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Au lendemain de la COP21 (Conférence de Paris de 2015 sur le climat), il est incontestable d’affirmer que les problématiques portées par le changement climatique et plus largement les enjeux liés au développement durable ont fait écho auprès des citoyens, décideurs publics, mais aussi et surtout des entrepreneurs du monde entier. Bien que développé en amont de cette conférence sur le climat, l’ouvrage coordonné par Raymond Guillouzo s’inscrit dans cette problématique en prenant pour point d’accroche le lien entre l’entrepreneuriat, le développement durable et les territoires.

La première partie de l’ouvrage propose un état de l’art des écrits sur l’entrepreneuriat et le développement durable.

Le chapitre 1 proposé par Luc Brès, Emmanuel Raufflet et Louis-Jacques Filion s’articule autour d’une analyse exhaustive de plus de 100 textes portant sur l’entrepreneuriat et le développement durable publiés entre 1992 et 2008. Cette cartographie opérée par les auteurs permet de mieux cerner ce champ de recherche en pleine effervescence qui mêle deux concepts, bien souvent considérés comme paradoxaux : « l’entrepreneuriat » généralement assimilé à une démarche individualiste, matérialiste, opportuniste et motivé par le gain et le « développement durable » plutôt associé à des aspects sociaux, environnementaux, collectifs et orientés vers le long terme.

Le chapitre 2 rédigé par Sandrine Berger-Douce renforce le précédent chapitre en positionnant davantage l’entrepreneuriat durable au sein de la littérature en entrepreneuriat. L’entrepreneuriat durable est un processus de création de valeur qui permet la réalisation de trois principaux objectifs : économiques, environnementaux et sociaux. Dans ce cadre, l’auteure distingue plusieurs types d’entrepreneurs : l’entrepreneur durable, l’entrepreneur social et l’éco-entrepreneur. Par la suite, Sandrine Berger-Douce se focalise sur l’éco-entrepreneur pour proposer dans un premier temps quelques typologies d’éco-entrepreneurs prenant appui sur plusieurs concepts classiques de l’entrepreneuriat tels que les motivations, la vision et le processus de détection d’opportunités. Dans un second temps, l’auteure s’interroge sur la contribution des éco-entrepreneurs au progrès social. Elle en conclut que la création de valeur élargie (valeur immatérielle, valeur partagée, valeurs collectives) est un facteur d’innovation qui permettra aux éco-entrepreneurs de devenir des entrepreneurs durables.

Le chapitre 3 présenté par Roxane De Hoe et Frank Janssen s’inscrit dans la continuité des deux précédents chapitres. Dans ce cadre, les auteurs proposent de distinguer très clairement le champ de l’entrepreneuriat social et celui de l’entrepreneuriat durable d’une part. D’autre part, ils s’interrogent sur le lien hypothétique existant entre « l’entrepreneuriat social » et « l’entrepreneuriat durable ». Pour répondre à cette interrogation, les auteurs proposent une analyse comparative des principales similitudes et divergences entre les deux concepts. Il ressort de cette étude qu’il existe de fortes similitudes entre les deux formes d’entrepreneuriats, parmi lesquelles : l’idéalisme du fondateur, l’intérêt pour le bien-être des employés, etc. Les principales divergences se situent au niveau des objectifs, ces derniers sont d’ordre économique et social pour l’entrepreneuriat social et complété de l’objectif environnemental pour l’entrepreneuriat durable.

La deuxième partie de l’ouvrage analyse dans quelle mesure le développement durable peut être intégré dans une logique d’activité entrepreneuriale.

Dans le chapitre 4, Éric Lamarque traite la problématique du financement des projets d’investissements intégrant une dimension de développement durable et des pratiques des établissements financiers face à ces projets d’une part. D’autre part, il analyse les éléments de stratégie en matière de développement durable menés par les acteurs du financement afin de mieux cerner leur philosophie et leur comportement face aux projets « durables » de leurs clients. En s’appuyant sur les principes classiques de la théorie financière, l’auteur formule l’hypothèse que les projets d’investissements intégrant un volet de développement durable seraient davantage pénalisés compte tenu notamment du manque de flux financier et de la prise de risque considérée comme plus élevée par les investisseurs. Néanmoins, l’auteur souligne que ces difficultés tendent à s’amoindrir dans la mesure où les établissements financiers s’engagent progressivement vers des politiques de développement durable qui les incitent à faire varier leurs critères traditionnels de financement des projets. Éric Lamarque admet que face à cette situation, les porteurs de projets ont de plus en plus recours à des financements alternatifs (fonds d’investissement et financement participatif) même si le mode de financement majoritaire reste le recours aux fonds propres.

Le chapitre 5 présenté par Jean-Marie Courrent et Martine Spence se focalise sur les facteurs qui facilitent et qui freinent l’engagement des PME dans des pratiques de management dits « durables ». Cet engagement durable serait selon les auteurs expliqué par l’Orientation Entrepreneuriale des PME. L’Orientation Entrepreneuriale fait référence aux facteurs organisationnels qui facilitent l’activité entrepreneuriale de la firme. Afin de vérifier la fiabilité de leur hypothèse, les auteurs effectuent un test empirique sur un échantillon de 143 PME situées dans le Sud de la France. Les résultats de cette étude confirment l’hypothèse initiale en montrant dans quelle mesure une forte orientation entrepreneuriale augmente significativement l’engagement des PME dans des pratiques de management dites « durables ». Toutefois, les résultats de l’étude signalent d’une part que l’engagement durable des PME ne concerne que les dimensions sociales et sociétales et dans une moindre mesure la dimension environnementale. D’autre part, les résultats de l’étude démontrent que l’engagement durable des PME est davantage lié à la conviction des dirigeants de l’effet bénéfique sur la performance économique de l’intégration du développement durable qu’au savoir-faire du dirigeant (innovation, prise de risque, proactivité).

Dans le chapitre 6, Christophe Schmitt, Ruphin Ndjambou et Julien Husson s’intéressent aux liens possibles entre le développement durable et les modèles de la valeur. Plus précisément, les auteurs analysent la place du développement durable dans les modèles de la valeur issus des travaux de recherche en entrepreneuriat. Ils constatent que les différents modèles de la valeur développés depuis ces trois dernières décennies restent largement centrés sur la valeur économique. Or pour les auteurs, le modèle économique de la valeur est restrictif particulièrement dans un contexte où la notion de développement durable est en forte émergence. En ce sens, il est nécessaire de sortir d’une vision purement économique de la valeur pour intégrer les trois piliers du développement durable. Ce modèle global de la valeur en entrepreneuriat devient dès lors une condition nécessaire à l’intégration du développement durable dans ce champ de recherche. Les auteurs admettent que dans ce cadre, la création de valeur devient un processus de coconstruction entre l’entrepreneur et ses parties prenantes, dans lequel l’humain occupe une place centrale.

Le chapitre 7 présenté par Michel Marchesnay achève cette deuxième partie de l’ouvrage. En proposant une analyse originale au croisement entre les sciences de gestion, les sciences économiques et la philosophie, l’auteur analyse la complexité des relations qui se sont tissées dans le temps entre l’entrepreneuriat et l’écologie. À travers le prisme de deux lames de ciseaux que sont l’économie (la compétitivité) et le social (la légitimité), l’auteur interpelle le lecteur sur le rôle traditionnel de chacune de ces lames en prenant appui sur les questions fondamentales posées par le développement durable. Dans un premier temps, il présente une analyse comparative de la vision de l’entrepreneuriat entre la France et les États-Unis. Ce travail permet de montrer qu’en France l’entrepreneur reste une figure contestée, dont la légitimité est octroyée sur la base d’une démonstration de la rentabilité des projets. Dans une perspective de développement durable, cette légitimité est associée à la responsabilité sociale en entreprise. Aux États-Unis, l’entrepreneur est perçu comme un idéologue libéral, dont la légitimité lui est attribuée au vu de sa personnalité (entrepreneurship) : aventurier, pragmatique, capable de saisir la moindre opportunité sur les marchés. Les crises de 1975 et les limites portées par la société de consommation ont permis de redéfinir un nouveau lien entre l’entrepreneur et le développement durable. L’entrepreneur américain construit depuis sa légitimité à partir des notions de biens communs et d’utilité sociale. L’auteur termine le chapitre par une approche fondée sur les pratiques dans laquelle l’écologie est mobilisée dans différents cas.

La dernière partie de l’ouvrage traite de la relation entre le développement durable et le développement territorial. À partir de plusieurs études de terrains réalisées aux quatre coins du globe (Bretagne, Madagascar, île de Rodrigues dans l’océan Indien, Canada et Cameroun), les auteurs nous proposent une analyse variée de la relation complexe qui lie l’entrepreneuriat durable au territoire.

Le chapitre 8 développé par David Mérieau introduit cette dernière partie de l’ouvrage. Dans ce cadre, l’auteur analyse dans quelle mesure un incubateur régional implanté en Bretagne nommé « Produit en Bretagne » peut constituer un outil d’Accompagnement, d’Orientation et de Coordination (AOC) pour la création d’activités innovantes axées sur le développement durable. Ce travail s’inscrit largement dans le cadre de la théorie des parties prenantes et du Knowledge Management (KM) avec pour problématique l’analyse du rôle de l’intelligence économique dans le développement et la pérennisation d’un dispositif tel que l’incubateur « Produit en Bretagne ». L’étude menée s’appuie sur des entretiens qualitatifs réalisés auprès d’une centaine de porteurs d’idées, de projets ou de nouveaux chefs d’entreprise. Les résultats de cette étude révèlent que la recherche d’opportunités et le Knowledge Management sont essentiels pour la création d’entreprises innovantes dans le secteur du développement durable. En ce sens, l’incubateur apparaît au regard de ses membres comme un formidable outil de partage d’informations et de connaissances. L’auteur termine son analyse en soulignant la typicité du mode de fonctionnement de l’incubateur « Produit en Bretagne » basée entre autres sur une culture entrepreneuriale, le respect de l’environnement et un ancrage territorial fort. La prise en compte de cette typicité est indispensable pour permettre la réplication de ce modèle à d’autres incubateurs.

Dans le chapitre 9, Jean Jacques Obrecht et Mialisoa Rahetlah prennent pour terrain d’analyse les rivages lointains de Belo-Sur-Mer, un village isolé situé sur la côte ouest de Madagascar, pour tester un cadre théorique considéré comme manquant dans la littérature celui d’une approche spatialisée de l’entrepreneuriat basée sur les ressources. Dans un premier temps, les auteurs abordent « la force du local » pour souligner l’importance des initiatives par le bas comme condition indispensable au développement territorial. Par ailleurs, la prise en compte du contexte local permet aux auteurs de conduire une réflexion sur l’entrepreneuriat soutenable en termes de capabilités entrepreneuriales. Ces dernières sont précisées dans un deuxième temps, les auteurs proposent dans ce cadre une typologie des capabilités en distinguant celles liées à la personne de l’entrepreneur (identité, connaissance) et celles liées au contexte local (légitimité et proximalité). Enfin, les nombreux témoignages recueillis auprès des femmes entrepreneures à Belo-Sur-Mer permettent d’illustrer et d’enrichir cette réflexion menée par les auteurs.

Le chapitre 10 développé par Raymond Guillouzo permet de poursuivre le voyage en prenant pour appui l’île de Rodrigues (petite île de l’océan Indien situé à 560 km de l’île Maurice) afin de montrer dans quelle mesure l’entrepreneuriat et le développement durable peuvent constituer des vecteurs de développement territorial. L’analyse débute par un état de l’art de la littérature théorique qui souligne l’intérêt croissant pour les approches territoriales. Elle montre par ailleurs, la nécessité du « contexte entrepreneurial » pour la création d’entreprises. Cette revue de littérature est par la suite renforcée par une étude empirique réalisée à partir d’une approche de type diagnostic. Le diagnostic du « contexte entrepreneurial » rodriguais préconise la conjonction de cinq conditions dans laquelle la prise en compte du contexte local est primordiale. Cette dernière doit s’appuyer selon l’auteur sur les ressources de l’île et les capacités entrepreneuriales.

Le chapitre 11 réalisé par Josée St-Pierre, Maurice Fouda et Luc Foleu achève cette troisième partie de l’ouvrage par une analyse comparative de la sensibilité des dirigeants de PME du Nord et du Sud envers le développement durable. Dans ce cadre, les auteurs admettent que les préoccupations environnementales sont davantage le fait des dirigeants du Nord, les dirigeants du Sud sont davantage préoccupés par les enjeux économiques de leur entreprise. Ces propos sont testés et validés par le biais d’une étude empirique réalisée à partir d’une enquête menée au Québec et au Cameroun auprès de dirigeants de PME afin de mieux cerner leur conception de la performance en entreprise ainsi que les objectifs qu’ils poursuivent à la tête de leur entreprise.

Au final, cet ouvrage, qui s’adresse selon l’éditeur à un public diversifié, est rempli d’analyses originales permettant de lier l’entrepreneuriat, le développement durable et la dimension territoriale. Les approches théoriques sont dans certains cas illustrées par des études de terrains qui sensibilisent le lecteur aux différentes initiatives entrepreneuriales menées en faveur du développement durable dans l’espace francophone. La lecture de l’ouvrage fut plaisante et intéressante, on regrette toutefois les redondances liées aux définitions de « l’entrepreneuriat durable ».