Corps de l’article

Introduction

L’action d’entreprendre fait régulièrement face au fait financier par la nécessité de trouver les ressources nécessaires à la création d’organisation, à la captation de valeur, au processus d’innovation ou à la poursuite d’une opportunité d’affaires (Verstraete et Fayolle, 2005 ; Paturel, 2007). L’entrepreneur peut rechercher des partenariats de type business angels, sociétés de capital-risque ou, et ce sont les cas les plus courants, se rapprocher d’un établissement bancaire pour financer un projet de création ou de reprise d’une très petite entreprise (TPE par la suite). Les situations entrepreneuriales sont caractérisées par l’aggravation de deux problèmes généralement rencontrés dans la théorie financière : les problèmes d’agence et l’asymétrie d’information (Rédis et Paré, 2009). La relation avec les parties prenantes et, en particulier, la banque ne peut reposer que sur une faible quantité d’informations objectives et sur l’expression d’un projet, les dires de l’entrepreneur souvent ]impossibles à prouver. Le rôle du conseiller consiste à récolter ces informations qualitatives complétant l’analyse financière et à produire une information soft, définie dans la section 1, destinée à obtenir l’accord de financement de la part de sa hiérarchie. Il va essayer de comprendre les motivations de son interlocuteur et évaluer sa capacité à rembourser. Il construit sa décision sur des éléments objectifs et subjectifs recueillis pendant le premier entretien, en respectant l’intérêt de la banque. Les informations fournies sont manipulables, et le conseiller en a conscience. Fort d’une certaine expérience, il ne va donner son accord que pour les projets ayant évacué au maximum les risques liés aux asymétries d’information et aux possibilités de comportements opportunistes. Le conseiller se retrouve donc au centre d’un double flux d’informations soft : celles fournies par l’entrepreneur, qu’il doit interpréter, et celles qu’il va produire pour obtenir l’accord de financement de la part de sa hiérarchie. Il va alors agir comme un filtre en ne retenant que les dossiers présentant à ses yeux un couple risque-rentabilité profitable pour la banque et en rejetant toutes les autres demandes. L’objectif de notre recherche est d’apporter des précisions concernant la décision du conseiller, à commencer par son contexte et les incitations de la banque encadrant la gestion du risque client tout en attendant la réalisation des objectifs commerciaux. En raison du déficit d’information auquel il fait face, nous étudions le recours du conseiller à son expérience et à son intuition. Nous présentons la construction de la première impression chez le conseiller et les risques d’erreur qui y sont associés. Pour ce faire, nous avons réalisé une revue de littérature et nous avons administré un questionnaire auprès de 54 conseillers clientèle « professionnelle » et directeurs d’agence.

Cette recherche est la suite d’un premier travail exploratoire décrivant les prémices de la décision et les déterminants de l’envie de financer un entrepreneur souhaitant créer ou reprendre une TPE par un conseiller financier (Foliard, 2010a), à savoir les 3C : le contexte général et particulier, la confiance et la cohérence entre l’entrepreneur et un professionnel déjà en place.

La première section présente les relations tripartites entre la banque, le banquier et l’entrepreneur, la nature de l’information échangée et son incidence sur la prise de décision. La section 2 précise le processus de décision risquée en environnement naturel et les habitudes mentales utilisées pour filtrer les dossiers. La section 3 est consacrée à la méthodologie que nous avons suivie pour mesurer les éléments vus dans les sections précédentes. La section 4 présente nos résultats sous forme de statistiques descriptives. La portée managériale de notre travail est exposée en conclusion.

1. La banque, le banquier et l’entrepreneur : l’importance de l’information soft

La littérature relative aux très petites entreprises met en évidence leur opacité (De Meza et Webb, 1987 ; Binks et Ennew, 1997 ; Howorth et Moro, 2006) et la difficulté d’obtenir de leur part une information fiable et transparente (Levratto, Barthelemy, Delhom, Filippi et Mahereault, 2002), utilisable en l’état par les banques. Celles-ci sont pourtant incontournables dans la création et le développement des TPE, la recherche de financement hors apport personnel n’allant pas plus loin que le financement bancaire[1], le marché financier étant inapproprié (Paranque, 2004). La relation bancaire apparaît comme une pierre angulaire, souvent négligée par la littérature, du processus entrepreneurial et engage trois acteurs : la banque, le banquier et l’entrepreneur.

1.1. La banque et les entrepreneurs

Le renouvellement de la clientèle bancaire constituée par les TPE est un élément important de l’activité des banques commerciales. Elles constituent l’essentiel de la clientèle « professionnelle » (commerçants, artisans, professions libérales) et les banques doivent se positionner dès la création en prenant le risque du financement initial, mais en s’assurant par la suite un produit net bancaire[2] important. Elles doivent évaluer le risque et la rentabilité du couple porteur-projet, les deux éléments étant indissociables (Bruyat, 1993), à partir de la récolte et de la production d’informations hard et soft. Essentiellement chiffrées et impersonnelles, les informations hard sont vérifiables et permettent un traitement automatisé (Petersen, 2004), rapide et ne nécessitant aucune relation de proximité. Pour Godbillon-Camus et Godlewski (2005), les informations soft sont des mots, de l’interpersonnel et un jugement, par définition discutables et potentiellement manipulables. Pour Stein (2002), les informations soft ne peuvent pas être reportées et transmises sans ambiguïté. Pour Levratto etal. (2002), c’est une information privative aidant à surmonter les asymétries informationnelles existant, d’une part, entre l’entrepreneur et le conseiller recueillant les données et, d’autre part, entre le conseiller et son responsable hiérarchique. Pour Scott (2006), l’opacité typique des projets de création rend impossible pour le prêteur d’avoir une compréhension parfaite du risque lié à l’emprunteur. Les états financiers sont faibles et il n’y a pas d’historique de la relation. Pour Berger et Udell (2002), le conseiller produit une information soft à partir des interactions avec le couple entreprise-entrepreneur, mais également des autres parties prenantes (clients, fournisseurs), ainsi que de sa connaissance du territoire et de la communauté par laquelle circule de l’information de manière indirecte sous forme de réputation. Un des atouts des banques de réseaux est de bien connaître le territoire dans lequel souhaite évoluer l’entrepreneur. Celui-ci partage avec le conseiller un socle commun de connaissances (Foliard, 2010b) qui améliore la compréhension mutuelle. La connaissance préalable par le conseiller des parties prenantes du dossier de l’entrepreneur lui donne des informations sur la qualité du réseau mobilisé et donc du projet en général. Cela permet de diminuer l’incertitude et le risque perçu. Un adage de la banque dit « les bons amènent les bons, les mauvais amènent les mauvais » ; l’entrepreneur n’emprunte pas seul, et c’est tout son réseau qui est évalué et qui va servir à produire l’information soft nécessaire à la prise de décision. La production de cette information dans la chaîne de décision de la banque est du ressort du conseiller, et la perception du projet par ce dernier devient alors l’élément déterminant et, comme le soulignait Scott (2006), le rôle du conseiller dans l’utilisation de l’information soft reste encore largement inexploré.

Pour gérer globalement le risque, les banques disposent des informations disponibles fournies par le fonctionnement des entreprises déjà clientes. Les dossiers de création sont évalués par comparaison avec ce qui est connu de l’activité ou du secteur géographique. Les banques évaluent le couple risque-rendement de chaque activité et incrémentent les outils de scoring encadrant la faisabilité et la tarification de chaque nouveau dossier. Ces dispositifs d’agrégation de données permettent de baser la décision de financer sur un socle d’informations hard plus solide, de ne pas passer trop de temps en collecte d’information et ainsi d’améliorer la rentabilité des activités de prêts. Pour les créateurs, ces données hard doivent être enrichies d’une information soft conséquente permettant une évaluation acceptable du risque, quelle que soit la structure de la banque, hiérarchisée ou décentralisée (Stein, 2002 ; Berger, Miller, Petersen, Rajan et Stein, 2005).

1.2. La banque et le banquier

Au sein de l’organisation bancaire, le conseiller financier a pour rôle de gérer un portefeuille de clients auxquels il propose des produits de banque et d’assurance, et de veiller au fonctionnement des comptes dans les limites prévues, ainsi qu’au bon remboursement des prêts accordés. Pour Retour et Dubois (2006), le conseiller financier est la clé de voûte de la relation entre la banque et le client, et est au coeur d’un système de contraintes et de régulations. L’activité d’un conseiller financier est de plus en plus encadrée afin d’améliorer la performance : nombre défini de rendez-vous par jour avec des clients et avec des prospects, technique d’entretien à utiliser, méthode de vente obligatoire ou outils de scoring imposant une tarification. Les banques cherchent à développer le temps commercial consacré aux opérations en face à face avec la clientèle en standardisant et en informatisant les opérations administratives. Le conseiller doit vendre et gérer le risque. Il se trouve au milieu d’une double pression : une pression commerciale, l’incitant à entrer en relation avec des entrepreneurs pour atteindre ses objectifs, et une pression reliée au risque, le freinant dans cette démarche. En adoptant le vocabulaire de Simon (1947), ses décisions se doivent d’être rationnelles du point de vue de l’organisation, au sens où le conseiller est là pour servir les intérêts de la banque. Son comportement est également personnellement rationnel, car la décision de financer obéit aux desseins de l’individu qui y trouve la possibilité de réaliser ses objectifs commerciaux. La perception que le conseiller peut avoir du couple risque-rendement est obligatoirement influencée par la double pression qu’il subit. Si la pression risque l’emporte, il va resserrer ses pratiques et limiter les engagements ; si c’est la pression commerciale qui domine, il sera incité à sous-estimer le risque au profit de l’opportunité commerciale. Le conseiller peut manipuler les informations soft transmises aux décideurs (Godbillon-Camus et Godlewski, 2005) pour obtenir un accord de financement et atteindre ses objectifs. L’encadrement de la banque veille à limiter ces comportements opportunistes par la chaîne de décision et les contrôles réguliers. Nous précisons dans les sections suivantes les modalités de ces deux pressions et comment elles sont ressenties.

1.3. Le banquier et l’entrepreneur

La relation bancaire est avant tout une relation interpersonnelle, et c’est la qualité du contact qui va différencier les banques, les offres étant aujourd’hui uniformisées du fait de la concurrence. Pour le créateur, la qualité passe par une écoute, un conseil et, avant tout, par le financement indispensable au lancement d’une activité représentant souvent le projet d’une vie nouvelle. Avec le temps, le banquier acquiert une meilleure connaissance de l’entrepreneur et de sa capacité à tenir ses engagements. Les bienfaits d’une relation suivie entre l’entrepreneur et le banquier ont fait l’objet de nombreux travaux (Petersen et Rajan, 1994 ; Godbillon-Camus et Godlewski, 2005, entre autres). La proximité et la confiance qui peuvent se développer entre les deux parties permettent de gagner en efficacité (Scott, 2006), mais ne sont pas dénuées d’un risque de perte de vigilance. Elles peuvent, en effet, engendrer des comportements contre-productifs quand des décisions difficiles sont à prendre au sujet de clients connus de longue date et avec qui des liens d’amitié peuvent s’être tissés. Le monde bancaire utilise de nombreux proverbes, nous en avons relevé deux illustrant cette idée :

  • « Le tutoiement est le premier pas vers le contentieux. »

  • « Il vaut mieux être le boucher que le veau[3]. »

La décision de financer engage la banque, le banquier et l’entrepreneur dans un parcours long et dans un avenir incertain, où la vigilance est de mise. C’est une décision comportant des enjeux financiers pour la banque et pour l’entrepreneur, et des enjeux touchant la carrière du conseiller et sa réputation auprès de sa hiérarchie. Personnellement impliqué dans la démarche, le conseiller va filtrer les dossiers qu’il va présenter à sa hiérarchie en se basant sur certains critères objectifs, mais surtout sur des éléments subjectifs lui ayant donné envie de le faire.

L’entrepreneur est le seul vecteur d’information, et parmi ses dires, une partie est sujette à caution, car difficilement vérifiable, potentiellement manipulée et incluant un risque de comportement opportuniste. La capacité à rembourser les prêts ne peut pas être mesurée, pas plus que l’honnêteté. Compte tenu de ce déficit d’information, la décision de financer ne peut pas être objectivement rationnelle et va inclure, en plus des informations concrètes fournies par le plan d’affaires, des éléments subjectifs issus de la relation, l’ensemble devant susciter chez le conseiller l’envie de financer (Foliard, 2010a). Pour produire l’information soft nécessaire à la prise de décision, le conseiller va d’abord recueillir et s’approprier les éléments fournis avec plus ou moins de clarté par l’entrepreneur. En parallèle, il évalue la capacité de l’entrepreneur à produire de la valeur dans la durée. Cette évaluation conduit à la décision de monter ou non un dossier de financement et de le défendre auprès de sa hiérarchie. La principale préoccupation des conseillers est de savoir si l’entrepreneur pourra rembourser le crédit qu’il demande. Ils collectent pour cela des informations et vérifient leur cohérence avec l’image d’un professionnel déjà en place. Ils projettent l’image perçue du porteur de projet dans un futur hypothétique et estiment la cohérence de l’ensemble. Le créateur est ainsi évalué sur sa capacité à « ressembler » à un chef d’entreprise en activité et remboursant correctement ses prêts. Il nous semble intéressant d’apporter des précisions sur cette comparaison et ses conséquences.

Même si le projet présente des caractéristiques financières acceptables, le conseiller financier n’aura envie de s’engager que s’il pense pouvoir faire confiance à son interlocuteur. L’entrepreneur doit évacuer les asymétries d’information, source de risque ex ante, et l’aléa moral, source de risque ex post, pour que la confiance puisse se développer chez le conseiller (Foliard, 2008). Au cours de la discussion, le conseiller cherche à connaître son interlocuteur, même si cette démarche devient fortement subjective. Nous souhaitons ici apporter des précisions sur l’importance de l’intuition dans la prise de décision de financer un entrepreneur TPE.

2. Monter un dossier de financement : détails du processus de décision

Dans cette section, nous présentons différentes approches théoriques de la décision que nous adaptons au financement du créateur par le banquier. Nous mettons ainsi en évidence l’utilisation de routines, dont nous montrons les conséquences dans nos résultats.

2.1 Le processus de décision suivi par les conseillers financiers

Les particularités de la décision de financer excluent la possibilité de rationalité parfaite et des lois de probabilités qui la sous-tendent. Financer un créateur mêle raisonnement et émotions (Zajonc, 1980). Les conseillers, confortés par leur expérience, font confiance à leur ressenti, leur feeling apparaissant comme la réponse biorégulatrice de Damasio (1995) censée les protéger en les alertant du danger. Le fait de devoir régulièrement faire face à ce type de décision risquée développe chez eux une expérience de ces émotions, mais surtout une augmentation de la prégnance de l’émotion consécutive à de multiples expositions (Zajonc, 1968). Les sentiments permettent d’évaluer le passé, mais ils orientent surtout le conseiller dans sa préparation à l’action, dans sa représentation de l’entrepreneur dans le futur et de sa capacité à générer la valeur nécessaire au remboursement de ses prêts.

L’analyse de la décision face au risque met en évidence l’association de deux types de fonctionnement : un traitement cognitif, analytique, et un traitement automatique, basé sur des heuristiques et des associations (Kahneman et Tversky, 1979 ; Evans et Over, 1996). Le premier va mobiliser l’attention du décideur sur la validité des arguments avancés par l’entrepreneur pour obtenir un raisonnement formel. Le second est davantage fondé sur l’expérience du conseiller, qui va automatiser le traitement de l’information, influencé par des croyances préalables issues des cas qu’il connaît déjà. Repartir systématiquement d’une page blanche et construire un raisonnement formel est intellectuellement coûteux. Cela demande un effort cognitif important et une collecte d’information fastidieuse. Décider de financer un entrepreneur est conditionné par une forte contrainte de temps, un entretien ne durant généralement pas plus d’une heure. De plus, le conseiller, en tant qu’être humain lambda, ne dispose pas des facultés intellectuelles ni de l’endurance pour maintenir ce niveau de concentration tout au long de sa journée de travail. L’expression « rester frais » est souvent employée par les conseillers, et l’idée qu’elle véhicule est qu’il ne faut pas s’épuiser sur certains dossiers pour pouvoir traiter les demandes suivantes et rester réactif. Au quotidien et face au coût cognitif de la démarche rationnelle, les traitements automatiques sont ainsi privilégiés. Généralement efficaces, ces heuristiques amènent à commettre des erreurs régulières, à des biais cognitifs. Ces erreurs ne sont pas toujours visibles et évidentes dans le monde bancaire, où les conseillers ont tendance à développer des comportements censés ne pas les mettre en danger. Ils développent des routines diminuant le risque de décision négative. La volonté de la banque étant de ne voir financer que de bons dossiers, les conseillers adoptent un comportement de surprudence en éliminant toute situation dans laquelle réside un doute, sans chercher à lever ce doute, faute de temps. Il en résulte un nombre difficilement mesurable de projets présentant un niveau de risque-rentabilité acceptable pour la banque, mais qui ne sont pas financés, n'ayant pas franchi le filtre du conseiller financier (Foliard, 2008). La théorie des perspectives de Kahneman et Tversky (1979) permet de comprendre pourquoi de tels projets ne sont pas suivis. Le conseiller raisonne en termes d’utilité, en mesurant un risque qu’il doit maîtriser et en recherchant la réalisation d’un potentiel commercial. Dans cette évaluation, les auteurs montrent une aversion pour les pertes, si bien que le potentiel, même minime, de défaillance et les conséquences pour le conseiller ont un poids plus important qu’un gain équivalent obtenu par l’opportunité commerciale de ce nouveau client. L’évaluation faite par le conseiller ne porte pas seulement sur l’état final estimé (viabilité du projet par rapport au risque de défaillance), mais également sur les changements de sa propre situation, de son bien-être vu comme la position du conseiller au sein de la banque et eu égard à chacune des deux pressions. Le banquier ne prend pas seulement une décision ayant un impact sur le futur, mais un ensemble de décisions risquées sur une période définissant son propre bien-être. Celui-ci passe par l’accomplissement personnel, le sentiment d’être un bon professionnel, le regard de sa hiérarchie et de ses collègues sur ses performances commerciales, la fiabilité de ses décisions et les perspectives d’évolution que ce professionnalisme permet. Le financement d’un entrepreneur doit être vu au regard de cette situation de départ. Un conseiller largement en avance sur ses objectifs commerciaux est dans une position confortable, et une décision risquée supplémentaire aura finalement plus tendance à dégrader cette situation qu’à l’améliorer. Il va donc se montrer plus exigeant envers les porteurs de projet et choisir uniquement les dossiers les moins risqués. L’inverse peut également se vérifier. L’évolution du lien avec la hiérarchie est un élément à inclure dans la prise de décision, car il touche directement le professionnalisme perçu et le bien-être du conseiller. Un nouveau dossier va solliciter le système émotionnel du conseiller (Finucane, Alhakami, Slovic et Johnson, 2000), qui va évaluer comment ce nouveau dossier peut modifier en bien ou en mal sa situation de départ. Un contentieux récent et le regard souvent négatif de la hiérarchie dans de tels cas vont donner plus de poids émotionnel à la dimension risque, et le projet sera refusé alors qu’il aurait pu être accepté par un conseiller présentant une situation de départ différente. Le jugement de confiance relatif à l’hypothèse de faisabilité d’un dossier dépend de la force des faits qui la soutiennent (Tversky et Koehler, 1994). Plus la représentation de la possible défaillance est renforcée par un contexte proche, plus cette hypothèse recevra de force et orientera la décision du conseiller vers le refus. Notons que la décision de financer est un choix intertemporel avec des bénéfices commerciaux immédiats (ouverture d’un nouveau client et vente de l’équipement bancaire) et un coût lié au risque de défaillance à plus ou moins longue échéance. Cette caractéristique n’est cependant pas de nature à minimiser le risque, car la surveillance des comptes et l’encadrement des défaillances des clients font partie intégrante du travail d’un conseiller, dont la journée commence souvent par décider du paiement ou non des effets de commerce et des chèques émis par leurs clients au-delà de la limite autorisée[4]. Ce risque est donc constamment présent dans le faisceau attentionnel du conseiller, et sa représentation en est particulièrement concrète, ce qui accentue la probabilité subjective associée à l’hypothèse de défaillance.

2.2. Heuristiques et biais dans la décision de financer

Nous avons évoqué précédemment l’utilisation d’heuristiques par les conseillers financiers pour simplifier la réalité et être en mesure de prendre une décision conforme aux attentes de leur fonction alors qu’ils ne bénéficient pas d’informations fiables, exhaustives et obtenues à un coût cognitif relativement faible. Les conseillers financiers ne peuvent pas tout maîtriser, tout connaître sur leur interlocuteur, et la méthode intuitive compense le manque d’éléments tangibles résolvant le problème de l’incertitude. Kahneman et Tversky (1974) relèvent trois types d’heuristiques : la représentativité, la disponibilité et l’ancrage. Les heuristiques de représentativité correspondent à la probabilité qu’un évènement soit évalué par sa similitude avec le stéréotype d’un évènement d’allure identique. Cette heuristique est liée à l’apprentissage du conseiller, qui va évaluer le projet par rapport à une norme des évènements ressemblant à ce qu’il voit. Si une caractéristique du prototype que s’est construit le conseiller lors de son expérience est observée, il va attribuer le reste des caractéristiques du prototype à la situation vécue, processus que nous appelons « étiquetage ». L’heuristique de disponibilité correspond à la présence en mémoire d’un élément similaire ; le prototype le plus récent, et non pas le plus fréquent, sera le plus utilisé. L’utilisation de ces heuristiques doit permettre au conseiller de différencier les comportements fiables des comportements qui ne le sont pas et ainsi répondre aux objectifs de la banque. Simplifier la réalité en la recoupant avec des catégories connues peut conduire à des préjugés tenaces, car cela sous-entend une illusion de validité. Une fois que le conseiller a étiqueté le prospect, la confiance dans son jugement va dépendre du degré de représentativité de l’entrepreneur par rapport au stéréotype, mais pas de ce qui peut limiter l’exactitude de ce point de vue. Kahneman et Tversky (1974) montrent que cette confiance est injustifiée, et les conseillers sont dans cette situation si l’élément d’entrée (la première impression) est redondant ou corrélé avec leur grille d’étiquetage. Ils vont alors utiliser une troisième heuristique : l’ancrage. La première impression est la valeur initiale de leur jugement (l’ancre) et elle est ajustée au fur et à mesure de l’entretien, sans que cet ajustement ne remette totalement en cause cette brève première analyse. Le résultat final est souvent extrapolé du point de départ. L’heuristique d’ancrage montre que dans les décisions risquées, différents points de départ donnent des estimations différentes et donc des résultats différents. Eu égard à l’entrepreneur, on peut supposer qu’une présentation différente dans les premiers instants peut conduire à des décisions variables, au moins pour les projets cités précédemment, présentant un niveau de risque-rentabilité acceptable et néanmoins refusés. Nous souhaitons montrer que cette première impression, cet étiquetage, a des conséquences sur la suite de l’entretien avec l’entrepreneur.

3. Méthodologie

Dans les deux sections précédentes, nous avons présenté une revue de littérature appliquée au conseiller financier et décrivant l’environnement de la prise de décision et les mécanismes intuitifs, l’étiquetage, que nous souhaitons mieux connaître. Nous avons intégré cette problématique à un questionnaire plus vaste, destiné à modéliser l’envie de financer. Pour sa construction, nous avons utilisé les résultats d’une recherche exploratoire précédente basée sur onze études de cas (Foliard, 2008), dans laquelle nous avions relevé les éléments influençant cette envie de financer. Cela nous permet de nous assurer que notre questionnaire comprend bien toutes les informations essentielles à notre objectif, c’est-à-dire l’étude des éléments qui composent la décision : l’environnement et le système de contraintes de la banque, la perception de l’entrepreneur par le banquier et les habitudes mentales utilisées. Pour chacun de ces construits, nous avons retenu des indicateurs relevés lors de la phase exploratoire de notre précédente recherche, par exemple, les différentes manifestations de la pression commerciale ou de la pression risque décrites par les conseillers.

La première partie du questionnaire concerne l’environnement de la relation, à savoir le contexte général et la position du conseiller au sein de la banque. La deuxième partie concerne les modalités de la relation avec le prospect, les éléments permettant de percevoir la cohérence de sa présentation et sa capacité à générer de la confiance. La troisième partie concerne les éléments du processus de décision, le recours à l’intuition et aux heuristiques. Des échelles de Likert à 7 valeurs ont été choisies, et les réponses montrent que toute la plage est utilisée. Nous avons laissé une position intermédiaire pour éviter les non-réponses. Nous avons limité la possibilité de deux biais (Evrard, Pras, et Roux, 2003) : les biais liés à la formulation et ceux liés à l’ordre et à l’enchaînement des questions en testant nos questionnaires auprès d’un public varié[5]. Pour les heuristiques, nous avons demandé aux onze conseillers ayant fait l’objet de notre étude qualitative initiale s’il existait des similitudes entre certains prospects rencontrés, s’ils pouvaient distinguer différentes catégories et, si oui, s’ils pouvaient donner un nom, une « étiquette » et une définition à ces catégories. Sur les onze conseillers que nous avions étudiés en 2008, huit ont répondu immédiatement « étiqueter » leur interlocuteur dans les premiers instants de l’entretien, les trois autres ont reconnu des similitudes et la possibilité de regroupement. Les six étiquettes les plus fréquemment citées sont présentées dans le tableau 1. Le nom des étiquettes et les définitions ont été énoncés par les conseillers. Pour obtenir des définitions communes, nous avons utilisé une démarche intersubjectiviste permettant de confronter l’avis d’un conseiller à celui des autres pour obtenir une synthèse.

Tableau 1

Les étiquettes définies par les conseillers financiers

Les étiquettes définies par les conseillers financiers

-> Voir la liste des tableaux

Nous avons cherché à vérifier si les étiquettes étaient identifiées, reconnues, avant d’en connaître l’impact sur la décision finale. Nous avons pour cela présenté des descriptions rapides en demandant aux conseillers s’ils avaient déjà rencontré de tels prospects avec une échelle de 1 « pas du tout » à 7 « tout à fait ».

Ensuite, nous avons cherché à connaître l’impact de l’étiquette sur l’envie de financer a priori à l’aide d’une échelle de 1 à 5 allant de « Vous n’avez pas du tout envie de financer » à « Vous avez envie de financer ». Par « envie a priori », nous entendons l’envie découlant de la première impression et avant une connaissance complète du dossier.

Un échantillon de conseillers financiers et directeurs d’agence gérant un portefeuille de TPE a été constitué auprès des principales enseignes de la région Rhône-Alpes. Pour ce faire, nous avons sollicité les directions régionales pour qu’elles transmettent elles-mêmes notre demande à leurs employés soit par messagerie, notre questionnaire étant disponible en ligne, soit sur support papier pour les enseignes ne disposant pas de connexion Internet en agence. Notre volonté d’anonymat nécessaire eu égard au caractère personnel de certaines questions est ainsi garantie par l’absence de contact direct avec les répondants. La contrepartie prévisible est la faiblesse du volume des informations recueillies avec au total 54 questionnaires remplis et une population cible que nous n’avons pas pu mesurer.

4. Résultats et commentaires

Nous présentons dans cette section nos résultats et leur description statistique illustrant la décision de financer et les éléments vus dans les points précédents : l’influence de la banque par la double pression commerciale et risque ; l’utilisation par le conseiller de son expérience et de son intuition ; enfin, l’étiquetage et ses conséquences.

Les tableaux 2 et 3 présentent les variables et les questions que nous avons utilisées pour décrire et mesurer la pression commerciale et la pression risque, ainsi que les statistiques obtenues sur des échelles de 1 à 7, 1 correspondant à la note la plus faible et 7 à la note maximale. Objectivés sur de nombreux produits et services à commercialiser, les conseillers perçoivent nettement l’opportunité liée au financement d’un nouvel entrepreneur à qui l’on pourra proposer tous les équipements nécessaires au fonctionnement de son entreprise, mais aussi à titre personnel (variable 21). La pression commerciale est globalement perçue comme assez forte et se matérialise pendant les contacts avec la hiérarchie, mais également sur le poste de travail, où les résultats sont consignés et visibles (variables 24abcd). On retrouve le système de contraintes et d’incitations évoqué par Retour et Dubois (2006). La réalisation des objectifs commerciaux, si elle ne présente pas d’intérêt financier à court terme, comme le montre la faiblesse de la note de la variable 23 relative au commissionnement, est clairement le reflet du professionnalisme du conseiller et permet sa progression dans la hiérarchie. C’est un élément à la base du bien-être du conseiller. Les notes élevées aux variables 24e et 24g confirment cette perception des conseillers selon laquelle pour évoluer, il faut être un bon vendeur. L’influence de la pression commerciale est toutefois à nuancer ; la note inférieure à la moyenne de la variable 25 montre que certes cette influence existe, mais que le financement est avant tout une question de gestion du risque. À la question : « Quand vous décidez de financer (ou non) un nouvel entrepreneur, quelle pression est la plus forte ? », seuls 3 conseillers ont répondu la pression commerciale, les 51 autres, la pression risque.

Tableau 2

Manifestations de la pression commerciale

Manifestations de la pression commerciale

-> Voir la liste des tableaux

La pression risque s’exprime surtout dans les rapports avec la hiérarchie. Les banques ne souhaitant financer que de bons dossiers, l’administration contrôle les ressources que les subordonnés utilisent, ceux-ci devant la convaincre pour en obtenir plus (Stein, 2002). La qualité des dossiers proposés et la fiabilité des informations soft produites constituent un élément important du professionnalisme du conseiller perçu par sa hiérarchie (variable 8). Des dossiers bâclés ou des contentieux trop importants vont dégrader son image et rendre les financements plus difficiles à obtenir ou à des conditions moins favorables à l’entrepreneur (demande de garanties plus importantes par exemple).

Tableau 3

Manifestations de la pression risque

Manifestations de la pression risque

-> Voir la liste des tableaux

La perception du contexte est importante (variable 9) et les incitations à ne pas financer certaines activités sont amplifiées par les conseillers qui préfèrent rejeter toutes les demandes relevant des activités jugées à risque (variables 11 et 12). On retrouve le résultat des incitations évoquées entre autres dans le modèle de Stein (2002) et le poids des garanties proposées par l’entrepreneur (variable 18). La pression risque (variable 28) est perçue comme un peu plus forte que la pression commerciale (variable 29). Le contexte de la relation entre la banque et son employé varie en fonction d’éléments conjoncturels et de la politique menée par l’organisation. Les turbulences récentes ont conduit à un niveau élevé de défaillances pendant les deux dernières années[6] et donc à un nombre plus élevé de contentieux pour les banques. Celles-ci acceptent un risque mesuré au-delà duquel elles ne souhaitent pas s’engager. Le non-respect de ces consignes ne remet pas en cause la carrière des conseillers (variable 13a), mais se traduit par un encadrement plus serré et des procédures administratives plus lourdes (variable 13b). La situation de départ, le bien-être du conseiller, est modifiée, avec des conséquences sur les décisions à venir.

Au vu de ces premiers résultats, le professionnalisme du conseiller perçu par sa hiérarchie passe par la réalisation des objectifs commerciaux et une bonne gestion du risque. Cela suppose que le conseiller soit capable de discerner les bons dossiers parmi les mauvais et de produire une information soft de qualité permettant une décision plus facile pour sa hiérarchie. Le tableau 4 présente certains éléments sur lesquels le conseiller base sa perception de la qualité de l’entrepreneur.

Tableau 4

Importance de l’expérience dans la décision de financer

Importance de l’expérience dans la décision de financer

-> Voir la liste des tableaux

Ne disposant pas de suffisamment d’informations objectives, les conseillers attachent de l’importance à leur perception, à leur feeling, qui complète l’approche cognitive. L’entrepreneur doit tout d’abord être capable d’expliquer clairement comment il va fonctionner (variable 31). Dans sa perception, l’expérience du banquier est très importante avec une note moyenne de 5,94 et un écart type assez faible, et il fait appel à l’intuition (variable 49) pour atteindre la confiance nécessaire dont le niveau attendu est élevé (variable 47). Il s’en sert également pour estimer la fiabilité du couple porteur-projet (variable 53). Les conseillers cherchent à percevoir le profil psychologique de leur interlocuteur (variable 45), qui, associé à son passé, permet une perception vraisemblable du futur. Cette image est ensuite comparée avec des dossiers dont l’issue est connue (variable 63).

L’exercice de comparaison entre le prospect et les dossiers que les conseillers connaissent met en évidence chez ces derniers les heuristiques présentées dans la section 2. Nous avons cherché à savoir si les stéréotypes présentés dans la section 3 étaient globalement perçus par les conseillers (échelle de 1 à 7) et quel était l’impact sur leur envie a priori de financer (échelle de 1 à 5), autrement dit : quelle est a priori leur intention d’agir à partir de l’étiquette, quelles que soient les caractéristiques du dossier présenté ? Les résultats (tableau 5) montrent une forte identification des étiquettes, surtout pour les « artisans », les « chefs d’entreprise » et les « négociateurs ». L’envie a priori est nettement influencée par l’étiquette, et le tableau 6 présente les résultats détaillés. Un adage de la banque stipule que si tu ne le sens pas, tu ne le fais pas. Cette pensée fuyante rappelle le proverbe : Dans le doute, abstiens-toi ! Ne recherchant que les dossiers qui ne comportent aucun risque et une situation qu’ils sont capables de maîtriser, les conseillers repousseront toutes les demandes où ils ne se sentent pas à l’aise, sans vraiment chercher à savoir pourquoi.

Tableau 5

Identification des étiquettes par les conseillers

Identification des étiquettes par les conseillers

-> Voir la liste des tableaux

Les « artisans » et les « chefs d’entreprise » partent avec l’a priori le plus positif : 77,88 % des conseillers sont dans de bonnes dispositions face aux « artisans » et 77,78 % le sont pour les « chefs d’entreprise ». Cela s’explique par leur capacité à ressembler à un professionnel déjà en place. Les « prescrits » sont au-dessus de la moyenne en bénéficiant de l’engagement d’un tiers, même si l’analyse au cas par cas sera plus importante pour eux avec un ajustement plus fort (« les bons amènent les bons, les mauvais amènent les mauvais ») : 64,81 % des conseillers déclarent attendre plus d’informations. Les autres catégories partent avec un a priori négatif difficilement réversible. Ainsi, 59,26 % des conseillers sont dans une démarche de refus vis-à-vis des « pressés », et ce chiffre passe à 83,33 % pour les « dépités ».

Tableau 6

Impact des étiquettes sur l’envie de financer

Impact des étiquettes sur l’envie de financer

* Échelle de 1 à 5.

-> Voir la liste des tableaux

La difficulté de retour en arrière après l’étiquetage vient de la faiblesse du point de départ et de l’ancrage en tant que processus psychologique. Si le conseiller a étiqueté un « dépité », il va être plus attentif à toutes les hésitations de son interlocuteur en les interprétant comme un manque de confiance et non pas comme un temps de réflexion profitable. L’ajustement nécessaire pour sortir de ce processus demande un effort cognitif important de remise en question de l’interprétation des informations perçues et il est souvent négligé. Sous contrainte de temps et par économie intellectuelle, un tel processus ne peut avoir lieu que si le prospect renverse lui-même la situation. Dans une situation stressante, inhabituelle, de tels comportements sont rares.

Conclusion

Entre processus cognitifs et démarches subjectives, la décision de monter un dossier de financement se forge rapidement dans l’esprit des conseillers, et la première impression guide la suite de l’entretien avec une faible réversibilité. Dans un contexte où les incitations de la banque sont importantes, nous montrons que les conseillers utilisent des heuristiques leur permettant d’appréhender une réalité nouvelle et de la comparer avec des comportements identifiés et expérimentés pour limiter ainsi les risques de non-respect des engagements pris. Basée sur l’expérience, cette démarche d’étiquetage est rapide. Elle conditionne la suite de l’entretien en orientant la collecte et le poids des informations, et donc influence l’issue de la relation.

La portée managériale de ce travail réside dans l’apport de connaissances aisément instrumentalisables pour le porteur de projet comme pour le conseiller. Pour obtenir un financement, l’entrepreneur doit se comporter comme le ferait un entrepreneur déjà installé pour ressembler aux « chefs d’entreprise » et aux « artisans » jugés fiables par les conseillers. Il doit montrer le plus concrètement possible comment son activité va générer une valeur suffisante pour rembourser les crédits demandés, en levant de ce fait une partie de l’asymétrie d’information. Il doit également être ouvert à la discussion pour donner confiance. Une préparation permettant de travailler le fonds et la forme de la présentation peut sans doute être intégrée dans les formations préalables proposées par les structures accompagnant les créateurs.

En ce qui concerne les conseillers financiers, notre démarche souligne l’importance du contexte de l’entretien et particulièrement des incitations de la banque sur le conseiller pour orienter ses décisions et obtenir les résultats attendus. La pression risque apparaît plus importante que la pression commerciale. Leurs manifestations réciproques sont nombreuses et conditionnent la vision du conseiller par la hiérarchie et, par là même, ses possibilités d’évolution professionnelle. Nous mettons en évidence l’importance de l’expérience lors de l’entretien pour percevoir la fiabilité de l’entrepreneur. Cette démarche est intuitive et est présente dans les premiers instants de l’entretien, et peut conditionner la suite de la collecte d’information, son traitement ainsi que la décision finale. L’étiquetage met en évidence une routine permettant au conseiller une économie cognitive, l’enchaînement des rendez-vous et une meilleure utilisation du temps commercial. L’expérience et l’apprentissage par essais et erreurs permettent de limiter le risque de décisions non conformes aux attentes de la banque. L’envie a priori associée aux étiquettes montre clairement le raccourci pris par les conseillers. La littérature révèle que ces comportements conduisent régulièrement à des erreurs d’appréciation, le plus souvent le refus d’un dossier viable. Ces erreurs ne sont pas toujours visibles, car elles sont incluses dans un mécanisme de prudence accentué par la pression de l’organisation. Elles correspondent malgré tout pour la banque à un manque à gagner et une réflexion sur ce point est à mener. Certaines banques[7] développent actuellement de nouveaux guides d’entretien destinés à limiter ces problèmes d’interprétation hâtive.

La relation entre les conseillers et les entrepreneurs mérite davantage de travaux. Si la dimension humaine est prépondérante, des différences de comportement doivent pouvoir être établies en fonction des caractéristiques des conseillers (expérience, âge), de la banque (structure de décision, localité de l’agence entre autres) et des porteurs de projet.