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Axé sur les sciences de la gestion et se disant destiné aux étudiants des cycles supérieurs, sans pour autant exclure les chercheurs plus chevronnés, cet ouvrage collectif découpe le processus de recherche en deux phases : théorique et empirique où le « comment » occupe une place de choix. Ainsi, la première partie, composée des chapitres 1 et 2, vise à inscrire la recherche dans un cadre épistémologique permettant, par la suite, de définir de manière cohérente, l’objet de la recherche. La seconde partie, composée des chapitres 3 à 8, comporte les phases de collecte et de traitement des données. En complément, le chapitre 9 explique comment communiquer, par écrit et oralement, les résultats obtenus de la recherche. Chaque chapitre est complété de questions et d’exercices qui incitent à la réflexion, ainsi qu’à la mise en application des notions présentées. Des exemples concrets tirés de thèses récentes servent d’exemples tout au long de l’ouvrage. Pour des ressources complémentaires, un compagnon web est également proposé au lecteur.
Par ailleurs, l’objectif énoncé visant à « dépasser la frontière habituelle entre le qualitatif et le quantitatif » mène à une structure de présentation un peu inhabituelle des notions traitées par les auteurs dans certains chapitres. L’imbrication d’éléments, généralement présentés de manière distincte, peut a priori susciter le questionnement quant à l’organisation du texte, ainsi que relativement à certains choix terminologiques faits par les auteurs. Le tout finit cependant par prendre son sens au fil de la lecture. Cela dit, les chapitres 6, 7 et 8, consacrés au traitement des données, n’échappent pas à une division plus classique où le quantitatif domine particulièrement.
Le chapitre 1, consacré à l’inscription du projet de recherche, s’affaire d’abord à définir ce qu’est l’épistémologie, son développement, ainsi que ses auteurs majeurs. En lien avec les sciences de la gestion, cela mène les auteurs à présenter les deux grands modèles de science contemporains et plus particulièrement celui qu’ils qualifient de modèle des sciences de l’artificiel, c’est-à-dire celui où l’on étudie des « artefacts humains et sociaux » au sens de Simon. Les deux paradigmes dominants en sciences de la gestion, soit le post-positivisme et le constructivisme sont ensuite présentés. Le vocabulaire spécifique, ainsi que les hypothèses sous-jacentes à chaque paradigme s’avèrent particulièrement utiles, afin de distinguer certaines positions dites « rapprochées », leurs spécificités respectives, ainsi que les conséquences de leur choix. C’est ainsi que l’on apprend ce qui différencie le constructivisme pragmatique du constructivisme au sens de Guba et Lincoln, ou encore la distinction faite entre le réalisme scientifique et le réalisme critique, notamment sur le plan de la fiabilité et de la validité de la recherche. Le chapitre se termine avec les principales confusions relatives à l’épistémologie.
C’est en prenant bien soin de préciser qu’il s’agit d’un travail de longue haleine que le chapitre 2 présente comment construire l’objet de la recherche, en fonction du positionnement adopté. Bien que chacune d’elle soit discutée plutôt brièvement, les six questions permettant de formuler l’objet de sa recherche contribuent à compléter le chapitre 1. Les auteurs amènent également plusieurs précisions terminologiques, concernant les termes « objet », « problématique » et « question de recherche ». Plus loin, le vocabulaire propre à l’approche post-positiviste incite à réfléchir à l’usage que fait la communauté scientifique des termes « concept », « théorie », « proposition », « hypothèse » ou encore « variable ». Par la suite, la démarche d’élaboration de l’objet de la recherche dans une perspective post-positiviste présentée en neuf étapes constitue certainement un apport concret de ce chapitre. De par sa nature même, le positionnement constructiviste ne permet toutefois pas de présenter une démarche aussi découpée. Cela dit, les différentes postures possibles face à un objet de recherche « construit » sont discutées par les auteurs qui concluent brièvement avec les critères de qualité de ce type de recherche.
Marquant le début de la phase empirique de la recherche, les chapitres 3, 4 et 5 se concentrent sur la phase de collecte des données en traitant de l’enquête, de l’observation, ainsi que de l’expérimentation en tentant de répondre aux questions « quoi ? », « pourquoi ? » et « comment ? ». Ainsi, le chapitre 3 consacré à l’enquête débute avec l’approche qualitative de l’enquête. Outre les caractéristiques classiques reliées aux différentes formes d’entretien, les auteurs présentent également les différentes considérations opérationnelles (qui ? combien ? où ?) de cette technique, ainsi que les règles entourant la rédaction du guide et l’animation de l’entretien. Quant aux techniques projectives ou psychométriques, elles informent particulièrement sur les écrans psychologiques reliés à ce type de collecte. En tant qu’outil quantitatif, l’intérêt de la partie consacrée au questionnaire réside, selon nous, dans les sections concernant les modalités de réponse et le choix des échelles, ainsi que dans les notions de mesures formatives et réflectives que l’on ajoute aux éléments classiques de construction, de fiabilité et de validité de l’instrument. En plus des traditionnels biais, effets et erreurs possibles, les auteurs introduisent également les caractéristiques de l’utilisation d’outils de collecte en ligne. De manière similaire, le chapitre 4 présente les éléments classiques de l’observation. L’intérêt réside alors dans les différents niveaux de définition proposés par l’auteur qui pose l’observation, à la fois, comme un outil et un « ressenti du chercheur ». Il met ainsi l’accent sur les biais cognitifs, affectifs et comportementaux liés à ce mode de collecte, ainsi qu’aux aspects éthiques qui en découlent, notamment quant aux relations qui s’établissent avec le terrain de recherche. Le seul bémol de ce chapitre concerne le trop court encadré dédié à l’étude de cas. Importante pour la recherche en sciences de la gestion, cette méthode aurait très certainement mérité une plus grande attention. Le chapitre 5 conclut sur la collecte des données en traitant de l’expérimentation. L’auteur introduit le sujet en fournissant une définition courte, mais efficace de la causalité. En distinguant celle-ci de la corrélation, il pose alors les conditions dans lesquelles l’expérimentation devrait se dérouler, ainsi que les différents choix possibles pour assurer sa validité interne si elle se déroule en laboratoire et externe si elle a lieu sur le terrain. Bien que soulevant quelques questions quant à son applicabilité en sciences appliquées (Gauthier, 2002 ; Robson, 2002), l’exemple amené par l’auteur d’une recherche réalisée en entrepreneuriat permet de mieux comprendre son utilisation dans le domaine de la gestion, ses variantes et les procédures à suivre afin de la mener adéquatement.
Pour leur part, les chapitres 6, 7 et 8 traitent de la phase de traitement des données dans l’objectif d’aider le lecteur à « choisir » une méthode, soit exploratoire (chapitre 6), soit explicative (chapitre 8), avec entre les deux, le chapitre 7 traitant des « techniques » qualitatives. Explicites quant au « comment » de leur application, les méthodes d’analyses factorielles, typologiques, de similarités et de préférences utilisées à des fins d’exploration du chapitre 6, ainsi que celles concernant les tests non paramétriques, les analyses de variance, la régression linéaire, logistique, discriminante et canonique utilisées à des fins explicatives du chapitre 8 intéresseront plus spécifiquement le chercheur déjà au fait des approches quantitatives et de leurs traitements statistiques. Pour sa part, le chapitre 7 présente l’analyse qualitative, ses spécificités, ses principes, ainsi que les différentes formes qu’elle peut prendre de manière plus accessible. Rejoignant plusieurs aspects d’autres types d’analyse qualitative possibles, la présentation détaillée de l’analyse de contenu, sa définition, ses objectifs, sa préparation et son déroulement subséquent, avec ou sans aide logicielle, permettent au lecteur de bien mesurer les efforts qu’une telle méthode requiert. Les critères de qualité, ainsi que les dispositifs requis pour s’en assurer sont discutés en fin de chapitre.
Faisant office de conclusion, le chapitre 9 permet, dans un premier temps, d’initier la réflexion quant aux aspects éthiques et déontologiques de la communication scientifique en discutant notamment de falsification des données, de plagiat et d’autoplagiat, de co- publications et de propriété intellectuelle. Par la suite, l’auteur présente les contraintes à la rédaction, les principes de la structuration et de l’écriture du contenu, incluant l’utilisation de la formule de Flesch qui permet d’évaluer la lisibilité d’un texte. Il ajoute la mise en valeur des résultats par l’utilisation judicieuse des tableaux, graphiques et schémas et conclut avec la présentation orale et ses règles quant à la préparation du contenu, du support et de l’orateur lui-même.
Sans diminuer son utilité, particulièrement pour le monde académique francophone, l’ouvrage ne se destine que partiellement aux étudiants des cycles supérieurs, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, le niveau de la discussion proposé, et ce, particulièrement dans les chapitres 1 et 2, nécessite un minimum de connaissances préalables en matière d’épistémologie, afin de saisir la subtilité de l’argumentaire des auteurs. Concernant plus spécifiquement le chapitre 2, la trop brève présentation d’éléments de première importance concernant notamment la nature d’une recherche (exploration, description, explication), son orientation (contenu ou processus), ainsi que son but (construction ou vérification théorique) fait en sorte que le lecteur, surtout débutant, risque de rester sur son appétit. On constate également tout au long de l’ouvrage une inclinaison, parfois peu subtile, envers la posture post-positiviste, ainsi que les approches quantitatives. Cela s’avère particulièrement vrai dans la section dédiée au traitement des données. Ainsi, les choix faits par certains auteurs mènent à dresser un portrait que nous considérons incomplet pour des étudiants ayant à faire leurs propres choix, à la fois, philosophiques et méthodologiques. De manière non exhaustive, certains éléments auraient pu et auraient dû être traités. Outre les éléments mentionnés précédemment quant à la définition de l’objet de recherche, la conduite d’une revue des écrits scientifiques, la notion de pertinence sociale et scientifique d’une recherche appliquée, l’élaboration d’un cadre conceptuel et son lien avec les questions de recherche énoncées, l’utilité et la constitution d’un échantillon théorique dans le cadre d’une recherche qualitative, le recours aux méthodes mixtes ou autres méthodes spécifiques, telles que la recherche-action et les systèmes souples sont des exemples de ce qu’il aurait été intéressant de lire. Cela dit, les chercheurs, jeunes et moins jeunes, trouveront certainement dans cet ouvrage l’occasion d’approfondir leur réflexion quant à certaines subtilités, notamment philosophiques, qui caractérisent la recherche scientifique en sciences de la gestion.
Parties annexes
Bibliographie
- Gauthier B. (2002), Recherche sociale : de la problématique à la collecte des données, 3e édition, Ste-Foy, Presses de l’Université du Québec, 529 p.
- Robson C. (2002), Real world research, 2e édition, Oxford, Blackwell Publishing, 599 p.