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Dans ce tome 2, Christophe Schmitt nous propose un tour d’horizon de la situation des pratiques d’enseignement de l’entrepreneuriat dans des institutions et pays divers, ce qui fait suite au tome 1 publié en 2005. Il ne s’agit pas de « best practices » mais d’un panorama, bien que dans certains cas les exemples s’y apparentent.

Se poser la question du rôle de l’université dans l’enseignement de l’entrepreneuriat est excellent, notamment pour les collègues français qui sont issus de l’université, mais aussi d’écoles de commerce, d’écoles d’ingénieurs ou d’autres institutions encore. D’ailleurs, on observe en France que l’université a pris sa part dans l’enseignement de l’entrepreneuriat qui avait commencé globalement dans les écoles de commerce (Observatoire des pratiques pédagogiques en entrepreneuriat, <www.entrepreneuriat.net>). De plus, une vision internationale comparée est toujours une lecture intéressante qui permet une prise de recul.

Les 10 chapitres consacrés aux pays présentent l’état de la relation entre université et entrepreneuriat, construit autour de deux questions :

  • « quoi ? » ou : Quelle est la construction historique et contextuelle du sens de cette relation ?

  • « comment ? » : ou Quels sont les moyens mis en oeuvre pour développer un sens à cette relation ?

Les pays ont été classés en trois catégories (qui correspondent chacune à une partie du livre), autour de l’articulation des « 3 I » déjà utilisée dans l’ouvrage précédent, à savoir :

  • Initialisation de la relation que l’on retrouve dans des pays où l’enseignement de l’entrepreneuriat est récent et en est à ses « premiers pas » ;

  • Institutionnalisation de la relation où l’objectif est de pérenniser les actions et les structures existantes ;

  • Intégration où il existe une stratégie claire de participer au développement économique local et national.

Ce classement reprend le « prisme de la régulation sociale » de Reynaud (1997) qui relève deux modes de régulation pour tenter de comprendre comment les règles peuvent permettre à un groupe social de se structurer et d’élaborer une action collective. Ces deux modes de régulation sont : la régulation autonome ou l’initialisation où les actions et les règles proviennent principalement des acteurs de l’université (les pionniers) et la régulation conjointe qui peut prendre la forme de l’institutionnalisation ou de l’intégration en fonction du degré de maturité de la relation et où les actions se généralisent et les formes de contrôle se construisent de la part de l’État ou des universités. Plus on avance dans le temps et plus cette relation est organisée, plus on peut parler de « cohabitation ». Un exemple de cette cohabitation pourrait être le développement d’espace consacré à l’entrepreneuriat au sein de l’université où des structures d’appui et des entreprises cohabiteraient avec l’université.

Les apports de ces trois parties peuvent se synthétiser de la manière suivante.

Partie 1 : L’émergence est différente mais récente via l’État dans les deux premiers cas : l’Albanie et l’Algérie dans un contexte historique (pays fermés) et culturel (poids de la famille) difficiles. Les besoins sont grands et les dispositifs nombreux pour tenter de répondre aux attentes, malgré le manque de compétences, d’où le recours à des partenariats étrangers. Au Liban, la situation est très différente dans la mesure où le pays « libéral par essence », internationalisé et multiculturel offre une réponse récente mais d’origine privée, l’État restant en retrait sur cette question. L’enseignement de l’entrepreneuriat se concentre essentiellement sur la sensibilisation à la création d’entreprise.

Partie 2 : L’institutionnalisation ou les prémisses d’une relation plus organisée. On observe également des différences entre, d’un côté, les économies en transition avec beaucoup d’activités offertes (Pologne et Bélarus), une forte mobilisation (Brésil) qui s’appuie sur une aide étrangère (le Québec) et, de l’autre, des pays proches dans lesquels on note une construction récente mais forte (Allemagne et Autriche). La Suisse paraît un peu décalée dans ce groupe dans la mesure où ce pays s’est depuis longtemps intéressé au problème de l’enseignement de l’entrepreneuriat et sa démarche paraît plus mature que celles précédemment évoquées. Dans les pays qui sont au stade d’émergence rapide et peut-être pas encore à l’institutionnalisation, l’intérêt est focalisé sur la création d’entreprise soit pour des raisons de libéralisation de l’économie, soit pour des problèmes de chômage. Seul le Brésil s’intéresse à l’intrapreneuriat car sa structure industrielle s’y prête.

Partie 3 : L’intégration est la troisième étape de la relation fondée sur une volonté politique renforcée soit par un soutien actif de la hiérarchie de l’université (Luxembourg), soit par des relations université-industrie à travers les incubateurs technologiques (États-Unis), soit par la coopération pour pouvoir offrir des programmes sur un modèle commun (Danemark et Suède). L’Espagne fait de grands efforts mais reste encore au stade antérieur. Bien qu’au stade 3 de la relation université-entrepreneuriat, l’enseignement de l’entrepreneuriat demeure toujours récent dans ces pays mais couvre le champ de l’entrepreneuriat bien au-delà de la création d’entreprise.

En conclusion, les auteurs évoquent deux questions pour l’avenir et pour enrichir cette relation. La première a trait à l’évaluation des actions et des structures qui demeure faible et cela renvoie à une autre question qui est de savoir quoi évaluer : les résultats ou les processus ? La seconde question tient au positionnement de l’entrepreneuriat. Doit-il être simplement un processeur d’information ou peut-il devenir un processeur de connaissances ? Et de quelle manière peut-on gérer ce positionnement au sein de l’université ?

En effet, une des leçons de cet ouvrage est que l’entrepreneuriat est un enseignement récent à l’université et que, de ce fait, il continue à se construire. De plus, il est assez dépendant de la place que les gouvernements veulent accorder à l’entrepreneuriat. Cette dernière remarque permet de mieux comprendre le fait que l’enseignement de l’entrepreneuriat encore aujourd’hui est le plus souvent centré sur la création d’entreprise et pas complètement sur l’entrepreneuriat au sens large. On en est encore à l’enseignement « for entrepreneurship » et non « about entrepreneurship ».

Ce livre est très intéressant en tant que point daté de la situation de la relation entre l’université et l’entrepreneuriat dans un certain nombre de pays. Cependant, il amène quelques remarques. Tout d’abord, il aurait été instructif de situer les pays par rapport au classement du GEM (ou autre source), même si ces classements sont critiqués par certains, car cela aurait pu mettre en relief les disparités des situations grâce à quelques indicateurs. Il s’agit d’un tour d’horizon de différents pays comme il est rappelé en introduction, mais on peut regretter les différences d’approches entre les chapitres et les pays. Parfois, on a une vraie vision globale du pays et de son évolution, ce qui est très intéressant mais, dans d’autres cas, l’intérêt s’est plus focalisé sur une région, ce qui en limite la portée et s’approche plus des « bonnes pratiques » que d’une vision globale. Enfin, ces différences perturbent les comparaisons. On aurait apprécié qu’à la fin de chaque chapitre, les sites Internet consultés et les sites majeurs soient indiqués.

Le style entre les chapitres est un peu différent (parfois plus théorique, parfois plus descriptif) mais cela est la loi du genre des ouvrages collectifs et de fait retrace assez fidèlement le degré de réflexion par rapport au problème de l’enseignement de l’entrepreneuriat dans les différents pays. Le classement en trois parties d’égale importance paraît plus un effet de style qu’une réalité. Reprendre le classement de Reynaud en deux parties avec à l’intérieur de la seconde partie deux sous-parties aurait peut-être été plus juste pour l’illustration. Deux pays me semblent particulièrement mal placés dans leur catégorie. L’Espagne semble être au début de l’institutionnalisation car il existe encore peu d’offres d’enseignement en entrepreneuriat qui reste une nouveauté malgré la volonté de l’État. En revanche, la Suisse semble être véritablement en phase d’intégration, par le nombre de structures et d’offres, par le rôle de l’État et par le fait que l’enseignement dépasse la création d’entreprise pour être un enseignement de l’entrepreneuriat. On pourrait d’ailleurs aussi évoquer le Bélarus qui pourrait probablement figurer dans la catégorie de l’initialisation car l’enseignement de l’entrepreneuriat n’en est encore qu’aux prémisses.

La production de ce tome 2 quelques années après le tome 1 invite à recommander une actualisation permanente de ce travail pour, d’une part, couvrir tous les pays et, d’autre part, mettre en lumière les évolutions réalisées.