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Introduction

Les recherches sur le contrôle de gestion dans les petites et moyennes entreprises (PME) sont paradoxales. L’état de l’art sur ces 10 dernières années met clairement en évidence l’importance du sujet et son caractère récent (Abdel-Kader et Luther, 2008 ; Abi Azar, 2006 ; Affès et Chabchoub, 2007 ; Bergeron, 2000 ; Bernard, 2010 ; Berthelot et Morrill, 2006 ; Chapellier et Mohammed, 2010 ; Collier, 2005 ; Condor et Rebut, 2008 ; Germain, 2005, 2006 ; Jänkälä, 2007 ; Hodges et Kent, 2006 ; Lavigne, 2002 ; Meyssonnier et Zawadzki, 2008 ; Mitchell et Reid, 2000 ; Nobre, 2001a, 2001b ; Perren et Grant, 2000 ; Reid et Smith, 2000 ; Santin et Van Caillie, 2008 ; Vallerand, Morrill et Berthelot, 2008 ; Van Caillie, 2002, 2003 ; Wijewardena et al., 2004 ; Zawadzki, 2009) mais les travaux portant sur les firmes en démarrage ou en début de croissance (Davila, 2005 ; Davila et Foster, 2005, 2007 ; Davila, Foster et Li, 2009 ; Granlund et Taipaleenmäki, 2005 ; Kallunki et Silvola, 2008 ; Moores et Yuen, 2001 ; Sandelin, 2008 ; Sandino, 2007) sont très peu exploités.

Pourtant, les start-ups et autres gazelles intéressent de plus en plus la communauté de chercheurs en PME (Julien, 2001 ; St-Jean, Julien et Audet, 2008). En effet, les entreprises en début de cycle de vie sont souvent de petite taille. Il y a alors questionnement sur ce qui est vraiment à l’origine de leurs pratiques de gestion. Est-ce la taille (associée à un manque de ressources notamment) ou est-ce la jeunesse de l’entreprise (et plus généralement sa position sur la courbe du cycle de vie) qui explique ses modes opératoires particuliers ? On touche ainsi à la question de la contingence dans les systèmes de contrôle de gestion (Gordon et Miller, 1976).

La recherche sur le contrôle de gestion dans les PME est restée longtemps focalisée sur le facteur de contingence qu’est la taille (Amat, Carmona et Roberts, 1994 ; Bajan-Banaszak, 1993 ; Chadefaux, Dannon et Langevin, 1991 ; Chapellier, 1997 ; Fernandez, Picory et Rowe, 1996 ; Gorton, 1999 ; Gul, 1991 ; Holmes et Nicholls, 1988, 1989 ; McMahon et Holmes, 1991 ; Nayak et Greenfield, 1994 ; Romano et Ratnatunga, 1994). La vision par le cycle de vie n’est apparue que récemment après la parution des travaux de Moores et Yuen (2001).

Alors que les recherches sur le contrôle de gestion dans les PME connaissent un fort développement depuis 2000, il importe de faire un bilan de celles-ci et de voir dans quelle mesure les travaux sur le cycle de vie peuvent y être intégrés. Nous procéderons ainsi en deux temps. La première partie dressera un état des lieux de la recherche sur le contrôle de gestion dans les PME et les jeunes entreprises depuis 2000. De ce travail de recension et d’analyse, nous effectuerons une synthèse ; celle-ci nous amènera à comparer les deux approches et à envisager de nouveaux sujets de recherche[2].

1. Revue de la littérature sur le contrôle de gestion dans les PME

Les années 1990 ont vu apparaître quelques travaux sur le sujet avec une dominante qu’est l’approche par la taille. Les années 2000 vont être beaucoup plus prolifiques et vont voir émerger les recherches sur les entreprises en phase de démarrage ou en début de croissance. Nous évoquerons ainsi, dans un premier temps, les recherches basées sur la taille avant d’aborder celles se référant au cycle de vie.

1.1. Les travaux privilégiant une approche par la taille

L’approche par la taille part du postulat que les petites et moyennes entreprises ont des caractéristiques bien différentes des grands groupes, ce qui induit des pratiques et des besoins en contrôle de gestion particuliers. Ces entreprises ont par ailleurs des moyens limités, ce qui rend l’accès aux outils plus difficile. Ces travaux ont ainsi pour mission d’identifier les pratiques de contrôle de gestion des petites et moyennes entreprises (1.1.1.) tout en se demandant s’il existe d’autres facteurs de contingence à l’origine de ces pratiques (1.1.2.).

1.1.1. Les pratiques de contrôle de gestion dans les PME

Les cinq caractéristiques de la PME évoquées par Julien (1987) expliquent la plupart des pratiques de contrôle de gestion. Premièrement, Julien définit la PME par sa taille. Il s’agit d’entreprises dont l’effectif ne dépasse pas un certain plafond : 250 salariés en Europe et 500 au Québec. Le seuil est généralement de 50 salariés (Commission européenne, 2006), les entreprises situées en dessous devant être considérées comme des petites entreprises (de 10 à 49 salariés) ou comme des microentreprises (de 0 à 9 salariés). Il s’agit également, d’après la Commission européenne, d’entreprises indépendantes, c’est-à-dire de firmes qui n’appartiennent pas à un groupe ; leur chiffre d’affaires ne dépasse pas les 50 millions d’euros et leur total de bilan est inférieur ou égal à 43 millions d’euros.

Deuxièmement, la PME se caractérise par une centralisation de la gestion et de la décision. Le propriétaire-dirigeant est le seul maître à bord. S’il peut déléguer à ses salariés la remontée d’informations, il contrôle et diffuse lui-même celles-ci. La gestion au sens financier du terme va également être monopolisée par lui, même s’il peut être appuyé dans certains cas par une petite équipe de comptables ou bien par un expert extérieur.

Troisièmement, il y a une faible spécialisation des tâches dans les PME : les salariés sont polyvalents. Le personnel de la comptabilité, par exemple, peut effectuer des opérations de contrôle de gestion et être mobilisé pour des problématiques juridiques, de gestion des ressources humaines ou d’informatique.

Quatrièmement, les systèmes d’information internes et externes sont simples ou peu organisés. Contrairement à des filiales de grands groupes, le reporting est plus limité, car l’entreprise n’a pas à justifier l’utilisation de ses ressources ou l’atteinte de ses objectifs à un donneur d’ordres.

Enfin, cinquièmement, la stratégie est intuitive et peu formalisée. Le dirigeant n’a pas de vision stratégique ou bien il en a une, mais elle n’est pas écrite ni communiquée de façon formelle aux salariés.

Ces caractéristiques ont été reprises par Torrès (2002) à travers sa loi proxémique (Torrès, 2000). Appliquée au contrôle de gestion, celle-ci signifie qu’en raison de la proximité spatiale, hiérarchique et fonctionnelle, le contrôle de gestion s’opère de façon informelle dans les PME. Le dirigeant étant proche de ses équipes, les objectifs sont fixés et contrôlés sans normes ni procédures, l’oral étant privilégié. La centralisation de la décision fait que si certaines opérations de contrôle de gestion sont réalisées par des collaborateurs (calcul des coûts, analyse des écarts, élaboration de tableaux de bord), il incombe au dirigeant de prendre les décisions (fixation des prix, détermination du budget, clarification des objectifs). L’environnement étant local et peu complexe, les systèmes d’information sont simples. Les tableaux de bord sont peu développés et l’entrepreneur se soucie principalement de la santé financière de son entreprise. En termes de comptabilité analytique, le nombre de produits et de services est relativement faible, ce qui entraîne une structure de coûts peu complexe.

Globalement, les résultats des travaux de recherche vont dans le sens du principe de proxémie. Le tableau 1 reprend les principales observations faites à partir d’une recension de la littérature.

Les résultats des recherches confortent ainsi les hypothèses émises à partir des définitions de la PME. La petitesse de ces entreprises rend le contrôle formel et la sophistication des outils pratiquement inutiles. La centralisation du pouvoir et surtout la proximité avec les employés facilitent la communication et le contrôle des objectifs. Ainsi, le contrôle de gestion en PME n’a pas vocation à gérer le personnel en fonction de la stratégie de l’entreprise. Il s’agit plutôt de déterminer les prix et de suivre la santé financière de l’entreprise.

Les chercheurs reconnaissent néanmoins qu’il existe de nombreux facteurs de contingence. Cela expliquerait, par exemple, que certaines PME effectuent un pilotage stratégique global ou bien qu’elles ont des systèmes de contrôle de gestion plus complexes que la normale.

Tableau 1

Les pratiques de contrôle de gestion dans les PME

Les pratiques de contrôle de gestion dans les PME

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1.1.2. Les facteurs de contingence

Les différents seuils de taille (10, 20, 50, 100 salariés) figurent parmi les facteurs de contingence les plus étudiés dans les études recensées. Une majorité de recherches excluent les petites ou très petites entreprises de leurs travaux pour se concentrer sur des sociétés de plus de 50 personnes. Le motif évoqué est que plus l’entreprise est petite, plus le système de contrôle de gestion est simple (Affès et Chabchoub, 2007 ; Chapellier et Mohammed, 2010) et plus la sophistication est faible (Abdel-Kader et Luther, 2008 ; Berthelot et Morrill, 2006 ; Lavigne, 2002 ; Vallerand, Morrill et Berthelot, 2008). Par ailleurs, l’envergure du contrôle de gestion est plus réduite : le nombre de méthodes utilisées est faible ; le service comptable est plus limité en taille ; la fréquence des contrôles baisse et le dirigeant se concentre sur des données financières (Berthelot et Morrill, 2006 ; Nobre, 2001b ; Van Caillie, 2003).

Pour Nobre (2001b), la taille impacte différemment les méthodes. Par exemple, elle a peu d’impact sur le calcul des coûts et des prix. Ce sont davantage le rôle joué par le client et les caractéristiques du processus de production/produit qui influencent les méthodes utilisées (déterminisme technicoéconomique). Concernant les outils de pilotage, la taille est clairement un élément explicatif (déterminisme organisationnel). Une petite entreprise a moins besoin de piloter son activité qu’une plus grande. On retrouve ainsi l’idée de proxémie spatiale, hiérarchique et fonctionnelle (Torrès, 2000, 2002).

Le seuil des 100 salariés est considéré comme critique (Nobre, 2001b ; Speckbacher et Wentges, 2007 ; Vallerand, Morrill et Berthelot, 2008). Les entreprises de 50 à 100 salariés utilisent peu les tableaux de bord, la fixation d’objectifs individuels et collectifs, la procédure budgétaire et l’analyse des écarts (Nobre, 2001b). Dans les entreprises de plus de 100 personnes, le système de contrôle de gestion est plus complexe, les outils sont plus sophistiqués. Ces entreprises utilisent plus de mesures de performances que celles ayant moins de 100 salariés et elles recourent davantage à des outils de pilotage stratégique comme la Balanced Score Card (Speckbacher et Wentges, 2007). Les travaux montrent ainsi que les pratiques de contrôle de gestion sont différentes selon la taille de la PME. D’autres facteurs de contingence sont également évoqués dans la littérature (tableau 2).

Tableau 2

Les facteurs de contingence autres que la taille

Les facteurs de contingence autres que la taille

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La stratégie, la nature familiale de l’entreprise, le profil (caractéristiques et buts) des dirigeants et la taille de la PME font ainsi partie des facteurs ayant une influence majeure sur les pratiques de contrôle de gestion. D’autres éléments sont mis en avant, mais à des niveaux moindres : l’incertitude perçue, l’endettement, les caractéristiques du service comptable, l’implication de la banque, l’offre de l’entreprise, le secteur d’activité (Abdel-Kader et Luther, 2008 ; Affès et Chabchoub, 2007 ; Chapellier et Mohammed, 2010 ; Condor et Rebut, 2008 ; Germain, 2005) et, plus récemment, le cycle de vie de l’entreprise.

1.2. Les travaux se référant au cycle de vie

La phase du cycle de vie dans laquelle se trouve l’entreprise est peu évoquée dans la littérature sur le contrôle de gestion dans les PME. Les travaux qui traitent de ce facteur de contingence sont en fait peu nombreux comparativement à ceux sur la taille et ils sont récents.

Deux recherches semblent être à l’origine de leur développement au cours des années 2000 (Moores et Yuen, 2001 ; Reid et Smith, 2000).

La recherche de Reid et Smith (2000) pourrait être intégrée dans les recherches sur la taille, car leur travail ne traite pas directement du cycle de vie. Leur papier s’inscrit d’ailleurs dans un dossier sur le contrôle de gestion dans les PME (Mitchell et Reid, 2000). Cependant, ils traitent de crises au cours de la vie de l’entreprise qui pourraient avoir un impact sur la mise en place de méthodes de contrôle de gestion. On retrouve ainsi une notion chère à l’un des précurseurs de l’approche par le cycle de vie (Greiner, 1972).

Leur travail a été peu suivi par la littérature postérieure. Leur conclusion principale, qui consiste à dire que certaines méthodes de contrôle de gestion surviennent à la suite de crises de trésorerie, d’innovation ou d’investissement, a été peu creusée. De plus, ils se focalisent sur des microentreprises. C’est un positionnement rare dans la littérature et qui n’a pas vraiment été suivi. Au final, leur recherche, bien qu’originale sur de multiples points, n’a pas eu beaucoup d’échos.

La recherche de Moores et Yuen (2001) a eu un succès beaucoup plus important (Davila, 2005 ; Davila et Foster, 2005, 2007 ; Davila, Foster et Li, 2009 ; Granlund et Taipaleenmäki, 2005 ; Kallunki et Silvola, 2008 ; Sandelin, 2008 ; Sandino, 2007). Il s’agit d’un travail qui porte sur les pratiques de contrôle de gestion dans des firmes positionnées sur les cinq phases du cycle de vie, à savoir la naissance, la croissance, la maturité, la relance et le déclin (Miller et Friesen, 1983, 1984). On retrouve ainsi en arrière-plan plusieurs travaux fondateurs sur le cycle de vie des entreprises (Adizes, 1979 ; Churchill et Lewis, 1983 ; Greiner, 1972 ; Miller et Friesen, 1983, 1984 ; Quinn et Cameron, 1983 ; Scott et Bruce, 1987)[3].

Moores et Yuen (2001) constatent que les contrôles se multiplient et se formalisent à mesure que l’entreprise évolue, mais que la tendance s’inverse au cours de la phase de relance et de déclin. L’aspect formel du contrôle de gestion (en termes de sélection et de présentation de l’information) s’accroît fortement de la naissance à la croissance ; il stagne à la maturité ; il s’accroît légèrement à la relance et, enfin, il diminue en phase de déclin (Moores et Yuen, 2001). Concernant l’envergure du contrôle de gestion, les entreprises situées en croissance ou en maturité utilisent une plus large palette d’outils de contrôle de gestion que les firmes naissantes, en phase de relance ou de déclin. Par ailleurs, les informations sont plus variées en croissance et en relance que dans les autres phases.

Leurs conclusions vont ainsi dans le sens des travaux de Quinn et Cameron (1983). Sur la base des travaux de Quinn et Rohrbaugh (1983), ces derniers montrent que les critères d’efficacité changent selon les phases du cycle de vie. Au cours de l’étape entrepreneuriale (naissance de l’organisation), ce sont des critères de flexibilité (innovation et adaptation) et d’ouverture (atteinte d’objectifs organisationnels et non pas individuels) qui sont importants. Lors de l’étape suivante dite de « collectivité », l’ouverture est toujours importante, mais l’entreprise s’intéresse de plus en plus à la satisfaction du personnel. La rupture est opérée au cours de la phase 3 dite de « formalisation et de contrôle ». À ce niveau, ce qui est crucial n’est plus la flexibilité, mais le contrôle interne et externe. En phase 4 (élaboration de la structure), le contrôle est moins important. L’entreprise est relativement équilibrée en termes de flexibilité/contrôle et d’ouverture sur l’interne/l’externe.

La phase de naissance (Miller et Friesen, 1983, 1984), appelée également étape de créativité (Greiner, 1972) ou d’existence (Churchill et Lewis, 1983 ; Lester et Parnell, 2008), est celle où le contrôle formel est le plus limité. La structure organisationnelle étant simple et très centralisée, c’est le contrôle informel qui domine. Par ailleurs, la stratégie de l’entreprise étant essentiellement basée sur l’innovation et la différenciation, l’analyse des coûts a peu d’importance à ce stade.

La situation évolue fortement en phase de croissance. La stratégie de niche laisse place à une stratégie de volume, ce qui induit une attention plus grande aux coûts et, en même temps, un accroissement de la taille de l’entreprise. L’augmentation des effectifs engendre un besoin de pilotage de l’activité et de coordination des équipes. Le système d’information devient également plus complexe. Une spécialisation des tâches apparaît et la centralisation de la décision diminue.

Le contrôle de gestion se formalise davantage en phase de maturité. L’informel a laissé place à des normes et des procédures. L’organisation est plus complexe et les systèmes d’information plus sophistiqués. L’innovation n’est plus la priorité de l’entreprise. C’est la maîtrise des coûts qui domine.

Au cours de la phase de relance, on assiste à une diversification de l’activité. Cette stratégie engendre une réorganisation de l’entreprise sous la forme de centres de profit. Des mesures de suivi de la performance des managers vont donc être mises en place. Par ailleurs, un besoin de coordination apparaît : les réunions et projets transversaux se développent.

La phase de déclin entraîne une diminution de la taille de l’entreprise et une gestion plus serrée des coûts. Les indicateurs de performance sont moins présents, car l’entreprise est organisée par fonctions et non plus par divisions. La structure bureaucratique entraîne des lenteurs dans le système d’information et un retour à la centralisation. Par ailleurs, l’entreprise ne se projette plus dans l’avenir. La planification stratégique est limitée.

Comme le montre le tableau 3, les travaux publiés à la suite de Moores et Yuen (2001) confirment globalement les conclusions issues de la théorie du cycle de vie.

Tableau 3

Synthèse des travaux récents se référant au cycle de vie

Synthèse des travaux récents se référant au cycle de vie

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Bien que nouvelles, les recherches reposant sur les théories du cycle de vie confirment des conclusions déjà anciennes. Leur intérêt est cependant de se focaliser sur des entreprises en démarrage ou en début de croissance, choix qui a été peu opéré avant les années 2000. Dans la mesure où les jeunes entreprises sont également petites (Lester et Parnell, 2008), il est nécessaire d’étudier conjointement ces deux types de travaux.

La section qui suit a pour objectif d’identifier des points de convergence et de divergence entre les deux approches. De cette comparaison sortiront quelques pistes de recherches pour la communauté de chercheurs en PME.

2. Synthèse et perspectives

Loin d’être opposées, les deux approches sont en fait complémentaires. Il s’agit simplement de deux facteurs de contingence qui se focalisent sur deux populations proches (2.1). Y a-t-il intérêt à recourir à l’une des deux approches plus que l’autre ? Nous verrons qu’on ne peut aboutir à une telle conclusion. Néanmoins, la mise en parallèle des deux visions appelle des recherches croisées (2.2).

2.1. Deux visions différentes qui se complètent

Comme l’indique Greiner (1972), la taille de l’entreprise suit la logique de croissance de celle-ci. Lorsque l’entreprise est au début de sa vie, elle est petite ; puis, à mesure qu’elle vieillit, sa taille se développe. Ainsi, la taille et le cycle de vie sont fortement corrélés : lorsqu’on s’intéresse à de jeunes entreprises, on travaille quasi automatiquement sur des PME.

Les objectifs sont toutefois différents. L’approche par la taille suggère une comparaison avec les grandes entreprises, ou bien une comparaison des PME entre elles. Avec le cycle de vie, il s’agit plutôt de comparer les jeunes entreprises à des entreprises matures. Le modèle n’est pas la grande entreprise, mais la firme qui a réussi à passer le stade de croissance et à se maintenir en vie. Si les entreprises sont de la même taille, dans un cas comme dans l’autre, les objectifs qui animent les chercheurs sont donc différents ; cela explique ainsi les différences constatées dans le tableau 4.

Les deux courants s’intéressent à des méthodes identiques : les budgets, l’analyse des écarts, les tableaux de bord et l’analyse de coûts entre autres. L’approche par le cycle de vie élargit toutefois l’étude à d’autres domaines comme les ressources humaines, la gestion de production, le marketing ou la vente (Davila, 2005 ; Davila, Foster et Li, 2009 ; Davila et Foster, 2007 ; Sandino, 2007). Mais ce choix est culturel, certains chercheurs privilégiant cette largesse, y compris dans les travaux sur les PME (Abdel-Kader et Luther, 2008 ; Berthelot et Morrill, 2006 ; Jänkälä, 2007 ; Vallerand, Morrill et Berthelot, 2008).

Tableau 4

Comparaison des deux approches

Comparaison des deux approches

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Les théories mobilisées par les deux courants expliquent certaines différences au niveau des populations observées et des problématiques. Par exemple, les secteurs high-tech (nouvelles technologies ou biotechnologies) sont privilégiés dans les travaux mobilisant les théories du cycle de vie. Cela s’explique par la présence de start-ups et de gazelles, c’est-à-dire d’entreprises à croissance rapide (Julien, 2001 ; St-Jean, Julien et Audet, 2008). Pour ces entreprises, l’approche par le cycle de vie semble plus judicieuse que celle par la taille. En effet, l’entreprise atteint des seuils de taille plus rapidement que dans des secteurs traditionnels. Le rythme de croissance est donc un important facteur de contingence. Il agit sur la taille et, par conséquent, sur les systèmes de contrôle de gestion. On retrouve l’idée de Greiner (1972) selon laquelle la taille croît continuellement, mais avec des rythmes d’évolution différents selon que le secteur est en forte, moyenne ou faible croissance.

L’autre différence majeure entre les deux approches concerne les problématiques. L’approche par le cycle de vie engendre des questionnements relatifs au temps d’adoption des nouvelles méthodes de contrôle de gestion (Davila et Foster, 2005, 2007 ; Davila, Foster et Li, 2009 ; Sandino, 2007) alors que l’approche par la taille ne s’intéresse pas à cet aspect. On trouve également dans ces recherches un facteur absent dans les travaux privilégiant la taille : la présence d’investisseurs. Cela s’explique par les secteurs d’activité sur lesquels portent les études empiriques (biotechnologies, IT…). Ce sont aussi les secteurs où les investisseurs sont les plus présents. Les études qui portent sur les pratiques de contrôle de gestion dans les PME manufacturières sont moins sensibles à celui-ci, mais trouvent plus intéressant d’étudier la structure familiale de l’entreprise par exemple.

Ainsi, l’angle de vision entre les deux approches n’est pas le même. Cependant, il n’y a pas de raison de penser que les recherches sur les jeunes entreprises en démarrage ou en début de croissance sont à exclure des travaux sur les PME, la petite taille des jeunes entreprises étant un élément motivant ; on peut voir ainsi dans ces travaux de belles perspectives de recherche.

2.2. De nouveaux sujets à explorer

L’examen de la littérature et la réflexion menée précédemment ne doivent pas conduire trop vite à inciter les chercheurs (notamment francophones) à abandonner l’approche par la taille au profit d’une approche par le cycle de vie.

Pour ce qui est de l’approche par la taille, plusieurs sujets ne semblent pas avoir été suffisamment exploités (Chenhall, 2003). Le premier concerne les très petites structures. Les chercheurs ont plutôt tendance à dire que cette piste n’est pas intéressante, car les systèmes de contrôle de gestion ne sont pas assez sophistiqués ou sont trop informels. Cependant, à l’image de certains travaux (Collier, 2005 ; Perren et Grant, 2000 ; Santin et Van Caillie, 2008), il est nécessaire de dépasser la logique purement formelle du contrôle de gestion et d’intégrer davantage des dimensions sociologiques, psychologiques et organisationnelles. Cela est d’autant plus important que le contrôle de gestion est fortement dépendant du comportement du dirigeant dans ces entreprises (Bernard, 2010).

Un autre sujet essentiel se rapporte aux pratiques de contrôle de gestion dans les entreprises familiales. La structure de propriété de l’entreprise est reconnue depuis longtemps comme un facteur de contingence, mais peu de travaux ont creusé cet aspect. Les chercheurs ont essayé de comprendre si certaines méthodes de contrôle de gestion comme les budgets (Germain, 2005, 2006) ou les outils de pilotage stratégique (Speckbacher et Wentges, 2007) étaient appliquées. Mais il reste beaucoup de choses à apprendre sur les pratiques réelles de ces entreprises et les difficultés auxquelles elles se heurtent dans l’implémentation des systèmes (Meyssonnier et Zawadzki, 2008 ; Zawadzki, 2009).

Plus généralement, il manque une approche par les processus dans les publications. Les études longitudinales comme celle de Meyssonnier et Zawadzki (2008) sont rares. Or, des travaux expliquant les facteurs de succès et d’échec des nouveaux systèmes de contrôle de gestion pourraient être menés. Cela est d’autant plus intéressant que l’approche par le cycle de vie s’y prête bien. Granlund et Taipaleenmäki (2005) ainsi que Sandelin (2008) utilisent cette approche pour illustrer la façon dont les entreprises font évoluer leur contrôle de gestion. Reid et Smith (2000) ne développent pas assez cette méthodologie pour analyser les crises qui amènent les changements. La théorie de Greiner (1972) pourrait servir de support pour analyser des cas d’évolution de systèmes de contrôle de gestion en PME.

D’une manière générale, les chercheurs francophones (qui ont peu travaillé l’approche par le cycle de vie) ont tout intérêt à développer des recherches sur le sujet, car le terrain est vierge. Les start-ups ou les gazelles de la nouvelle économie présentent peut-être moins d’intérêt aujourd’hui en raison d’une situation économique qui les valorise moins qu’au début des années 2000. Mais des recherches peuvent être menées dans des secteurs moins soumis aux aléas (les services par exemple).

L’approche par le cycle de vie amène à s’interroger sur les pratiques des entreprises à différents stades du cycle de vie, mais toutes les phases sont-elles intéressantes à étudier ? Y a-t-il un intérêt, par exemple, à étudier les méthodes mises en place dans les entreprises déclinantes ? Sur le sujet, les recherches ont clairement mis l’accent sur les entreprises en phase de démarrage ou en début de croissance écartant ainsi les firmes matures et occultant la phase de relance et de déclin.

Lester et Parnell (2008) estiment qu’il faut s’intéresser aux entreprises en déclin. Il s’agit, en effet, d’entreprises dont la taille est comparable aux plus jeunes, mais avec la créativité en moins (Greiner, 1972). Ces entreprises ont des systèmes d’information lourds, peu efficients et peu efficaces. Par ailleurs, elles ont besoin de nouvelles méthodes pour gérer leurs coûts. Même si ces entreprises présentent cet intérêt, nous ne pensons pas qu’il y ait ici une opportunité pour les chercheurs, à moins de travailler pour des entreprises en début de déclin et qui possèdent un potentiel de redressement.

Comme l’indiquaient déjà Quinn et Cameron (1983), les recherches ne se penchent pas suffisamment sur les firmes entrepreneuriales. Prenant appui sur le handicap de la nouveauté (Stichcombe, 1965), Quinn et Cameron (1983) avancent qu’une majorité d’entreprises de moins d’un an sont défaillantes. McMahon et Holmes (1991) soulignent, pour leur part, que l’absence de contrôle de gestion est à l’origine de cette situation.

Dans les travaux actuels sur les entreprises en démarrage ou en début de croissance, les très jeunes entreprises sont peu étudiées. Bien qu’elles n’aient pas les mêmes besoins que les entreprises plus âgées (notamment en termes de pilotage et de calcul des coûts), elles fonctionnent selon un mode informel qui mériterait d’être approfondi. C’est particulièrement le cas dans les entreprises créées en équipe où les questions de coordination et de contrôle vont se poser très tôt, parfois même avant la création de l’entreprise.

Conclusion

Si les recherches sur le contrôle de gestion dans les PME ont suivi un chemin différent, leur analyse comparative n’en est pas moins riche d’enseignements pour les chercheurs. Les travaux récents sur le cycle de vie apportent une vision différente de celle de l’approche par la taille. Les start-ups ainsi que les gazelles fournissent de nouvelles problématiques qui n’apparaissent pas dans les autres travaux. C’est le cas par exemple de la rapidité dans la mise en place des nouveaux systèmes de contrôle ainsi que de l’impact de la présence d’investisseurs.

L’approche par la taille n’a toutefois pas été approfondie sur certains points. Les entreprises familiales mériteraient plus d’intérêt de la part des chercheurs, de même que les très petites entreprises et plus globalement toutes les PME qui fonctionnent selon un mode informel.

Au final, le contrôle de gestion dans les PME apparaît comme un thème de recherches ayant encore un beau potentiel. Il y a là de belles opportunités pour les chercheurs et un réel besoin pour les praticiens.