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L’intérêt des chercheurs en entrepreneuriat ne s’est guère porté jusqu’ici sur le monde des microentreprises. Font exception les startups et l’artisanat, bref, les entreprises dûment recensées, voire valorisées, et légitimées. Pour reprendre la blague de l’ivrogne cherchant sa clé, on cherche là où il y a de la lumière, c’est-à-dire des chiffres, des recensements, si contestables soient-ils. Restent donc dans l’ombre le monde « infini » et « indéfini » des entreprises non déclarées, ou (trop ?) petites. La crise de la société salariale va conduire chacun, les décideurs comme les chercheurs, à s’éloigner du réverbère, pour étudier de plus près, avec des méthodes appropriées, ces organisations. Les microentreprises, ce sont des millions d’emplois et d’organisations qui contribuent à la richesse communautaire. Bien entendu, leur légalité comme leur légitimité ouvrent un débat qui dépasse leur seule gestion, comme en témoigne l’inclusion officielle dans le PIB italien, puis britannique, des activités clandestines et illicites (prostitution, drogue, etc.) où prospèrent les « microentrepreneurs ». Le « succès », ambigu, du statut d’autoentrepreneur, participe de l’engouement, relatif, pour le « microentrepreneuriat », en tant que symbolique de l’esprit d’entreprise.

Cette question dépasse, notamment dans le monde de la francophonie, les seuls pays d’Europe ou d’Amérique du Nord. Elle touche également, et de plein fouet, les pays africains, décrétés par euphémisme comme étant « moins avancés ». Mais, là aussi, l’image de la microentreprise est en train de changer, au point que certains connaisseurs, dont M. Haïdara, n’hésitent plus à y voir un mode d’accès au développement. « Par la petite porte », certes, mais sans nul doute plus efficace que nombre d’investissements lourds, technocratiques, managériaux, dispendieux et inefficaces. L’auteur entend adopter une démarche pédagogique plutôt que théorique, pour montrer qu’en Afrique de l’Ouest, « le secteur informel, la micro, les très petites et petites entreprises sont une solution alternative crédible à explorer, et non pas un problème, à résoudre » (p. 12). Sa conclusion résume bien le plaidoyer qui sera développé tout au long de l’ouvrage : « Le développement par la petite porte postule qu’une microentreprise, pour se développer, a besoin […] d’un environnement favorable, de renforcement des capacités par la formation, l’accès aux services d’appui-conseil, l’accès au financement de l’activité ». Ces propos pourraient paraître purement incantatoires, si l’auteur n’était pas un expert international et un consultant rompu à l’observation des obstacles que rencontrent les microentrepreneurs. L’auteur a divisé son propos en trois parties, comprenant chacun de courts chapitres. Le propos est à la fois clair et éclairant. Reconnaissons que les deux premières parties, qui dressent un inventaire éloquent des « problèmes » économiques et sociaux, auraient pu être regroupées, et sont d’un intérêt moindre que la seconde moitié, laquelle propose un catalogue de « solutions ».

L’auteur n’a pas fait preuve de grande originalité, par rapport à ce qui est généralement décliné dans les pays dits « avancés ». Seulement, le contexte de l’Ouest-Africain est particulier à tous points de vue. Ainsi le paradoxe veut que le secteur informel – non déclaré, donc non fiscalisé – soit tout simplement ignoré par les administrations, avec des évaluations fantaisistes. Or les microentreprises recensées (fiscalisées, lourdement d’ailleurs) constituent l’essentiel de l’activité économique et du tissu social, dans l’agriculture, l’artisanat de métier, le négoce, mais aussi les activités, de service et libérales, situées dans les capitales, où l’urbanisation explose. Il faut donc y ajouter les micro-organisations informelles (non fiscalisées) de tout poil, qui pullulent en particulier dans les villes et bourgs. Alors que leur situation leur permet de ne pas payer d’impôts, elles bénéficient gratuitement des aménités publiques, tout en contribuant impunément à la dégradation du milieu. Elles exercent une concurrence déloyale à l’encontre du secteur formel… lequel, par ailleurs, subit les effets de la politique d’importation de produits mondiaux, supposés « meilleurs » que les produits locaux.

L’auteur souligne alors la spécificité des obstacles au développement des microentreprises. Hérité de la culture française, le système éducatif reste peu pragmatique, ne favorisant guère l’apprentissage d’un métier. Les activités entrepreneuriales sont au demeurant si dépréciées par rapport aux emplois salariaux (surtout dans la fonction publique), que les gens interrogés confinent l’artisanat aux seuls métiers d’art ! De plus, les établissements « supérieurs », publics ou privés, n’enseignent que les rudiments d’un management déconnecté des réalités locales. L’auteur soutient la nécessité de développer l’entrepreneuriat (qu’il écrit « entreprenariat »), sachant que les modalités d’accueil, de formation et surtout d’accompagnement des créateurs de microentreprises restent largement insuffisantes. Le système financier reste peu ouvert à la prise de risque dans ces entreprises, et le microcrédit est encore peu développé. Bref, M. Haïdara expose un tableau des obstacles, et un catalogue de solutions que l’on retrouve dans bien des pays, même plus « avancés ». L’auteur formule, enfin, un plaidoyer, que l’on peut considérer comme « héroïque », pour que les microentreprises informelles entrent dans le giron du secteur formel. Cette solution répond certes, autant à une exigence d’équité économique que de justice sociale, mais reconnaissons qu’elle risque de rester au stade de voeu pieux !

En conclusion, ce petit ouvrage (200 pages très aérées), dont la lecture est rendue aisée par un effort de clarté et la connaissance évidente du terrain, a le mérite d’aborder enfin la question du microentrepreneuriat. Un lecteur plus exigeant aurait néanmoins souhaité avoir davantage d’éclairages sur les pratiques effectives, mais aussi sur les bases de l’esprit d’entreprise, présenté de façon très rapide. Au début de l’ouvrage, ne sont ainsi abordées que très allusivement les questions touchant à l’esprit d’entreprise particulier à certaines ethnies, au rôle des réseaux, familiaux et familiers, à l’entrepreneuriat féminin. Comme en témoignent des recherches récentes, et en expansion, le microentrepreneuriat constitue un chantier de recherche, d’enseignement, et de conseil plus que prometteur, dans le contexte de l’Afrique francophone.