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Introduction

Le développement entrepreneurial s’accompagne de spécificités financières qui requièrent de nouvelles compétences professionnelles et suscitent un besoin de formation différente. Cet article s’intéresse tout particulièrement aux domaines qui devraient être traités dans une formation complète à la finance entrepreneuriale et aux méthodes pédagogiques innovantes utilisables. Il se fonde sur la littérature scientifique liée à la finance entrepreneuriale, la littérature abordant la pédagogie de la finance et de l’entrepreneuriat, mais aussi sur notre expérience de création et de direction scientifique du mastère spécialisé finance entrepreneuriale.

Pour attirer les capitaux vers les entreprises et créer une dynamique de financement, de véritables connaissances et de solides savoir-faire financiers propres aux comportements et aux besoins de la jeune entreprise (JE), de l’entreprise en forte croissance (EFC) ou de la petite et moyenne entreprise (PME) doivent être mobilisés et nécessitent un programme de formation spécial.

L’élaboration d’un tel cursus consacré à la finance entrepreneuriale soulève de nombreux enjeux qui s’appuient sur différents constats.

En premier lieu, la finance traditionnelle (finance d’entreprise et finance de marché) présente des limites lorsqu’il s’agit de résoudre certaines problématiques liées aux JE, aux EFC et aux PME, ou encore, aux questionnements des entrepreneurs. La finance entrepreneuriale, centrée principalement sur la JE, l’EFC ou la PME et l’entrepreneur qui la dirige, répond donc à une définition particulière et présente des caractéristiques qui la différencient de la finance traditionnelle. La première partie de l’article s’attachera à établir et à démontrer les spécificités de la finance entrepreneuriale à partir de différents travaux de recherche.

Par ailleurs, alors qu’il existe une forte demande en experts en finance entrepreneuriale pour accompagner les entrepreneurs et participer au financement des JE, des EFC et des PME, aucune formation spécialisée n’y répond. En effet, aucun corpus d’enseignement ni théorique ni pratique n’a été développé pour favoriser la croissance et le développement financier de la JE, de l’EFC et de la PME. Cela constitue un enjeu pour la Place de Paris[1] et d’autres places financières, puisque les JE, les EFC et les PME ont besoin de marchés du financement (endettement, capital-risque formel et informel ou marché financier) dynamiques et adaptés afin de développer et de renforcer la compétitivité et l’attractivité de leur territoire. La mise en oeuvre du référentiel a par conséquent un ancrage à la fois théorique et pratique.

Enfin, la pédagogie de la finance traditionnelle est peu adaptée à la connaissance et à la psychologie des entrepreneurs. L’enseignement de la finance entrepreneuriale exige, selon nous, des méthodes pédagogiques spécifiques. De même que St-Pierre (2010) indique que la finance entrepreneuriale devrait être considérée comme un champ de recherche spécifique, il nous apparaît que la finance entrepreneuriale doit être considérée comme un champ pédagogique propre.

Aussi, sur le plan international, les enseignements de finance spécialisés sur les JE, les EFC et les PME sont quasiment inexistants, notamment en raison d’un accès limité aux entreprises et aux investisseurs.

Afin de construire un référentiel de compétences et de connaissances en finance entrepreneuriale, nous avons croisé deux approches distinctes, mais complémentaires : l’approche théorique basée sur une analyse approfondie des thématiques de recherche développées dans le champ de la finance entrepreneuriale (1) et l’approche pratique comprenant à la fois des méthodologies pédagogiques innovantes et une étude des besoins des professionnels du financement des JE, des EFC et des PME (2).

1. Approche théorique de la finance entrepreneuriale

Les JE, les EFC et les PME, au même titre que les entrepreneurs qui les dirigent, possèdent des caractéristiques et des comportements financiers propres les distinguant des grands groupes et de leurs dirigeants. L’identification de ces spécificités financières a permis d’isoler la finance entrepreneuriale, destinée aux JE, aux EFC et aux PME et aux entrepreneurs, de la finance traditionnelle destinée aux grands groupes et à leurs dirigeants et actionnaires (1.1.). Le champ de la finance entrepreneuriale s’est progressivement étendu de l’étude des capitaux risqueurs à bien d’autres problématiques centrées tant sur le développement financier de la firme que sur ses divers acteurs. Aussi, les propriétés financières des PME et le rôle central des entrepreneurs permettent d’attribuer à la finance entrepreneuriale des caractéristiques plus nuancées et d’ériger progressivement un nouveau corpus théorique (1.2.).

1.1. Élaboration d’une définition de la finance entrepreneuriale

Au chapitre 2 de son ouvrage, St-Pierre (1999) détaille les spécificités financières des PME et des entrepreneurs en décrivant les objectifs financiers des entrepreneurs et les décisions financières dans les PME. Au sein des PME, il n’y a pas de séparation entre gestion et propriété de la firme. La firme est le prolongement de l’entrepreneur, concentrant ainsi gestion et propriété. L’entrepreneur, situé au coeur de la firme, ne poursuit pas de façon rationnelle un objectif unique de maximisation du profit et de la richesse, mais développe une fonction objectif complexe et multiple en montrant une certaine aversion pour la prise de risques. Si les destins de la PME et de l’entrepreneur sont soudés, les choix de diversification et de financement demeurent pourtant restreints, et les mécanismes de contrôle interne et externe apparaissent faibles (Ang, 1991, 1992 ; LeCornu, McMahon, Forsaith et Stanger, 1996 ; St-Pierre, 1999). En élargissant la définition donnée par Rédis (2009), nous pouvons définir la finance entrepreneuriale comme l’ensemble des relations de l’entrepreneur à la finance et à ses acteurs dans le cadre de son projet de création, de gestion et de développement de son entreprise.

Depuis une trentaine d’années, les chercheurs ont progressivement établi les limites de la finance traditionnelle dans l’explication du comportement financier des entrepreneurs et de la structure financière des JE, des EFC et des PME.

Ainsi, selon Hand, Lloyd et Rogow (1982), les effets des coûts d’agence sont plus prononcés si la société est petite puisque les asymétries d’information sont plus importantes. Ang (1991) montre que les coûts d’agence s’accroissent du fait des caractéristiques uniques des PME : formes organisationnelles alternatives, absence de marché pour les actions, tendance à prendre des risques des entrepreneurs, moyens financiers et richesse limités des actionnaires. Landström (1993) illustre empiriquement les limites de la théorie de l’agence lorsqu’il s’agit d’expliquer les relations entre investisseurs et propriétaire-dirigeant. La finance entrepreneuriale diffère donc de la finance d’entreprise traditionnelle dans le fait que la magnitude des problèmes d’agence et d’asymétries d’information y est plus forte. Par conséquent, cela nécessite des solutions contractuelles particulières non rencontrées au sein des grands groupes (Denis, 2004).

Plus globalement et à différents stades du cycle de développement, Fluck (1999) montre comment les théories financières classiques de la finance d’entreprise sont inopérantes pour expliquer le financement des firmes entrepreneuriales. En 2010, St-Pierre mettait en relief, en reprenant les travaux de Ang (1991, 1992), que l’absence de diversification des ressources de l’entrepreneur, l’importance des relations, la grande asymétrie de l’information et la diversité d’objectifs au sein des PME avaient pour conséquence la non-pertinence des théories économiques et financières pour la compréhension des questions financières des JE, des EFC et des PME.

La mobilisation d’autres théories mène souvent à une meilleure compréhension des questions financières des JE, des EFC et des PME : théorie du choix managérial, théorie du cycle de vie de l’entreprise ou, encore, théorie de l’ordre hiérarchique (pecking order theory)[2].

Pour McMahon et Stanger (1995), les objectifs de la fonction financière dans les petites entreprises doivent refléter les types de risques spécifiques existant dans ces firmes et provenant de la liquidité, de la diversification, de la transférabilité, de la flexibilité, du contrôle et de la comptabilité. Dans leur ouvrage, Leach et Melicher (2008) présentent la finance entrepreneuriale comme l’application et l’adaptation des techniques et outils financiers pour planifier, financer et évaluer les firmes entrepreneuriales. Dans ce contexte, la finance entrepreneuriale se concentre sur la gestion financière des JE, des EFC et des PME au travers de son évolution dans le cycle de vie de la firme : depuis le stade de création jusqu’à la sortie de l’entrepreneur ou la cession de la firme. La finance entrepreneuriale tire aussi ses principes fondamentaux à la fois de l’entrepreneuriat et de la finance. Pour Smith et Smith (2004), le fait de s’intéresser à des firmes entrepreneuriales change la façon dont les caractéristiques essentielles des paradigmes financiers doivent être appliquées. Selon Gompers (2011), la finance entrepreneuriale se concentre sur le management financier des firmes entrepreneuriales, la plupart d’entre elles étant de jeunes entreprises, même si certaines sont plus établies, et ce, quel que soit leur stade de développement eu égard à leur cycle de vie et quel que soit leur secteur d’activité.

1.2. Émergence d’un corpus théorique de la finance entrepreneuriale

La finance est une discipline scientifique en changement rapide. La majorité des découvertes en sciences financières ont été réalisées dans les cinquante dernières années. Au cours de cette période, plusieurs prix Nobel ont été attribués à des chercheurs en finance. Cette rapide accumulation de connaissances provient essentiellement d’études et de théories portant sur les grandes entreprises et les marchés de capitaux internationaux.

La recherche fondamentale sur les problématiques financières des JE, des EFC et des PME constitue, pour sa part, un domaine d’investigation relativement récent (Mac an Bhaird, 2010). Elle se décompose en trois phases successives : la première phase regroupe des travaux essentiellement descriptifs présentant les différences entre les PME et les grands groupes (Walker et Petty, 1978 ; Bates et Hally, 1982 ; Ang, 1991) ; la deuxième phase se compose de recherches empiriques sur le financement des PME fondées sur les théories de la finance d’entreprise (Daskalakis et Psillaki, 2008 ; Heyman, Deloof et Ooghe, 2008 ; Mac an Bhaird et Lucey, 2010) ; enfin, la troisième phase agrège des articles tentant d’élaborer progressivement un nouveau corpus théorique centré sur les firmes entrepreneuriales, un corpus toujours en discussion et en cours d’amélioration, mais fort prometteur (Audretsch et Elston, 1997 ; Balakrishnan et Fox, 1993 ; Berggren et Olofsson, 2000 ; Cassar et Holmes, 2003 ; Chittenden, Hall et Hutchinson, 1996 ; Cressy et Olofsson, 1997 ; Daskalakis et Psillaki, 2008 ; Elsas et Krahnen, 1998 ; Esperanca, Gama et Gulamhussen, 2003 ; Fitzsimmons et Douglas, 2006 ; Fu, Ke et Huang, 2002 ; Garcia-Teruel et Martinez-Solano, 2007 ; Ghosh, 2007 ; Giudici et Paleari, 2000 ; Heyman et al., 2008 ; Manigart et Struyf, 1997 ; Mac an Bhaird et Lucey, 2010 ; Sogorb-Mira, 2005).

Le développement nécessaire de ce nouveau corpus théorique tient principalement au fait que plusieurs hypothèses de la finance traditionnelle ne s’appliquent pas aux entreprises fermées. Ainsi, St-Pierre (2010) montre que les PME (ou sociétés fermées) ne répondent pas aux caractéristiques et comportements anticipés des théories économiques et financières. Les hypothèses de ces théories ne sont pas applicables aux JE, aux EFC et aux PME. Pour St-Pierre (2010), les trois principales hypothèses non validées sont les suivantes : 1) il n’y a pas de séparation entre la propriété et le contrôle de la firme entrepreneuriale ; 2) l’aversion pour les risques des entrepreneurs n’est pas conforme à la théorie financière ; et 3) la diversification de portefeuille des entrepreneurs n’est pas réalisée conformément à la théorie financière.

Si les articles de la troisième phase mettent aussi en évidence l’inefficacité des théories de Modigliani et Miller (1958) appliquées aux firmes entrepreneuriales, ils constatent, par contre, que les théories développées pour les grandes entreprises, comme la théorie de l’agence et la théorie de l’asymétrie de l’information, restent adaptées aux JE, aux EFC et aux PME. De plus, des théories spécifiques ont été développées comme la théorie de l’ordre hiérarchique (pecking order theory), les théories de l’endettement parmi lesquelles celles fondées sur les actifs (asset based lending theory) ou sur les partenariats (relationship lending theory) et, enfin, la théorie du cycle de vie financier (Berger et Udell, 1998 ; Fluck, Holtz-Eakin et Rosen, 1998 ; Gregory, Rutherford, Oswald et Gardiner, 2005).

Le foisonnement des travaux empiriques et la quête de théories adaptées aux firmes entrepreneuriales initiées lors de cette troisième phase de recherche ouvrent des perspectives pédagogiques très larges sur le champ de la finance entrepreneuriale, où il reste encore beaucoup à faire. Pour Coleman (2003), de nombreux principes et techniques enseignés en finance d’entreprise peuvent être appliqués aux situations de la finance entrepreneuriale. Dans certaines circonstances, cependant, ces principes et techniques doivent être modifiés pour être adaptés aux firmes entrepreneuriales. Même si leur connaissance et leur maîtrise sont indispensables, les théories actuelles de la finance ne s’adaptent pas parfaitement aux situations des firmes entrepreneuriales et ne peuvent suffire. Un référentiel original et complémentaire destiné à ceux qui souhaitent intervenir activement sur le marché de la finance entrepreneuriale reste à développer.

2. Proposition de réponses pragmatiques du programme en finance entrepreneuriale

Le programme de finance entrepreneuriale repose sur un triple socle pédagogique, académique et professionnel (2.1.). Trois principaux blocs d’enseignements structurent le programme : les enseignements centrés sur l’entrepreneur (2.2.), les enseignements centrés sur la finance et la gestion de la PME (2.3.), et les enseignements centrés sur les composantes spécifiques de la finance entrepreneuriale (2.4.). Ces enseignements apportent les compétences requises par les différentes activités des métiers visés.

2.1. Une coconstruction du référentiel et un programme faisant appel à une pédagogie innovante

L’élaboration du programme de finance entrepreneuriale est fondée sur une étude des approches méthodologiques les plus innovantes en matière de pédagogie et sur une série d’entretiens avec des professionnels. Cela permet de s’assurer que le programme proposé correspond bien aux attentes des employeurs et d’offrir aux apprenants les connaissances théoriques et pratiques les plus pertinentes.

Déjà en 1999, Kester indiquait qu’enseigner la finance supposait un défi permanent : relier une myriade de théories, de modèles conceptuels et de techniques analytiques aux pratiques actuelles de la finance dans un monde réel. Les propos de Kester (1999) sont encore plus pertinents dans le cas de l’enseignement de la finance entrepreneuriale.

En 2010, Glackin constate que l’approche pédagogique dominante utilisée dans les enseignements de la finance entrepreneuriale recourt toujours aux théories traditionnelles de la finance d’entreprise et de la finance de marché. Les enseignements de la finance entrepreneuriale se fondant sur les problématiques financières et les stratégies de financement des firmes entrepreneuriales au travers du cycle de vie restent encore peu nombreux.

Trois types d’enseignement de la finance entrepreneuriale ressortent du classement effectué par Glackin (2010) en analysant les contenus des syllabus des cours de finance entrepreneuriale :

  • Modified corporate (finance d’entreprise modifiée) ;

  • Life cycle (théorie du cycle de vie) ;

  • Public vs private equity (marché de capitaux publics et privés).

De son côté, Simpson (1997) reconnaît qu’il existe un fossé entre les chercheurs et les praticiens de la finance. Il propose des solutions pour rapprocher le monde universitaire des besoins des professionnels, puisque les écoles de commerce et de gestion ont la responsabilité de former les professionnels. Il ajoute que les meilleures méthodes d’enseignement sont celles qui immergent les apprenants dans l’environnement financier.

Stohs (1999) propose une nouvelle méthode d’enseignement de la finance d’entreprise, fondée sur des groupes projets dans lesquels les apprenants doivent estimer la valeur intrinsèque d’une entreprise réelle. Kester (1999) observe que de nombreux enseignants en finance utilisent la méthode des cas afin de contrebalancer la tendance de nombreux ouvrages qui présentent la finance d’une façon mécanique et théorique. Les cas permettent de replacer la finance dans un contexte concret, celui de l’entreprise, et complètent les lectures d’ouvrages spécialisés. L’utilisation des études de cas dans la formation en gestion s’est répandue depuis qu’elle fut introduite à la Harvard Law School en 1870 (Weaver, Kowalski et El Pfaller, 1994) et a évolué, en introduisant notamment l’utilisation des cas « en direct » (dit live cases). Pour Simkins (2001), en effet, utiliser des cas « en direct » est l’une des meilleures pratiques pédagogiques pour combler le fossé entre la théorie et la pratique. Un cas « en direct » présente l’analyse d’une problématique en cours dans une entreprise réelle. Le problème rencontré par l’entreprise n’est pas encore résolu et celle-ci attend de la part des apprenants des propositions pour l’assister dans sa prise de décision. Dans le sondage réalisé par Simkins (2001), les apprenants ont estimé que cette approche pédagogique permettait, en plus de la maîtrise des prévisions financières, d’appréhender le processus des décisions stratégiques. Néanmoins, cette approche reste marginale, car elle nécessite une disponibilité très élevée de la part de la société, des apprenants et de l’enseignant.

Afin de répondre pleinement aux besoins de l’enseignement de la finance entrepreneuriale, le programme de formation que nous offrons repose sur un corps professoral rigoureux, une pédagogie active et un référentiel spécifique.

Les apprenants de ce programme nouent des contacts approfondis avec les acteurs de la finance entrepreneuriale[3], ce qui leur permet d’accroître leur professionnalisation en participant, tout au long de leur formation, à des réunions de travail entre professionnels (comité d’investissement de fonds d’amorçage, comité d’engagement dans le cadre de prêts d’honneur). Ils sont également reçus par les intervenants professionnels du programme dans leurs locaux et participent aux travaux opérationnels de leurs équipes. Ces différents intervenants leur proposent des mises en situation à partir de cas pédagogiques réels issus de matériels professionnels leur permettant d’exercer pleinement leurs compétences en cours de formation. En outre, ce programme de finance entrepreneuriale s’appuie sur des experts du milieu universitaire et professionnels qui marient l’utilisation des différentes approches pédagogiques comprenant les études de cas (business cases) et les cas « en direct » (live cases)[4].

La construction du programme de formation répond au besoin de professionnalisation en finance entrepreneuriale exprimée il y a quelques années par nos partenaires professionnels (capitaux-risqueurs, banquiers, « business angels », etc.) lorsqu’ils participaient aux différents processus pédagogiques de notre établissement : incubateur, 24 heures pour créer son entreprise, épreuve de présentation d’un plan d’affaires à des investisseurs potentiels – crash test…). Le besoin relevé s’inscrit dans une approche prospective et de recherche visant le développement de la finance entrepreneuriale.

Nous avons parallèlement mené des entretiens formels et informels sur les contenus des savoir-faire que les professionnels de la finance entrepreneuriale estiment nécessaires pour exercer les métiers visés. Nous avons proposé à nos partenaires des séances de travail collectif réunissant les acteurs du financement parisien afin de confronter notre approche et leurs attentes en matière de savoir-faire et de compétences. Afin de tenir compte de leurs remarques, nous avons ajusté et continuons à ajuster, sous le contrôle du comité scientifique, le contenu du programme d’enseignement.

2.2. L’entrepreneur dans son environnement

L’entrepreneur en quête de financement engage des recherches actives et des négociations serrées et longues avec les partenaires financiers (Leach et Melicher, 2008) et les investisseurs individuels (Moskowitz et Vissing-Jorgensen, 2002). Identifier et maîtriser les techniques de négociation financières avec l’entrepreneur est l’une des compétences clés que doit posséder un professionnel de la finance entrepreneuriale.

En finance entrepreneuriale, la gestion du patrimoine personnel de l’entrepreneur et la gestion du patrimoine professionnel de l’entreprise sont indissociables, et ce, pour diverses raisons : constitution et garantie des dettes (Berger et Udell, 1998), optimisation juridique et fiscale. Plus que la qualité des états financiers, la crédibilité financière et la réputation personnelle de l’entrepreneur, souvent plus longues et plus accessibles, étayent le jugement des investisseurs extérieurs.

Aussi, ce programme en finance entrepreneuriale intègre un enseignement en gestion patrimoniale pour l’entrepreneur et en psychologie des entrepreneurs. En outre, les apprenants doivent mobiliser les connaissances acquises dans ces domaines en apportant leur expertise financière à des porteurs de projets de création ou de développement.

2.3. Finance et gestion de la PME

Plus de cinquante ans après l’article de Modigliani et Miller (1958) sur l’importance de la structure financière, et alors que Myers en 2001 affirmait que la compréhension des choix de financement des entreprises restait limitée, Mac an Bhaird (2010) constate qu’il existe toujours, malgré de nombreux travaux de recherche, de nombreuses problématiques non résolues concernant ces choix pour les PME. D’après Fluck et al. (1998), plusieurs théories du financement des PME s’affrontent : la théorie du prêteur monopolistique (Rajan, 1992), la théorie de la réputation (Diamond, 1991), la théorie de l’ordre hiérarchique (pecking order theory ou POT ; Myers, 1984 ; Myers et Majluf, 1984), la théorie du ratio optimal d’endettement (trade-off theory ou TOT) et la théorie de l’arbitrage sur la valeur liquidative (market-timing ; Baker et Wurgler, 2002).

Pour Cole (2008), les deux théories (POT et TOT) semblent être applicables aux firmes entrepreneuriales non cotées. Dans un travail empirique sur les PME non cotées américaines, l’auteur montre que seule la théorie POT est valide : le levier financier des PME dépend négativement de l’âge, de la taille, de la profitabilité et de la liquidité, et positivement des actifs tangibles.

Au vu de la perplexité actuelle que suscitent ces théories, le programme de formation en finance entrepreneuriale a mis en place des enseignements consacrés à la théorie financière, au diagnostic financier, à l’analyse financière prospective et sectorielle, et à la maîtrise des prévisions financières.

2.4. Finance entrepreneuriale

Deux axes sont privilégiés au sein du programme : le premier traite de la firme (et de l’entrepreneur) face aux différents modes de financement, le second s’intéresse aux investisseurs.

Une recherche scientifique importante a été produite sur le rôle de l’endettement dans le financement externe des jeunes entreprises (Petersen et Rajan, 1994 ; Bond et Townsend, 1996 ; Cassar, 2004 ; Paulson, Townsend et Karaivanov, 2006). Même si l’investissement en capital (capital-risque) est une source importante de financement pour un nombre limité de PME, la dette est de loin la source de financement externe la plus communément utilisée par les PME (Binks et Ennew, 1998 ; Cole, 2008).

Peu de travaux ont porté sur le poids des actionnaires extérieurs dans le financement des firmes entrepreneuriales : les travaux de Berger et Udell (1998) ont montré que les actionnaires extérieurs, en dehors des créateurs, représentaient 13 % du total des financements des PME américaines. Berger et Udell (1998) et Fluck et al. (1998) ont obtenu des résultats empiriques laissant penser que les firmes entrepreneuriales traversent effectivement un cycle de financement et que les financements utilisés évoluent en fonction du stade de développement de la firme. Quant à Hvide et Mjøs (2007), ils ont montré, sur la base d’informations sur le financement initial d’entreprises en démarrage et sur les caractéristiques financières des entrepreneurs, que les actionnaires extérieurs apportaient 17 % du total du financement, un montant identique aux banquiers et au crédit interentreprises.

Berger et Udell (1998) analysent le financement des firmes entrepreneuriales, même si cela n’est pas applicable à toutes, à travers un paradigme du cycle de croissance, dans lequel différentes structures financières sont optimales à différents stades de ce cycle (figure 1).

Le cycle de vie de la jeune entreprise se décompose en cinq phases : amorçage, démarrage, survie, croissance rapide et maturité. Ce cycle peut s’exprimer en termes financiers soit par le chiffre d’affaires, soit par le résultat (profit ou perte), soit par la génération de flux de trésorerie ou encore par la composition de l’actif et du passif de la firme entrepreneuriale (Leach et Melicher, 2008).

Le programme de finance entrepreneuriale propose donc aux futurs professionnels des enseignements tournés vers le financement et l’endettement de la jeune entreprise à partir des théories présentées ci-dessus.

Figure 1

Cycle de vie financier de la firme

Cycle de vie financier de la firme
Source : Berger et Udell (1998).

-> Voir la liste des figures

De nombreux travaux portent sur les investisseurs dans les firmes entrepreneuriales. Cinq catégories principales apparaissent et concernent : 1) la décision d’investissement des capitaux-risqueurs (Fried et Hisrich, 1994 ; Sheperd et Zackararis, 1999 ; Van Osnabrugge, 2000 ; Wright et Robie, 1996 ; Fausnaugh et Hofer, 1993 ; Feeney, Haines et Riding, 1999 ; Moesel, Fiet et Busenitz, 2001 ; Knight, 1994 ; Manigart, Waele, Wright, Robbie, Desbrières, Sapienza et Beckman, 2000 ; Lockett, Wright, Sapienza et Pruthi, 2002) ; 2) le contrat de financement et les conflits d’agence (Norton, 1995 ; Trester, 1998 ; Admati et Pfleiderer, 1994 ; Barney, Busenitz et Moesel, 1994 ; Bergemann et Hege, 1998 ; Black et Gilson, 1998 ; Kaplan et Strömberg, 2002 ; Cumming, 2002 ; Manigart, Korsgaad, Folger, Sapienza et Baeyens, 2002) ; 3) les titres de financement utilisés (Norton et Tenenbaum, 1993 ; Repullo et Suarez, 2000 ; Cornelli et Yosha, 2003 ; Hellmann, 2001 ; Hsu, 2002) ; 4) la relation investisseur/entrepreneur (Sheperd et Zackararis, 1999 ; Sapienza, Manigart et Vermier, 1996 ; Gompers, 1995 ; Lerner, 1995 ; Baker et Gompers, 2001 ; Bergemann et Hege, 2002 ; Hsu, 2002 ; Manigart et al., 2002 ; Sapienza et al.,1996) ; et 5) les stratégies de sortie (MacIntosh, 1997 ; Wang et Sim, 2001 ; Darby et Zucker, 2002 ; Cumming, 2002 ; Cumming et Fleming, 2002 ; Schwienbacher, 2002 ; Bleackley, Hay, Robbie et Wright, 1996).

Plus précisément, la finance entrepreneuriale recourt fortement à des outils juridiques et financiers très techniques et très individualisés.

Les contrats de financement mis en place dans les firmes entrepreneuriales, à travers des clauses particulières (covenants)[5], essaient ainsi de trouver des solutions aux problèmes de l’asymétrie d’information et du risque moral par une allocation des droits sur les flux de trésorerie et par les droits de contrôle (Denis, 2004). Ces contrats, proposés à des firmes dont l’information financière demeure opaque, sont très structurés et complexes alors que les entreprises cotées, largement plus transparentes sur la marche de leurs affaires, bénéficient de contrats génériques sur les marchés de capitaux internationaux (Berger et Udell, 1998). Pour Kerr, Lerner et Schoar (2010), une littérature scientifique importante suggère que la combinaison d’une surveillance active, d’investissements par stade et d’une répartition efficace des droits de vote permet de minimiser les problèmes d’agence entre les entrepreneurs et les investisseurs institutionnels (Admati et Pfleiderer, 1994 ; Berglof, 1994 ; Bergemann et Hege, 1998 ; Hellmann, 1998 ; Cornelli et Yosha, 2003).

Dans une étude, Kaplan et Strömberg (2003) ont montré que les obligations convertibles sont utilisées dans 96 % des tours de financement de leur échantillon. Le choix de ce type de titres financiers a d’ailleurs des interactions avec les autres aspects du contrat de financement (Cornelli et Yosha, 2003).

Les investisseurs ont utilisé la flexibilité du droit des affaires et du droit financier pour inventer de nombreuses clauses visant à protéger leurs intérêts financiers. Ces clauses font partie des pactes d’actionnaires et restent le plus souvent totalement confidentielles.

Les relations contractuelles complexes entre investisseurs et entrepreneurs requièrent donc, d’un côté, une solide formation en droit des affaires, en droit des sociétés, en droit financier et boursier, avec un accent particulier sur le pacte d’actionnaires et les procédures collectives, et, d’un autre côté, des connaissances en droit bancaire.

Le rôle de l’environnement légal et institutionnel, notamment par rapport à la détermination de contrats de financement optimaux (Denis, 2004), doit être défini et discuté. Ce rôle intervient dans différentes problématiques de la finance entrepreneuriale : intervention de l’État auprès d’entreprises risquées à fort potentiel (innovation, démarrage…), création ou existence d’un marché boursier pour les PME en forte croissance (St-Pierre et Mathieu, 2003), etc. Dans le programme de finance entrepreneuriale, deux cours consacrés aux réseaux de financement et aux politiques publiques et fiscales complètent un enseignement sur la fiscalité des firmes entrepreneuriales et innovantes.

L’évaluation d’une entreprise en démarrage est une activité complexe. En effet, si la théorie de la finance moderne offre une littérature abondante sur l’évaluation des firmes (Ross, Westerfield et Jaffe, 2004 ; Brealey, Myers et Allen, 2006), elle se fonde typiquement sur la méthode de l’actualisation des flux nets de trésorerie (discounted cash flow analysis ou DCF) et du taux de rendement interne (internal rate of return method ou IRR). Pour sa part, Damodaran (2001) propose une revue des méthodes les plus utilisées dont les méthodes établies sur la valeur comptable, sur les firmes comparables ou encore à partir des options réelles.

Dans la pratique, les options réelles restent rarement utilisées et trop complexes à mettre en oeuvre. D’après les travaux de Barker (1999) et de Demirakos, Strong et Walker (2004), les méthodes des DCF et des multiples[6] sont les plus utilisées par les investisseurs.

Dans le programme de finance entrepreneuriale, des professionnels de l’investissement dans les PME enseignent les méthodes d’évaluation classiques et les méthodes d’évaluation plus spécifiques appliquées aux jeunes entreprises (technologiques ou non). Dotés d’une maîtrise des techniques d’évaluation les plus sophistiquées et les plus actuelles pratiquées par les investisseurs et d’une bonne connaissance des produits financiers hybrides, les apprenants pourront ainsi offrir aux entrepreneurs des réponses opérationnelles pragmatiques dans leur recherche de financement en capital.

Conclusion

La dynamisation du tissu économique repose actuellement sur la dynamisation des modes de financement des jeunes firmes et des PME, des firmes innovantes, des firmes à fort potentiel et à forte croissance. Cette problématique, commune à différents secteurs d’activité comme à différentes régions géographiques, trouve en partie des éléments de résolution grâce à l’activité des entreprises elles-mêmes, des institutions, mais aussi des organismes de formation qui doivent contribuer à diffuser les connaissances nécessaires au développement de ces types de financement : la finance entrepreneuriale.

Aux États-Unis, le nombre de formations en entrepreneuriat et en finance entrepreneuriale s’est considérablement accru au cours de la dernière décennie (Kuratko, 2006). Glackin (2010) a recensé que 46 % des universités américaines offrant des formations entrepreneuriales au niveau du baccalauréat ont développé un cours sur la finance entrepreneuriale. Notre analyse des principales universités spécialisées en entrepreneuriat aux États-Unis et en Europe laisse cependant apparaître qu’aucune ne propose de mastère ou de MBA en finance entrepreneuriale.

Le développement financier, économique et organisationnel des firmes innovantes ou à forte croissance confère des caractères spécifiques à la finance entrepreneuriale. Progressivement, la finance entrepreneuriale s’est différenciée des deux grands courants que sont la finance d’entreprise et la finance de marché pour aujourd’hui engendrer des métiers distincts et justifier la mise en oeuvre de formations qui lui sont consacrées. L’élaboration de telles formations suppose à la fois une bonne connaissance des enjeux théoriques et des besoins professionnels que suscite la finance entrepreneuriale, et requiert l’adoption de méthodes pédagogiques particulières. Elle s’accorde ainsi tout particulièrement avec des méthodes pédagogiques actives de type « live cases ».

Notre expérience lors de l’élaboration de ce programme en finance entrepreneuriale nous a permis de faire face à ces enjeux et de proposer une offre pragmatique pertinente dans le panorama actuel. Même si les enseignements propres à la finance entrepreneuriale y occupent une place prépondérante, il nous semble fondamental d’y transmettre des connaissances entrepreneuriales et managériales. Les besoins financiers particuliers des PME ainsi que les caractéristiques propres aux entrepreneurs fondent et guident les enseignements. Les premiers résultats sont prometteurs. Les investisseurs, les financiers et les conseillers venus se former améliorent leur connaissance des outils financiers, mais surtout du comportement et des besoins des entrepreneurs qu’ils fréquentent. Par conséquent, ils ont déjà changé leurs comportements professionnels. Certains, gagnés par le virus entrepreneurial, échafaudent même la création de fonds spéciaux pour financer le développement de certaines PME, notamment à l’international. Aussi restons-nous convaincus du bien-fondé de la mise sur pied d’une formation spécialisée en prise directe avec la sphère entrepreneuriale.

Nous espérons que le partage de cette expérience contribuera à faire émerger de nouvelles formations entièrement consacrées à la finance entrepreneuriale en France comme à l’étranger, de nouvelles réflexions qui s’enrichissent mutuellement ainsi que de nouveaux partenariats universitaires ou professionnels. Car si la formation à la finance entrepreneuriale est un formidable enjeu et un atout pour le tissu économique et pour la communauté scientifique, c’est aussi l’occasion d’apaiser les passions qu’embrase la « grande finance » et de réconcilier finance et « économie réelle ».