éloignés de la réalité d’un grand nombre de PME.

Une partie de ces entités, moteurs de la croissance économique, souffre toujours de problèmes de financement qui entravent leur développement, voire compromettent leur survie. Les institutions publiques soucieuses d’améliorer les conditions des PME ne parviennent pas à situer les problèmes financiers des PME afin d’y proposer des solutions ou des aides adéquates (OCDE, 2012). Le contexte actuel de crise économique et financière, d’ouverture des frontières à la concurrence internationale, de croissance de l’économie du savoir et de l’immatérialité des éléments d’actif rend encore plus pressant le besoin d’améliorer nos connaissances des PME et de leurs contraintes financières. C’est pourquoi nous avons souhaité ouvrir ce dossier spécial et mobiliser l’intérêt des chercheurs sur des problématiques utiles pour l’avancement des connaissances à ce sujet et surtout utiles aux PME et au tissu économique qu’elles constituent.

L’article proposé par Christine Teyssier de l’Université de Lyon s’intéresse à deux cas de PME en hypercroissance et place le dirigeant au coeur des décisions financières liées à ce choix stratégique. Yves Groleau, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, s’intéresse également aux PME en croissance et propose une mesure de liquidité adaptée à leurs spécificités. Inutile de rappeler qu’un défaut de mesure pourrait mettre en péril la PME ou au mieux entraver son développement. Au vu de l’importance de cette notion de liquidité, Ouafa Sakka de l’Université Carleton et Moujib Bahri de la TÉLUQ traitent de la relation entre les objectifs de l’entrepreneur, les pratiques d’affaires et la gestion de l’actif à court terme. L’article de Cécile Carpentier et Jean-Marc Suret de l’Université Laval propose une réflexion sur le coût du capital entrepreneurial après avoir démontré l’inadéquation des pratiques classiques. Philippe Adair et Mohamed Adaskou de l’Université Paris-Est Créteil démontrent, à partir d’un échantillon de 1520 PME, la pertinence de la théorie de l’ordre hiérarchique pour expliquer le taux d’endettement de ces entreprises. La théorie financière du compromis semble moins appropriée. Stéphane Foliard de l’IUT de Roanne nous sensibilise à l’importance de la relation qui s’établit entre le banquier et l’entrepreneur. Il constate que, dans un contexte de forte asymétrie d’information, la première impression que donne le dirigeant est souvent déterminante pour l’accord d’un financement bancaire. Théophile Serge Nomo, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, s’intéresse au financement par capital-risque et propose un cadre méthodologique pour le suivi des investissements. Après avoir approfondi le concept de la finance entrepreneuriale et son corpus théorique, Jean-Louis Paré et Frédéric Demerens de Novancia (Business School Paris) nous font une proposition pragmatique d’une approche de l’enseignement de cette matière. Enfin, pour clore ce dossier spécial, Josée St-Pierre, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, et Nazik Fadil, de l’EM Normandie, proposent un recensement de la littérature portant sur 770 articles répertoriés au cours des 15 dernières années. Dans leur analyse critique, elles constatent un décalage entre les besoins en connaissance en finance entrepreneuriale et l’offre des chercheurs, et proposent quelques avenues de recherches.