Comptes rendus

Alexandre Mallard, Petit dans le marché. Une sociologie de la Très Petite Entreprise, Paris, Presses des MINES, 2011, 264 p.[Notice]

  • Michel Trépanier

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  • Michel Trépanier
    Institut national de la recherche scientifique et INRPME/UQTR

Voici un livre fort à-propos puisqu’il est dédié à un type d’entreprise, la très petite, dont l’importance est à la fois « numérique », elles sont très nombreuses et leur nombre va croissant, et « stratégique », puisque dans plusieurs pays industrialisés, chaque crise ou chaque vague de délocalisation conduit de nombreuses personnes à lancer leur propre entreprise afin de se donner les moyens d’exercer leur métier. Mallard porte donc son regard sur la très petite entreprise (TPE) ; la micro-organisation de dix personnes ou moins, et plus précisément, sur la manière dont celle-ci s’y prend pour construire sa relation au marché dans le contexte de relative rareté des ressources qui est le sien. Comme on le verra plus loin, l’argumentation développée dans cet excellent livre a une portée qui va au-delà de l’objet étudié dans la mesure où la démarche proposée pourrait être utilisée avec intérêt sur d’autres types d’organisations. Dans ce sens, on aurait aimé que l’auteur confronte sa démarche et ses résultats à la littérature anglo-saxonne qui se déploie le plus souvent sur des paradigmes théoriques et méthodologiques qui, à la lumière des résultats rapportés dans ce livre, paraissent devoir être questionnés. Il est donc malheureux que ces travaux aient été presque complètement passés sous silence. La manière dont l’auteur circonscrit son objet d’étude mérite d’être soulignée parce qu’elle montre bien en quoi ce travail en apparence anodin joue un rôle central dans la qualité et la pertinence des conclusions auxquelles on pourra arriver au terme d’une étude. D’entrée de jeu, l’auteur indique sa décision de ne pas centrer son analyse sur les TPE de haute technologie qui retiennent tellement l’attention des chercheurs et des organismes publics : ces dernières sont peu représentatives du monde de la TPE et pour comprendre cet univers, mieux vaut s’intéresser à la TPE « ordinaire » ; c’est-à-dire aux pratiques les plus usuelles. Mallard indique également que la population désignée par la catégorie « entreprise de dix personnes ou moins » est un agrégat statistique peu pertinent en lui-même puisqu’il regroupe une telle diversité de situations (le petit commerçant, la coiffeuse, le consultant en informatique, le comptable, l’agriculteur, le restaurateur, l’infirmière, l’entrepreneure en biotechnologie, etc.) que la présentation d’un portrait global serait à la fois inutile et erronée. En conséquence, l’analyse qu’il propose respecte l’hétérogénéité des pratiques observées tout en identifiant des sous-ensembles qui mettent en évidence des positionnements et font ressortir les axes de différenciation qui structurent cet univers. Finalement, l’auteur fait le pari que l’examen des caractéristiques et des pratiques de la TPE ouvrira la porte à une meilleure compréhension des « modalités contrastées du rapport organisation/marché » (p. 26). C’est un pari qu’il remporte haut la main et qui élargit la portée de son ouvrage. C’est à l’intérieur de cette perspective que l’auteur aborde les trois thèmes qui constituent les chapitres de son ouvrage : la fabrication des savoirs sur l’environnement économique (chapitre 1), les « capacités commerciales », c’est-à-dire l’assemblage et l’utilisation des ressources dont les TPE ont besoin pour agir sur le marché (chapitres 2 et 3), les pratiques de communication et l’usage du téléphone dans les relations au marché (chapitres 4 et 5). Une autre des qualités de l’ouvrage de Mallard est l’utilisation d’une démarche méthodologique riche et pertinente qui permet non seulement d’atteindre les objectifs visés sur le plan scientifique, mais également de produire des résultats qui ont un potentiel d’utilisation. Soulignons d’abord l’utilisation conjointe de données qualitatives (des entretiens) et quantitatives (observations de trafic téléphonique, sondages téléphoniques). À la différence de beaucoup d’études où les données qualitatives ne servent qu’à préparer les questionnaires …