Chronique sur le métier de chercheur

Entre théorie et pratique[Notice]

  • Pierre-André Julien

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  • Pierre-André Julien
    INRPME, Université du Québec à Trois-Rivières

Toute théorie sur laquelle s’appuie une science doit absolument être mise à l’épreuve de la réalité de façon à pouvoir l’enrichir ou la rejeter, comme l’explique Karl Popper (1965). Ce que les philosophes, comme Bergson (1907/1969), appellent les recoupements et le va-et-vient nécessaire entre la déduction et l’induction, soit la meilleure façon de faire de la recherche, ou ce que Peirce (1896/1994) appelle l’abduction. C’est, évidemment, aussi le cas en PME et en entrepreneuriat. Il existe au moins trois bonnes raisons pour les chercheurs dans cette science en développement de lier la pratique à la théorie et donc de faire systématiquement des vérifications sur le terrain. La première est que la ou les théories qui la soutiennent sont encore trop récentes, et même trop fragiles sur plusieurs aspects, pour penser qu’elle puisse se libérer des études sur le terrain, à l’encontre, par exemple, des analyses boursières comme celles des prix Nobel d’Économie, tel Lucas expliquant qu’on pouvait anticiper rationnellement les fluctuations boursières avec certains algorithmes, en se trompant pourtant lourdement, ou encore des applications de la théorie des jeux, comme c’est le cas du Français Jean Tirole, qui ont manifestement peu à voir avec la réalité complexe. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les précurseurs comme de Serres, Cantillon, Say, Turgot ou Schumpeter, les trois premiers ayant écrit leur ouvrage à partir de leurs propres expériences en affaires, alors que les deux autres ont été ministres de l’Économie dans des périodes où les PME étaient vues comme le moteur de l’économie, du moins dans sa première période dans le cas de Schumpeter, à l’instar du temps d’Adam Smith. La deuxième raison est que cette réalité est très complexe et changeante, et que, pour bien comprendre cette complexité issue notamment de la très grande hétérogénéité des PME et de leur évolution souvent fort diverse, il faut tenir compte des différentes tailles (travailleurs autonomes, micros, petites, moyennes entreprises), des secteurs et surtout des sous-secteurs, avec des productions souvent très pointues (par exemple, portant pour tout le produit ou pour quelques parties seulement) et divers types de marchés (très proches ou locaux, régionaux, nationaux, internationaux), ou encore de leurs besoins spécifiques en connaissance et de leur environnement aux ressources disponibles fort disparates. À l’encontre des grandes entreprises et de leurs énormes moyens et dont les dirigeants proviennent des mêmes grandes écoles avec un enseignement qui s’appuie trop souvent sur les mêmes modes, comme l’a noté Henry Mintzberg (1994), et qui s’échangent leurs dirigeants pour mieux assurer leur coopération dans la défense de leurs intérêts vis-à-vis des gouvernements et des populations. On sait que les très petites entreprises, notamment les travailleurs autonomes, comptant ensemble pour plus des trois quarts des entreprises, agissent de façon fort différente selon la psychologie, l’expérience ou le métier et, bien sûr, les intérêts de leurs dirigeants. De plus, elles se distinguent selon que ces derniers recherchent avant tout la croissance, de ceux, les plus nombreux, qui désirent d’abord se créer un emploi pérenne qu’ils contrôlent relativement bien, afin de desservir une clientèle proche à satisfaire le mieux possible, en recevant en retour leur achalandage et leurs respects au-delà des simples questions de gains rapides. Comme l’explique Fernand Braudel (1979 ; 1985) dans sa grande fresque du capitalisme du xve au xviiie siècle en distinguant ces marchands des commerçants avec leur « amour forcené de l’argent » (Le Goff, 1956, p. 84-85). La troisième raison provient du fait qu’un des objectifs opérationnels de nos travaux est de conseiller, ou plutôt d’accompagner les entrepreneurs pour aider leurs actions et ainsi leur développement (Schmitt, 2008), soit directement dans nos cours auprès …

Parties annexes