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Un beau livre qui, par sa forme et son contenu, ne manquera pas d’intéresser les lecteurs, à la fois par les résultats dégagés de diverses études et par la méthodologie mise en oeuvre dans chacun des cas présentés. Comme c’est presque toujours ainsi lorsqu’il s’agit d’une oeuvre collective, l’ouvrage émane d’un colloque, Entrepreneurship, Culture, Finance an Economic Development, tenu à Caen en juin 2008, soit tout juste avant l’avènement de la crise financière, à laquelle il est fait allusion dans la conclusion. L’histoire ne dit pas si le français fut d’usage à cette occasion… même si, avec huit représentants, les Hexagonaux furent les plus nombreux à collaborer à l’ensemble, suivis de très près par leurs collègues de la péninsule ibérique. Viennent ensuite quelques Bataves entre autres Italiens, un Hongrois, et, perdu dans cet aréopage, un Américain du Mid-West. En se rapportant à la contribution de D. G. Pérez de Lima et d’A. Duréndez (p.165), on obtient une bonne idée de la façon dont chacun des auteurs, se conformant à de sages directives, a pu tirer son épingle du jeu. En effet, le lecteur se voit offrir : le cadre théorique utilisé, une revue de la littérature conduisant à la définition des hypothèses auxquelles succèdent les explications d’ordre méthodologique, la description des variables et, bien sûr, les résultats que chapeaute une conclusion comme il se doit. Pour ce qui se rapporte aux questions reliées à la méthodologie, les fans du quantitatif seront bien servis car, mis à part une contribution faisant appel à l’approche qualitative (l’auteur s’en excuse presque ; voir infra), on obtient partout des tableaux sophistiqués émanant d’analyses statistiques rigoureuses chaque fois présentées par une série d’équations servant d’appui aux résultats ainsi dégagés. Dans leur introduction, les responsables de l’ouvrage ne manquent pas de signaler que les économies de la vieille Europe sont nettement moins entrepreneuriales que celles des autres parties du globe. On s’appuie ici sur les études d’Audrestch, de loin l’auteur le plus cité par les uns et les autres, et sur le fameux GEM. Les problèmes de financement expliqueraient une telle situation surtout en comparant avec ce qui prévaut aux États-Unis où, à ce chapitre, les entrepreneurs sont loin d’être laissés pour compte. Ce livre comprend quatre parties.

La première, « Contextualizing the link between factors and effects of new firms’ formation », contient un chapitre de J. Bonnet et de P. Cussy où il est question de deux effets susceptibles de stimuler l’entrepreneuriat suivant qu’il s’agisse de motivations positives (incitation par un pull effect) ou négatives (faute de choix : push effect). En se basant sur des données du SINE (que je devine être le système d’information sur les nouvelles entreprises), les auteurs signalent qu’en France les incitations négatives l’emportent largement. Il y est question du « problème Grandes Écoles » : il est démontré que la propension des ingénieurs à créer leur propre entreprise se trouve inversement proportionnelle à la réputation de leur alma mater. À l’encontre de ce qui s’observe au sud du 45e parallèle (en Amérique du Nord), on peut lire : « Too much of academic education harms creativity » (p. 48). Dans un chapitre subséquent, D. Bögenhold et U. Faschinger rappellent la définition d’usage du concept d’entrepreneurship en soulignant les difficultés que présentent les comparaisons internationales. Et, en relation avec l’innovation, ils jugent utile de rappeler les cinq catégories retenues par Schumpeter.

La deuxième partie, « Understanding the importance of access to finance and to available support systems », comprend une contribution de C. Cieply et de notre ami belge M. Dejardin qui ont étudié les contraintes financières que devaient affronter les nouveaux entrepreneurs au milieu des années 1990. À leur tour, ils utilisent le SINE pour mettre en évidence les contraintes financières qui s’imposent aux nouvelles entreprises. Entre autres choses, les auteurs ont pu observer que le « credit rationing à la Stiglitz-Weiss » n’est pas la panacée de ces jeunes entreprises. On apprend que le capital-risque, les appuis des « anges » et le crédit commercial ont joué un rôle mineur durant ces années. Dans une troisième partie dont j’épargne au lecteur la longueur de l’intitulé, on retrouve J. Bonnet en compagnie cette fois de N. Le Pape à qui, à nouveau, le SINE s’avère des plus utiles pour montrer que les entreprises dont les dirigeants adoptent un comportement d’entrepreneur (sic) ont plus de chances de réussir que les autres. Non, il ne faut pas voir ici une vérité de La Palice. Une telle phrase (p. 204) cueillie au hasard ne rend pas justice à une étude conduite suivant les règles de l’art. On aura deviné qu’il s’agit ici de comportement proactif, associé à une faible aversion envers le risque et à de véritables habiletés de gestionnaire : soit autant de facteurs de succès dûment identifiés. Le chapitre suivant contient l’étude de quatre cas sous la responsabilité de C. Deák et S. Testa qui (p. 222) se croient obligées de signaler que l’approche qualitative a des avantages et des inconvénients et elles comptent entreprendre des études quantitatives dans un avenir rapproché afin d’en arriver à des généralisations. (Tiens, donc ! Pourquoi les quantitativistes n’ont pas cru, eux, opportun de mentionner l’utilité de l’approche qualitative ?) Les cas concernés sont deux entreprises alimentaires italiennes et deux similaires au pays de la goulache qui permettent de faire ressortir des comportements entrepreneuriaux différents. Le tableau se complète, toujours dans la quatrième partie, avec – ceux de ma génération s’en souviendront – ce que l’on appelait durant les années 1980 une « entreprise alternative » aujourd’hui devenue une « entreprise d’économie sociale  » (et solidaire en France comme au Brésil) ou encore une entreprise sans but lucratif (à but non lucratif en Belgique). Oui, pour les Français, il s’agit d’une activité reliée au secteur associatif issue de la fameuse loi de 1901. Ici, on se trouve en présence d’une étude de F. Bailly et de K. Chapelle portant sur la motivation et l’accessibilité au financement (deux éléments qui ont fait mon pain et mon beurre académique dans une autre vie…). Comme il fallait s’y attendre, les auteures ne manquent pas de signaler l’importance de ce type d’entreprise dans l’ensemble des économies nationales. On y a déjà vu des taux annuels de croissance dans certains pays atteignant jusqu’à 40 % (sûrement à l’occasion d’une grave récession). Dans ce chapitre, il est question en premier lieu de la présumée motivation sociale supérieure à la base de ces initiatives par rapport à celle qui anime les dirigeants d’entreprises orthodoxes ou à but lucratif qui, eux (on connaît l’argument), ne penseraient qu’à leur portefeuille. Les auteures se penchent ensuite sur l’accessibilité au financement public et privé à partir d’une enquête menée tambours battants en Haute-Normandie auprès de 146 organisations avec ou sans but lucratif se consacrant au développement de l’employabilité[1]. Il s’avère que les OSBL ont plus de mal que ceux à but lucratif à trouver des sources de financement ou des prêts à taux avantageux.

Dans leur conclusion, rédigée en pleine crise financière, les responsables de l’ouvrage jugent opportun de souligner le caractère problématique de la situation à laquelle font face les entrepreneurs. Ce à quoi s’ajoutent les défis que posent toujours un contexte marqué par le réchauffement climatique et le problème de la croissance dans un mode où les ressources sont limitées et pas toujours, hélas, renouvelables. Optimistes, non sans raison, puisque l’innovation est au coeur de l’ouvrage, on évoque ici les opportunités offertes par les technologies vertes. On fait allusion au : new green breakthrough innovations. Je leur donne raison avec un exemple relevé chez une toute jeune entreprise brésilienne KOPEH (café en maya) qui utilise des dérivés du café certifié (équitable) pour en tirer des produits cosmétiques[2].

Je conseille fortement cet ouvrage à tout collègue invité (ou qui s’invite) à participer à un futur colloque sur la problématique de l’entrepreneuriat et l’innovation. Car il y a en aura encore plusieurs dans les années à venir.