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Introduction

Pour quelles raisons certains entrepreneurs réussissent-ils et d’autres non ? Cette question qui constitue l’un des aspects fondamentaux de la recherche en entrepreneuriat a été largement traitée dans plusieurs travaux (Bruno, Leidecker et Harder, 1987 ; Cooper, Gimeno-Cacson et Woo, 1994 ; Duchesneau et Gartner, 1990 ; Littunen, Storhammar et Nenonen, 1998 ; Lussier, 1996 ; Lussier et Pfeifer, 2000 ; Reid, 1999 ; Sommers et Koc, 1987). Les tentatives de réponse s’inscrivent le plus souvent dans un cadre plus large, celui de la réussite entrepreneuriale (Cooper, 1993 ; Hernandez, 1999). Cependant, nous ne devons pas oublier qu’une étude approfondie des situations d’échec est au moins aussi profitable pour les entrepreneurs. Ces derniers apprennent aussi bien, sinon plus des histoires d’échec (Shepherd, 2004 ; Shepherd, Williams, Wolfe et Patzelt, 2016) que celles de réussite (Sammut, 1995 ; Verstraete et Fayolle, 2005). Si certaines dimensions de la réussite entrepreneuriale comme celles de la rentabilité, de la profitabilité, de la survie, de la croissance et/ou de développement des nouvelles entreprises sont très étudiées, les recherches centrées spécifiquement sur l’échec de ce type d’entreprises restent peu nombreuses (Aaltonen, Blackburn et Heinonen, 2010 ; Mantere, Aula, Schildt et Vaara, 2013). Bien qu’il existe une littérature abondante sur la défaillance d’entreprises, celle-ci demeure toutefois centrée sur l’entreprise et passe sous silence la dimension individuelle de l’échec inhérente à l’entrepreneur. Par rapport aux entrepreneurs qui réussissent, le ou les profils des entrepreneurs qui échouent demeurent mal connus.

Pour spécifier le profil type des entrepreneurs qui réussissent, plusieurs recherches se sont inscrites dans une logique prédictive (Cooper, Gimeno-Cacson et Woo, 1994 ; Dahlqvist, Davidsson et Wiklund, 2000 ; Lussier et Pfeifer, 2000 ; Wetter et Wennberg, 2009). En identifiant les différences systématiques entre les entrepreneurs qui réussissent et ceux qui échouent (Hernandez, 1999 ; Saporta, 1994), certains travaux associent les entrepreneurs qui réussissent à des entreprises en état de survie (Aspelund, Berg-Utby et Skjevdal, 2005 ; Chrisman, Bauerschmidt et Hofer, 1999 ; Dahlqvist, Davidsson et Wiklund, 2000 ; Littunen, Storhammar et Nenonen, 1998 ; Lussier et Pfeifer, 2001 ; Reid, 1999 ; Van Praag, 2003). Il en ressort que ces entrepreneurs sont souvent plus âgés, bien formés, possédant une forte expertise et bien préparés à l’entrepreneuriat. Ils disposent d’un fort réseau relationnel et leur choix de la création entrepreneuriale relève plutôt d’un processus de quête d’opportunité. Par opposition, les entrepreneurs qui échouent sont systématiquement associés à des entreprises en état de faillite (Cope, Cave et Eccles, 2004 ; Zacharakis, Meyer et DeCastro, 1999). Ils sont représentés comme étant plus jeunes, moins instruits, inexpérimentés, peu préparés à l’entrepreneuriat, inactifs avant la création et, dont l’acte d’entreprendre est plutôt fondé sur un parcours forcé, faute de trouver un emploi satisfaisant (Khelil, 2016). S’agit-il d’une conception unique d’échec ? Ou bien, peut-on identifier d’autres conceptions d’échec différentes les unes des autres et qui s’éloignent de cette conception usuelle de l’échec ?

C’est dans ce cadre que s’inscrit le présent article qui s’attache à fournir des éléments de réponse à la question suivante récemment soulevée par Jenkins et McKelvie (2016) ainsi que Walsh et Cunningham (2016, p. 167) : « Qu’est-ce qu’un échec entrepreneurial ? »

Nous proposons, à cet effet, une lecture critique des recherches antérieures qui ont tendance à réduire la complexité de l’échec entrepreneurial à une approche unidimensionnelle se recentrant sur l’unique facette financière de la défaillance d’entreprise, binaire opposant les entreprises performantes à celles qui sont défaillantes, ou encore, linéaires expliquant l’échec entrepreneurial par l’influence d’un nombre limité de facteurs.

Le présent article adhère à la perspective suivante : l’échec entrepreneurial est un phénomène qui est à la fois multidimensionnel, multiforme et multifactoriel. Il est multidimensionnel, car il se traduit par la combinaison de deux composantes : l’une économique en liaison avec l’entreprise, généralement mesurable à partir des indicateurs financiers et l’autre psychologique inhérente à l’entrepreneur (Bruyat, 1993 ; Jenkins et McKelvie, 2016) mesurable à partir de l’appréciation du chercheur sur la base du ressenti de l’entrepreneur (Sammut, 1995). Il est multiforme, car il peut revêtir différentes conceptions qui diffèrent d’une personne à une autre d’où la difficulté de mesurer l’échec de façon uniforme (Sammut, 1995 ; Walsh et Cunningham, 2016, p. 167). Il est également multifactoriel, car il ne résulte pas d’une simple relation de cause à effet, mais d’une combinaison d’éléments défavorables (Sammut, 1995), difficiles à cerner empiriquement (Byrne et Shepherd, 2015 ; Jenkins, Wiklund et Brundin, 2014).

Au-delà de l’évocation des causes pour lesquelles certains entrepreneurs échouent, l’objectif du présent article est de contribuer à une meilleure compréhension de l’échec entrepreneurial en mettant en évidence ses multiples conceptions. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur une approche typologique fondée sur des configurations conceptuelles déduites d’un cadre théorique (Miller, 1996). Bien entendu, il ne s’agit pas pour nous de proposer une typologie universelle (Filion, 2000) qui prétend couvrir d’une manière exhaustive les conceptions possibles d’échec, mais plus modestement, nous proposons, à partir d’une analyse critique de la littérature antérieure, une vision intégrative mêlant plusieurs perspectives théoriques. Malgré le peu de travaux sur le sujet (Jenkins et McKelvie, 2016), un examen de la littérature montre l’existence de nombreuses contributions indirectes (Ucbasaran, Shepherd, Lockett et Lyon, 2013 ; Walsh et Cunningham, 2016).

Les conceptions proposées peuvent être classées en trois approches. La première approche, qui sera présentée dans la première partie, est centrée sur l’échec de l’entreprise et place la notion de la défaillance au centre de la réflexion. La deuxième approche, qui sera abordée dans la deuxième partie, est centrée sur l’échec de l’entrepreneur, plus précisément sur les conséquences négatives que peut avoir l’échec de l’entreprise sur l’entrepreneur lui-même. La troisième approche de l’échec, qui fera l’objet de la troisième partie, se focalise sur la dialogique entrepreneur-entreprise. En combinant ces trois approches, qui sont plutôt complémentaires qu’antagonistes, nous proposerons dans la dernière partie une approche holistique de l’échec entrepreneurial.

1. Les approches de l’échec centrées sur l’entreprise

1.1. L’approche financière

Pour appréhender les causes ou encore les conséquences de l’échec entrepreneurial, plusieurs auteurs se sont penchés sur la notion de défaillance de l’entreprise (Byrne et Shepherd, 2015 ; Jenkins, Wiklund et Brundin, 2014 ; Singh, Corner et Pavlovich, 2015 ; Yamakawa, Peng et Deeds, 2015) qui par définition s’oppose à celle d’entreprise performante ou saine (Guilhot, 2000 ; Rivet, 2007). Connue dans la littérature anglo-saxonne sous le terme de « business failure », cette notion a été initialement utilisée dans le champ de la finance d’entreprise (Walsh et Cunningham, 2016, p. 178) pour décrypter et prédire l’échec en termes de faillite (Altman, 1968 ; Beaver, 1966 ; Deakin, 1972 ; Pompe et Bilderbeek, 2005). C’est dans ce cadre que s’inscrit la conception financière de l’échec qui est supposée détectable à partir d’un ensemble de ratios financiers (Altman, 1968). Bien qu’elle soit peu adaptée au contexte spécifique de la nouvelle entreprise, qui par définition, dispose d’un historique comptable limité (Capiez, 1992 ; Capiez et Hernandez, 1998 ; Walsh et Cunningham, 2016, p. 180), elle demeure toutefois la plus répandue dans la littérature entrepreneuriale (Byrne et Shepherd, 2015 ; Jenkins, Wiklund et Brundin, 2014 ; Singh, Corner et Pavlovich, 2015 ; Yamakawa, Peng et Deeds, 2015).

La définition la plus utilisée en entrepreneuriat est celle de Shepherd (2003). L’échec entrepreneurial y est présenté comme la conséquence « d’une baisse des revenus et/ou une augmentation des dépenses qui sont d’une telle ampleur que l’entreprise devient insolvable et n’est pas en mesure de contracter de nouvelles dettes ou de lever de nouveaux fonds propres ; par conséquent, elle ne peut pas continuer à opérer sous la propriété du fondateur et/ou du dirigeant actuel » (p. 318). Les recherches sur la fermeture « business closer » ou la sortie d’entreprise « business exit » utilisent cette conception (Coad, 2014 ; Wennberg, Wiklund, DeTienne et Cardon, 2010) pour distinguer les entreprises qui ont fermé et de celles qui ont échoué. Selon Coad (2014), la fermeture d’entreprise n’est pas toujours synonyme d’échec. S’inscrivant dans la même perspective, Head (2003) distingue deux types de fermeture : (1) la fermeture volontaire pour saisir d’autres opportunités, et (2) la fermeture involontaire suite à la défaillance de l’entreprise. Dans la première situation, le choix de fermer l’entreprise dépend de la volonté propre de l’entrepreneur tandis que dans la deuxième situation, la fermeture de l’entreprise dépendra de sa santé financière (De Hoe et Janssen, 2014). Entre ces deux situations extrêmes, Head (2003) identifie deux autres situations intermédiaires : (3) la fermeture de l’entreprise avec des dettes, et (4) la fermeture de l’entreprise pour éviter une accumulation croissante des pertes. Seules les trois dernières situations pourraient être qualifiées d’échec entrepreneurial (Bruno et Leidecker, 1988 ; Everett et Watson, 1998 ; Hammer et Khelil, 2014).

Se limiter toutefois à la seule définition de Shepherd (2003) exclut de l’espace des échecs les entreprises qui, malgré les résultats déficitaires et malgré leur incapacité à faire face à leur engagement financier, continuent à opérer sous l’autorité de leur dirigeant/fondateur (Cooper, Gimeno-Cacson et Woo, 1994 ; Moreau, 2007 ; Bruyat, 1993 ; Bruno et Leidecker, 1988). Reconnues dans la littérature anglo-saxonne sous le terme « permanently failing organizations » (Meyer et Zucker, 1989), ces entreprises détruisent plus de ressources qu’elles n’en produisent. Quel que soit le terme utilisé pour définir ce type d’entreprises, il y a un consensus sur leurs effets destructeurs (Baumol, 1996) qui sont parfois plus dramatiques que la fermeture d’entreprises (DeTienne, Shepherd et De Castro, 2008 ; Shepherd et al., 2016, p. 75). Dans certaines circonstances, la fermeture d’entreprises défaillantes constitue pour les entreprises nouvellement créées une opportunité pour se développer (DeTienne, 2010 ; Janssen et Jacquemin, 2009 ; Pe’er et Vertinsky, 2008). Elle peut également constituer pour les entreprises déjà établies une opportunité pour valoriser les ressources humaines des entreprises défaillantes dans d’autres projets plus rentables (Amankwah-Amoah, 2016). C’est dans ce cadre que s’inscrit l’approche économique de l’échec qui place la notion du coût d’opportunité au centre de la réflexion (Platt, 1985 ; Walsh et Cunningham, 2016, p. 170).

1.2. L’approche économique

Selon cette approche, l’échec entrepreneurial se produit lorsque la rentabilité des capitaux investis dans l’entreprise créée est inférieure à la rentabilité d’un autre projet nécessitant la même somme de capitaux (McKenzie et Sud, 2008). Selon Platt (1985), l’échec économique pourrait, aussi, être associé à la non-exploitation des opportunités qui se présentent à l’entreprise. Cette facette économique de l’échec est donc supposée détectable à partir d’un ensemble d’indicateurs de profitabilité (rentabilité économique, taux de rendement interne, retours sur investissement, etc.) ou encore de performance commerciale (taux de croissance du chiffre d’affaires, taux de parts de marché, etc.). Pour Ucbasaran et al. (2013), l’échec entrepreneurial ne peut pas se limiter à la seule notion de défaillance d’entreprise. Outre la dimension financière, ils proposent de redéfinir l’échec entrepreneurial en introduisant la notion du seuil minimum de viabilité économique.

Des travaux plus récents (Jenkins et McKelvie, 2016 ; Walsh et Cunningham, 2017) font référence à la définition proposée par Ucbasaran et al. (2013). Selon ces auteurs, l’échec entrepreneurial est associé à la fermeture de l’entreprise en raison de la non-atteinte du seuil minimal de viabilité économique. En se fondant sur la théorie de seuil « threshold theory », Gimeno, Folta, Cooper et Woo (1997) démontrent que le seuil minimal de viabilité économique dépend du capital humain de l’entrepreneur. Plus le capital humain de l’entrepreneur est élevé, plus le seuil minimal de viabilité économique est élevé. Selon Bonnet et Cussy (2010), ce seuil pourrait correspondre aux rétributions financières et symboliques que l’entrepreneur espérait gagner s’il valorisait son capital humain sur le marché de l’emploi.

D’autres chercheurs ont proposé une conceptualisation de la défaillance d’entreprise centrée sur les causes. Thornhill et Amit (2003) distinguent deux formes d’échec. Il y a d’abord les jeunes entreprises défaillantes en raison d’une carence en ressources et d’un manque de compétences des dirigeants. Dans ce cas, les entreprises n’arrivent ni à créer des ressources stratégiques pour produire de la valeur ni à créer un avantage concurrentiel soutenable. Nous avons ensuite les entreprises qui ont échoué à cause d’un problème d’alignement stratégique : les ressources et compétences de l’entreprise perdent de leur importance et ne concordent plus avec les exigences de l’environnement. Ce deuxième cas de figure pourrait correspondre aux entreprises « incertaines » au sens de Capiez et Hernandez (1998) qui courent vers un échec parce que l’entrepreneur manque de ressources suffisantes et adéquates pour faire évoluer son projet d’entreprise compte tenu des contraintes environnementales. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’approche de l’échec par la théorie des ressources (Barney, 2001) et qui place la notion d’alignement stratégique au centre de la réflexion (Crutzen et Van Caillie, 2009 ; Levinthal, 1991 ; Thornhill et Amit, 2003).

Selon cette approche, l’échec d’une entreprise est associé à la détérioration de sa capacité adaptative à des contraintes externes (Mellahi et Wilkinson, 2004). Il est défini comme étant « un phénomène dynamique qui se matérialise par la détérioration croissante de la situation organisationnelle et financière de l’entreprise et qui se termine éventuellement par une faillite juridique, situation ponctuelle caractérisée par la survenance concomitante d’une double crise de solvabilité et de liquidité » (Crutzen et Van Caillie, 2009, p. 109). Ce phénomène se déclenche lorsque l’entreprise qui n’arrive pas, à l’aide des ressources spécifiques, dont elle dispose, à trouver une position stratégique viable sur un marché (Levinthal, 1991 ; Thornhill et Amit, 2003). Si aucune action stratégique n’est prise pour faire face au désavantage concurrentiel subi, l’entreprise peut s’enfoncer dans un processus de défaillance plus ou moins long qui pourrait se terminer par une faillite (Crutzen et Van Caillie, 2009), considérée par Thornhill et Amit (2003) comme étant la forme extrême d’échec. Alors que la faillite est une situation ponctuelle caractérisée par une double crise de solvabilité et de liquidité, la défaillance se matérialise par la détérioration croissante des ressources internes à cause d’un problème d’alignement (Crutzen et Van Caillie, 2009).

Le tableau 1 met en évidence quatre situations possibles d’échec en fonction des critères financiers et économiques. La première situation (A) pourrait correspondre aux entreprises défaillantes au sens de Crutzen et Van Caillie (2009), qui à défaut d’un soutien financier externe, peuvent se trouver dans un état d’insolvabilité. La deuxième situation (B) pourrait correspondre aux entreprises défaillantes qui ont déjà cessé leurs activités en raison d’insolvabilité (Shepherd, 2003). Dans la troisième situation (C) on retrouve les entreprises sous-performantes qui retardent la date de leur fermeture dans l’espoir d’atteindre le seuil minimal de viabilité économique (DeTienne, Sheperd et De Castro, 2008). Dans la quatrième situation (D), on retrouve les entreprises sous-performantes qui ont déjà cessé leurs activités en raison de la non-atteinte du seuil minimal de viabilité économique (Ucbasaran et al., 2013).

Tableau 1

Les dimensions financière et économique de l’échec des entreprises

Les dimensions financière et économique de l’échec des entreprises

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L’échec entrepreneurial ne peut toutefois être appréhendé uniquement sous l’angle de la défaillance d’entreprise. Certains auteurs proposent d’introduire une dimension d’ordre individuel, le plus souvent associée à la déception personnelle de l’entrepreneur suite à la non-concrétisation des aspirations et attentes initiales à la création (Jenkins et McKelvie, 2016 ; McGrath, 1999 ; Smida et Khelil, 2010a ; Ucbasaran et al., 2013). Dans cette perspective, l’échec entrepreneurial ne peut être perçu uniquement à partir des indicateurs financiers et/ou économiques de la performance de l’entreprise, mais également à partir du ressenti de l’entrepreneur (Sammut, 1995). C’est dans ce cadre que s’inscrivent les approches de l’échec centrées sur l’entrepreneur lui-même.

2. Les approches de l’échec centrées sur l’entrepreneur

La plupart des définitions, proposées dans la littérature antérieure et qui s’intéressent à l’échec entrepreneurial, se focalisent sur l’échec de l’entreprise. Celles-ci n’intègrent pas la dimension individuelle de l’échec inhérente à l’entrepreneur (Jenkins et McKelvie, 2016). Les travaux sur les conséquences négatives que peut avoir l’échec d’une entreprise sur l’entrepreneur (Byrne et Shepherd, 2015 ; Cardon et McGrath, 1999 ; Cope, 2011 ; Jenkins, Wiklund et Brundin, 2014 ; Shepherd, Wiklund et Haynie, 2009 ; Singh, Corner et Pavlovich, 2007 ; Singh, 2011 ; Ucbasaran et al., 2013) sont susceptibles d’apporter un éclairage complémentaire à notre question de recherche. Ces conséquences peuvent être d’ordres financiers, psychologiques et sociaux (Ucbasaran et al., 2013).

2.1. Les conséquences financières de l’échec sur l’entrepreneur

Les conséquences financières de l’échec se traduisent le plus souvent par la dégradation de la situation financière personnelle de l’entrepreneur (baisse des revenus, appauvrissement du patrimoine personnel, réduction du train de vie, etc.) (Cope, 2011 ; Shepherd, 2003 ; Shepherd, Wiklund et Haynie, 2009). Ces conséquences sont plus dramatiques si l’entrepreneur et/ou les membres de sa famille se portent garants du remboursement des dettes de l’entreprise. En cas de cessation de paiement, l’entrepreneur et/ou les membres de sa famille s’engagent personnellement à payer les dettes de celle-ci. À défaut, la banque peut saisir une partie de son salaire voire le logement, dont il est propriétaire. Afin d’éviter la fermeture de leur entreprise en raison d’insolvabilité, certains entrepreneurs n’hésitent pas à vendre leurs propres biens (maison, voiture, etc.) pour rembourser les dettes de celle-ci. On peut retrouver dans ce cas de figure les entrepreneurs « flambeurs » (Annexe 1). Afin de sortir leur entreprise de la spirale de la défaillance, ils dilapident tout ce qu’ils possèdent. Bien qu’ils soient déçus de leur situation personnelle, ils luttent encore pour maintenir en vie leur entreprise défaillante qui détruit plus de ressources qu’elle n’en crée (Annexe 2 ; le cas de la survie marginale). Étant donné les investissements énormes en termes d’argent, de temps et d’énergie, la décision de fermer leur entreprise est jugée difficile, voire irréversible et la poursuite de l’activité entrepreneuriale est jugée indispensable et ce pour au minimum deux raisons : les engagements financiers et émotifs considérables dans l’activité entrepreneuriale (DeTienne, Sheperd et De Castro, 2008 ; Shepherd et al., 2016, p. 75 ; Yamakawa et Cardon, 2017) et le manque d’argent, de motivation et de temps pour préparer une reconversion professionnelle (Bruyat, 1993, p. 292). C’est la situation d’un grand nombre d’entrepreneurs qui, bien qu’ils soient à la tête d’une entreprise défaillante ne procurant pas de revenus satisfaisants, se résignent, faute de mieux, à cette situation. Pour décrire cette position, Bruyat (1993, p. 292) fait référence à deux cas de figure d’échec : la « déception » et la « résignation » (Annexe 3).

2.2. Les conséquences psychologiques de l’échec sur l’entrepreneur

Les conséquences psychologiques de l’échec de l’entreprise sur l’entrepreneur peuvent être d’ordre émotionnel et motivationnel (Ucbasaran et al., 2013). Pour mieux appréhender les conséquences émotionnelles, Shepherd (2003, 2009) s’est appuyé sur la notion du deuil. Le choc, le déni, la colère, la résignation et la tristesse sont les principales manifestations émotionnelles du deuil. Défini comme étant un processus émotionnel, le deuil est déclenché lorsqu’un individu perd un objet auquel il était attaché (Pailot, 2000). Dans le contexte spécifique de la création d’entreprise, ce processus se déclenche lorsque l’entrepreneur perd son entreprise. La tristesse, la souffrance, la colère, le regret et la culpabilité ressentis par l’entrepreneur à l’issue de cette perte sont les coûts émotionnels les plus communément cités dans la littérature (Cardon et McGrath, 1999 ; Jenkins, Wicklund et Sheperd, 2014 ; Shepherd, 2003 ; Shepherd, Wicklund et Haynie, 2009 ; Singh, Corner et Pavlovich, 2007). Ces conséquences peuvent aussi avoir des répercussions d’ordre physiologique (De Hoe et Janssen, 2014) qui se manifestent le plus souvent en termes d’insomnie, de fatigue, d’épuisement, de dépression, de perte de poids et/ou d’hypertension (Cope, 2011 ; Singh, Corner et Pavlovich, 2007 ; Torrès, 2012).

Un entrepreneur ayant vécu une expérience d’échec pourrait être également envahi par un sentiment d’impuissance et d’incompétence au sens de Bandura (1993) ainsi que de peur (Kollmann, Stöckmann et Kensbock, 2017) d’un futur échec (McGrath, 1999). Il sera donc moins disposé à entreprendre une seconde fois (Shepherd, 2003). Selon De Hoe et Janssen (2014), ce coût motivationnel de l’échec pourrait être la conséquence des coûts émotionnels et physiologiques décrits plus haut. C’est le cas des entrepreneurs « perdus » (Annexe 1). Déçus par les résultats réalisés par rapport aux attentes et très déçus par leur situation personnelle en tant qu’entrepreneur failli, ils admettent qu’ils sont dans l’impossibilité de réaliser, via l’entrepreneuriat, des objectifs qui leur sont propres. Afin de mettre fin à leur détresse émotionnelle, ils décident d’abandonner définitivement l’entrepreneuriat et envisagent le salariat comme une alternative. Étant donné la stigmatisation sociale de l’échec qui conduit parfois à l’exclusion des entrepreneurs faillis du marché du travail (Cardon, Stevens et Potter, 2011), les « perdus » réalisent rapidement que trouver un travail est difficile, voire impossible. Bruyat (1993) qualifie cette situation d’échec de « désastre » (Annexe 3) : un échec de l’entrepreneur sur un double plan individuel et social (Annexe 2 ; le cas d’échec total).

2.3. Les conséquences sociales de l’échec sur l’entrepreneur

En plus des conséquences psychologiques, l’échec de l’entreprise pourrait également avoir des conséquences d’ordre social. Elles se manifestent le plus souvent par une perte de crédibilité et une dégradation de la qualité des relations qu’entretient l’entrepreneur avec son réseau professionnel (Ucbasaran et al., 2013). En plus du réseau professionnel, l’échec pourrait également toucher la qualité des relations qu’entretient l’entrepreneur avec son réseau familial (Cope, 2011). Cela pourrait conduire l’entrepreneur à l’isolement, au repli sur soi-même, voire à la perte de ses repères sociaux (Shepherd, 2003). Ces conséquences sont encore plus dramatiques pour les entrepreneurs qui subissent un échec après avoir connu un succès important. Shepherd (2003) donne l’exemple des entrepreneurs « super-héros » qui, suite à un échec brutal, deviennent aux yeux de la société des ratés. Afin d’éviter la stigmatisation sociale, certains entrepreneurs ont tendance à dissimuler leur défaite personnelle. C’est le cas des entrepreneurs « mégalomanes » (Annexe 1) : bien qu’ils soient à la tête d’une entreprise défaillante, ils cherchent à donner une image sociale positive en misant sur les signes extérieurs de richesse.

2.4. L’échec réussi et l’échec non réussi

Les conséquences financières, psychologiques et sociales de l’échec sont intimement liées et dépendent du contexte social dans lequel se trouvent les entrepreneurs faillis et de la manière, dont ceux-ci vont y répondre (De Hoe et Janssen, 2014 ; Ucbasaran et al., 2013). Alors que certains entrepreneurs perçoivent l’échec comme une source d’apprentissage (Shepherd et al., 2016), d’autres le perçoivent comme une expérience traumatisante. Sur ce point, certains auteurs soulignent les conséquences dévastatrices de l’échec entrepreneurial qui peuvent aller jusqu’à l’acte de suicide (Smith et McElwee, 2011 ; Torrès, 2011). Il est donc bien important de distinguer deux formes d’échec : l’« échec réussi » (successful failure) et l’« échec non réussi » (unsuccessful failure). Dans le premier cas de figure, l’entrepreneur a tiré des enseignements positifs de son expérience pour retrouver la motivation d’entreprendre à nouveau et a réussi à rebondir en recréant une nouvelle entreprise performante (Bacq, Giacomin et Janssen, 2009 ; Sarrouy-Watkins, 2016). Dans le deuxième cas de figure, l’entrepreneur n’a rien appris de son échec, il se résigne. Dans cette perspective, l’avènement de l’échec entrepreneurial ne dépend pas uniquement de la défaillance d’entreprise, mais aussi des conséquences de cette forme d’échec sur l’entrepreneur lui-même.

Étant donné la spécificité des nouvelles entreprises (la place prépondérante de l’entrepreneur, le lien étroit entre son projet de vie personnelle et son projet d’entreprise) (Bruyat,1994), il est généralement admis que l’échec de l’entreprise créée entraîne l’échec de l’entrepreneur et que la réussite personnelle de l’entrepreneur dépende de la réussite de son entreprise (Hernandez, 2006). Dans certaines circonstances, les entrepreneurs se trouvent parfois dans des situations paradoxales. « Une réussite économique peut entraîner pour le créateur une vie qui ne lui convient pas du tout : trop de travail, trop de stress, etc. À l’inverse, une situation économique peu satisfaisante peut procurer au créateur une vie qui lui convient tout à fait : beaucoup de néo-entrepreneurs sont satisfaits de leur sort avec des revenus assez limités » (Hernandez, 2006, p. 351).

Pour mieux appréhender le caractère paradoxal de l’échec entrepreneurial, certains auteurs proposent d’intégrer les deux niveaux d’analyse entreprise-entrepreneur (Jenkins et McKelvie, 2016). C’est dans ce cadre que s’inscrivent les approches de l’échec centrées sur la dialogique entreprise-entrepreneur.

3. Les approches centrées sur la dialogique entreprise-entrepreneur

La revue de la littérature menée dans le cadre de cet article montre que le phénomène de l’échec entrepreneurial a été le plus souvent abordé selon deux niveaux d’analyse distincts : entreprise ou entrepreneur. Des travaux plus récents (Jenkins et McKelvie, 2016 ; Khelil, 2016 ; Walsh et Cunningham, 2017) proposent d’intégrer ces deux niveaux d’analyse. Appréhender l’échec entrepreneurial selon la dialogique entreprise-entrepreneur est susceptible d’apporter des enseignements supplémentaires sur des situations d’échec qui sont parfois paradoxales. Dans certaines circonstances, l’échec d’une entreprise n’implique pas systématiquement un échec pour l’entrepreneur (Bruyat, 1994 ; De Hoe et Janssen, 2014 ; Jenkins et McKelvie, 2016 ; Shepherd et al., 2016). De même, l’échec personnel de l’entrepreneur n’est pas forcément associé à l’échec de son entreprise.

En combinant les deux points de vue centrés respectivement sur l’échec de l’entreprise et l’échec de l’entrepreneur, Bruyat (1993, p. 292 ; 1994) propose une typologie à huit figures possibles d’échec dénommées : le « stress », la « spoliation », la « déception », le « désastre », la « désespérance », l’« escroquerie », la « satisfaction » et la « résignation » (Annexe 3). Bien qu’elle offre un éclairage sur les différentes situations possibles d’échec, la typologie de Bruyat (1993, p. 292 ; 1994) présente toutefois un certain nombre d’insuffisances communes aux approches typologiques. Généralement représentées à l’aide d’une matrice à deux dimensions, ces classifications sont généralement considérées comme simplistes et ne reflètent pas fidèlement les phénomènes que nous observons (Doty et Glick, 1994 ; Witmeur et Biga, 2010). Partant de ces limites et en nous basant sur les recommandations méthodologiques de Miller (1996), nous nous sommes appuyés sur une démarche méthodologique combinant à la fois l’approche typologique et taxonomique (Khelil, 2016).

À partir d’un cadre théorique intégrateur mobilisant à la fois la théorie d’écologie des populations des organisations (Hannan et Freeman, 1977), l’approche fondée sur les ressources (Barney, 2001) et la théorie de la brèche aspirations-réalisations (Cooper et Artz, 1995), une typologie à sept configurations conceptuelles d’échec a été déduite (Smida et Khelil, 2010a ; Annexe 2). Afin de mettre en évidence les différentes configurations empiriques d’échec, une analyse taxonomique a été menée au moyen d’une double classification hiérarchique et non hiérarchique sur une base empirique comprenant 105 nouvelles entreprises reconnues en situation d’échec par des observateurs externes. Pour réduire l’écart entre le niveau élevé d’abstraction propre à la typologie et la réalité du terrain révélée par la taxonomie, une exploration qualitative a été aussi conduite sur la base de l’étude de dix cas d’échec (Khelil, Smida et Zouaoui, 2012). Les résultats obtenus nous ont permis de révéler la coexistence de cinq configurations, chacune représentée par un portrait particulier d’entrepreneurs dénommés les « perdus », les « soutenus à bout de bras », les « mégalomanes », les « éternels insatisfaits » et les « flambeurs » (Khelil, 2016 ; Annexe 1).

Les situations d’échec évoquées ci-dessus peuvent être regroupées en trois grandes catégories. La catégorie (A) regroupe les situations pour lesquelles l’échec de l’entreprise n’implique pas l’échec de l’entrepreneur. La catégorie (B) regroupe les situations pour lesquelles l’échec de l’entrepreneur n’est pas associé à l’échec de son entreprise. La catégorie (C) regroupe les différentes situations pour lesquelles l’échec de l’entrepreneur est associé à l’échec de son entreprise.

Figure 1

Vers une typologie plus englobante de l’échec entrepreneurial

Vers une typologie plus englobante de l’échec entrepreneurial

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3.1. Catégorie A : l’échec de l’entreprise n’implique pas l’échec de l’entrepreneur

Dans la catégorie (A), on peut trouver les entrepreneurs qui, malgré l’échec de leur entreprise, retirent une satisfaction personnelle suite à la concrétisation de leurs ambitions et aspirations. On peut y trouver les entrepreneurs « soutenus à bout de bras » qui, grâce au soutien familial ou social, échappent continuellement à la faillite. La survie de leur entreprise est donc totalement tributaire d’un soutien qu’offre leur réseau relationnel (Khelil, 2016). On peut aussi y trouver le portrait de « satisfait » au sens de Bruyat (1994). Bien qu’il soit à la tête d’une entreprise défaillante, l’entrepreneur éprouve une satisfaction d’avoir des revenus suffisants lui permettant de maintenir un certain train de vie. Selon Crutzen et Van Caillie (2009), la défaillance de ce type d’entreprise s’explique par un manque de compétences en gestion du dirigeant-fondateur qui cherche principalement son enrichissement personnel au détriment du bon fonctionnement et du développement de l’entreprise. Bien que l’entreprise ait échoué, l’entrepreneur a atteint ses objectifs personnels qui sont en divergence avec les objectifs de son entreprise (Crutzen et Van Caillie, 2009). Ce cas de figure pourrait parfois être associé à une « escroquerie délibérée » (Bruyat, 1994) ou encore à une « faillite frauduleuse » (De Hoe et Jansen, 2014). Dans cette catégorie, on peut aussi trouver d’autres situations d’échec moins dramatiques. C’est le cas des entrepreneurs qualifiés par Capiez et Hernandez (1998), de « tranquilles » : bien qu’ils soient à la tête d’une entreprise sous-performante, ils sont satisfaits, car ils s’assurent un emploi stable et confortable. Ce portrait se rapproche aussi de ce que Bruyat (1994) qualifie de « désespérance » : bien que l’entreprise ait échoué, l’entrepreneur a réussi via l’aventure entrepreneuriale à exercer une activité professionnelle lui permettant d’assurer un revenu jugé satisfaisant.

3.2. Catégorie B : l’échec de l’entrepreneur n’est pas associé à l’échec de l’entreprise

La catégorie (B) regroupe les entrepreneurs qui ont échoué sur le plan personnel malgré la réussite de leur entreprise. On peut trouver dans cette catégorie les entrepreneurs qui ont tout sacrifié pour leur entreprise et qui finissent par le regretter. Bien que leur entreprise soit prospère, ils ne sont pas satisfaits de leur situation d’entrepreneur, car ils subissent continuellement un stress considérable essentiellement lié à leur activité entrepreneuriale (Bruyat, 1994). Cet état de « stress » pourrait être associé à une réussite professionnelle tempérée par des problèmes personnels (conflits familiaux, divorce, etc.) qui handicapent le bon fonctionnement de l’entreprise (Crutzen et Van Caillie, 2009). En plus des problèmes extra-professionnels, le stress pourrait s’expliquer par la déception de l’entrepreneur suite à la non-concrétisation de ses aspirations et attentes personnelles (Smida et Khelil, 2010a). C’est le cas des « éternels insatisfaits » qui jugent insatisfaisante la performance de leur entreprise comparée à la performance attendue, s’ils avaient investi les mêmes ressources dans d’autres projets plus rentables (Khelil, 2016). L’autoévaluation négative des résultats réalisés par rapport à ceux désirés sera alors à l’origine de leur état de déception. Le sentiment de déception ressenti par les « éternels insatisfaits » pourrait aussi être expliqué par une vision entrepreneuriale très ambitieuse, plus précisément par l’écart considérable entre les réalisations et les attentes élevées des « éternels insatisfaits » et les réalisations qui sont perçues comme insuffisantes (Cooper et Artz, 1995). Un autre cas de figure (la spoliation) s’ajoute à cette catégorie : les entrepreneurs, qui ne prennent pas de précautions quant au contrôle du capital financier de leur entreprise, se voient démis du contrôle de leur entreprise par une coalition d’actionnaires qui souhaitent prendre le pouvoir (Bruyat, 1994). L’entrepreneur qui cherche, à travers la création de sa propre entreprise à être dirigeant autonome et indépendant, est très déçu, car il perd ce statut.

3.3. Catégorie C : l’échec de l’entrepreneur associé à l’échec de l’entreprise

La catégorie (C) englobe les situations selon lesquelles l’échec de l’entreprise est à l’origine de l’échec personnel de l’entrepreneur. En plus de la défaillance de l’entreprise, cet échec se manifeste par des difficultés financières, psychologiques et sociales subies par l’entrepreneur (Jenkins, Wiklund et Brundin, 2014 ; Shepherd, Wiklund et Haynie, 2009). Quelles que soient les difficultés auxquelles ils sont confrontés, les entrepreneurs de cette catégorie n’arrivent pas à surmonter leur échec. Dans ce cas, nous pouvons parler d’« échec total » ou encore d’« échec non réussi ».

Bien que les approches centrées sur la dialogique entreprise-entrepreneur apportent un éclairage sur le caractère à la fois multidimensionnel et paradoxal de l’échec entrepreneurial, elles passent sous silence le contexte de la création d’entreprise. Partant de ces limites, nous proposons dans les pages qui suivent une vision holistique de l’échec entrepreneurial intégrant les trois niveaux d’analyse : l’entrepreneur, l’entreprise et l’environnement.

4. Vers une approche holistique de l’échec entrepreneurial

Afin de proposer une vision holistique de l’échec entrepreneurial, nous nous sommes appuyés sur l’approche configurationnelle. Contrairement à l’approche contingente qui adopte une perspective déterministe de causalité, l’approche configurationnelle privilégie la vision systémique selon laquelle le phénomène étudié est vu comme un ensemble d’éléments interreliés (Miller, 1981). Les chercheurs qui adhèrent à cette perspective suggèrent de ne pas faire la distinction entre les causes et les conséquences. Ils proposent toutefois de s’intéresser à toutes les combinaisons et les complémentarités possibles entre les éléments constitutifs du phénomène étudié. En partant de nombreuses modélisations configurationnelles telles que celles développées par Bruyat (1993, p. 196), Crutzen et Van Caillie (2008), Hernandez (1999, p. 105), Khiari, Zouaoui et Smida (2015), Paturel (1997), Smida et Khelil (2010a) et Watkins (1976), nous proposons de repenser l’échec entrepreneurial selon une perspective intégrative.

Selon cette perspective, l’échec entrepreneurial pourrait être défini comme un phénomène psycho-socio-économique résultant d’éléments interdépendants qui interagissent sur trois niveaux d’analyse, chacun étant associé à une approche théorique distincte (Figure 2) : (A) les approches déterministes centrées sur l’environnement ; (B) les approches organisationnelles centrées sur l’entreprise, et les approches psychologiques axées sur l’entrepreneur (C). La conjonction de deux parmi ces trois approches d’échec permet de mettre en évidence trois autres approches : l’approche stratégique (A*B), l’approche managériale (B*C) et l’approche sociale (A*C).

Figure 2

Vers une approche holistique de l’échec entrepreneurial

Vers une approche holistique de l’échec entrepreneurial

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4.1. Approche déterministe de l’échec centrée sur l’environnement (Zone A)

Ces approches se fondent sur un ensemble de théories notamment la théorie d’écologie des populations des organisations, la théorie de la dépendance vis-à-vis des ressources, la théorie de contingence, la théorie institutionnelle ou encore l’approche issue de l’économie industrielle (Smida et Khelil, 2010b). Ces théories adhèrent à la perspective déterministe selon laquelle l’échec d’une entreprise dépend d’un ensemble d’éléments exogènes sur lesquels l’entrepreneur n’a aucune influence (Amankwah-Amoah, 2016 ; Mellahi et Wilkinson, 2004). Même si l’entrepreneur possède les compétences essentielles à la réussite, ce dernier n’arrivera jamais à faire survivre son entreprise si le contexte de la création d’entreprise est défavorable. En se référant au cadre d’analyse de Davidsson et Wiklund (2001), les éléments qui composent le contexte de la création d’entreprise peuvent être classés en plusieurs niveaux : national, régional, sectoriel, social et familial. C’est l’ensemble de ces éléments incontrôlables qui expliquerait les raisons pour lesquelles certains entrepreneurs échouent et d’autres non. Les chercheurs qui adhèrent à cette perspective déterministe définissent l’échec en termes de disparition ou de mortalité organisationnelle. Dans le contexte spécifique de la création d’entreprise, les indicateurs les plus communément utilisés pour mesurer cette forme d’échec sont la discontinuité, la sortie ou encore la fermeture involontaire de l’entreprise. Selon Amankwah-Amoah (2016), cette forme d’échec est susceptible d’avoir des conséquences négatives sur un double plan : économique et social. Sur le plan économique, les conséquences de l’échec se manifestent le plus souvent par la perte d’emplois et l’augmentation du taux de chômage. Sur le plan social, les conséquences se manifestent généralement par une stigmatisation croissante de l’échec et par l’émergence d’un contexte qui décourage l’acte entrepreneurial.

4.2. Approche organisationnelle de l’échec centrée sur l’entreprise (Zone B)

Les travaux qui adhèrent à la perspective déterministe ne peuvent toutefois pas répondre à la question suivante : pour quelles raisons certaines entreprises appartenant à un même contexte entrepreneurial atteignent des niveaux de performance différents ? Pour répondre à cette question, le niveau d’analyse ne porte plus sur les facteurs externes inhérents au contexte de la création, mais plutôt sur des éléments internes inhérents aux caractéristiques organisationnelles de l’entreprise créée. C’est dans ce cadre que s’inscrit la perspective volontariste selon laquelle l’échec des entreprises ne s’explique pas uniquement par des facteurs exogènes, non maîtrisés par l’entreprise, mais aussi par des facteurs endogènes propres à l’entreprise (Mellahi et Wilkinson, 2004 ; Walsh et Cunningham, 2016, p. 195). Le manque d’organisation, la mauvaise gestion, la sous-capitalisation financière, le manque d’expériences et de compétences, le manque de cohésion et d’esprit d’équipe, etc. sont les causes internes d’échec les plus communément évoquées dans la littérature antérieure (Sammut, 2001). Cet échec, qui se manifeste le plus souvent par une double crise de solvabilité et de liquidité (Crutzen et Van Caillie, 2008), pourrait avoir des conséquences négatives sur l’entreprise elle-même (Amankwah-Amoah, 2016) : stress et épuisement mental des salariés, peur du licenciement pour des raisons économiques, démotivation collective et manque d’implication au travail, dégradation des relations entre les salariés et leur supérieur hiérarchique, conflits entre les membres de l’équipe entrepreneuriale, perte des compétences clés, etc. Ces conséquences ne font qu’aggraver les difficultés financières accélérant ainsi le processus de la défaillance (Crutzen et Van Caillie, 2008).

4.3. Approche psychologique de l’échec centrée sur l’entrepreneur (Zone C)

Les deux approches précédentes demeurent toutefois incomplètes. Elles ne peuvent pas, par exemple, répondre à la question suivante : pour quelles raisons certains entrepreneurs échouent-ils malgré leurs compétences et les possibilités offertes par le contexte de création ? Selon une perspective psychologique, la réussite de l’entrepreneur ne dépend pas uniquement de son capital humain, financier et/ou social (Bosma, Van Praag, Thurik et De Wit, 2004 ; Cooper, Gimeno-Cacson et Woo, 1994 ; Honig, 1998), mais aussi de son capital psychologique (De Hoe et Janssen, 2016), qui selon Luthans, Avolio, Avey et Norman (2007) comporte quatre composantes qui sont (1) le sentiment d’auto-efficacité, (2) l’optimisme, (3) l’espoir, et (4) la résilience mentale. La littérature sur la passion entrepreneuriale (Cardon, Gregoire, Stevens et Patel, 2013) apporte également des éléments de réponse à la question évoquée ci-dessus. Bien que cette notion demeure peu étudiée dans la littérature sur l’échec (Walsh et Cunningham, 2016, p. 252), plusieurs auteurs soulignent la place de la passion dans la réussite des processus entrepreneuriaux (Cardon, Glauser et Murnieks, 2017 ; Gharbi et Boudabbous, 2014). Les entrepreneurs passionnés sont plus disposés à persister face aux obstacles auxquels ils sont confrontés (Cardon et Kirk, 2015). La littérature sur la satisfaction entrepreneuriale (Cooper et Artz, 1995) apporte également un éclairage intéressant sur les déterminants de la persistance face à l’échec. En effet, les entrepreneurs satisfaits de leur aventure entrepreneuriale sont plus enclins à persister. A contrario, les entrepreneurs déçus des résultats réalisés sont plus portés vers l’abandon de leur entreprise (Khelil, Smida et Zouaoui, 2012).

4.4. Approche stratégique de l’échec centrée sur la relation entreprise-environnement (Zone A*B)

Cette approche combine l’approche déterministe centrée sur l’environnement et l’approche organisationnelle centrée sur l’entreprise. Elle met en avant les éléments d’ordre stratégique qui peuvent mener l’entreprise à un échec. Parmi ces éléments, Sammut (2001) cite l’absence de diversification des produits/services, la dispersion des activités, l’absence d’une niche stratégique, l’absence d’une vision stratégique claire, l’absence d’un modèle d’affaires, l’inadéquation des réseaux de distribution, etc. L’approche stratégique de l’échec place la notion de cohérence au centre de la réflexion (Venkatraman, 1989). Selon cette perspective, l’échec entrepreneurial ne dépend pas seulement des ressources et compétences, dont dispose l’entreprise, mais aussi du degré de cohérence entre l’orientation stratégique de l’entreprise et les caractéristiques de son environnement externe (Khiari, Zouaoui et Smida, 2015 ; Wiklund et Shepherd, 2005). C’est le cas des entreprises qui échouent à cause d’une posture entrepreneuriale sur un marché relativement stable ou encore des entreprises qui échouent à cause d’une posture conservatrice sur un marché en perpétuel changement (Wiklund et Shepherd, 2005). Si ces entreprises ne trouvent pas leur équilibre, le désavantage concurrentiel qu’elles subissent pourrait les conduire à leur défaillance (Crutzen et Van Caillie, 2008). Cette situation est d’autant plus complexe si ces entreprises se trouvent sur un marché ultraconcurrentiel.

4.5. Approche managériale de l’échec centrée sur la relation entrepreneur-entreprise (Zone B*C)

Cette approche combine les approches volontaristes centrées respectivement sur l’entrepreneur et l’entreprise. Selon cette approche, l’échec s’explique essentiellement par des facteurs managériaux. Parmi ces facteurs, De Hoe et Jansen (2014) citent le manque d’expérience managériale, la mauvaise gestion financière et commerciale, le manque d’initiative, ou encore la méconnaissance du secteur d’activité. La littérature sur la cognition entrepreneuriale (Cossette, 2010) est susceptible d’apporter un éclairage intéressant sur les erreurs managériales pouvant entraîner la défaillance des entreprises. Selon cette littérature, les erreurs de perception, d’interprétation, de jugement que commet l’entrepreneur d’un ensemble de paramètres peuvent conduire ce dernier à prendre des décisions erronées et par ricochet à des actions inappropriées (Baron et Ward, 2004). La surconfiance, le suroptimisme ou encore le narcissisme sont parmi les biais cognitifs les plus cités dans la littérature antérieure (Zhang et Cueto, 2017) pouvant mener inéluctablement à une mauvaise gestion de l’entreprise et conduisant à sa défaillance (Claveau, Perez et Serboff, 2016). C’est dans ce cadre que s’inscrivent les approches psychocognitives de l’échec qui placent l’entrepreneur, ses représentations, ses décisions et ses actions envers son entreprise au coeur des explications de la défaillance. Selon l’approche centrée sur la relation entrepreneur-entreprise, la défaillance de l’entreprise est à l’origine de la détérioration de la situation financière personnelle de l’entrepreneur. Ce dernier est très déçu du fait qu’il n’arrive pas, via l’activité entrepreneuriale qui ne s’avère pas rentable, à concrétiser ses aspirations et attentes personnelles. En plus du coût financier de l’échec, l’entrepreneur subit aussi un coût psychologique.

4.6. Approche sociale centrée sur la relation entrepreneur-environnement (Zone A*C)

Cette approche combine à la fois les approches psychologiques centrées sur l’entrepreneur et les approches déterministes axées sur le contexte social et/ou familial de l’entrepreneur. Selon cette approche, l’échec individuel de l’entrepreneur s’explique essentiellement par des facteurs externes inhérents au contexte social et/ou familial de l’entrepreneur. C’est le cas des entrepreneurs, qui malgré la réussite de leur entreprise, sont très déçus du fait qu’ils n’arrivent pas à répondre aux attentes sociales et/ou familiales. L’entrepreneur subit un double coût : un coût social qui se manifeste par la dégradation de ses relations avec son entourage personnel (conflits familiaux, divorce, jalousie sociale, etc.) et un coût psychologique qui se manifeste par une détresse émotionnelle. La faible résilience mentale (Corner, Singh et Pavlovich, 2017 ; Cusin, 2017) et le manque d’intelligence émotionnelle face aux pressions sociales expliqueraient les raisons pour lesquelles certains entrepreneurs décident d’abandonner leur entreprise. Le cas le plus cité dans la littérature est celui de la réussite de l’entreprise qui se trouve tempérée par des difficultés d’ordre familial inhérentes à l’entrepreneur (Bruyat, 1994). Bien qu’il soit à la tête d’une entreprise performante, l’entrepreneur est très déçu du fait qu’il n’a pas réussi à trouver un équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle (Hsu, Wiklund, Anderson et Coffey, 2016). On trouve dans cette catégorie des individus appartenant à des familles de médecins, d’avocats ou de fonctionnaires qui, en créant leur propre entreprise dans des domaines d’activités peu valorisants à leurs yeux, rompent avec la tradition familiale. On trouve également des entrepreneurs qui se lancent dans des activités similaires à celles d’autres membres de leur famille élargie. La concurrence entre les différents membres de la famille pourrait être à l’origine de conflits continus qui nourrissent des frustrations sociales. Cette situation est encore plus compliquée en cas de litige lors d’un héritage et/ou d’une succession (Haveman et Khaire, 2004).

4.7. Pour une approche psycho-socio-économique de l’échec entrepreneurial (Zone A*B*C)

Malgré les contributions des approches décrites ci-dessus, celles-ci passent sous silence l’occurrence simultanée (Zone A*B*C) de l’approche déterministe centrée sur l’environnement (Zone A), de l’approche organisationnelle centrée sur l’entreprise (Zone B), et de l’approche psychologique centrée sur l’entrepreneur (Zone C). Face à cette limite, nous proposons une vision holistique de l’échec entrepreneurial qui tient compte des trois dimensions : économique, psychologique et sociale. Ces dimensions ont déjà été abordées dans la littérature antérieure, mais rarement mobilisées d’une façon intégrative. Nous définissons l’échec entrepreneurial comme étant un phénomène psycho-socio-économique qui se caractérise par : (1) la défaillance de l’entreprise suite à un problème d’alignement stratégique qui entraîne la dégradation de la situation financière personnelle de l’entrepreneur (dimension économique), (2) une situation de détresse psychologique ressentie par l’entrepreneur, car il est à la tête d’une entreprise qui ne procure aucune satisfaction personnelle (dimension psychologique), et (3) une dégradation des relations familiales qui pourrait amener ce dernier à l’isolement, voire à l’exclusion (dimension sociale). Alors que certains entrepreneurs réussissent à sortir de cette situation en retrouvant la motivation et la passion de réentreprendre (échec réussi), d’autres perdent leur passion à l’entrepreneuriat et décident d’abandonner définitivement leur carrière en tant qu’entrepreneurs (échec non réussi).

Discussion et conclusion

Les recherches ayant abordé la question des causes ou encore des conséquences de l’échec entrepreneurial aboutissent à des résultats mitigés et parfois contradictoires. Cette contradiction s’explique en partie par l’absence d’un consensus sur ce que signifie échouer en entrepreneuriat (Jenkins et McKelvie, 2016 ; Walsh et Cunningham, 2016, p. 167). La notion de l’échec entrepreneurial est en effet diversement appréciée dans la littérature. Selon les approches théoriques et méthodologiques mobilisées et l’origine disciplinaire du chercheur, ce phénomène peut revêtir plusieurs conceptions (Ucbasaran et al., 2013). Face à une panoplie de définitions assez divergentes, les chercheurs choisissent généralement la définition qui leur convient le mieux compte tenu de la base de données à laquelle ils peuvent accéder. Walsh et Cunningham (2016, p. 172) qualifient cette forme d’opportunisme méthodologique, de compromis entre l’accessibilité aux bases de données et l’adéquation de la définition utilisée. Cela pourrait avoir les conséquences suivantes : (1) la quasi-absence dans certains travaux d’ancrage théorique pour justifier le choix de la définition utilisée compte tenu de l’objectif de la recherche, (2) les difficultés à comparer les résultats des travaux empiriques antérieurs poursuivant un même objectif de recherche, et (3) l’inflation ou la déflation des statistiques sur le réel taux d’échec (Yang et Aldrich, 2012). À titre d’exemple, l’utilisation de la sortie, la discontinuité ou encore la disparition de l’entreprise comme indicateurs pour mesurer l’échec entrepreneurial (Walsh et Cunningham, 2016, p. 169) aurait comme conséquence une « inflation » des statistiques sur le taux d’échec. Plusieurs auteurs précisent qu’une entreprise pourrait disparaître pour d’autres raisons que la défaillance (Hammer et Khelil, 2014 ; Justo, DeTienne et Sieger, 2015 ; Wennberg et DeTienne, 2014). Inversement, l’utilisation de la faillite légale comme mesure de l’échec aurait comme conséquence une « déflation » des statistiques sur le taux d’échec. Cette conception restrictive de l’échec (Ucbasaran et al., 2013) exclut les entreprises défaillantes qui, malgré leur survie, détruisent plus de ressources qu’elle n’en crée (Smida et Khelil, 2010a). C’est dans ce cadre que s’inscrit le présent article qui propose de répondre à la question suivante : que signifie échouer en entrepreneuriat ?

À la lumière de ce qui avait été souligné en introduction, nous ne prétendons pas proposer une approche universelle qui couvre les diverses conceptions de l’échec entrepreneurial, mais, plus modestement, nous proposons à partir d’une relecture de la littérature une approche holistique mêlant différentes perspectives (Figure 2). Il s’agit de l’approche déterministe centrée sur l’environnement (Zone A), de l’approche organisationnelle centrée sur l’entreprise (Zone B), et de l’approche psychologique centrée sur l’entrepreneur (Zone C). L’occurrence simultanée de deux parmi ces trois approches d’échec fait ressortir d’autres approches déjà abordées dans la littérature antérieure, mais rarement mobilisées d’une façon conjointe. Il s’agit de l’approche stratégique (Zone A*B) qui place la notion d’alignement au centre de la réflexion, de l’approche managériale qui met en exergue les antécédents et les conséquences des erreurs de gestion (Zone B*C) et de l’approche psychosociale qui conçoit l’échec en termes de déception personnelle de l’entrepreneur, car il n’arrive pas via l’entrepreneuriat à satisfaire les attentes de son entourage social et/ou familial (Zone A*C). Malgré les contributions des recherches antérieures sur la défaillance des entreprises, celles-ci n’abordent que les dimensions financières et économiques de l’échec. Elles passent sous silence les dimensions psychologiques et sociales. Face à cette limite, notre article propose une approche psycho-socio-économique qui tient compte des trois dimensions : économique, psychologique et sociale. Bien qu’il soit d’essence théorique, le présent article est susceptible d’apporter un éclairage complémentaire aux précédentes recherches (Jenkins et McKelvie, 2016 ; Ucbasaran et al., 2013 ; Walsh et Cunningham, 2016) qui tentent de répondre à la question suivante : « Qu’est-ce qu’un échec entrepreneurial ? »

L’approche holistique présentée dans cet article pourrait être utilisée comme cadre d’analyse pour appréhender les causes : « Pour quelles raisons certains entrepreneurs échouent-ils ? », les conséquences : « quels sont les effets que peut avoir la défaillance d’entreprise sur l’entrepreneur ? » ou encore les liens entre les causes et les conséquences : « Quelles sont les différentes trajectoires d’échec ? » afin de mettre en évidence les possibles trajectoires d’échec. Bien que la littérature sur la défaillance des entreprises en propose une lecture « processuelle » en se focalisant sur le « chemin » (Koenig, 1985) ou encore sur la « spirale » (Crutzen et Van Caillie, 2008) pouvant conduire l’entreprise à la faillite (Claveau, Perez et Serboff, 2016), celle-ci n’intègre pas les conséquences financières, psychologiques et/ou sociales de la défaillance d’entreprise sur l’entrepreneur lui-même. Il en résulte le caractère parcellaire de certains travaux qui passent sous silence les possibles interactions entre les trois phases d’échec : le prééchec (les causes), l’événement même de l’échec (les symptômes) et le post-échec (les conséquences) (Khelil, 2018). L’approche proposée pourrait donc être utilisée pour étudier en profondeur les relations qui pourraient exister entre les causes, les symptômes et les conséquences.

Il convient de noter à ce niveau que l’approche proposée n’est pas une remise en question des recherches antérieures qui demeurent valables dans le cadre d’une définition restrictive de l’échec, mais une étude correspondant à l’évolution de ses contours. L’originalité de l’approche holistique proposée réside non seulement dans les rapprochements que nous avons faits entre les trois niveaux d’analyse : environnement, entreprise et entrepreneur, mais aussi dans l’association que nous avons faite en trois types de travaux (les travaux sur les causes, les symptômes et les conséquences) qui demeurent à ce jour fragmentaires.

Il est à noter également que l’approche proposée n’est valable que dans le contexte spécifique de la création d’entreprises. Une piste de recherche future consistera à repenser le concept de l’échec dans d’autres contextes entrepreneuriaux à l’image des entreprises familiales (Miller, Steier et Le Breton-Miller, 2003 ; Shepherd, 2009), des jeunes entreprises technologiques innovantes (Khiari, Zouaoui et Smida, 2015) ou encore des réseaux de franchise (Holmberg et Morgan, 2003 ; Michael et Combs, 2008). Une autre piste de recherche qui pourrait donner suite à cet article consistera à étudier l’échec collectif au niveau des équipes entrepreneuriales (Chabaud et Condor, 2009 ; Wolfe et Shepherd, 2015).