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Introduction

Depuis une trentaine d’années, la recherche sur le rôle des réseaux sociaux de l’entrepreneur ou du dirigeant de PME a émergé et est devenue un champ important d’investigation dans le domaine de l’entrepreneuriat et de la recherche en PME (Birley, 1985 ; Aldrich et Zimmer, 1986 ; Johannisson et Nowicki, 1992 ; Zhao et Aram, 1995 ; Greve et Salaff, 2003). Plus spécifiquement, et plus récemment, les travaux sur le capital social des entrepreneurs et/ou des dirigeants de PME ont pris de l’importance au sein de ce champ de recherche (Lin, 1999 ; Adler et Kwon, 2002 ; Bauernschuster, Falck et Heblich, 2010 ; Pirolo et Presutti, 2010 ; Alexy, Block, Sandner et Ter Wal, 2011, n° spécial JSBM 2007, n° spécial ISBJ 2011).

Qu’est-ce que le capital social ? En quoi contribue-t-il à la recherche en entrepreneuriat et sur les PME ? Quelles perspectives offre ce champ de recherche ? Afin de dresser un bilan des travaux accumulés traitant du lien entre capital social et PME, nous proposons une revue de la littérature dans la lignée de travaux similaires portant sur les réseaux (Hoang et Antoncic, 2003 ; Street et Cameron, 2007) ou sur la PME (Julien, 2008 ; Marchesnay, 2008).

Nous faisons le choix de limiter la période d’analyse et nous nous fixons comme point de départ l’année 2002. Celle-ci nous permet d’intégrer comme référence initiale une publication importante, reconnue et influente sur les travaux postérieurs, à savoir les travaux d’Adler et Kwon (2002), publiés dans Academy Management Review.

Le second cadre que nous nous sommes fixé concerne le choix des revues examinées pour nourrir notre réflexion. Cette dernière étant ciblée sur la recherche en entrepreneuriat et sur la PME, nous avons retenu les publications suivantes : ERD, ETP, IEMJ, IJEBR, IJEI, IJEIM, IJESB, ISBJ, JBV, JIE, JSBED, JSBM, RIPME, SBE, SEJ[1]. Nous avons ainsi identifié 103 articles sur lesquels porte notre analyse. Nos travaux se présentent comme complémentaires à ceux de Payne, Moore, Griffis et Autry (2011) dont le propos traite de l’apport du concept de capital social pour le management en général.

Nous montrons que les problématiques envisageables à partir du concept de capital social sont particulièrement nombreuses et diverses, mais que toutefois, elles reposent sur des constructions théoriques et des démarches méthodologiques très hétérogènes. Le capital social est le plus souvent utilisé comme une variable explicative de la performance de la PME ou de la démarche entrepreneuriale. Ce champ de recherche, s’il peut toujours être complété, paraît moins nécessaire aujourd’hui. Par contre, les recherches émergentes sur le capital social où celui-ci est appréhendé non plus comme une cause, mais comme le résultat d’un processus managérial du dirigeant de PME ou de l’entrepreneur, s’avèrent, selon nous, plus pertinentes et porteuses de perspectives. Les travaux sur les effets négatifs et sclérosants du capital social sont également des pistes à creuser en matière de recherche sur les PME.

Après avoir présenté le concept de capital social à partir des auteurs de référence, nous énonçons les choix méthodologiques qui nous ont guidés pour délimiter notre base de données et pour conduire notre analyse. Enfin, nous présentons les principaux résultats, limites et perspectives de recherche dans le champ du capital social.

1. Le capital social : définitions

1.1. Les auteurs de référence du capital social

Bourdieu (1980) est généralement considéré comme l’auteur ayant introduit la première analyse systématique contemporaine du concept de CS. Selon lui (1980, p. 2) « le capital social est l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter- reconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe […] d’agents […] dotés de propriétés communes […] aussi unis par des liaisons permanentes et utiles. » Le CS est donc un stock de ressources réelles ou potentielles disséminées dans un réseau relationnel. Ce réseau se fonde sur des échanges matériels et symboliques entre les agents et dépend de la qualité (au sens de caractéristique) et de la taille de la structure relationnelle d’un individu donné. Cette qualité n’est pas indépendante du capital économique et culturel de l’individu, mais résulte d’un investissement social conscient ou non de l’intéressé. En ce sens, c’est un actif sur lequel un individu peut influer[2]. Le CS devient aussi un élément identitaire, structurant du groupe, générant de la réciprocité et donc de la dette. Il demeure néanmoins un actif individuel.

Par opposition, pour Coleman (1988) le CS relève avant tout de la communauté. Le capital est dans les liens qui unissent les membres d’une structure sociale (« le CS ne se loge ni dans les acteurs eux-mêmes ni dans les instruments de production », p. 99) alors qu’il est plutôt dans les noeuds du réseau chez Bourdieu (1980). Coleman (p. 119) identifie trois formes de CS : « des obligations et des attentes qui dépendent à la fois du degré de confiance qu’on accorde à son environnement social [et] de la capacité de circulation de l’information au sein de la structure sociale, et des normes accompagnées par des sanctions. » En ce sens, le CS est un actif collectif. Il est d’autant plus fort que la structure sociale est fermée (« closure of social networks »). Cette fermeture caractérise les réseaux densément tissés de telle sorte que les normes sont respectées du fait de l’intensité du contrôle social.

Cette dimension publique (par opposition à privée, c’est-à-dire individuelle) du CS est encore accentuée avec la position de Putnam (1995, 2000). En ce sens, elle partage beaucoup avec l’approche de Coleman (Westlund et Bolton, 2003). Pour Putnam, le CS fait référence aux caractéristiques de l’organisation sociale comme les réseaux, les normes, les valeurs partagées ou la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel (cité par Adler et Kwon, 2002 ; Westlund et Bolton, 2003 ou Bamford, Bruton et Hinson, 2006). Le CS est clairement un bien collectif (Lin, 1999). Putnam centre donc ses travaux sur les relations internes à un groupe social donné (« bonding forms of social capital »), à l’instar de Coleman (1988). Cette forme de CS se distingue des travaux focalisés sur les relations qu’un acteur entretient avec son environnement (et donc sans considération d’appartenance à une communauté donnée) et qui dressent des ponts entre divers groupes sociaux. Les travaux de Bourdieu (1980) s’inscrivent dans cette veine. On parle alors de « bridging forms of capital » (que nous traduirons par « approche externe du CS »). Ces ponts ainsi formés permettent à l’individu focal de faciliter la réalisation de ses objectifs grâce à l’obtention d’informations utiles et/ou l’identification d’opportunités en dehors de son groupe de référence. Ils le mettent dans une situation favorable pour négocier en accroissant son pouvoir et son influence (Adler et Kwon, 2002). Putnam, cité par Molina-Morales et Martínez-Fernández (2010), définit l’approche externe du CS comme des connexions[3] qui sont formées entre divers groupes sociaux alors que le « bonding social capital » (approche interne du CS) cimente les groupes homogènes et favorise la formation d’un réseau au sein d’un groupe : famille ou organisation. Ces réseaux aident à construire de la confiance, de la cohésion, de la solidarité dans la poursuite de buts communs (Coleman, 1988). Pour Molina-Morales et Martínez-Fernández (2010), alors que l’approche externe favorise la croissance des entreprises, l’approche interne inhibe la sociabilité à l’extérieur du groupe. Adler et Kwon (2002, p. 20) proposent une synthèse des principaux travaux selon l’approche interne, externe ou mixte des auteurs.

Parmi les auteurs intégrateurs, Nahapiet et Ghoshal (1998) sont particulièrement reconnus (Adler et Kwon, 2002 ; Payne et al., 2011, cf. p. 35). Ces auteurs définissent le CS comme « la somme des ressources actuelles et potentielles encastrées au sein du réseau de relations possédé par un individu ou un groupe social, disponible à travers lui et retirée de ce réseau ». Cette vision dépasse donc la stricte approche interne ou externe du CS et par ailleurs, « comprend à la fois le réseau et les actifs qui peuvent en être retirés » (p. 243). Les auteurs insistent donc autant sur la ressource qui peut être obtenue par le biais de la structure que sur la structure elle-même, celle-ci étant en soi une ressource.

Cette conception du CS en management dresse donc un pont entre les travaux de sociologie classique et les travaux de sociologie structurale ou des réseaux sociaux (Granovetter, 1973 ; Burt, 1992), permettant de développer une théorie des réseaux du capital social (Lin, 1999). Les apports des théories des réseaux sociaux sont significatifs sur plusieurs points.

D’une part, ces travaux distinguent les différentes forces des liens qu’un individu est susceptible d’entretenir avec son environnement ou au sein d’un groupe. Granovetter (1973) met notamment en évidence l’importance des liens faibles dans l’obtention d’une ressource particulière. La distinction entre liens faibles/forts est généralement définie en fonction de la fréquence, de la régularité des contacts, de leur caractère plus ou moins impersonnel ou du degré d’encastrement de la relation (pour une application récente, voir Pirolo et Presutti, 2010). La notion d’encastrement (notamment dans sa dimension structurelle) est liée à d’autres travaux de Granovetter (1985, 1992). Pour ce dernier (1992, p. 4), l’encastrement fait référence « au fait que l’action économique et ses conséquences, comme toute action sociale et ses conséquences, sont influencées par les relations dyadiques que les acteurs entretiennent et par la structure de l’ensemble du réseau de relations ». L’auteur défend la thèse selon laquelle l’action économique est encastrée dans des structures de relations sociales qu’il convient de considérer pour comprendre la réalité des interactions entre acteurs[4].

D’autre part, les écrits de Burt (1992, 1995) sur les trous structuraux et par extension toutes les réflexions qui mobilisent des notions de mesure de la position d’un acteur donné au sein d’une structure sociale (Degenne et Forsé, 1994 ; Lazega, 1998) ont souvent été intégrés dans les travaux relatifs au capital social en management en général et aux recherches sur les PME ou les entrepreneurs en particulier. Burt (1992) définit les trous structuraux comme des contacts non redondants. C’est « un tampon, comme un isolant dans un circuit électrique. Du fait du trou qui les sépare, deux individus procurent des bénéfices de réseau qui s’additionnent plus qu’ils ne se recouvrent » (Burt, 1995, p. 603). Comme le montre Burt, la présence de trous structuraux favorables à un individu et liés à une taille importante du réseau (un nombre significativement supérieur de relations par rapport aux pairs) génère du capital social et favorise l’évolution de l’individu (Burt, 1995). Le capital social, selon Burt, est lié à la structure du réseau d’un individu et notamment à la place et au nombre de ses contacts dans cette structure sociale.

À ce stade, les travaux précédemment présentés posent selon nous plusieurs questions en matière de recherche sur les PME :

  • dans quelle mesure, les approches individuelles ou collectives du CS d’une part, et internes, externes ou mixtes d’autre part, sont adaptées à ce champ ?

  • dans l’hypothèse où ces différentes approches seraient mobilisables, quels types de problématiques sont adaptés à chaque approche ?

  • comment opérationnaliser les mesures du capital social, notamment à partir des développements de la sociologie structurale ?

1.2. Le CS : concept unidimensionnel vs concept multidimensionnel

Aux trois questions précédentes pourrait s’ajouter celle de savoir si le CS ne peut pas être abordé à partir d’autres dimensions que la seule dimension structurale ? En effet, le lien qui a été fait entre les concepts et outils mis à disposition par la sociologie structurale et les travaux pionniers (Bourdieu, 1980 ; Coleman, 1988 ; Putnam, 1995, 2000) a notamment souligné cette dimension du CS. Or si nous nous intéressons au concept, proche, « d’encastrement », nous observons que celui-ci est aujourd’hui appréhendé de manière multidimensionnelle. Granovetter (1992) distingue ainsi l’encastrement structural (qui concerne les propriétés du système social et le réseau de relations dans leur ensemble) de l’encastrement relationnel (qui correspond à la nature des relations personnelles que les acteurs ont développées dans le temps). L’encastrement relationnel est donc lié à des liens particuliers (affectifs, de confiance, de respect, d’estime, etc.) et qui influencent le comportement des acteurs. De même, Zukin et DiMaggio (1990, p. 15) distinguent l’encastrement cognitif qu’ils définissent comme « les processus mentaux qui produisent des régularités structurées dans le raisonnement économique », l’encastrement culturel (p. 17) appréhendé comme « les croyances partagées qui dessinent les buts et stratégies économiques », l’encastrement politique qui fait référence à la manière dont les acteurs économiques et les institutions non marchandes (comme l’État ou les classes sociales) luttent pour le pouvoir et dessinent les décisions et les institutions économiques (p. 20) et l’encastrement structural qui renvoie à la position qu’un acteur (une firme) occupe dans la structure globale au sein de laquelle il opère (p. 18).

Progressivement, le même phénomène de « multi-dimensionnalisation » du concept de CS s’est développé. Les travaux de référence en la matière sont ceux de Nahapiet et Ghoshal (1998) qui établissent trois dimensions : structurale, relationnelle et cognitive. Le CS structural « fait référence à l’architecture générale des connections entre les acteurs » (Nahapiet et Ghoshal, p. 244). Cela renvoie aux questions du type : qui est relié à qui et par quel moyen (Burt, 1992) ? Le CS relationnel rend compte des actifs créés ou obtenus par le biais de ces relations et aux conditions de leur accès : confiance, obligations, attentes, normes, sanctions, processus identitaires (Nahapiet et Ghoshal, p. 244). La dimension cognitive du CS renvoie aux ressources structurant les représentations, les interprétations et les systèmes de construction de sens entre les parties.

L’approche multidimensionnelle apporte un enrichissement conceptuel indéniable à la recherche sur le capital social. Or, si de nombreux travaux récents s’inscrivent dans cette tendance (Liao et Welsch, 2005 ; Samuelsson et Davidsson, 2008 ; Molina-Morales et Martínez-Fernández, 2010 ; Fornoni, Arribas et Vila, 2011), la question de la fiabilité de la mesure se pose. Ainsi d’autres études se limitent à la mesure d’une ou deux dimensions. Ramos-Rodríguez, Medina-Garrido, Lorenzo-Gomez et Ruiz-Navarro (2011) qualifient le capital social à partir de l’existence ou pas d’un type de lien particulier (dimension structurale)[5]. Coviello et Cox (2007) centrent aussi leur étude sur la dimension structurale, mais avec une mesure plus détaillée ; ils évaluent la gamme des différentes relations, la taille du réseau et le nombre total de liens directs que possède l’entreprise. Lee et Jones (2008), après avoir identifié la structure relationnelle de chefs d’entreprise dans le secteur informatique, concentrent leur étude sur la dimension cognitive du CS à travers l’analyse des stratégies de communication et des expériences d’apprentissage observées. De même, Rodriguez et Santos (2007) étudient les dimensions cognitives et structurales.

Au final, la question qui se pose en matière de recherche sur les PME est de savoir s’il est possible d’appréhender de front les trois dimensions du capital social au niveau d’une entreprise, si petite soit-elle ; et si oui, comment s’opérationnalise ce type d’études ?

2. Méthodologie de la recherche

Afin de préciser notre champ d’investigation, nous avons posé les limites suivantes à notre revue de la littérature : une période, un champ et la présence visible du concept à étudier.

Comme nous l’avons indiqué en introduction, notre revue couvre la période 2002/2011 soit dix années de publications. Le choix de 2002 fait référence à la publication centrale d’Adler et Kwon datée de cette même année. Originellement, nous avions envisagé de couvrir une période plus longue et de démarrer à partir de 2000. Au-delà de la dimension symbolique, cela nous permettait de prendre comme borne de départ deux autres publications majeures : celle de Portes (1998) qui dressait un bilan de la recherche en matière de capital social (dans un cadre générique, non spécifique aux sciences de gestion) et celle de Lin (1999) qui visait à construire une théorie des réseaux à partir du concept de capital social. Cette extension s’est en fait avérée inutile, notre recherche ne révélant aucune publication sur la période 2000/2001[6] dans le champ nous intéressant. Au final, notre revue est donc « triplement » bornée à partir des trois références évoquées précédemment.

Afin d’identifier les publications traitant des recherches sur les PME et l’entrepreneuriat, nous avons ciblé 15 revues, soit l’ensemble des revues thématiques classées par l’AERES et présentes dans la liste CNRS 2011 (cf. Tableau 1). Enfin, nous avons extrait sur la période concernée et parmi les revues identifiées, les articles incluant le terme « capital social » dans le titre de la publication, dans la liste des mots clés ou dans le résumé de l’article. Notre démarche est analogue à celle suivie par Payne et al. (2011) et conduite à partir d’outils similaires pour l’obtention des publications (EBSCO/BiblioSHS).

Tableau 1

Les publications sur le thème du capital social par revue

Les publications sur le thème du capital social par revue

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À partir de ces trois critères, nous avons identifié 103 articles (Tableau 2) traitant du capital social dans des recherches portant sur les PME ou l’entrepreneuriat. L’étude de Payne et al. (2011) sur une période double (1989-2008) a conduit ses auteurs à identifier 109 articles (soit 9,08 articles par revue en moyenne). Par comparaison, notre revue de la littérature révèle une moyenne proche de 6,86 articles par revue (sachant toutefois que 5 revues ont démarré leur publication en cours de période et que les périodes ne sont pas exactement comparables).

Tableau 2

Les recherches sur le capital social dans les principales publications relatives à la PME et l’entrepreneuriat

Les recherches sur le capital social dans les principales publications relatives à la PME et l’entrepreneuriat

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La répartition des publications sur la période concernée met en évidence une tendance légèrement croissante du nombre de références en rapport avec le thème. Notons que les deux pics évidents (2007, 2011) s’expliquent du fait de la présence de deux numéros spéciaux publiés par ETP et ISBJ (voir Graphique n° 1). La moyenne annuelle des publications calculée à partir des travaux de Payne et al. (2011) indique 5,45 articles par an (109/20). Cette moyenne est toutefois trompeuse, car l’article le plus ancien dans leur revue de littérature est daté de 1996, ce qui ramène la période étudiée à 13 années, soit un nombre moyen annuel de publications sur période de 8,4 articles par an. La moyenne observée sur notre base de données est de 10,3 (103/10 années).

Si nous comparons les publications/an/revue pour les deux bases, nous obtenons les données suivantes : Payne et al. ont recensé 109 articles dans 12 revues, chaque revue paraissant sur une période couverte de 13 années (en retenant la date de l’article le plus ancien comme point de départ objectif), soit 109 / (12x13) = 0,698 article/revue/an. Notre base de données fait ressortir 103 travaux sur 10 ans pour 10 revues, et respectivement 9 ans pour IJEI et JIE, 8 ans pour IJESB, 7 ans pour IEMJ et 5 ans pour SEJ, soit 103 / (10x10 + 9x2 + 8 + 7 + 5) = 0,7464 article/revue/par an. Le thème du capital social dans le champ du management et celui de l’entrepreneuriat, sur les périodes observées, semble traduire un intérêt homogène, sans qu’une explication pleinement scientifique puisse être avancée.

En l’état des données disponibles, nous retenons que le thème s’inscrit durablement comme un centre d’intérêt pour les chercheurs en management et plus spécifiquement pour ceux travaillant dans le champ de la PME et de l’entrepreneuriat. De surcroît, cette tendance semble aller crescendo.

Graphique 1

Les publications sur le thème du capital social [période 2002-2011]

Les publications sur le thème du capital social [période 2002-2011]

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3. Résultats et discussion sur la recherche en matière de capital social en PME/entrepreneuriat

En écho aux questions de recherche formulées dans la partie 1, nous avons retenu les catégories d’analyse suivantes : en premier lieu, nous avons recensé les auteurs et définitions de référence et caractérisé les positionnements retenus dans les publications. Ces éléments sont déterminants, car ils structurent le champ de recherche (approche interne, externe ou mixte d’une part, individuelle ou collective du capital social d’autre part). Ensuite, nous avons identifié les différents thèmes et problématiques posés par les chercheurs et, enfin, nous avons analysé les méthodologies qui ont été employées.

3.1. Auteurs de référence et positionnements des articles

L’examen des articles étudiés met en évidence une assez grande homogénéité en termes de références aux auteurs clés. L’analyse bibliographique confirme que les trois auteurs mis en avant dans les travaux de Lin (1999) ou Portes (1998) et que nous avons présentés comme fondateurs (Bourdieu, 1980 ; Coleman, 1988 et Putnam, 1995 et 2000) sont largement référencés. Ainsi, Bourdieu est cité dans 29,1 % des papiers (si nous cumulons la référence française de 1980 et la version anglaise de 1986), Putnam est cité dans 26,2 % des articles. Nous n’avons toutefois comptabilisé que les références de 1995 et 2000, trois articles ne se référant qu’à ses publications antérieures n’ont ainsi pas été pris en compte. Enfin, Coleman (1988) est, des trois fondateurs, le plus cité (44,7 % des articles). Le taux de citation grimpe même à 53,4 % si nous tenons compte de ses publications de 1988 et 1990 (citées en commun 22 fois et 33 fois séparément). L’intérêt d’un tel comptage est certes de souligner l’homogénéité des sources de la pensée liées au concept de CS, y compris dans le champ qui nous intéresse, mais sa limite est qu’il ne permet pas de préjuger du sens donné à chacune de ses références (mise en opposition ou en parallèle des auteurs ?).

Parmi les autres références clés, l’article de Nahapiet et Ghoshal (1998) est celui qui est le plus abondamment cité (51,5 % des articles). L’introduction de la tridimensionnalité du capital social dans notre champ de recherche semble ainsi pleinement assumée et entérinée par la communauté scientifique (et par conséquent, nous pouvons demeurer dubitatifs quant à certaines mesures excessivement simplistes du CS parfois employées comme nous le verrons par la suite). Parmi les articles multi-référencés, il est ainsi cohérent de retrouver des travaux de sociologie préfigurant la synthèse opérée par les deux auteurs précités et sur lesquels ces derniers s’appuient largement. Ainsi, les travaux de Burt (1992) – dimension structurale du CS – et de Granovetter (1985) – dimension relationnelle du CS – apparaissent respectivement dans 47,6 % et 41,6 % des articles de notre base de données. Toutefois, les travaux de Granovetter (1992) sur lesquels Nahapiet et Ghoshal s’appuient plus largement sont moins référencés dans notre base (13,6 %). Aucun des auteurs liés à la dimension cognitive et mobilisés par Nahapiet et Ghoshal n’apparaît significativement dans les bibliographies étudiées, ce qui souligne sans doute un déficit de conceptualisation et de recherche empirique sur cette dimension spécifique.

Parmi les travaux de synthèse sur le concept que nous avons mis en avant dans la première partie, Portes (1998) est référencé dans 27,2 % des cas, Lin (1999) dans 13,6 % des cas. Les travaux de Adler et Know (2002)-(34 %) sont beaucoup plus significativement repris, ce qui s’explique en partie du fait du canal de diffusion (Academy Management Review) dont le rayonnement est sans doute plus fort auprès des chercheurs en sciences de gestion ou en économie que l’Annual Review of Sociology ou Connections.

Concernant le positionnement des publications étudiées relativement au caractère individuel ou collectif du capital social d’une part, et interne ou externe d’autre part (bonding vs bridging), nous observons qu’en matière d’études relatives à l’entrepreneur et/ou à la PME, les caractères individuels (68,9 % des articles) et externes (84,5 %) sont dominants.

Le caractère collectif du capital social est mis en avant dans 20,4 % des publications seulement[7]. Il concerne principalement les études relatives aux entreprises familiales (Carney, 2005 ; Lester et Cannella, 2006 ; Jones, Makri et Gomez-Mejia, 2008 ; Pearson, Carr et Shaw, 2008 ; Carr et al., 2011), le CS étant abordé comme un actif collectivement construit et détenu par les membres de la famille. Cette approche est également déterminante pour les travaux intégrant une dimension géographique et identitaire (du type culture nationale ou culture locale, d’un district industriel, d’un kibboutz, etc.) (Kwon et Arenius, 2010 ; Molina-Moralès et Martínez-Fernández, 2010 ; Heilbrunn, 2010). Nous n’avons recensé que 11 articles où le CS est abordé sous un angle intra-organisationnel au sens strict. Nous retrouvons dans ces études celles portant sur l’entreprise familiale (Jones, Makri et Gomez-Mejia, 2008 ; Pearson, Carr et Shaw, 2008 ; Long, 2011), mais aussi des recherches liées à la reprise d’entreprise et à la difficulté de maintenir le capital social dans l’organisation lorsque le dirigeant se retire (Tata et Prasad, 2010). Cette dimension donne toutefois aussi lieu à une double approche, intra- et inter-organisationnelle (Bamford, Bruton et Hinson, 2006 ; Geindre, 2009).

La prédominance des travaux portant sur les caractéristiques individuelles et inter- organisationnelles du capital social est assez évidente lorsqu’il s’agit d’entrepreneuriat ou de PME. En effet, la PME étant par nature un « espace de transaction » (Marchesnay et Julien, 1990), elle impose à son dirigeant de nouer des relations externes. Ce point est encore plus saillant pour un entrepreneur. Toutefois, lorsque le capital social (dans le prolongement des travaux de Coleman, 1988 et Putnam, 1995 et 2000) est entendu comme un élément de culture, il est présenté comme un déterminant possible de l’entrepreneuriat. Dans cette logique, une réflexion sur le lien entre capital social et intention entrepreneuriale pourrait ainsi s’avérer féconde, notamment dans une perspective de comparaison internationale.

3.2. Thèmes et problématiques de recherche

Les thèmes et problématiques des publications analysées se regroupent autour de trois sous-thèmes principaux. Nous identifions une première catégorie de travaux cherchant à comprendre le rôle du CS en matière de création d’entreprise. Dans le prolongement, de nombreuses recherches s’intéressent aux effets du CS (45 % des publications). Dans les deux cas, le CS est traité comme une variable indépendante ou explicative et la création d’entreprise (ou un indicateur de performance) comme une variable dépendante ou expliquée. La troisième catégorie de travaux s’intéresse au processus de construction du CS, celui-ci étant alors traité comme le résultat d’un processus ou la conséquence d’une ou plusieurs variables causales (40 %). Certains articles positionnant le CS comme une variable intermédiaire sont comptabilisés dans chaque catégorie (par exemple : Jenssen et Havnes, 2002 ; Lester et Canella, 2006 ; Packalen, 2007 ; Tata et Prasad, 2008 ; Hugues et al., 2011).

Thème 1 : CS et création

D’une manière générale, la littérature met en évidence que le CS favorise la création, car il permet une meilleure reconnaissance d’opportunités et facilite l’accès à d’autres ressources. En ce sens, ces recherches renforcent la pertinence des apports de Bourdieu (1980) qui indique que les différentes formes de capital ne sont pas indépendantes.

Pour Mueller (2006, p. 55), le « CS est un stimulus important pour les entrepreneurs naissants » plus important encore que le capital financier (p. 56). Pour Davidsson et Honig (2003), le CS favorise la progression du processus entrepreneurial (p. 320). La connaissance en la matière paraît suffisamment stabilisée pour générer des recherches sur des catégories toujours plus spécifiques. Ainsi, Rodríguez et Santos (2007) étudient le cas des femmes entrepreneures en Espagne, soulignant ainsi qu’elles souffrent d’un déficit de CS qui limite leur capacité à obtenir des financements institutionnels. Ce résultat sur le genre reste toutefois ouvert. En effet, Runyan, Huddleston et Swinney (2006, p. 471) affirment que les femmes disposent de niveaux élevés de CS et ce, du fait de leur qualité supérieure de réseautage et de meilleures capacités à établir des consensus (Daniel, 2004, cité par Runyan, Huddleston et Swinney, 2006). Divers travaux s’intéressent plus spécifiquement au rôle du CS pour les minorités ethniques : Deakins et al. (2007) étudient différentes minorités ethniques en Écosse, Clarke et Chandra (2011) s’intéressent ainsi à la communauté hispanique aux États-Unis et Katila et Wahlbeck (2011) se concentrent sur les entrepreneurs chinois et turcs en Finlande. À des degrés divers, ces études mettent en évidence le rôle positif du CS en matière de création, mais soulignent également que celui-ci peut avoir des effets inhibiteurs. « Le CS peut être une aide ou une entrave » (Deakins et al., p. 320).

Le CS s’avère utile aux entrepreneurs, car il favorise la reconnaissance d’opportunités (Chabaud et Ngijol, 2005 ; Bhagavatula et al., 2010 ; Audretsch, Aldridge et Sanders, 2011). De Carolis, Litzky et Eddleston (2009) montrent notamment que le CS impacte favorablement l’illusion de contrôle que développent les entrepreneurs, tout en améliorant leur propension à prendre des risques. En outre, Bhagavatula et al. (2010) observent qu’un accès supérieur à du CS facilite l’obtention de ressources financières dans l’industrie du tissage en Inde. Les travaux de Samuelsson et Davidsson (2008) montrent que les effets (favorables) du CS sont observables dans le cas de création d’entreprises innovantes (« innovatives ») ou suiveuses (« imitatives »).

Si le CS semble être une condition favorable au processus entrepreneurial, celle-ci n’est cependant pas suffisante si nous nous en référons aux résultats de Liao et Welsch (2005). En effet, ces auteurs concluent leur analyse comparative en affirmant que « [les] résultats [indiquent] qu’il n’y a aucune différence significative en termes de capital social entre le public général (groupe de contrôle) et les entrepreneurs naissants. En fait, les non-entrepreneurs ont un niveau de capital social cognitif supérieur à celui des entrepreneurs naissants » (Liao et Welsch, p. 358). Plusieurs études soulignent notamment que le CS s’avère utile en complément d’autres formes de capital et notamment le capital humain (CH) (éducation, expérience, compétences). L’expérience professionnelle passée augmente la taille du réseau relationnel des individus et favorise leur destin d’entrepreneur (Mosey et Wright, 2007). Packalen (2007) souligne de son côté l’effet légitimant de l’expérience. La relation favorable entre CH et CS n’est pourtant pas univoque. En effet, des résultats contradictoires sont à relever dans la littérature. Ainsi, Bhagavatula et al. (2010) soulignent que l’expérience augmente le niveau de contrainte agrégée (mesure inversement proportionnelle à la présence de trous structuraux, Burt, 1992) et le niveau de fermeture de leur réseau (« closure »). Or, « ceci a un effet négatif sur la reconnaissance d’opportunités » (Bhagavatula et al., 2010, p. 258). Dans le même ordre d’idée, Ronning (2011) met en évidence le rôle modérateur (négatif) du CH sur l’activité entrepreneuriale. Pour Davidsson et Honig (2003, p. 324), c’est l’expérience entrepreneuriale qui est valorisable alors que l’expérience managériale est effectivement de nature à « favoriser les routines qui ne facilitent pas la reconnaissance d’opportunités et/ou des procédures d’acquisition ou d’allocation des ressources qui ne sont pas adaptées pour une exploitation entrepreneuriale efficace ».

Le débat sur l’efficacité du CS reste donc en partie ouvert, notamment sur des problématiques traitant de l’adéquation de cette forme de capital avec d’autres formes immatérielles de capital (capital humain, culturel ou réputationnel).

Un autre sujet émergent selon nous en matière d’entrepreneuriat porte sur les questions relatives au rôle du CS lors de reprises/transmissions d’entreprise (familiale ou non). Nous avons relevé quatre études sur ce thème. La première concerne le choix du mode d’entrée de l’entrepreneur (Bastié, Cieply et Cussy, 2011) alors que les trois autres s’intéressent au processus de changement de dirigeant. Ainsi, Bamford, Bruton et Hinson (2006) étudient la déperdition de CS lors du départ du chef d’entreprise et soulignent le risque associé. Geindre (2009) met en évidence la difficulté de transférer le CS lors d’un projet de reprise, souligne la nécessité de passer d’un CS individuel à un CS organisationnel du point de vue du cédant et propose des tactiques à mettre en place pour le repreneur. Tata et Prasad (2010) développent un modèle théorique pour agréger le CS du sortant et du successeur dans le cas des entreprises familiales.

Thème 2 : CS et développement de la PME

La deuxième thèse largement défendue dans la littérature concerne les effets positifs du CS sur la croissance ou la performance en général de la PME. Bosma et al. (2004) montrent notamment le lien existant entre CS et survie ou croissance (en termes d’emploi) de l’entreprise. Pour Mosek, Gillin et Katzenstein (2007), la confiance sociale (reconnue comme un indicateur de CS) influence la pérennité de l’entreprise et sa croissance. Le lien entre CS et performance financière a également donné lieu à plusieurs études, que ce soit en termes de revenus des entrepreneurs (Baron et Markman, 2003 ; Runyan, Huddleston et Swinney, 2006), de chiffre d’affaires de l’entreprise (Baron et Markman ; Honig, Lerner et Raban, 2006) ou de résultat net (Bosma et al., 2004). Selon nous, cet effet positif sur la performance est indirect et doit s’entendre comme un effet du CS sur différentes variables intermédiaires comme l’innovation, la productivité ou les opportunités de développement stratégique.

Ainsi, Salaran et Maritz (2009) montrent l’impact favorable du CS sur l’activité de recherche et la productivité de celle-ci. Molina-Morales et Martínez-Fernández (2010) confirment cette idée et mettent en évidence que des niveaux supérieurement significatifs de CS influent favorablement l’innovation (mesurée à partir des innovations de processus et du nombre de produits nouveaux mis sur le marché). Les travaux de Pirolo et Presutti (2010) confirment cet effet positif à partir de la mesure du nombre de nouveaux produits, de nouveaux services ou technologies mis sur le marché. Toutefois, leurs travaux indiquent des effets ambivalents selon la nature forte ou faible des liens des dirigeants. Alors que les liens faibles sont source d’opportunité et favorisent l’innovation, les liens forts enferment dans des routines et réduisent les capacités innovatrices des entreprises.

Dans certains cas, l’information rare et précoce accessible grâce à la qualité du CS du dirigeant est à la base même de l’activité de l’entreprise. C’est même une source d’avantage concurrentiel dans le processus productif d’un promoteur immobilier (Geindre, 2009). Aarstad, Haugland et Greve (2010) montrent que la productivité de micro-producteurs d’électricité en Norvège s’améliore lorsque des entreprises souffrant d’un déficit de CS se rapprochent de concurrents plus richement dotés en CS. Salaran et Maritz (2009) mesurent dans un contexte très différent (celui des chercheurs universitaires australiens) l’effet positif du CS sur leurs productions (publications) : « les résultats indiquent qu’il y a une relation entre les interactions sociales [ce qui prend en compte la fréquence des interactions et la proximité émotionnelle] et la productivité » (p. 276).

La qualité du CS agit également sur les opportunités de développement stratégique. Jones, Makri et Gomez-Mejia (2008) montrent ainsi que, dans le cas des groupes familiaux, un CS fort facilite la confiance entre les membres dirigeants de la famille et leurs directeurs de filiales, ce qui améliore la circulation de l’information et légitime leurs propositions de développement de type « diversification ». Les effets du CS sur l’internationalisation ont également donné lieu à plusieurs publications. Celles-ci tendent à corroborer les travaux spécifiques aux processus d’internationalisation qui soulignent le rôle clé des réseaux (Johanson et Vahlne, 2009). Han (2007) démontre théoriquement que le CS est de nature à favoriser l’internationalisation, ce que tendent à confirmer les études de cas réalisées par Coviello et Cox (2007) sans toutefois présenter de données empiriques susceptibles d’être généralisées (faible validité externe de l’étude). Plusieurs travaux complémentaires apportent des arguments de nature à corroborer l’effet favorable en matière d’internationalisation. Arenius (2005) met ainsi en évidence que le capital social créé avec des partenaires étrangers « modère la relation négative entre la distance psychique [définie comme « les facteurs tels que les différences linguistiques, culturelles et de pratiques des affaires qui inhibent et perturbent le flux d’information entre une entreprise et un marché », p. 115] et la vitesse de pénétration d’un marché » (p. 127). Par ailleurs, Evald, Klyver et Christensen (2011) montrent que le fait de connaître un autre entrepreneur ayant créé dans les deux dernières années, quelque part dans le monde, impacte positivement l’intention du dirigeant d’exporter dès la première année de création de son entreprise. Les effets du CS sont également mesurés localement, dans la mesure où un niveau de CS élevé au sein d’un territoire est de nature à réduire les coûts de contrôle et de coordination et à favoriser la confiance et la reconnaissance entre partenaires d’affaires (Presutti et Boari, 2007).

D’autres études plus isolées s’intéressent à des effets spécifiques du CS également de nature à améliorer la performance de la PME et/ou son développement. Ainsi, Packalen (2007) montre que le CS renforce la légitimité des équipes de créateurs et facilite leur accès aux ressources financières. Jansen et al. (2011) soulignent les effets favorables du CS sur les processus de décisions au sein des firmes.

Globalement, la mesure des « effets » permet de révéler la pertinence de la ressource CS dans le processus de création et de management de la PME. Toutefois, ces résultats créent peu de connaissances actionnables pour les praticiens (sauf à souligner la nécessité de forger des relations avec son environnement, avec ses pairs). Ce constat doit donc conduire les chercheurs à s’interroger sur les modalités d’accumulation de capital social et donc, de poser des hypothèses où le capital social n’est plus traité comme une variable explicative, mais comme une variable expliquée. Une analyse en termes de processus d’accumulation du capital social est, selon nous, susceptible de produire des connaissances actionnables fortement valorisables pour des entrepreneurs, des dirigeants ou des structures d’accompagnement.

Le CS comme finalité de la recherche

Les recherches qui contribuent à mieux comprendre comment se construit le CS de l’entrepreneur ou de la PME s’organisent autour de deux questions principales : d’une part, quels sont les facteurs qui agissent sur le CS (logique causale) ? Et d’autre part, quels sont les processus de construction/d’accumulation du CS ? Le CS est donc soit traité comme une variable expliquée (Greve et Salaff, 2003 ; Ravasi et Marchisio, 2003 ; Totterman, 2005 ; Presutti et Boari, 2007 ; Lee et Jones, 2008) soit comme une variable intermédiaire dans un modèle plus complexe (Ravasi et Marchisio, 2003 ; Bhagavatula et al., 2010 ; Tata et Prasad, 2008, 2010 ; Verhoeff et Menzel, 2011). Enfin, certaines recherches s’intéressent à la dimension processuelle d’accumulation du CS (Bøllingtoft et Ulhøi, 2005 ; Bowey et Easton, 2007 ; Lee et Jones, 2008 ; Geindre, 2009 ; Gordon et Jack, 2010). À ces travaux s’ajoutent plusieurs modèles conceptuels (Lester et Cannella, 2006 ; Han, 2007 ; Morse, Fowler et Lawrence, 2007 ; Papagiannidis, Etzkowitz et Clouser, 2009 ; Long, 2011) proposant des éléments théoriques sur les fondations du CS.

Un des enjeux de ces travaux est de mieux comprendre l’interaction entre les trois dimensions du capital social (relationnel ou CS-R, cognitif ou CS-C et structural ou CS-S). Pour Lee et al. (2008), le CS-C (vision et langage partagés, connaissances communes et cohésion) est la base du CS-R (p. 584) (confiance, attentes, obligations, normes, identification). En ce sens, ce résultat prolonge les résultats de Liao et Welsch (2005) qui suggèrent que le CS-S (nombre et structure des liens) influence CS-R et CS-C. Nous retrouvons cette même idée dans le modèle conceptuel de Han (2007) ou celui de Long (2011). Paradoxalement pourtant, Fornoni, Arribas et Vila (2011) mesurent une absence de corrélation entre CS-S et CS-R dans leurs travaux méthodologiques (proposition d’échelle de mesure). Ce résultat montre donc que la recherche en la matière nécessite encore des approfondissements.

Concernant le processus, comme le notent Bowey et Easton (2007, p. 280) « le développement de CS est un processus complexe qui requiert du temps, du contenu économique et social et un contexte favorable ». Le peu de travaux en la matière, notamment empiriques, est de nature à susciter un large intérêt pour les chercheurs en entrepreneuriat ou traitant des PME. L’angle choisi par Baron et Markman (2003) relatif à la compétence sociale des dirigeants nous paraît particulièrement adapté pour développer des connaissances actionnables pour les dirigeants et entrepreneurs.

Ces travaux montrent que les fondations du CS sont complexes. Ils renforcent l’affirmation de son caractère multidimensionnel. Selon nous, cela tend à limiter encore un peu plus le peu de crédit à apporter aux mesures excessivement simplistes du CS proposées dans certaines études.

3.3. Choix méthodologiques des auteurs

L’analyse des choix méthodologiques des articles met en évidence une grande variété d’approches de la part des chercheurs. En effet, parmi les articles de notre base, nous identifions 22 références purement conceptuelles (développement de modèles ou propositions sur la base d’une revue de la littérature), 45 articles testent des hypothèses à partir d’échantillons (approches confirmatoires principalement), 19 articles sont fondés sur des études de cas ou des données qualitatives donnant lieu à des analyses de type enraciné. Le reste des articles se répartit entre des approches mixtes de type études de cas et questionnaires (Ravasi et Marchisio, 2003 ; Deakins et al., 2007), des approches exploratoires (Bagwell, 2008) ou strictement descriptives (Clarke et Chandra, 2011) voire expérimentales (Gordon et Jack, 2010) ou méthodologiques, (développement d’échelles de mesure, Carr et al., 2011 ; Fornoni, Arribas et Vila, 2011). Dix articles n’ont pas été classés du fait de leur caractère atypique (introduction de numéro spécial, références pour lesquelles le concept de CS, malgré le filtre de tri initial, est une notion marginale de la recherche).

L’analyse des méthodologies utilisant un échantillonnage et des tests d’hypothèses met en évidence une grande diversité dans la mesure de la variable CS. Elle relève ainsi le grand écart conceptuel entre les approches essentiellement structurales inspirées des travaux de Burt (1992, 1995), par rapport à celles intégrant le caractère multidimensionnel du CS. Il n’est pas rare de voir publiées des recherches où le concept de CS est mesuré par une question unique du type : « connaissez-vous personnellement quelqu’un qui a créé une affaire dans les deux dernières années ? » (Evald, Klyver et Christensen, 2011), « avez-vous des contacts avec d’autres entrepreneurs au sein de réseaux ? » (Verheul, Carree et Thurik, 2009). Une question double peut aussi être mobilisée : « est-ce qu’un de vos parents était entrepreneur ? Votre conjoint est-il partie prenante de votre affaire ? » (Mueller, 2006) ; « connaissez-vous des personnes ayant créé une affaire dans les deux dernières années ? Avez-vous fourni du capital à un créateur d’entreprise dans les trois années passées ? » (Ramos-Rodriguez et al., 2011)[8]. L’analyse de ces articles montre d’ailleurs que les auteurs de référence (Bourdieu, 1980 ; Coleman, 1988 et Putnam, 1995 et 2000) ne figurent pas dans les bibliographies proposées (seuls Verheul, Carree et Thurik, renvoient à Bourdieu (1986) parmi les sources citées).

Acontrario, Presutti et Boari (2007) utilisent 22 items pour mesurer les trois dimensions du capital social. Pirollo et Presutti (2010) en mobilisent 15, Fang, Tsai et Lin (2010) 11, Liao et Welsch (2005), 10. Il y a dès lors un écart méthodologique qui traduit selon nous un écart conceptuel patent. En effet, si nous admettons que le CS est un construit complexe et multidimensionnel, il nous paraît délicat de pouvoir le restituer à partir d’une mesure simpliste du type « êtes-vous en relation avec X ? » Il semble dès lors préférable de restreindre l’analyse à une dimension unique du CS (le plus souvent la dimension structurale) et de l’expliciter clairement (Greve et Salaff, 2003 ; Bhagavatula et al., 2010 ; Patel et Terjesen, 2011).

Selon nous, les méthodologies quantitatives sont riches pour mettre en exergue le rôle et les effets du CS. Toutefois, elles ne permettent que rarement de comprendre comment s’est construit cet actif valorisable. À l’inverse, les différentes recherches fondées sur une approche de type étude de cas rendent possible l’accès à ce type de connaissance (Adler et Kwon, 2002 ; Mosey et Wright, 2007). Parmi ces travaux, le nombre de cas étudiés varie du cas unique (Bøllingtoft et Ulhøi, 2005 ; Geindre, 2009), abordé de manière longitudinale, à 24 cas (Mosey et Wright, 2007).

Perspectives, limites et conclusion

D’une manière générale, l’étude des travaux de recherche en matière de capital social tend à montrer qu’il s’agit d’un actif valorisable pour l’entrepreneur et le dirigeant de PME. Il est vecteur de croissance et, in fine, de performance pour l’entreprise. Le CS agit selon deux leviers. Soit il favorise l’accès à des ressources spécifiques, à des informations ou des connaissances rares et/ou précoces (cela étant d’autant plus vrai que l’individu bénéficie de trous structuraux, qu’il maîtrise un nombre important de liens faibles et jouit donc d’une structure relationnelle dense qui favorise l’établissement de relations plus encastrées). En ce sens, ce capital social est donc externe et plutôt individuel. Soit, lorsque le CS agit en tant qu’actif collectif et élément de cohésion au sein d’un groupe donné, il favorise l’action entrepreneuriale (il renforce l’intention et la légitimité d’entreprendre, d’agir et accélère les processus de prise de décision).

Dans le premier cas, le CS offre un levier de différenciation et favorise la création d’opportunités (internationalisation, développement d’activités, etc.) pour l’entreprise. Cette forme de CS est logiquement la plus étudiée dans le contexte de la TPE ou de la PME. En effet, ces entreprises sont fortement tributaires des ressources de leur environnement ; la performance de l’entreprise dépend dès lors largement de celles-ci (importance du CS externe) et de la capacité du dirigeant à les mobiliser (CS individuel). En l’état, nous constatons toutefois que les travaux étudiés s’intéressent surtout aux effets du CS, mais peu aux processus mis en oeuvre pour sa construction et aux ressources effectivement captées. Il en découle que les résultats de recherche offrent peu de connaissances managériales actionnables (comment construire, développer, entretenir ce CS ?). Dès lors, deux axes de prolongement semblent émerger. D’une part, il conviendrait de conduire des travaux ciblés sur le processus d’utilisation du CS par les dirigeants de PME (avec des approches longitudinales). D’autre part, il s’agirait de prolonger les travaux de Baron et Markman (2003), par exemple, en matière de compétence relationnelle du dirigeant ou de l’entrepreneur. Ces deux perspectives prometteuses à nos yeux permettraient de surcroît de développer des connaissances nouvelles sur la dynamique du CS (constitution, accumulation, utilisation).

Dans le second cas, le CS est plutôt un outil de normalisation dans le sens où il offre un climat favorable à un type d’action considérée comme légitime et juste (créer une entreprise par exemple). Du point de vue de la création ou du développement de l’entreprise, le lien entre CS et intention entrepreneuriale mériterait ainsi d’être approfondi. En outre, les travaux ciblant des communautés par exemple ou des milieux susceptibles de générer du CS collectif (incubateurs, réseaux divers) sont à envisager pour étudier la dynamique du CS. Du point de vue des connaissances actionnables, ces recherches pourraient permettre de développer des outils adaptés pour le management de structures collectives.

Toutefois, le CS peut devenir une ressource aux effets paradoxaux. En effet, s’il est à même de favoriser l’action au sein d’un groupe ou d’une communauté, il peut également conduire à une normalisation sclérosante de celle-ci au sein d’un collectif (poids des conventions, des contraintes de réciprocité, des enjeux en matière de réputation), ce qui peut inhiber la différenciation, la création et l’innovation, autant de variables réputées favorables à la performance de l’entreprise. Comme le note Portes (1998), le CS peut générer l’exclusion d’outsiders, des réclamations excessives des membres du groupe, des restrictions sur les libertés individuelles ou l’émergence de normes nivelant par le bas. Ce constat, certes réalisé au niveau sociétal, affecte probablement les entrepreneurs et dirigeants de PME dans des cercles plus restreints (réseaux divers). La structuration actuelle des territoires, notamment par la mise en place de pôles de compétitivité dans le cas français, pourrait, dans une certaine mesure, faire apparaître ce type de phénomènes à terme. Il s’agit encore d’une perspective de réflexion possible.

Par ailleurs, des travaux sur les effets négatifs du CS pour les entrepreneurs et dirigeants de PME seraient pertinents, à l’instar de ceux conduits par Greve et Salaff (2003), Coviello et Cox (2007) ou Pirolo et Presutti (2010). En effet, la littérature montre, certes à la marge, qu’il peut exister des relations contrastées entre la variable CS et les indicateurs de performance.

Afin de conduire ces pistes futures de recherche et de nous assurer d’une certaine homogénéité des résultats et d’un véritable effet cumulatif des connaissances produites, il semble nécessaire de travailler à partir d’une base théorique stable et d’un cadre méthodologique éprouvé. Or, force est de constater que des biais, notamment liés au fait de mesurer exclusivement la dimension structurelle du CS, tendent à dénaturer, voire à appauvrir, le concept. S’il ne paraît pas discutable de pouvoir s’appuyer sur l’arsenal théorique et méthodologique développé en sociologie structurale (Granovetter, 1973 ; Burt, 1992, 1995 ; Lazega, 1998) pour appréhender la dimension structurelle du CS, résumer ce concept à cette seule dimension trahit selon nous quelque peu les approches des auteurs de référence (Bourdieu, 1980 ; Coleman, 1988 et Putnam, 1995 et 2000). Que reste-t-il du concept de CS lorsque sa mesure se résume à des proxys réducteurs, au fait d’avoir « des contacts » avec une catégorie particulière de tiers ? Et ce, alors même que notre analyse montre clairement que le caractère multidimensionnel du capital social est désormais légitimé par la littérature scientifique.

Si ces pistes de réflexion semblent prometteuses au regard de notre revue de la littérature, il convient également de souligner les limites de notre analyse. La principale d’entre elles est liée aux choix opérés sur le traitement de nos données. En effet, d’une part, nous avons accumulé une grande quantité d’informations et avons produit une analyse assez large (caractérisation du concept de CS, bibliographie de référence, choix méthodologiques, etc.) sur une base par certains aspects hétérogènes, au regard de ces différents critères. Ceci ne nous a pas permis de croiser systématiquement les différentes catégories. Un travail plus ciblé (sur une catégorie d’articles par exemple) permettrait sans doute une analyse plus en détail des liens entre les catégories (type de méthodologies et bibliographies de référence, par exemple, ou une analyse spécifique des travaux portant sur le capital externe ou interne, etc.).

Par ailleurs, nos catégories (CS interne vs externe/individuel vs collectif) ont été fixées ex ante, à partir de la bibliographie de référence existante (Payne et al., 2011). Nous n’avons donc pas cherché à construire ou faire émerger des catégories nouvelles. Il en est de même pour le choix des auteurs de référence. Une analyse bibliométrique, à l’instar de celle produite par Boissin, Castagnos et Guieu (2000) et réalisée grâce au logiciel Sampler (mesure de cooccurrences de citations), pourrait compléter notre approche. En effet, cette démarche vise à mettre au jour des réseaux d’auteurs à partir des bibliographies avec pour objectif d’identifier des régularités thématiques et/ou théoriques et, le cas échéant, de souligner des manques dans la littérature susceptibles d’orienter la recherche à venir. Des travaux de ce type seraient donc naturellement complémentaires aux nôtres.