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Publier, ce n’est pas sorcier… C’est un art !

De nos jours, « publier » constitue un passage obligé pour celui ou celle qui veut faire sa vie dans le monde universitaire. Et cette exigence nous en fait généralement voir de toutes les couleurs, de la soumission d’un texte jusqu’au moment de la décision finale. L’écriture et la réécriture d’un texte en vue d’une publication dans une revue savante nous font souvent passer par toute une gamme d’émotions allant de l’espoir à la déception. Pourtant, c’est au cours de ce processus que le texte prend son envol et se développe véritablement de façon à devenir éventuellement un article, c’est-à-dire à être publié. Sans ce travail de construction et de reconstruction, on se contenterait de diffuser nos idées en réinventant ou en adaptant le vocabulaire en fonction d’une compréhension personnelle du phénomène étudié. Toutefois, la publication dite « scientifique », disons ici « arbitrée par les pairs », a pour but de faire en sorte que nos écrits s’inscrivent dans une vision plus large, un vaste projet continu d’avancement des connaissances.

Le but de cette chronique est de mettre en évidence la dynamique et les rouages de ce processus menant à la publication. De manière spécifique, elle vise à montrer que publier, ce n’est pas sorcier, et que c’est plutôt un art… Mais de quel art s’agit-il ? Pour réussir à publier, il faut être capable de bien positionner son travail et de se montrer fin stratège. Dit autrement, l’art de la vente et l’art du jeu sont essentiels, comme nous le verrons ici. À partir de ces deux métaphores, en abordant le processus de soumission ainsi que celui de l’évaluation par les pairs et de la révision à laquelle cette évaluation donne lieu, cette chronique entend démystifier ce que publier veut dire ou implique de manière très concrète.

Cette chronique se divise en deux parties. D’abord, elle invite à réfléchir sur les différents éléments à prendre en considération lorsque l’on soumet un texte en vue d’une publication. Ensuite, elle fait état du processus d’évaluation et de révision par lequel doit passer un texte avant d’être accepté pour publication. Cette chronique se termine par quelques idées sur ce qu’est la production de connaissances en contexte de publication.

La soumission d’un texte : l’art de la vente

Certains seront peut-être offusqués par ce sous-titre. Qu’est-ce que la vente vient faire dans une chronique sur la publication ? Lorsque l’on soumet un texte à une revue, il faut avoir un produit « vendable », c’est-à-dire qu’il doit être considéré comme intéressant dans le sens qu’il doit répondre à des besoins spécifiques, comme c’est le cas pour n’importe quel produit.

Comme il ne viendrait pas à l’idée de vendre un vêtement auquel il manque des coutures ou de fournir un service à moitié, la même attitude est de mise dans le cas d’un texte scientifique. Plusieurs ont tendance à penser qu’il suffit de faire une communication dans une conférence et d’y apporter ensuite quelques changements mineurs pour que le fruit soit mûr pour une revue ; mais il est ainsi à peu près certain qu’un tel papier sera rejeté immédiatement (en anglais, desk reject) par le rédacteur en chef, et cela même si les commentaires reçus lors de la conférence étaient positifs. Il vaut mieux se faire tout de suite à l’idée suivante : un article paraissant dans une revue est un texte dont plusieurs sections ont habituellement été revues en profondeur et réécrites plus d’une fois. Souvent, le texte publié a peu à voir avec la première version et c’est tant mieux.

Avant de soumettre un texte pour publication, il faut « tester le produit ». Bien sûr, la présentation à une conférence constitue un excellent moyen d’enrichir le texte, mais ce n’est pas le seul. Si vous avez la chance d’être en lien avec des personnes plus expérimentées (et particulièrement généreuses), demandez-leur de jeter un coup d’oeil à votre texte. À chaque fois, les commentaires reçus permettront d’en améliorer certaines facettes. Toutefois, à cette étape, il ne suffit pas d’ajouter ou d’enlever des paragraphes en fonction de ces commentaires. L’ajout d’idées amène souvent de nouvelles pistes qui, en contrepartie, peuvent aussi miner la cohérence du premier jet. Lorsqu’on apporte des modifications, il devient souvent essentiel de faire des ajustements importants ailleurs dans le texte.

En fait, lorsqu’on envoie un texte en vue d’une publication, il doit être suffisamment « bon » pour donner lieu éventuellement à une invitation à le réviser. Le texte n’a pas à être parfait, d’autant plus que les évaluateurs (en anglais, reviewers) trouveront toujours quelque chose à redire. C’est leur rôle… Néanmoins, le texte doit d’abord convaincre le rédacteur en chef de ne pas le rejeter immédiatement et de l’acheminer à différents évaluateurs. En plus d’une présentation soignée et respectant les règles de l’art, il y a deux éléments à mon avis qui sont susceptibles de contribuer à ce que l’on vous fasse une offre alléchante, soit celle de vous inviter à soumettre une version améliorée de votre texte. Lorsque celui-ci présente une idée novatrice, une idée originale, une idée forte même si elle n’est pas encore à point, le texte a de bonnes chances d’être retenu ; tout rédacteur en chef est à la recherche d’articles ayant, comment dire, de la « personnalité ». Si ce n’est pas le cas, il n’est pas impossible que la richesse des données puisse le sauver, dans la mesure où les évaluateurs y voient des éléments intéressants, même s’ils ne sont pas charmés par le papier dans son ensemble ; s’ils ne voient pas cette richesse, c’est tout simplement terminé.

Lorsque le texte est prêt, encore faut-il l’envoyer à la bonne revue. L’idéal, évidemment, c’est de cibler la revue le plus tôt possible durant le processus d’écriture. Chaque revue a ses spécificités et il est important de les connaître ou de demander l’avis d’experts dans le domaine. À la question de savoir s’il est préférable de cibler dès le départ une revue de haut niveau, les avis sont partagés. Selon moi, tous les articles ne sont pas destinés à une revue de premier ordre. Cette décision doit aussi être prise en fonction d’autres facteurs, tels que la nécessité de voir l’article publié rapidement. Un des intérêts d’une soumission à une revue de haut niveau est de recevoir une réponse généralement dans un délai plus court que dans le cas des revues de calibre inférieur qui ont souvent moins de moyens pour en faire le traitement. Toutefois, le verdict est aussi plus souvent négatif et, s’il est positif, il faudra quelques tours de révision avant de voir son nom dans la revue de ses rêves. Le mieux est de se bâtir un portfolio d’articles dont la préparation n’aurait pas exigé la même quantité d’efforts.

Par ailleurs, si le sujet de l’article peut faire partie d’un numéro spécial, il ne faut pas hésiter une seconde. Les numéros spéciaux ont ceci de particulier que les rédacteurs en chef (ou invités) recherchent des textes qui correspondent à une thématique plutôt qu’à un certain standard dès le départ. Si le texte correspond à ce qui est recherché, même s’il reste encore beaucoup de travail à faire, tout n’est pas perdu et la réponse finale pourrait bien être positive. De plus, les numéros spéciaux doivent répondre à des exigences temporelles, ce qui peut faire en sorte que l’article paraîtra plus tôt. Ce qui est un avantage peut aussi devenir un problème : si vous n’apportez pas les corrections à temps, vous risquez de voir votre texte rejeté.

Finalement, avant d’envoyer le texte à la revue, il faut s’assurer qu’il respecte les normes de présentation exigées par cette revue, notamment en ce qui concerne le résumé et la bibliographie. Autant que possible, il faut respecter la longueur suggérée par l’équipe éditoriale. Cela dit, il ne faut pas couper ou réduire indûment la longueur d’un texte pour répondre à cette exigence; le texte doit révéler tout son potentiel. Bien sûr, il ne faut pas exagérer non plus et soumettre un texte dont la longueur ne se justifie pas. Ici encore, le « produit » qu’est le texte soumis doit être attirant et faire ressortir votre professionnalisme. Dans la lettre accompagnant la soumission, il peut être approprié de suggérer des évaluateurs, surtout s’ils font partie du comité éditorial de la revue. Le rédacteur en chef n’acquiescera pas nécessairement à vos suggestions, mais cela lui donnera des indications sur le fait que vous connaissez bien la revue et que votre texte est en continuité avec les intérêts de certains membres de son équipe éditoriale.

L’évaluation et la révision du texte : l’art du jeu

Une fois que le texte est soumis, le jeu peut commencer. La métaphore du jeu permet de rendre compte symboliquement de cette étape cruciale qui va de l’évaluation par des pairs à la révision du texte par l’auteur. En effet, un jeu est une activité humaine qui nous fait passer par toute une gamme d’émotions et qui est soumise à un ensemble de règles. Le rédacteur en chef est le maître du jeu et les évaluateurs sont en quelque sorte nos adversaires, car en mettant en évidence les forces et les faiblesses de notre texte, ils accélèrent ou empêchent notre sortie du jeu. Bien que l’on en connaisse les règles générales, le déroulement de chaque partie dépend de la manière dont on les interprète. Au-delà des instructions fournies dans la page éditoriale, il existe un ensemble de règles informelles que seule l’expérience du jeu, soit de la publication, permet d’apprivoiser. Le jeu dépend aussi de la manière dont se passent les interactions avec ceux et celles avec qui l’on joue ; entre autres choses, on a avantage à transformer nos adversaires en alliés.

Le temps que la réponse arrive à la suite de la soumission d’un texte permet de prendre un peu de recul. À ce moment, deux choses peuvent se produire : soit le rédacteur en chef considère que le texte a peu d’intérêt pour sa revue et il vous le fait savoir généralement très vite. Le taux de desk reject est loin d’être en baisse. Lorsque l’on reçoit un tel verdict, c’est parfois le désespoir… Toutefois, il faut recommencer le jeu ailleurs et revenir à l’étape de la soumission. Si le rédacteur en chef est généreux, ses commentaires indiqueront avec précision les principaux éléments qui motivent sa décision. À mon avis, il est toujours préférable de revoir le texte à la lumière de ses commentaires avant de le soumettre à une nouvelle revue.

Le rédacteur en chef peut aussi vous annoncer qu’il accepte de faire évaluer votre texte. C’est une très bonne nouvelle, un premier petit succès à savourer, même si le plaisir pourrait bien être de courte durée. C’est le jeu… Lorsqu’il vous écrira de nouveau quelques semaines plus tard (au pire, après quelques mois), il vous indiquera la porte de sortie ou il vous invitera à continuer la partie. Si l’on vous sort du jeu, vous vous retrouvez à la case départ. Cependant, vous avez maintenant en main trois évaluations sérieuses qui vous permettront de cerner ce qui ne va pas et d’apporter à votre texte les modifications qui s’imposent avant de le soumettre à une autre revue. Si le hasard fait en sorte qu’un des évaluateurs sollicités par le rédacteur en chef de cette autre revue soit un de ceux qui s’étaient prononcés dans le cas précédent et qu’aucun changement n’a été fait, vous êtes cuit une seconde fois. Ne pas se servir des commentaires des évaluateurs pour améliorer son texte constitue un excellent moyen de se faire sortir du jeu.

Si le rédacteur en chef vous invite à soumettre une version enrichie de votre texte (en anglais, revise and resubmit), cela veut dire que la partie commence pour de vrai ! Et vous ne jouez plus seul (ou avec un ou plusieurs coauteurs) ; vous êtes maintenant au moins quatre personnes à travailler pour faire avancer le texte. Pour donner une indication de l’intensité de la joute, le maître du jeu commence par donner son point de vue sur les rapports des évaluateurs. S’il est consciencieux et qu’il connaît bien le sujet, il fera des suggestions pour orienter la révision. Ce n’est toutefois pas toujours le cas. Plusieurs rédacteurs en chef se contentent de résumer l’ensemble des commentaires et de cibler de manière très générale les éléments majeurs à améliorer (la problématisation, la théorie, le cadre méthodologique, la contribution, etc.).

À la suite de cette invitation, tous les espoirs sont permis. À cette étape toutefois, l’affaire est loin d’être dans le sac et le maître de jeu ne se cache généralement pas pour vous le faire sentir. On le comprend très bien à la lecture d’une petite phrase alambiquée qui termine sa lettre et qui va à peu près comme suit : « Vous devez savoir que si vous décidez d’entreprendre cette révision, il s’agit d’une décision hautement risquée »… Plusieurs en ont le souffle coupé et pensent qu’ils n’ont finalement aucune chance. Il n’en est rien. J’ai moi-même déjà écrit cette petite phrase à plusieurs reprises. Elle constitue en quelque sorte une protection pour le rédacteur en chef en même temps qu’elle incite l’auteur à s’investir sérieusement dans la tâche à accomplir. Qui se donnerait la peine de réécrire un article si le rédacteur en chef lui faisait un clin d’oeil trop complaisant dès le départ ?

Chaque évaluateur est généralement invité à dire si, à son avis, le texte doit être accepté tel quel, avec modifications mineures, avec modifications majeures ou encore s’il doit être rejeté. Le schéma classique de réponses est le suivant : modifications mineures (évaluateur 1), modifications majeures (évaluateur 2) et rejet (évaluateur 3). Nous voilà donc avec trois évaluations qui ne vont pas dans le même sens. Que faire ? D’abord, ne pas paniquer et laisser la poussière retomber… Et planifier autant que possible des périodes de temps permettant de consacrer tous ses efforts en vue d’améliorer le texte. Au premier tour, il faut parfois revoir le texte presque au complet, ce qui sera évidemment très exigeant. Mais avant de commencer à écrire ou à faire des changements, il faut examiner de façon systématique et approfondie ce que les évaluateurs demandent exactement.

À cet effet, je suggère de faire un tableau dans lequel on retrouve en abscisse chacun des joueurs (le rédacteur en chef, l’évaluateur 1, l’évaluateur 2 et l’évaluateur 3) et d’ordonner les différentes parties du texte (introduction, revue de littérature, théorie, cadre méthodologique, résultats, discussion et implications). Il s’agit alors de découper les commentaires de chacun des joueurs en fonction des sections du texte. Cette opération permet de bien voir l’ensemble des commentaires pour chacun des points à améliorer. De plus, l’exercice fait ressortir les accords et les désaccords entre les évaluateurs. Il est aussi approprié de réserver une colonne pour inscrire au fur et à mesure les idées ou les solutions qui viennent spontanément à l’esprit afin de répondre à chacun des commentaires.

Ce tableau devient alors le « plan de jeu » à consulter régulièrement. Cette étape nécessite la plupart du temps de retourner dans la littérature ou d’examiner de nouveau très attentivement les données. Ce qui aide généralement à mieux comprendre certains commentaires ou suggestions des évaluateurs. Tous les articles que les évaluateurs invitent à consulter doivent être regardés de près, afin de voir si leur contenu peut être intégré dans la nouvelle version. Si l’on donne des indications pour restructurer la présentation de ses idées, les suivre amène souvent à mobiliser d’autres textes ou d’autres données. Le travail peut apparaître titanesque et irréalisable, mais abandonner ne devrait pas être une option.

Lors de cette étape, la difficulté principale est de faire l’arbitrage entre les points de vue des évaluateurs lorsqu’ils diffèrent. Revenons au cas de figure proposé plus haut, à savoir une évaluation positive, une évaluation mentionnant les points forts et les points faibles et, finalement, une évaluation négative. Outre le fait que la première évaluation a probablement aidé à convaincre le rédacteur en chef de vous inviter à soumettre une nouvelle version, c’est la seconde qui sera vraisemblablement la plus utile. Cela dit, il faut aussi parvenir à faire changer d’idée l’évaluateur qui a recommandé de rejeter le texte… Comment agir lorsqu’il existe des éléments de désaccord importants entre les différents évaluateurs ? Autant que possible, il faut éviter de choisir une option et de rejeter l’autre ; la voie du compromis est toujours la meilleure solution même si elle n’est pas toujours évidente. Ainsi, l’idéal est d’arriver à dire à chacun des évaluateurs que le texte tient maintenant compte de son point de vue, tout en amenant une facette différente.

Lorsque les commentaires d’un ou plusieurs évaluateurs ne sont pas clairs ou que l’on est fortement en désaccord avec ce qu’ils demandent, il est permis d’en discuter avec le rédacteur en chef, mais il ne servirait à rien d’essayer de le convaincre que la plupart des commentaires des évaluateurs sont sans valeur. Par ailleurs, si l’on prévoit manquer de temps par rapport au délai accordé, on peut certainement en discuter avec lui, qui ne s’opposera normalement pas à étirer un peu ce délai.

Une fois que le texte a été revu, le travail n’est pas encore terminé. Il faut maintenant rédiger ses commentaires à l’intention du rédacteur en chef et des évaluateurs, commentaires qui doivent accompagner la version révisée. La préparation de ces commentaires est une tâche presque aussi capitale que la révision du texte elle-même et il ne faut surtout pas sous-estimer son importance, même si elle est faite au moment où l’on n’en peut plus et où il faut envoyer le texte pour respecter le délai qui nous a été accordé. Il faut accomplir cette tâche avec professionnalisme et subtilité. Les habiletés de vente doivent ici être remises à profit. Il faut éviter de présenter en bloc les différents changements apportés. Chacun des joueurs doit avoir sa propre réponse à chacune de ses questions ou demandes. Comme vous n’avez probablement pas fait tous les changements demandés, il faut expliquer pourquoi, habilement… Ces justifications doivent être cohérentes avec la nouvelle version du texte. Il est de bon ton de mentionner d’abord qu’il s’agit d’une bonne idée et ensuite d’expliquer la démarche qui vous a fait renoncer à cette idée ou, mieux encore, le compromis que vous avez fait autour de cette suggestion. Ce qui est fascinant à cette étape, c’est qu’au fur et à mesure que l’on écrit ces commentaires, on voit si le papier est plus cohérent ou non. En cours de route, si un commentaire semble avoir été oublié, il faut faire la modification même si cela exige encore quelques allers et retours dans les différentes parties du texte. Si le travail de réécriture a été bien fait, vous vivrez alors un moment de pur bonheur !

À cette étape, vous devriez avoir montré au rédacteur en chef et aux évaluateurs que vous êtes capable de faire avancer le papier dans un sens satisfaisant. Si la révision du texte permet de le renforcer, il n’y a aucune raison pour qu’ils vous sortent du jeu. Toutefois, si la nouvelle tangente prise ne correspond pas à ce qu’ils veulent, le rédacteur en chef aura tendance à arrêter la démarche. Le danger de ne pas suivre de très près le plan de jeu, c’est de donner une nouvelle direction au texte qui, au lieu de le faire avancer, le remettra dans une position de première version. Le rédacteur en chef n’appréciera pas… Sans céder au désespoir, il vous faudra alors revenir à la case départ et soumettre dans une autre revue.

Si le travail a été bien fait, il y a fort à parier que l’évaluateur dont la recommandation était positive soit un peu déçu puisqu’il aimait bien la version originale, alors que l’évaluateur ayant demandé des modifications importantes devrait, en partie à tout le moins, y trouver son compte. La survie de l’article dépend alors de l’opinion de celui qui avait recommandé de rejeter le texte : s’il voit d’un bon oeil les changements apportés, le rédacteur en chef pourra alors vous donner une deuxième chance. Lorsqu’il s’agit d’une revue de haut niveau, il y aura souvent plus d’un tour de révision. Si vous recevez une deuxième invitation à réviser et à soumettre une version encore améliorée de votre texte, vous pourrez alors célébrer un peu, car vous êtes toujours dans le jeu, même si l’affaire n’est pas encore conclue. Selon moi, c’est la première révision qui est la plus difficile à préparer, car le maître de jeu ne donnera pas une deuxième chance s’il doute que vous puissiez y arriver.

Quand tout se déroule bien, quel plaisir de recevoir la lettre du rédacteur en chef vous annonçant la bonne nouvelle ! Mais, une fois de plus, il ne faut pas se réjouir trop vite. On pourrait vous demander encore quelques ajustements (par exemple, réduire la longueur du texte) avant d’accepter votre texte de façon définitive. À la suite de ces modifications de dernière minute, là on peut célébrer vraiment.

Publier un article dans une revue arbitrée… c’est faire oeuvre d’art !

De sa soumission à sa publication, un texte peut se réinventer presque entièrement. Entre la première version soumise à une conférence et celle publiée dans une revue de haut niveau, il y a un monde. C’est là que se trouve la richesse de ce mode de contrôle et de diffusion de la connaissance. Sans ces multiples révisions à l’aveugle qui nous font passer par toute une gamme d’émotions, il serait si facile de redire en d’autres mots ce que d’autres ont déjà dit bien avant nous. Publier, c’est contribuer au développement des connaissances dans un domaine d’étude, c’est inscrire nos humbles découvertes dans des discours qui les dépassent afin de les faire avancer.

Bref, publier, ce n’est pas sorcier… C’est produire de la connaissance en interaction avec d’autres qui n’ont pas le même regard que nous. Être capable de mener à bien ces interactions avec le rédacteur en chef, les évaluateurs et les coauteurs s’il y a lieu, interactions qui se déroulent à travers un ensemble de règles informelles relevant de la vente et du jeu, relève d’une activité culturelle, voire de fabrication et diffusion de sens de haut niveau. En cela, chaque partie jouée, chaque article publié, en plus d’être une victoire sur soi-même, est une forme d’oeuvre d’art.