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Introduction

Aujourd’hui les services représentent plus de 70 % de l’activité marchande de la planète (Baranger, Dang Nguyen, Leray et Mével, 2009). La plupart des entreprises de services sont organisées et structurées sous la forme de différents types de réseaux (réseaux commerciaux, réseaux de santé, réseaux de réparation automobile, de restauration rapide, de coiffure, etc.) regroupant souvent une multitude de PME que la littérature rapproche du concept logistique de supply chain management et qualifie globalement de service supply chains (Baltacioglu, Ada, Kaplan, Yurt et Kaplan, 2007 ; Lin, Shi et Zhou, 2010). Les service supply chains doivent intégrer et gérer davantage de risques qu’une chaîne logistique traditionnelle, car elles ne bénéficient ni de la sécurité d’un stock tangible ni du caractère asynchrone entre la production et la consommation. Lorsque l’on aborde la question de la complexité, tant organisationnelle que technologique, culturelle, etc., dans une service supply chain, la probabilité d’apparition de dysfonctionnements, voire de rupture dans la continuité de service met en lumière l’importance fondamentale de la prise en compte stratégique et opérationnelle du risque. Aujourd’hui, la compétition entre les entreprises (tous secteurs confondus) se déroule de moins en moins de manière isolée, firme contre firme, mais réseaux contre réseaux ou encore supply chains contre supply chains (Christopher, 2005). Qu’est-ce qui permet de relier efficacement une multitude d’acteurs différents au sein d’une même supply chain ? Plusieurs facteurs tentent de l’expliquer, mais la principale force d’une supply chain semble liée à la qualité des relations interacteurs (Jia et Zsidisin, 2014). Cette qualité relationnelle est influencée notamment par la taille du réseau, la complémentarité des acteurs, et le partage du risque (Christopher, 2005). D’un point de vue relationnel, le partage du risque s’opère à différents niveaux, notamment sur l’information, la confiance et le pouvoir (Delerue, 2005). En effet, partager l’information implique par exemple d’échanger sur la stratégie, les objectifs poursuivis, les données transactionnelles et autres. La confiance est par nature une relation de partage qui peut être menacée par un risque d’opportunisme ou encore de trahison. Le pouvoir peut également être appréhendé comme une relation de partage (domination contre protection, ou bien acceptation d’un leadership en tant que guide et facilitateur par exemple, certaines formes de collaboration peuvent être aussi perçues comme un partage de pouvoir). La relation de partage du risque se manifeste sur le choix et la prise en charge des investissements, le choix des moyens et in fine la répartition des profits ou des pertes générés par les décisions prises. Une supply chain s’inscrit dans un fonctionnement systémique dans lequel les différents acteurs sont reliés entre eux par des relations d’interdépendances, ce qui induit des conséquences en matière de gestion des risques qui dépassent de loin la seule incidence sur un acteur isolé et autonome. Une première recherche en 2011 a démontré l’existence d’un phénomène « d’assemblage dynamique » dans certaines service supply chains autour d’un « pivot assembleur ». Les résultats de cette première étude ont montré entre autres l’importance de la gestion des risques et notamment du risque relationnel dans la conception et le pilotage des service supply chains. Toutefois, cette première recherche n’explique pas vraiment comment les acteurs de terrain s’organisent concrètement afin de maîtriser le plus efficacement possible la gestion du risque dans cette relation de partage risque-information-confiance-pouvoir, et quel est le rôle du « pivot assembleur » quand il existe ? Par conséquent, ces interrogations ont motivé une seconde recherche en 2014 autour de la problématique de la gestion du risque relationnel dans les service supply chains. La question centrale de cette seconde recherche étant de comprendre comment les acteurs se sont organisés pour adopter une gestion dynamique du risque et comment se manifeste notamment la relation de partage risque-information-confiance-pouvoir, vu l’importance du risque relationnel ?

Nous développerons dans une première partie la notion de risque en général et de risque relationnel en particulier, à travers notamment les concepts de supply chain risk management et d’assemblage dynamique des service supply chains. Puis dans une seconde partie, nous présenterons l’exemple de l’industrie du voyage en France, dans laquelle la gestion du risque est essentielle et qui a la particularité d’être constituée essentiellement de PME et de TPE. Enfin, dans une dernière partie, nous tenterons de comprendre comment les acteurs se sont organisés pour adopter une gestion dynamique du risque[1] et envisagerons dans quelle mesure nous pourrions capitaliser et transférer cet exemple à des PME issues d’autres secteurs d’activités.

1. Du risque général et relationnel au besoin d’une gestion dynamique

1.1. Le risque en général : une menace et une opportunité

La notion de risque est aussi ancienne que celle de l’homme bien que le mot « risque » n’apparaisse pour la première fois en Europe à Venise que vers le xiie siècle (rischio) bien avant le terme d’incertitude qui est apparu pendant la Renaissance européenne. Le risque représentait originellement le fait que la cargaison d’un navire (un gain potentiel) pouvait disparaître à cause d’un écueil (rhizhikon, « image d’un écueil » en grec de Constantinople, partenaire commercial de Venise), (Kast et Lapied, 2004). L’analyse du risque est très souvent une étape primordiale avant toute prise de décision. En effet, décision et risque sont généralement très liés par la notion d’incertitude, et depuis longtemps les hommes reconnaissent que les conséquences de nos actes ne dépendent pas exclusivement de nos décisions (Kast, 1993). Toute décision est par nature risquée dans la mesure où il existe des données incertaines. Attention, toutefois, à ne pas confondre risque et incertitude. Knight (1921) distingue en effet ces deux notions. Une situation est qualifiée de risquée s’il est possible de l’évaluer au moyen de probabilités, si ce n’est pas possible, il s’agit alors d’incertitude. C’est cette notion de probabilité qui la distingue du danger (étudié spécifiquement par le courant cindynique) et de la menace dans le sens où un danger est réel à la différence d’un risque statistiquement probable. Généralement il est admis qu’il y a réellement un risque quand il y a conjonction entre un aléa (un phénomène imprévisible, par exemple un tremblement de terre) et l’existence d’enjeux (des vies humaines menacées). En sciences de gestion, le dirigeant prend en permanence des décisions qui engagent son organisation dans un environnement souvent « risqué », car sa rationalité est limitée et il est impossible pour lui de maîtriser l’ensemble des paramètres ou facteurs qui agiront plus ou moins directement sur le résultat de ses décisions. Mais la notion de risque va au-delà de l’approche probabiliste et rationaliste, car pour certains auteurs, elle relève également d’une perception subjective, d’une « construction sociale » (Beck, 2001 ; Peretti-Watel, 2010) dans la mesure où les individus ne perçoivent pas tous le risque de la même façon, notre perception étant influencée notamment par les médias, notre culture, notre mode de vie, notre réseau social, ou encore le degré de réassurance dont nous avons besoin pour évaluer un risque. En fonction d’un besoin de réassurance et d’une évaluation subjective du risque encouru, chaque individu acceptera ou pas de s’exposer à un événement plus ou moins favorable, voire dangereux. Le risque peut être, soit considéré comme une menace lorsqu’il empêche l’atteinte d’objectifs préalablement fixés, soit comme une opportunité lorsqu’il laisse par exemple espérer un gain futur ou bien retirer un quelconque avantage. Ce peut être un « risque pur » (subi) qui représente toujours un dommage, ou bien un « risque spéculatif » (choisi) qui est soit favorable, soit défavorable (Jokung Nguéna, 2008). D’une manière générale, l’incertitude et le risque sont des données intrinsèques dans les organisations pour lesquels il est important de déterminer un degré acceptable afin d’optimiser la création de valeur. En effet, le risque en tant que menace ou opportunité est susceptible de créer ou bien de détruire de la valeur (Flaherty et al., 2005). Un entrepreneur par exemple acceptera de prendre des risques, car il estimera qu’il y aura un gain supérieur à une hypothétique menace, d’où l’importance d’apprendre à le gérer. Par ailleurs, bien appréhender un risque peut renforcer la capacité d’apprentissage organisationnel d’une structure ainsi que son aptitude à la résilience (capacité à se reconstruire après une crise ou un accident) dans la mesure où elle pourra capitaliser sur son expérience et ainsi ressortir plus forte d’une épreuve pour affronter l’avenir, tout en resserrant les liens sociaux en augmentant la confiance des différentes parties prenantes. Gérer un risque, c’est d’abord être capable de l’identifier, de le qualifier, de l’évaluer, de le hiérarchiser, de le traiter et de le suivre. Les risques peuvent être de toute nature : humaine, technique, relationnelle, économique, environnementale, sanitaire, juridique, marketing, etc. Le risque peut être géré par différentes approches : une approche assurantielle (traditionnelle, basée sur l’historique, les statistiques, et la mutualisation) ou une approche systémique (vision globale évolutive). En général, les gestionnaires évaluent et hiérarchisent les risques organisationnels (différents des risques purement financiers ou spéculatifs) au moyen de deux critères fondamentaux : la gravité et la fréquence d’apparition, et éventuellement d’un troisième critère : le degré de détectabilité (risque facilement détectable ou non). En fonction de cette caractérisation du risque, les organisations adoptent des stratégies différentes (par exemple, l’évitement, la réduction, le partage, l’acceptation). Récemment, et en l’espace de quelques années, de plus en plus d’entreprises engagées dans une démarche de supply chain management ont également mis en place une gestion différenciée du risque à travers le supply chain risk management.

1.2. Du supply chain risk management au risque relationnel

À partir d’une réflexion globale sur la possibilité d’anticiper et de manager des risques, tout un éventail de techniques et méthodes de gestion des risques s’est développé depuis les années 1950, reprenant par exemple toutes sortes de matrices gravité/fréquence/occurrence des risques, des outils de modélisation ou de cartographie des risques, des matrices de priorisation des risques, etc., mais au-delà de ces dispositifs pris isolément, une nouvelle discipline de management transversal du risque s’est structurée : le supply chain risk management (SCRM). Le supply chain risk management est apparu dans le milieu des années 2000 comme une réponse spécifique du concept global de supply chain management à la délicate question de la gestion du risque dans les réseaux et autres « entreprises étendues » (Jüttner, Peck et Christopher, 2003 ; Jüttner, 2005 ; Lavastre et Spalanzani, 2008 ; Rao et Goldsby, 2009). En effet, la seule vision isolée, fonctionnelle et intraorganisationnelle ne suffit plus à appréhender toute la complexité des échanges transactionnels et relationnels actuels. Il devient primordial d’adopter une vision globale, systémique et holistique dans le management tant stratégique qu’opérationnel des organisations. Ainsi, à travers un prisme logistique, l’organisation est appréhendée sous l’angle des flux et des interfaces et dépasse ainsi la seule dimension statique pour une vision largement plus dynamique. La gestion du risque dans les PME est souvent diluée et déléguée aux responsables opérationnels ou fonctionnels et ne relève pas d’une direction centralisée, contrairement à certaines grandes entreprises industrielles qui ont un service dédié au SCRM. Ces entreprises désignent souvent un supply chain risk manager ou bien un business continuity manager, voire « une firme pivot coordinatrice » (Lavastre et Spalanzani, 2008). Jüttner (2005, p. 120) définit le supply chain risk management (SCRM) comme « l’identification et la gestion des risques pour la chaîne d’approvisionnement, à travers une approche coordonnée entre les membres de la chaîne d’approvisionnement, afin de réduire la vulnérabilité de l’ensemble »[2]. Lavastre et Spalanzani (2008) ont montré que le SCRM correspond à un management à la fois intraorganisationnel (le risque est géré en interne au sein d’une seule organisation avec un partage des responsabilités, la nomination d’un dirigeant du risque, une gestion décentralisée et pyramidale du risque, etc.) mais aussi et essentiellement, interorganisationnel (c’est-à-dire en partenariat avec ses différents partenaires industriels pour manager ses risques). À travers ce management à la fois intra et surtout interorganisationnel, la dimension relationnelle apparaît essentielle dans le SCRM. En sciences de gestion, outre le cas des supply chains, le risque relationnel est principalement associé à la notion d’alliance, car celle-ci suppose la mise en relation de différents acteurs avec des objectifs, des stratégies, des intentions, des cultures, des profils, etc., plus ou moins proches selon les contextes (Das et Teng, 2001). Dans le cas des relations d’alliances, Delerue (2005) propose une vision multidimensionnelle du risque relationnel (douze dimensions), dont les plus importantes semblent être le risque de fuite des compétences (risque lié à la connaissance et à l’information), de comportement opportuniste (risque lié à la confiance) et de défection (risque qui peut être lié à un sentiment de dépendance au pouvoir de l’autre et/ou d’iniquité). Pour l’auteure, le risque relationnel est une approche très subjective liée principalement à la perception des acteurs sur l’impact qu’ils ont sur la performance de l’accord. Cette idée de perception individuelle du risque relationnelle est d’ailleurs régulièrement reprise dans la littérature (Schluter et Lee, 2011 ; Costa e Silva et Nardon, 2008). Dans la relation d’alliance, la confiance apparaît être la variable centrale de réussite, mais faire confiance à l’autre, c’est finalement prendre un risque et plus cette confiance est élevée plus le risque est élevé (Nooteboom, Berger et Noorderhaven, 1997). Le concept de supply chain risk management montre qu’en matière d’alliance, dans le cas des supply chains le risque relationnel doit être particulièrement pris en compte quand il existe des différences culturelles importantes, par exemple avec des alliances entre des organisations occidentales et la Chine, avec notamment la notion de Guanxi dans laquelle le succès de la relation dépend de facteurs tels que la confiance et le partage d’informations et de pouvoir avec le souci de ne jamais « perdre la face » (Jia et Zsidisin, 2014). Ainsi, le risque relationnel apparaît comme une relation de partage risque-information-confiance-pouvoir.

Vu l’importance du supply chain risk management, pourquoi s’est-il si peu développé dans les PME ? Cela peut s’expliquer par un niveau de ressources limité dans les PME, par le fait que les dirigeants sont davantage accaparés par l’opérationnel et des problématiques internes, que leur culture logistique se limite principalement à la gestion des stocks et des livraisons et que la dimension interorganisationnelle de la gestion des flux et des risques n’est que très partiellement abordée (Calais, 2013). Pourtant, tant la littérature académique (Gao, Sung et Zhang, 2013) que professionnelle (Miroglio, 2012) encourage fortement une approche multicritères et globale du risque pour les PME et soulignent l’importance du risque relationnel dans leurs supply chains, même si peu d’études ont été réalisées jusqu’à présent.

Fort de ce constat, notre recherche s’est intéressée à l’industrie du voyage en France pour diverses raisons. D’une part, nous avions déjà été alertés lors d’une première étude en 2011 par la problématique centrale de la gestion des risques dans la chaîne du voyage et ce type de service supply chain. D’autre part, l’industrie du voyage présente toutes les caractéristiques d’un secteur très atomisé en termes d’acteurs avec une majorité de PME et de TPE et cependant très resserré d’un point de vue relationnel. Ainsi la prise en compte du risque relationnel par les acteurs de terrain nous paraît essentielle et insuffisamment prise en compte par la littérature. Par ailleurs, les résultats de notre première étude (2011) avaient démontré la réalité d’une gestion dynamique de l’assemblage des service supply chains. Dans notre seconde étude (2014), nous nous sommes appuyés sur ce concept d’assemblage dynamique dans le cadre spécifique de la gestion du risque et notamment du risque relationnel afin d’évaluer en quoi cette pratique l’influençait.

1.3. Le cadre conceptuel de l’assemblage dynamique des service supply chains

De nos jours, l’environnement économique général se caractérise par des cycles de vie des produits courts, la volatilité de la demande et une concurrence exacerbée. Ces aspects « dynamiques » environnementaux obligent de plus en plus d’entreprises à concevoir de nouvelles formes d’organisation temporaires et souvent rapidement reconfigurables qui correspondent à des besoins distinctifs et quelquefois très éphémères. Dans cette perspective, les entreprises sont perçues comme des ressources potentiellement mobilisables appartenant à un réseau relativement permanent et qui peuvent être activées sous la forme d’une chaîne logistique temporaire construite à partir de ce réseau permanent (Fabbe-Costes, 2005 ; Pellegrin-Romeggio, 2011). Ce réseau permanent est fréquemment centré autour d’un leader faisant office de pivot. Celui-ci se charge d’activer et de coordonner un groupe d’acteurs spécifiques (ressources) évoluant dans ce réseau relativement stable afin d’effectuer une tâche déterminée (Figure 1).

Figure 1

Chaînes temporaires/réseaux dynamiques

Chaînes temporaires/réseaux dynamiques
Source : auteur

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La littérature académique a souligné différents rôles attribués à cet acteur central. Historiquement, Miles, Snow et Coleman (1992) ont identifié trois rôles fondamentaux pour le broker (acteur pivot) d’un réseau dynamique : l’architect (architecte), qui initie et développe le réseau, le lead operator (opérateur principal), qui coordonne les opérations, et le caretaker (gardien), qui maintient et prend soin du réseau. À partir de ces premiers travaux, Fréry (1997) a complété ce triptyque fonctionnel en proposant le modèle 3C avec la Conception : la sélection des membres du réseau et le choix d’une stratégie commune, la Coordination : la limitation des coûts hiérarchiques inhérents au maintien des mécanismes de coordination du marché, le Contrôle : l’évitement des comportements opportunistes à l’intérieur du réseau qui pourrait interférer avec le bon fonctionnement et l’efficacité du réseau. Ces dernières années, la littérature a enrichi les rôles historiques du pivot en intégrant notamment la notion de modularité organisationnelle (Sanchez et Mahoney, 1996), d’orchestrator (chef d’orchestre) (Spring et Araujo, 2009), d’activateur/désactivateur de ressources (Fabbe-Costes, 2007), ou encore de « pivot systémier » (Mazaud, 2007). En 2011, une première analyse empirique réalisée dans le contexte de l’industrie du voyage a confirmé l’existence et la mise en oeuvre opérationnelle de ces nouvelles fonctions associées au pivot que nous avons alors proposé de regrouper au sein d’un « 4e C, la Combinaison » (en référence aux 3C de Fréry [1997]) : Conception, Coordination, Contrôle (Pellegrin-Romeggio, 2011). Ainsi, les quatre dimensions observées avec la pratique des acteurs ont été formalisées à travers les concepts « d’assemblage dynamique » et de « pivot assembleur » dans lesquels l’aspect interrelationnel est central.

Ainsi la nouvelle fonction Combinaison s’insère entre la conception et la coordination, renforçant de fait la dimension dynamique de l’assemblage des voyages et caractérisant un nouveau rôle d’assembleur pour le pivot d’un réseau stable ou d’une chaîne de voyage activée. La Combinaison permet au pivot d’endosser un rôle spécifique d’assembleur, d’être capable d’intégrer/désintégrer, d’activer/désactiver des ressources en fonction des besoins.

Par conséquent, sur la base des premiers résultats de notre étude (2011) qui avaient démontré la réalité de la gestion dynamique dans l’assemblage des service supply chains, nous avons souhaité approfondir à travers une seconde étude (2014) dans le même contexte, comment les acteurs se sont organisés pour adopter une gestion dynamique du risque et comment se manifeste notamment la relation de partage risque-information-confiance-pouvoir, vu l’importance du risque relationnel dans l’assemblage des service supply chains.

Tableau 1

Tableau de synthèse de la littérature mobilisée pour la seconde recherche

Tableau de synthèse de la littérature mobilisée pour la seconde recherche
Source : auteur

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2. L’exemple de l’industrie du voyage

2.1. Méthodologie et historique de la recherche

Notre recherche s’est effectuée en deux temps, elle repose sur une première démarche qualitative de type exploratoire sur la base de données primaires (entretiens semi-directifs) et secondaires (documents et observations), suivie dans un second temps par une analyse confirmatoire à partir de données secondaires (documents) et de données primaires réactualisées. Historiquement, une étude de cas unique a été menée sur le secteur très spécifique de l’industrie du voyage en France entre 2007 et 2011. Cette première recherche visait, sur la base d’un phénomène naissant (la désintermédiation des acteurs et l’autoassemblage de voyages notamment via Internet), à comprendre comment le secteur de l’industrie du voyage s’organisait pour répondre à cette problématique nouvelle « d’assemblage dynamique de chaîne logistique multiservices » (Pellegrin-Romeggio, 2011). Pour cette recherche originelle, vingt entretiens ont été réalisés entre 2007 et 2011 en France avec des responsables intervenant tout au long de la chaîne du voyage (huit fournisseurs et réceptifs, dont cinq PME indépendantes, dix producteurs tour-opérateurs, dont quatre PME indépendantes, et deux agences distributrices, dont une indépendante). Les thèmes abordés lors des entretiens (repris et analysés par le logiciel NVivo 2) portaient sur les concepts de chaîne et de réseau (caractéristiques selon les types de chaînes de voyage assemblées), leur conception (identification et choix des ressources) et leur pilotage (coordination, contrôle, activation, désactivation des ressources) et les relations établies entre acteurs (degré de collaboration, partage des informations, des responsabilités, etc.). Afin de consolider la validité et la fiabilité des sources, nous avons également récolté des données secondaires (internes et externes, à travers la sélection de 434 articles sur un total de 13 500 articles lus entre 2007 et 2011, issus de différentes sources professionnelles et institutionnelles). Nous avons également consulté près d’une cinquantaine de brochures de voyagistes et/ou de sites Internet et effectué plusieurs journées d’observations in situ sur le quotidien de tour-opérateurs, agences, fournisseurs (autocaristes indépendants, réceptifs). L’ensemble des données collectées a été sélectionné par rapport à notre problématique initiale de l’assemblage dynamique des chaînes logistiques puis ces données ont été triées, codées, et analysées à l’aide du logiciel NVivo 2, du tableur Excel et du gestionnaire de base de données Access (pour stocker et filtrer notamment les données secondaires) à partir de différents codes émergeant au fur et à mesure des entretiens. À l’issue de cette première recherche, nous avons conceptualisé la pratique opérationnelle des acteurs en matière de création de voyage à travers le concept « d’assemblage dynamique » et mis en lumière une nouvelle compétence organisationnelle de « pivot assembleur » de chaînes logistiques multiservices (Pellegrin-Romeggio, 2011). Au-delà de la mise en évidence de quatre dimensions fondamentales dans l’assemblage dynamique des réseaux et des chaînes logistiques multiservices (la Conception, la Combinaison, la Coordination, le Contrôle), il est apparu une compétence clé et multidimensionnelle chez les différents « pivots assembleurs » étudiés : la capacité à manager le risque. Compétence que nous n’avons que très succinctement abordée en conclusion de nos premiers résultats. Trois années après la fin de cette première recherche, nous avons souhaité revenir sur certains de ces résultats et tout particulièrement sur l’aspect management du risque, tant cette problématique semble devenue dorénavant une préoccupation importante non seulement de ce secteur, mais également pour l’ensemble des PME servicielles et industrielles. D’où la justification pour nous d’une seconde recherche basée à la fois sur des données secondaires ainsi que sur une actualisation des données primaires, dans la mesure où nous avons souhaité recontacter certaines personnes interviewées dans l’étude de 2011 (quatre fournisseurs et réceptifs, dont deux PME indépendantes, et trois producteurs tour-opérateurs, dont deux PME indépendantes) afin d’intégrer les évolutions du secteur ces dernières années (exemples de questions posées : « comment prenez-vous en compte la gestion du risque en général dans votre activité ? » [identification, priorisation, anticipation, etc.] ou encore « qu’est-ce que la notion de risque relationnel évoque pour vous, et le cas échéant comment le prenez-vous en charge ? »). Pour cette seconde recherche, nous sommes repartis sur la base des mêmes sources documentaires (lettres d’information électroniques quotidiennes des deux revues professionnelles les plus citées par les professionnels du voyage : l’Écho touristique et le Quotidien du tourisme) ainsi que le site du ministère du Tourisme (www.veilleinfotourisme.fr : plus de 6 600 résultats en lançant une recherche thématique sur les termes « gestion du risque dans les PME » en juin 2014). Nous avons voulu également intégrer dans cette seconde recherche ciblée PME (multisectorielle) davantage de liens avec le supply chain management du fait de l’importance de la gestion interrelationnelle dans les supply chains. Pour cela, nous avons élargi notre recherche documentaire à des revues professionnelles ou des sites Internet comme Supply Chain Magazine, Logistique Magazine, Stratégie logistique, Le Journal de la logistique, et des revues académiques comme Logistique & Management, Supply Chain Forum, etc. À partir de mots-clés ou d’associations de mots-clés liés à la gestion des risques, des crises, de la résilience, des PME, de la gestion des relations, etc., nous avons sélectionné près de 90 nouveaux articles sur la période de 2011 à septembre 2014. La question centrale de cette seconde recherche étant : comment les acteurs se sont organisés pour adopter une gestion dynamique du risque et comment se manifeste notamment la relation de partage risque-information-confiance-pouvoir, vu l’importance du risque relationnel ?

2.2. Présentation de l’industrie du voyage en France

L’analyse actuelle du secteur de l’industrie du voyage en France (première destination touristique au Monde) tout comme d’ailleurs l’ensemble des pays émetteurs de touristes montre différents aspects particulièrement intéressants. L’élément le plus frappant est celui de l’accroissement considérable des besoins de réactivité, de flexibilité, et de personnalisation, des consommateurs de voyages. Ces besoins clairement exprimés nécessitent la mise en oeuvre de modèles de production/distribution adaptés, avec des solutions de plus en plus souples et sur mesure pour le client, mais qui doivent rester compétitives et rentables (Viceriat et Treboul, 2003). Les consommateurs de voyages, de plus en plus « experts », réclament, en effet, toujours plus de choix, plus de services, à la fois, personnalisables, à des coûts maîtrisés, et disponibles le plus rapidement possible. L’industrie du voyage s’est structurée pour répondre à ces nouveaux enjeux, en recourant, d’une part, largement à des stratégies d’intégration (verticales et horizontales) et de concentration des acteurs sur tous les maillons de la chaîne du voyage, et d’autre part, en prenant en compte l’impact inévitable d’Internet et de la distribution multicanal. En effet, Internet a transformé irréversiblement la composition de la « chaîne du voyage », historiquement relativement stable, avec une répartition prédéterminée des rôles de chacun, en un gigantesque réseau multi-acteur caractérisé par un phénomène universel, de désintermédiation, au sein duquel « tout le monde peut (ou voudrait) tout faire ». La substituabilité des métiers et la désintermédiation effacent de plus en plus la distinction entre production et distribution, aussi bien chez les professionnels que chez le consommateur qui devient producteur (et assembleur) pour lui-même, ou pour les autres grâce à Internet. Cet état de fait apporte davantage de confusion dans les relations interorganisationnelles et interpersonnelles et accroît donc le risque relationnel à cause notamment de potentiels comportements opportunistes. Les agences de voyages doivent se repositionner pour trouver des sources de revenus en aval (client final) à cause « du tarissement de la source amont (fournisseurs) » (Eurostaf, 2008). Cette situation nouvelle oblige les différents acteurs de la chaîne du voyage à adopter des stratégies concurrentielles, soit marquées par un « assemblage industriel » basé sur une stratégie de coût/volume (bas coûts, standardisation, etc.), soit par une différenciation avec une expertise dans l’assemblage de produits sur mesure, ou encore de niche. L’analyse de l’industrie du voyage souligne également l’existence d’une problématique logistique avec la notion de chaîne de services. En outre, que ce soit à travers les différents enjeux de réactivité (maîtrise et contraction des délais), de flexibilité (maîtrise des capacités et des ressources, recherche de modularité), « d’optimisation des stocks » (disponibilités et capacités), de stratégies de distribution multicanal, ou encore de traçabilité, de qualité, de sécurité (avec la gestion des risques à tous les stades du voyage) la logistique est omniprésente et l’apport d’une compétence en management logistique ou supply chain management apparaît indispensable, à la fois pour la création et pour le pilotage des chaînes du voyage dans une perspective globale et systémique. D’ailleurs, les caractéristiques et problématiques logistiques soulevées par le secteur touristique sont étudiées depuis peu avec le concept de tourism supply chain management (Tapper et Font, 2004 ; Zhang, Song et Huang, 2009) qui à travers l’exemple de l’industrie du voyage distingue notamment ce secteur par le fait qu’ici c’est le consommateur qui voyage dans le produit. L’industrie du voyage est assimilée par de nombreux auteurs à une « chaîne de valeurs » qu’ils qualifient de « chaîne du voyage » répondant à une problématique « d’assemblage complexe » (Lanquar et Hollier, 2002, p. 22). L’industrie du voyage est un secteur très concurrentiel (et donc risqué) dans lequel le marché a été structuré historiquement par l’offre : les voyagistes ou tour- opérateurs, créent les destinations et les produits, qui sont ensuite distribués par des intermédiaires. Dans ce contexte historique, le risque relationnel était moindre, car la relation de partage risque-information-confiance-pouvoir était relativement claire du fait des positions stables des acteurs.

De fait, pendant très longtemps, la seule organisation possible de l’industrie du voyage était celle d’une chaîne logistique parfaitement linéaire où chaque acteur était à sa place et se contentait d’un rôle prédéterminé (fournisseur, producteur, distributeur). Toutefois, comme nous l’avons souligné précédemment, Internet et le phénomène de désintermédiation- réintermédiation ont modifié la donne en profondeur. En effet, d’une part, comme le souligne le directeur d’une agence de voyages indépendante lyonnaise : « nous observons depuis déjà quelques temps, une redistribution des cartes, une espèce de jeu des chaises musicales où chacun d’entre nous essaye de “piquer” la place de l’autre », autrement dit la possibilité de devenir tour à tour ou selon les opportunités, producteur, fournisseur ou distributeur. D’autre part, l’industrie du voyage subit directement l’impact de ce que certains publicistes (interview de Maurice Lévy, président du directoire de Publicis le 17 décembre 2014 au Financial Times) ou économistes qualifient « d’ubérisation de l’économie » (Heimans et Timms, 2014 ; Teboul et Picard, 2015). Le néologisme « ubérisation » (traduit en anglais par disruptive) est inspiré de la firme californienne Uber et est représentatif de ce nouveau mouvement de désintermédiation-réintermédiation qui est en passe de révolutionner les modèles économiques classiques d’échanges dans le tourisme et dans les services en général (Teboul et Picard, 2015). En effet, ces nouveaux modes de consommation, plus ou moins déclinés de « l’économie du partage » ou encore de « l’économie collaborative » (Scaraboto, 2015) encouragent tout un chacun soit à partager avec ses concitoyens (moyennant une certaine rétribution financière à la fois pour le particulier prestataire et pour le fournisseur d’accès) un objet personnel (une voiture OuiCar, un trajet BlaBlaCar, un appartement Airbnb, un repas Wizeat, etc. Il existe des centaines de sites de ce type sur Internet), soit à devenir un véritable prestataire de services (taxi dans le cas d’UberPop). Autrement dit, comme le précise le directeur d’un grand hôtel niçois « avec des sites comme Airbnb, de bons clients peuvent très bien devenir de vrais concurrents avec un appartement et une vue imprenable sur la baie pour un prix dérisoire ». Nous noterons par ailleurs dans l’industrie du voyage en France des partenariats quelque peu insolites (du fait de la concurrence directe de certains sites Internet avec des prestataires professionnels classiques du type taxis ou hôteliers) avec par exemple la SNCF et le site de covoiturage en ligne BlaBlaCar, ou encore très récemment (décembre 2015), toujours la même SNCF et le site de colocation d’appartements entre particuliers Airbnb.

Également, que ce soit dans le secteur du tourisme, comme dans l’ensemble de l’économie, la supply chain tend à se « digitaliser » de plus en plus, certains parlent de Tourisme Web 3.0, de M-Tourisme, M comme Mobile (Noti, 2013 ; Minić, Njeguš et Tulić Ceballos, 2014). La digitalisation de la supply chain touristique s’applique tant dans les applications et les moyens de gérer l’information avant, pendant et après un séjour ou un voyage. L’information est toujours disponible avec les smartphones, les tablettes, les objets connectés qui échangent des informations entre eux par exemple, et dans les prestations sur place, avec la géolocalisation et des informations touristiques et culturelles. Le voyageur peut également accéder à la « réalité augmentée » qui permet par exemple d’imaginer ce que pouvait être un site avant d’être en ruine, et très prochainement même l’artisanat local pourra bénéficier des imprimantes 3D en concevant à la demande de petits objets souvenirs. La supply chain digitale permet en quelque sorte de s’affranchir des contraintes de temps et d’espace. Grâce au numérique, il devient de plus en plus réaliste de proposer au voyageur des prestations en direct, selon son envie, et donc de se libérer d’un produit voyage figé à l’avance en fonction d’une planification et de ressources réservées. Pour les professionnels du voyage, la gestion de l’information devient de plus en plus précise à travers des solutions toujours plus puissantes avec l’exploitation par exemple des mégas données et de logiciels en mode clouding (ou SAAS, Software As A Service, dont le principe est de louer des applications via un hébergeur plutôt que d’acheter le logiciel). Pour les voyageurs, il n’est plus nécessaire par exemple de recourir obligatoirement à un guide (qui parle notre langue) ou de se charger de toutes sortes de documents. Et comme nous l’avons déjà souligné, l’hébergement, le transport, les repas, voire aussi certaines prestations de loisirs peuvent être assurés par une multitude d’acteurs non professionnels. Est-ce à dire que l’industrie professionnelle du tourisme est vouée à disparaître au profit de l’unique sphère privée et de l’économie collaborative et digitale ? David P., commercial chez un spécialiste du voyage en groupe, et Roland M., directeur d’un office de tourisme en Isère affirment que non, au contraire, ils mettent en avant le rôle sécurisant et d’expert des professionnels du secteur touristique. Pour eux, « l’ubérisation » de l’économie, ou encore la digitalisation de l’industrie de voyage ne sont pas nécessairement des menaces, mais plutôt une opportunité pour rassurer et « border » des clients de plus en plus exigeants en matière de sécurité et qui acceptent de moins en moins de prendre des risques et de perdre du temps à chercher les bonnes informations et à ne pas « se faire pigeonner » par des fournisseurs virtuels ou malhonnêtes. Ainsi, dans ce nouveau contexte digitalisé et « ubérisé », le risque relationnel, défini en tant que relation de partage risque-information-confiance-pouvoir pourrait être réduit pour les acteurs professionnels du secteur en (re)légitimant leurs rôles en tant qu’experts.

Figure 2

Le réseau de l’industrie du voyage

Le réseau de l’industrie du voyage
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L’industrie du voyage a connu de profondes mutations, en passant d’un modèle de tourisme structuré par l’offre, à celui structuré par la demande (exemple du forfait dynamique qui est un forfait assemblé par des professionnels à partir de modules indépendants et de l’autoproduction réalisée directement par les consommateurs ou par d’autres acteurs que le tour-opérateur). Comme l’illustre la figure 2, la chaîne du voyage est en réalité un réseau d’acteurs qui fait intervenir un ensemble d’acteurs hétérogènes reliés les uns aux autres, constituant in fine, une prestation globale, destinée aux consommateurs finals : les voyageurs. Chacun de ces acteurs (les « maillons » de la chaîne du voyage ou plus exactement les « satellites » du réseau) occupe a priori et à l’origine, des fonctions particulières qu’il convient à présent de définir plus précisément.

Les tour-opérateurs (TO)

Le tour-opérateur (TO) ou voyagiste est souvent présenté dans la littérature professionnelle et académique comme un véritable assembleur de prestations, sous la forme principalement de forfaits (Treboul, 1998, p. 96). Le TO doit assumer principalement deux types de risques : acheter des disponibilités qu’il ne parviendra pas à vendre et manquer une vente faute de disponibilité. La concurrence vient à la fois des autres voyagistes, des différents prestataires de services, mais également des agences de voyages (phénomène d’autoassemblage) qui développent en interne le voyagiste impulsé par des outils comme les GDS (Global Distribution System, système intégré de réservation) et également des bas coûts et de la concurrence directe des fournisseurs via Internet. Malgré une distinction entre voyagistes et distributeurs, les voyagistes deviennent de plus en plus distributeurs et certaines agences assemblent elles-mêmes des produits et référencent en direct des réceptifs (fournisseurs de prestations locaux). Il y aurait en 2014 entre 200 et 250 voyagistes français, composés en majorité de petits acteurs, contrairement au Royaume-Uni ou à l’Allemagne avec pour cette dernière six tour-opérateurs qui possèdent 80 % du marché, ces deux seuls pays dominant l’Europe sous la forme de deux duopoles[3].

Les agences de voyages

L’essentiel de la distribution des produits de voyage se fait par l’intermédiaire des agences traditionnelles ou via d’autres canaux (Internet). Les ressources des agences évoluent d’une rémunération fournisseurs (les commissions) à une rémunération clients (marges sur prix nets et honoraires). En plus du canal Internet (en Europe, le tourisme en ligne représente à présent 42 % du marché du voyage et en France, il pèse plus de 12,4 milliards d’euros en 2013 d’après l’étude Xerfi, FEVAD), la grande distribution concurrence de plus en plus les agences traditionnelles. Selon Atout France, on dénombrait en France fin 2013 près de 7 000 agences de voyages traditionnelles (off line), dont plus de 90 % ont moins de neuf salariés.

Les fournisseurs

Sous le terme de fournisseurs, nous regroupons un ensemble très hétérogène de différents prestataires devant assurer une multitude de prestations diverses et variées. Nous retrouvons à la fois des acteurs chargés de l’hébergement, de la restauration, du transport, de l’animation, etc. Cette seule catégorie d’acteurs constitue déjà, en soi, l’essentiel des composants d’une chaîne logistique multiservices.

L’accueil, les réceptifs

L’activité de l’accueil, appelé également réceptif, regroupe deux activités : la production/ assemblage local pour le compte d’un tour-opérateur notamment, mais pas exclusivement, et la distribution de la prestation sur le site visité. Les réceptifs jouent un rôle d’interface entre les fournisseurs et les clients, ce sont en quelque sorte les « relais terrain ». En général, il s’agit de petites entreprises (< cinq personnes) dispersées sur tout le territoire, et il existe peu de regroupements, de réseaux ou de franchises dans ce domaine.

Les voyageurs

Bien qu’il soit extrêmement difficile d’évaluer le nombre exact de voyageurs en France ou en Europe du fait notamment de l’absence de statistiques globales, on peut estimer aujourd’hui que moins de 8 % des « consommateurs de voyages » en France passeraient par une agence traditionnelle (off line), ou par des agences on line (plus de 12 milliards d’euros de transaction en France en 2013) et plus de 70 % n’utiliseraient aucun intermédiaire en dehors d’Internet[4].

2.3. Le risque : une composante inhérente à l’industrie du voyage

D’après l’Organisation mondiale du tourisme (2014), chaque année plus d’un milliard de touristes se déplacent dans le monde, soit 14 % de la population mondiale avec une croissance annuelle moyenne de 5 %. Cette tendance ne devrait pas s’inverser avec le temps, du fait de la croissance moyenne du pouvoir d’achat, de la baisse des coûts du voyage (transports à bas coûts et progrès technologique, comme avec l’A380), de l’allongement de l’espérance de vie et de l’amélioration de la santé notamment, même s’il faut nuancer cela avec la hausse du carburant et le terrorisme international entre autres. De ce fait, proportionnellement au volume en croissance permanente du nombre de touristes, corrélé à la nature même de l’industrie du voyage, la notion de risque est plus que jamais une composante essentielle de ce secteur d’activité. En effet, comme nous l’avons vu, un voyage correspond à un assemblage plus ou moins complexe et unique d’une multitude d’éléments reliés les uns aux autres qui ne peut être physiquement stocké avant ni consommé après la date prévue (toutes choses étant égales par ailleurs dans la mesure ou dans certains cas, il peut y avoir la possibilité de reporter ou d’avancer un forfait voyage en fonction des disponibilités). Cette complexité relative du produit voyage engendre à la fois des risques internes plus ou moins prévisibles propres à chaque composant (par exemple : risques organisationnels, désintermédiation et substituabilité des acteurs, autoassemblage lié à la montée en expertise des consommateurs via Internet), mais également des risques externes complètement aléatoires (environnementaux). À cela, il faut ajouter, comme nous l’avons déjà évoqué, à la fois une dimension probabiliste du risque (pris en compte principalement par les assurances) et une dimension sociale totalement subjective sur la perception du risque tant du consommateur voyageur que de l’assembleur.

En matière de gestion des risques, l’industrie du voyage se répartit plus ou moins les rôles. Les producteurs avec les tour-opérateurs semblent assumer la principale prise de risques financière en achetant par avance des « allotements » (stocks) et en pratiquant en contrepartie une stratégie de yield management (adaptation des prix en fonction de la demande et des capacités). Au niveau de la distribution, les agences assurent davantage la prévention du risque avec un rôle d’information, de conseils, d’expertise (bien qu’au niveau juridique, elles soient pleinement responsables vis-à-vis du consommateur, article L. 211-17 du Code du tourisme). Les syndicats professionnels jouent également un rôle important, notamment le CETO (Association de Tour-Opérateurs représentant 80 % du marché des voyages à forfait) avec la prévention des risques et la gestion des crises. Le CETO a un rôle de gestionnaire d’interfaces avec les relais opérationnels et institutionnels, mais aussi les assureurs (garantie d’assistance et garantie d’assurance, gestion de crise), ou encore les pouvoirs publics (réglementation et informations, ministère des Affaires étrangères, du commerce extérieur et du tourisme (par exemple : outil « Ariane » qui permet de tracer et de localiser un touriste n’importe où dans le monde), le ministère des Transports (sécurité dans les transports, aéroports, gares, etc.), les ministères de la Défense et de l’Intérieur (terrorisme, évacuation des ressortissants), et enfin l’Union européenne (réglementation, charte) et l’ONU (différentes entités comme OMS, OMT, etc.). Une des premières étapes mises en place par les PME françaises a été pour les agences de voyages de se regrouper afin de limiter les effets d’un secteur complètement atomisé et donc vulnérable à divers titres. Cela s’est concrétisé par la création de réseaux volontaires associant des PME indépendantes (AFAT, Manor, etc.) eux-mêmes de plus en plus regroupés au sein de « macroréseaux » (G4, BTTG, Alliance T, AS Voyage). De telles alliances ou regroupements permettent d’une part de mutualiser des moyens (notamment dans la gestion du risque avec l’existence d’acteurs ressources préalablement identifiés et mobilisables en cas de crise : cellules de crise avec des personnes formées)[5] et d’avoir plus de poids dans les négociations commerciales à tous les niveaux. Spécifiquement en matière de gestion du risque, le CETO[6] joue un véritable rôle central (pivot) de coordinateur, de communicateur, de gestionnaire de ressources et de gestionnaire de crise (existence d’un centre de crise en veille permanente, composé du président, du secrétaire général, d’un attaché de presse, avec des relais locaux et spécialisés par profession, par nature de risques et destinations). Le CETO propose notamment depuis 2011 à l’ensemble des acteurs de l’industrie du voyage un nouvel outil dédié : SIS (Service d’Information Sécurité). Il s’agit d’un portail destiné aux professionnels du tourisme donnant accès à de multiples sources d’information sur les conditions de sécurité et de déplacement des Français à l’étranger, donne les positions des tour-opérateurs sur les destinations, diffuse les derniers avis du ministère des Affaires étrangères, du ministère de l’Intérieur, du Secrétariat d’État au Tourisme, du ministère de la Santé, des assureurs (Mondial Assistance), et propose de très nombreux liens utiles vers des problématiques spécifiques (météo, pays, etc.). Un système d’envoi automatique de courriels permet également aux abonnés de recevoir par courriel des actualités pertinentes du CETO en cas d’événement majeur touchant une zone très touristique. Il est intéressant de noter que le CETO travaille en étroite collaboration avec le SNAV (Syndicat national des agents de voyages) en cas de crise (annulation, report, remboursement, etc.) ce qui constitue en soi une certaine forme de partenariat entre deux maillons essentiels de la chaîne du voyage à savoir les producteurs et les distributeurs. Le fait que la plupart des acteurs de l’industrie du voyage se soit regroupée, tant les distributeurs historiques, les agences de voyages, que les producteurs tour-opérateurs confirme encore une fois l’intérêt d’une organisation réticulaire qui permet à des PME indépendantes de bénéficier de moyens partagés pour gérer le risque (le SIS pour les TO, ou les cellules de crises mobilisables développées au sein des réseaux d’agences de voyages). Mais de telles initiatives sont-elles dans les faits aussi efficaces qu’elles semblent l’être du point de vue théorique, notamment en ce qui concerne la prise en compte du risque relationnel ? Les personnes que nous avons interrogées à nouveau pour cette seconde étude (issues du premier panel de 2011) se montrent assez sceptiques sur la notion de partage du risque. En effet, pour Philippe G., directeur de la production d’un TO indépendant, « quand il s’agit de partager certaines informations stratégiques ou commerciales, ce n’est pas tellement dans notre culture de tout “déballer” à nos partenaires », également pour David P., commercial dans un TO spécialisé dans les voyages de groupe, « en cas de pépin grave, on est quand même un peu tout seul, car on n’a pas envie que toute la place publique soit au courant ». Même si globalement, nos interlocuteurs approuvent la définition que nous leur avons soumise du risque relationnel comme une relation de partage : risque-information-confiance-pouvoir, tous sont d’accord pour affirmer que dans les faits le chemin est encore long pour tout partager, car en matière de relations interpersonnelles ou interorganisationnelles, il faut trouver quelqu’un qui fasse l’unanimité, soit neutre, irréprochable, « un espèce de leader charismatique, qu’on aurait envie de suivre, si on veut que votre réseau comme vous dites fonctionne », nous dit le directeur de la production d’un TO indépendant. D’un autre côté, comme le souligne Roland M., responsable d’un office de tourisme isérois, « on n’a plus le choix, avec des sites comme Airbnb et autres consorts, si on ne collabore pas entre pro, on est morts ».

La collaboration apparaît comme une condition indispensable en matière de gestion des risques, et notamment du risque relationnel, mais comment collaborer de manière efficace, partager quoi et avec qui, pour combien de temps, etc. ? Certaines des solutions mises en oeuvre dans l’industrie du voyage en France pourraient être une application ou une déclinaison du concept de « l’assemblage dynamique » que nous développons dans la partie suivante.

3. La gestion dynamique du risque relationnel dans l’industrie du voyage

3.1. Mise en oeuvre des différents concepts mobilisés dans l’industrie du voyage

Bien que dans les faits, d’après les données recueillies lors des deux phases de notre étude (2011 et 2014) les termes de supply chain management et encore moins de supply chain risk management ou de « pivot assembleur » ne soient pas cités explicitement, il apparaît très clairement que les acteurs se sont globalement organisés selon ces concepts. En effet, nous avons relevé que la majorité des PME analysées ont adopté une gestion des risques en interne mais également en externe (caractéristiques du SCRM, Lavastre et Spalanzani, 2008), et que très souvent elles recourent à un acteur tiers (pivot) pour les aider à gérer principalement des risques externes et visibles (catastrophe naturelle, terrorisme, crise sanitaire, etc.) de façon transversale et collaborative, mais également des risques internes et parfois invisibles (processus perfectibles et générateurs de risques potentiels par phénomène cumulatif, repérage des dysfonctionnements répétitifs, risques relationnels). Ainsi, la gestion dynamique du risque dans la chaîne du voyage serait une déclinaison opérationnelle du concept d’assemblage dynamique des chaînes logistiques multiservices que nous avons tenté de synthétiser dans le tableau 2.

Tableau 2

La gestion dynamique du risque relationnel dans l’industrie du voyage

La gestion dynamique du risque relationnel dans l’industrie du voyage
Source : auteur

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À travers une approche plutôt générale du risque, le tableau 2 (la gestion dynamique du risque relationnel dans l’industrie du voyage) montre qu’au niveau de chacune des quatre dimensions du concept d’assemblage dynamique des service supply chains (Conception, Combinaison, Coordination, Contrôle) la gestion du risque relationnel est plus ou moins traitée indirectement. Cela se vérifie à travers la relation de partage risque-information-confiance-pouvoir. En effet, nous retrouvons des éléments allant dans ce sens dans la pratique des acteurs, que ce soit en matière de maîtrise de l’information (y compris communication, formation, et retour d’expérience) destinée aux différentes parties prenantes d’un voyage, de la confiance requise chez les nombreux prestataires impliqués dans le voyage, de la responsabilité et du soutien plus ou moins partagé en cas d’aléa, ainsi que d’une certaine délégation de pouvoir décisionnel notamment en matière de contrôle (ex ante et ex post) et de sécurité.

4. Discussion des résultats

Cette recherche menée en deux temps a permis d’apporter des éléments de réponse à notre question centrale visant à comprendre comment les acteurs de terrain s’organisent concrètement afin de maîtriser le plus efficacement possible la gestion du risque dans la relation de partage risque-information-confiance-pouvoir. Comme nous l’avons souligné, la principale force d’une supply chain réside dans la qualité des relations interacteurs et cette qualité relationnelle est influencée notamment par le partage du risque. D’un point de vue relationnel, le partage du risque s’opère à différents niveaux, notamment sur l’information, la confiance et le pouvoir. Le concept de SCRM souligne l’importance de ces points, mais qu’en est-il dans le cas de l’industrie du voyage ? Même si dans les faits le concept de SCRM est quasiment méconnu des PME en général à cause notamment d’une vision globale et transversale largement perfectible (approche supply chain management, SCM) et d’une focalisation sur des contraintes internes, les entreprises de l’industrie du voyage appliquent pourtant peu ou prou ces préceptes dans leurs pratiques professionnelles, quoique de nombreuses questions restent toujours en suspens. Le SCRM est totalement lié au SCM et tout comme le SCM cela implique donc une vision globale, une collaboration active entre les membres d’une supply chain avec notamment un partage de l’information souvent en temps réel. Le SCRM et le SCM présentent les mêmes avantages et inconvénients : un potentiel d’efficience économique maximum grâce notamment à la collaboration interorganisationnelle de l’ensemble des acteurs, mais une application dans les faits bien plus restrictive. En effet, se posent notamment, d’une part le problème délicat de l’arbitrage du partage des informations stratégiques, des investissements au départ et des profits in fine, et d’autre part du périmètre et de la durée de la relation (quoi partager, avec qui et pour combien de temps) ? Par ailleurs, la mise en lumière d’un risque, principalement quand il est interne révèle une certaine faiblesse de la part d’un des maillons de la chaîne globale, par conséquent dans quelle mesure une entreprise acceptera de partager cela avec les autres ? Tout cela implique plusieurs éléments, d’une part un véritable partenariat basé sur la confiance et d’autre part une forte coordination intra et surtout interorganisationnelle. La confiance pour exister doit être individualisée, incarnée dans des acteurs parfaitement identifiés. De même, une coordination efficace résulte très souvent de l’action d’un acteur centralisé parfaitement identifié, en l’occurrence un pivot dans le cas des réseaux centrés et particulièrement dans l’exemple de l’industrie du voyage. Le management du risque doit donc être supervisé par un acteur centralisé même si la mise en oeuvre opérationnelle peut être déléguée à une multitude d’acteurs chacun expert dans son domaine d’activité. Une des questions centrales est : qui doit être cet acteur central, doit-il être un des adhérents du réseau ou bien un acteur tiers (un prestataire par exemple) ? Que nous apprend l’industrie du voyage ? Dans le cas de l’industrie du voyage, très atomisée, la plupart des PME, tout en restant indépendantes, sont intégrées dans des réseaux volontaires pour des raisons de mutualisation des coûts ou de taille critique, mais aussi pour pouvoir proposer une sécurité maximum à leurs clients. Elles peuvent donc bénéficier pour un coût maîtrisé de nombreux services. Historiquement l’acteur central est le TO (le producteur), mais ce peut être également un acteur indépendant grâce à sa parfaite maîtrise des systèmes d’information et des bases de données, ou de n’importe quel acteur, du fait du phénomène de désintermédiation lié à Internet (l’autoassemblage de voyages). L’industrie du voyage nous démontre à travers la mobilisation d’une compétence organisationnelle d’assembleur qu’un acteur central peut activer/désactiver différentes ressources en fonction de divers projets de voyage et parallèlement appréhender plus efficacement la problématique du risque. Il s’agit là peut-être d’un nouveau phénomène de réintermédiation après celui davantage plus perturbant de désintermédiation vécue par l’industrie du voyage. Pourquoi associer la compétence de dirigeant du risque à celle d’assembleur de chaîne logistique et pourquoi adopter une vision dynamique de la gestion du risque ? Car le risque doit être envisagé, tout comme l’assemblage, de manière globale, transversale, systémique et que cela implique a minima une organisation centralisée pour coordonner, contrôler et mobiliser l’ensemble des acteurs concernés. De plus, comme nous l’avons déjà vu, la gestion du risque dans les PME est souvent diluée et déléguée aux responsables opérationnels ou fonctionnels et ne bénéficie donc pas des atouts d’une direction centralisée (vision globale et systémique du risque), contrairement à certaines grandes entreprises industrielles qui ont un service dédié au SCRM. Il est évident que la plupart des PME n’ont pas les ressources pour dédier un service spécifique au SCRM, toutefois comme le préconise la littérature et le montre l’exemple de l’industrie du voyage, il serait tout à fait opportun de déléguer la gestion du risque à « une firme pivot coordinatrice » (Lavastre et Spalanzani, 2008). Ainsi, le cas de l’industrie du voyage montre qu’une gestion dynamique du risque à travers l’identification et la mobilisation d’un pivot assembleur peut renforcer la relation de partage risque-information-confiance- pouvoir. En effet, le pivot assembleur peut dans une certaine mesure contribuer à maîtriser le risque relationnel au niveau de l’information à partager (capacités et prix), de la confiance dans un rapport gagnant-gagnant (TO et prestataires) et du pouvoir, également à partager (délégation de pouvoir aux réceptifs). D’ailleurs, cette relation de partage se vérifie au-delà de l’industrie du voyage, à travers de nombreux exemples d’acteurs impliqués dans des réseaux pratiquant l’assemblage de biens ou de services qui se regroupent en développant différentes stratégies de collaboration (alliances stratégiques, partenariats d’impartition, écosystèmes d’affaires, coopétition, etc.).

Conclusion

Dans cet article nous sommes partis du postulat selon lequel aujourd’hui la compétition entre les entreprises se manifeste non plus isolément firme contre firme, mais davantage collectivement réseau contre réseau et que ces réseaux sont constitués majoritairement par des PME rassemblées au sein de supply chains. L’efficacité de ces supply chains repose essentiellement sur la qualité des relations interacteurs. Cette qualité relationnelle est influencée notamment par la taille du réseau, la complémentarité des acteurs, et le partage du risque. D’un point de vue relationnel, le partage du risque s’opère à différents niveaux, notamment sur l’information, la confiance et le pouvoir. L’objectif de notre recherche a été de comprendre comment les acteurs de terrain s’organisent concrètement afin de maîtriser le plus efficacement possible la gestion du risque dans cette relation de partage. Notre étude s’est concentrée sur le cas des PME de services avec l’exemple de l’industrie du voyage, dans laquelle la culture du risque est prégnante. Le cas de l’industrie du voyage est révélateur dans la manière de montrer comment les acteurs se sont mobilisés pour adopter une gestion dynamique du risque. À travers cet article, nous avons développé dans une première partie la notion de risque et le concept de supply chain risk management (SCRM). Puis dans un second temps, nous avons présenté l’exemple de l’industrie du voyage en France en montrant que la gestion du risque est une préoccupation centrale des acteurs, principalement des PME et des TPE. Enfin, dans une dernière partie, nous avons tenté de décrire et d’expliquer comment la profession s’est organisée pour adopter une gestion dynamique du risque et notamment du risque relationnel à partir d’une déclinaison opérationnelle des concepts originaux d’assemblage dynamique et de pivot assembleur. Ainsi, l’exemple de l’industrie du voyage nous montre très clairement qu’à travers la mobilisation d’un certain nombre d’éléments, par exemple la culture du risque (distinction entre risque interne et externe, prévention et évaluation du risque/gestion de crise, formations, stratégie de communication, etc.) la prise en compte globale et systémique du risque (approche supply chain management et SCRM), le recours à un acteur pivot (partie prenante ou tiers), etc., il devient alors possible d’adopter une gestion dynamique du risque pour des PME, même si le processus d’identification et les compétences de ce « pivot assembleur » mériteraient d’être mieux formalisés. Cette recherche est totalement novatrice dans la mesure où d’une part elle met en avant le concept inédit d’assemblage dynamique des chaînes logistiques multiservices, et d’autre part, car elle souligne combien la gestion du risque relationnel est essentielle dans la qualité de ces assemblages plus ou moins pérennes dans le temps. Cet exemple pourrait très certainement être capitalisable et transférable dans de nombreux secteurs d’activités dans la mesure où la plupart d’entre eux sont organisés en structures réticulaires centrées autour d’une firme pivot (souvent une grande entreprise) qui travaille avec une multitude de sous-traitants (souvent des PME). D’un point de vue théorique et conceptuel, le cas de l’industrie du voyage souligne l’importance primordiale d’une prise en compte efficiente de la relation risque- information-confiance-pouvoir dans la mise en application concrète du concept d’assemblage dynamique des chaînes logistiques multiservices. D’un point de vue managérial, la prise en compte du risque relationnel apparaît clairement comme une compétence clé du pivot assembleur. Cependant, sur le plan praxéologique, cette première recherche devrait être étendue à d’autres secteurs d’activités afin d’une part de recueillir davantage de données sur l’opérationnalisation des concepts abordés, et d’autre part pour mieux formaliser et diffuser ces pratiques. Pour cela, nous pourrions analyser et comparer d’autres types de réseaux de services constitués majoritairement de PME, par exemple des réseaux commerciaux regroupant des points de vente indépendants sous la forme de franchises, de commerces associés avec licences de marques, de contrats d’affiliation ou encore de concessions exclusives (distribution alimentaire, vêtements, articles de sport/loisir, réparation automobile, etc.). Le principal avantage de ces types de structures est de bénéficier, selon les différentes formes contractuelles, d’un certain niveau d’encadrement et de soutien essentiellement commerciaux et logistiques. Mais qu’en est-il de la gestion effective des risques et de leur éventuelle prise en compte collective ? En outre, et eu égard à l’importance du risque relationnel que nous avons abordé dans cet article, comment tous ces commerçants indépendants d’un point de vue juridique et liés par différents accords, mais relativement isolés dans leurs pratiques quotidiennes, accepteront-ils de partager risque-information-confiance-pouvoir ? Pareillement, nous pourrions aussi évoquer le cas du secteur du bâtiment et des travaux publics constitué principalement de très nombreuses PME et TPE, ou encore celui de l’événementiel (organisation de spectacles, de manifestations diverses). Également, dans la sphère publique et dans l’environnement non marchand, du type réseau de santé, aide humanitaire, délégation de service publique (distribution d’eau, d’électricité, de gaz, etc., de protection et de sécurité des biens et des personnes, de service à la personne, d’éducation, etc.) il nous apparaît opportun déjà d’identifier un acteur central qui puisse faire consensus et ensuite de développer une véritable compétence organisationnelle de pivot assembleur. Cela afin d’une part d’assembler/désassembler efficacement des chaînes d’acteurs selon les besoins, et d’autre part pour minimiser les conséquences d’une gestion relationnelle déficiente. Une des missions principales du pivot assembleur serait ainsi de minimiser le risque relationnel en veillant à la meilleure relation de partage possible entre risque-information-confiance-pouvoir. Car, comme nous avons tenté de le démontrer à travers cet article, il ne peut y avoir de prestation globale efficiente et satisfaisante pour l’ensemble des parties prenantes sans véritable prise en compte du risque relationnel.