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Josée St-Pierre, rédactrice en chef de Revue internationale PME, interrogée par Maripier Tremblay

Josée St-Pierre, Ph.D., professeure de finance à l’Université du Québec à Trois-Rivières, est rédactrice en chef de RIPME depuis juin 2012. Elle travaille sur les PME depuis plus de vingt ans et s’intéresse particulièrement aux aspects de performance et de risque dans divers contextes (croissance, innovation, internationalisation). Ses travaux de recherche ont été publiés, notamment, dans le Journal of Small Business Management, International Small Business Journal, Technovation, Entrepreneurship and Regional Development, Management International, Revue internationale PME. Elle a par ailleurs une vaste expérience de l’écosystème de la recherche scientifique étant donné les divers rôles et responsabilités qu’elle a assumés au cours des années. Outre les tâches de chercheure et d’enseignante, elle siège sur divers jurys de thèse, évalue des articles pour différentes revues internationales ainsi que des demandes de subventions pour des organismes de financement de la recherche, tout en gérant des fonds de recherche obtenus auprès de ces mêmes organismes. Elle a également été cofondatrice de l’Institut de recherche sur les PME de l’UQTR, directrice d’un regroupement stratégique interdisciplinaire de chercheurs sur les PME et l’entrepreneuriat (CRIPMEE), titulaire de trois chaires de recherche, vice-présidente et présidente de l’Association internationale de recherche sur l’entrepreneuriat et les PME (AIREPME), membre du conseil d’administration du Fonds de recherche du Québec – Société et Culture (FRQSC, présidente du comité vérification pendant plusieurs années). Elle est aussi coresponsable d’une collection d’ouvrages publiés aux Presses de l’Université du Québec, avec Pierre-André Julien.

Maripier Tremblay (MT) : dans un premier temps, pourriez-vous définir ce qu’est une revue scientifique ? Quels sont son rôle et sa fonction ? Qu’est-ce qui la distingue ? À l’ère du numérique, comment se positionnent les revues scientifiques ?

Josée St-Pierre (JSTP) : une « revue scientifique » ou « revue savante » est une publication de travaux scientifiques paraissant sur une base périodique et dont le contenu est évalué par des experts selon un processus rigoureux visant à assurer l’originalité, l’intégrité et la contribution aux connaissances déjà disponibles.

Le rôle principal des revues savantes est de diffuser les connaissances les plus à jour dans un domaine particulier afin de les inscrire dans une conversation « argumentée et objective » entre les experts (novices ou expérimentés) du domaine qui pourront les commenter, les confronter, les réfuter, les reproduire, les soutenir. Ce processus permet aussi de construire graduellement les fondements, tels les concepts et les théories, sur lesquels se basent les connaissances, tout en tenant compte des contextes et des biais dans lesquels elles ont été établies.

Une revue savante se distingue d’autres types de revues par la régularité de sa publication et par la rigueur du travail réalisé pour produire le contenu des articles (auteurs), et aussi pour l’évaluer (évaluateurs et rédacteurs) afin d’en autoriser la publication. Cette distinction est fondamentale et explique pourquoi les délais de diffusion d’un article scientifique sont plus longs par rapport à un texte journalistique, par exemple, ou un autre travail de recherche ; le texte doit avoir fait l’objet d’une approbation par des experts. Ce « système d’évaluation par les pairs » (peer review) contribue à la légitimité des connaissances qui sont publiées puisqu’elles ne sont pas issues du seul travail des auteurs, mais plutôt d’un travail collectif entre plusieurs experts qui reconnaissent leur pertinence pour faire évoluer leur domaine de recherche, de même que la rigueur avec lesquelles ces connaissances ont été produites. On comprend ainsi que le processus de diffusion scientifique dans lequel s’insèrent les revues savantes est un processus « collégial », et qui doit être encadré.

Les avantages d’un tel système[1] sur la production et la diffusion des connaissances scientifiques sont toutefois critiqués par différents acteurs qui reprochent son hermétisme et sa lenteur à rendre publiques des connaissances qui pourraient être utiles à la société. Avec l’avènement des réseaux sociaux, on a vu se détériorer la valeur de l’« expertise » au profit d’informations diffusées rapidement sans être validées[2]. Heureusement, la faible crédibilité accordée aux experts et aux chercheurs dans les dix dernières années est de plus en plus dénoncée et on constate une augmentation de l’intérêt pour le recours à des « preuves » bien documentées pour la prise de décisions, surtout lorsque celles-ci ont des impacts sur la société. Certains enjeux sociaux majeurs ont contribué à ce besoin de hausser le niveau de certains débats pour guider les décideurs et mener à des changements de comportements, notamment sur les changements climatiques, les effets de l’immigration sur le niveau de vie des citoyens, l’influence des vaccins sur la santé publique. Par ailleurs, les réseaux sociaux offrent aussi d’importants avantages pour l’accès aux connaissances, dont certaines peuvent être mobilisées rapidement par différentes parties prenantes. Ils contribuent à accroître le rayonnement des activités scientifiques et à mieux mettre en valeur le travail des chercheurs, mais imposent également à ces mêmes chercheurs d’adopter des modes et langages de diffusion qui doivent être adaptés à la diversité accrue de leurs interlocuteurs. Dans cette évolution, les revues scientifiques devront aussi revoir leur format et leurs moyens pour bien répondre aux nouveaux profils des chercheurs.

MT : pourriez-vous nous en dire plus sur le rôle d’une rédactrice en chef ? Quel est son mandat, quelles sont ses tâches ? C’est un travail considérable… qu’est-ce qui vous anime et vous incite à poursuivre dans cette fonction ? Quelles sont vos motivations ?

JSTP : le rédacteur en chef d’une revue travaille rarement seul, mais plus souvent avec une équipe éditoriale (rédacteurs adjoints et associés) et une équipe technique (secrétariat, personnel technique et administratif). Il réalise donc plusieurs tâches qui ne sont pas toutes perceptibles à partir des revues, ces dernières étant le résultat de tout le long et lourd travail antérieur et ainsi l’élément le plus « visible ».

Le mandat « scientifique », c’est-à-dire qui consiste à s’assurer de la valeur et de la qualité du processus éditorial, est le plus reconnu. Celui-ci demande au rédacteur en chef d’animer l’équipe éditoriale qui décide de ce qui doit être accepté et publié, et ainsi ce qui contribuera à construire le socle des connaissances des différents domaines, conformément à la ligne éditoriale de chaque revue. Ce mandat ne peut toutefois se réaliser sans ressources ni organisation minimale. Parce que Revue internationale PME est une revue « indépendante », c’est-à-dire qu’elle n’appartient pas à une maison d’édition internationale (Sage, Elsevier, Taylor and Francis), différentes tâches s’ajoutent à celles qui constituent la mission première d’une revue savante. La rédactrice en chef est donc responsable de la supervision des activités scientifiques et la coordination des acteurs impliqués, la gestion du personnel et les échanges entre le secrétariat de rédaction et la maison d’édition ; la recherche de financement et la gestion des exigences inhérentes (présentation de demandes de subvention, rédaction des rapports périodiques, gestion des fonds). Parce que les revues font désormais partie d’un environnement très compétitif, il faut ajouter certaines tâches permettant d’assurer la visibilité de RIPME, son rayonnement, son intégrité et sa notoriété. À ce titre, le rédacteur en chef est responsable de la production de rapports auprès d’institutions reconnues de classement des revues savantes (en France, le CNRS ou la FNEGE) et des discussions auprès d’organismes de diffusion (EBSCO, Pro-Quest, Scopus).

Ajoutons que les tâches d’un rédacteur en chef se sont élargies au cours des dernières années avec l’arrivée des technologies (gestion d’une plateforme numérique et son environnement), la tendance au libre accès aux connaissances (impact sur les revenus et les modes de diffusion), les problèmes croissants d’intégrité en recherche (détection des cas possibles de plagiat et de vol de propriété intellectuelle) et la montée en puissance des réseaux sociaux sur lesquels il faut aussi assurer sa présence.

Être un acteur-clé dans la diffusion des connaissances est un honneur et une responsabilité que j’ai acceptée avec modestie en 2012. Ma principale motivation à l’origine était de contribuer à l’héritage de l’Institut de recherche sur les PME (UQTR) et son influence sur la recherche dans les domaines des PME et de l’entrepreneuriat. La turbulence de l’environnement de l’édition scientifique au cours des dernières années aura généré d’importants défis qui n’étaient pas prévus, et qui ne sont pas encore complètement relevés. Je souhaite ainsi poursuivre mon mandat pour laisser à mes successeurs une revue en santé (qui ait sa place dans les milieux multilingues), une revue moderne (qui puisse être diffusée et lue sur différents médias) et une revue incontournable (dont le contenu a une influence significative sur le développement du champ de connaissances).

La figure 1 illustre l’étendue des activités d’un rédacteur en chef d’une revue scientifique, qui ne se limite pas à son rôle d’expert scientifique. On y voit sous la revue les différentes ressources qui peuvent être impliquées et dont les actions doivent être coordonnées.

Figure 1

Ressources et décisions derrière la publication d’une revue savante

Ressources et décisions derrière la publication d’une revue savante

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MT : une composante essentielle du fonctionnement d’une revue scientifique est l’évaluation par les pairs. Ce processus n’est pas simple. Qu’est-ce qui rend le processus complexe et parfois long ? Quelles sont les conditions gagnantes d’un « bon » processus d’évaluation par les pairs ? Pourquoi est-il important pour les chercheurs de s’y investir ?

JSTP : le processus d’évaluation par les pairs n’est pas complexe en soi dès que tous les acteurs comprennent leur rôle et les objectifs visés par celui-ci. Comme cela a été dit précédemment, la publication d’un article scientifique est un processus collégial dans lequel s’établit une conversation entre différents acteurs, dont on ignore le plus souvent l’identité. Pour que cette conversation soit sereine, il faut que chaque acteur accepte son rôle, les limites de son rôle, et les points de vue des autres.

Certains comportements, principalement des évaluateurs, peuvent rendre le processus difficile et allonger sa durée, tels que : le non-respect d’une acceptation d’évaluer un texte et de remettre son rapport dans les délais et selon les consignes de la revue ; le manque d’ouverture à des points de vue différents des leurs ; le dépôt d’un rapport et d’une décision sans aucun commentaire constructif après plusieurs rappels ; le refus d’évaluer les versions révisées des textes ; la participation au deuxième ou troisième tour en lisant uniquement les réponses portant sur leurs commentaires sans intégration des autres rapports d’évaluation dans une vision collégiale, mais aussi dans un contexte d’apprentissage. Imaginez une conversation entre quatre chercheurs où chacun exprime son point de vue sur une idée précise ; l’un des chercheurs s’absente pendant quelques heures et, à son retour, revient sur ce qu’il avait dit au départ en faisant fi de la progression de la conversation ! On peut comprendre facilement que ce comportement peut nuire à la conclusion de leur rencontre…

Les conditions gagnantes sont liées principalement à l’engagement des évaluateurs et à la compréhension de leur rôle[3] dans un processus très particulier, ainsi qu’à celui des auteurs qui prennent une part active dans cette conversation en répondant aux commentaires qui leur sont transmis[4]. Les chercheurs doivent comprendre comment doit se dérouler cette conversation afin de réduire sa longueur au minimum et qu’elle se déroule aussi dans l’harmonie. Il est parfois difficile de rester « constructif et pédagogue » devant un projet d’article bâclé et qui a une faible qualité scientifique. Cela ne doit pas mener pour autant l’évaluateur à manquer de tolérance ou de courtoisie envers un auteur qui pourrait être inexpérimenté ou maladroit… L’ouverture d’esprit aux idées différentes et nouvelles de tous ceux qui participent à la conversation est aussi une condition gagnante qui facilite grandement le travail du rédacteur.

Il est important que chaque chercheur qui souhaite contribuer au développement des connaissances dans son domaine soit pleinement engagé dans le processus d’évaluation des articles. Ce sont des experts qui doivent donner leur accord sur ce qui doit être publié afin de protéger la connaissance scientifique de tout biais qui la rendrait partielle voire « douteuse » au bénéfice de certaines idéologies ou de certains intérêts. Pour cela, il faut que chaque chercheur reconnaisse son rôle dans le système et qu’il accepte, à « face cachée » de donner son temps à un texte qu’il ne signe pas. Certains considèrent que ce n’est pas important pour leur CV parce que le processus est anonyme et ne les met pas en valeur[5]. Pour Grégoire (2017), « … évaluer des manuscrits fait partie de mon métier de chercheur » (p. 8), et il s’agit de contribuer au système d’évaluation par les pairs en n’étant pas celui qui reçoit et tire profit des commentaires des évaluateurs, mais plutôt celui qui les formule. « C’est une simple question de réciprocité » (p. 8).

L’évaluation de manuscrits permet aussi de se tenir à jour dans un domaine et de voir des points de vue parfois divergents des nôtres, mais qui peuvent alimenter nos propres travaux. Pour Cossette (2016), l’évaluation de différents travaux permet d’accroître les connaissances, mais aussi les compétences du chercheur en comprenant mieux comment on doit rédiger, sur quoi on doit mettre l’accent, ce qu’on ne doit pas faire, ce qui peut déplaire, etc. Grégoire ajoute à cela que la lecture de manuscrits non publiés permet aussi de voir comment un texte « simplement intéressant » se transforme à chaque étape du processus pour devenir un « article de référence » pour la communauté, en étant impliqué dans les différentes étapes de la préparation du texte final.

MT : les publications subissent des changements importants. L’accessibilité accrue via la version numérique, jumelée aux coûts d’impression et de livraison qui augmentent, mettent beaucoup de pression sur le financement des revues. Comment se financent les revues scientifiques ? En 2019, comment se porte le financement de ces dernières ? Quels sont les défis auxquels elles font face ?

JSTP : la publication scientifique a un « coût » économique réel alors que dans les domaines de la gestion et des sciences humaines et sociales, elle a peu de revenus (contrairement à certains domaines liés à la santé par exemple)[6]. Ce coût se compose des ressources humaines impliquées dans les différentes activités[7], des infrastructures physiques et technologiques, de la production (relecture des textes, communications avec les auteurs, mises en forme, édition) en tant que telle et de la diffusion sous différents formats (papier et numérique). Pour couvrir ces coûts, les revues doivent compter sur plusieurs sources. Puisque Revue internationale PME n’est pas liée à un éditeur scientifique international, nous ne discuterons pas des revenus pouvant provenir d’une telle source. Nous mettons également de côté la pratique voulant que les auteurs contribuent au financement pour la publication de leur article. Ce modèle ne s’est pas encore imposé dans notre domaine où les budgets de recherche sont relativement minimes par rapport à d’autres (ingénierie, santé, pharmacologie).

L’institution où est localisée la revue supporte certains coûts d’infrastructure comme les locaux, les connexions internet, le soutien technologique, et certains frais généraux (fabrication des contrats et supervision des ressources monétaires). L’accès à ces ressources implique qu’il faille maintenir des relations avec les services de gestion des personnels, finances, juridiques et de soutien technologique.

Elles peuvent aussi tirer leurs revenus d’abonnements auprès d’une communauté de chercheurs ou d’une association (comme RIPME qui est associée à l’AIREPME), et auprès d’institutions d’enseignement et de recherche (universités, bibliothèques, centres de recherche), et d’organismes publics ou parapublics (OCDE, gouvernements nationaux et ministères). L’écosystème scientifique s’est modifié au cours des dernières années avec l’arrivée d’organismes de diffusion (EBSCO, Pro-Quest) qui vendent des abonnements groupés à des institutions (dont les bibliothèques universitaires). L’intégration à ces « bouquets »[8] de revues est devenue essentielle pour assurer sa présence auprès d’institutions académiques, dont les budgets ne permettent plus d’abonnements directs. Toutefois les revenus monétaires que procurent ces sources sont minimes, voire nuls, créant une pression supplémentaire sur les coûts à assumer.

Certains organismes de financement de la recherche scientifique ont parfois des programmes dédiés à la diffusion des connaissances, auxquels a accès RIPME (au Québec : CRSH et FRQSC). Pour obtenir ces ressources financières qui ne sont accessibles que par concours publics tous les trois ans (ou quatre ans parfois), la revue doit notamment montrer qu’elle est viable à long terme et qu’elle suscite autant l’intérêt des chercheurs que des lecteurs (individuels et institutionnels). Le financement auprès d’organismes publics peut imposer des exigences sur l’accès à la connaissance scientifique. C’est ce qu’a vécu RIPME depuis quelques années où elle est devenue en accès libre (accès gratuit : https://www.erudit.org/en/journals/ipme/) pour tous les textes publiés en deçà des douze derniers mois. Ceci a contribué à la réduction des revenus d’abonnement, notamment des institutions d’enseignement et de recherche et des organismes gouvernementaux.

Le financement des revues savantes, qui a toujours été un enjeu important dans notre domaine, est donc encore plus critique et impose une analyse récurrente de leurs processus pour réduire les coûts au minimum. Pour cette raison, les formats « imprimés » disparaissent graduellement ce qui contribue à réduire les coûts de production (diffusion), mais aussi à réduire l’empreinte écologique de la publication. C’est une décision importante, car il ne faut pas écarter du lectorat des pays où les infrastructures technologiques rendraient les revues numériques inaccessibles. Cela amène aussi les revues à revoir leur modèle d’affaires pour décider comment elles vont s’insérer dans cet environnement numérique. Il y a différents modèles de diffusion et possibilités qui, dans l’environnement turbulent actuel, ne sont pas encore stabilisés.

MT : RIPME est une revue qui s’adresse à la francophonie internationale. Or, les écrits scientifiques sont majoritairement anglophones. Pourquoi est-il important de maintenir la publication de revue scientifique francophone ? Quel est le bénéfice pour un chercheur de publier dans une revue francophone ?

JSTP : il y a deux aspects ici à considérer, soit la langue, mais aussi l’impact de la revue. Dans le monde universitaire devenu de plus en plus compétitif et surtout sensible à des indicateurs quantitatifs qui classent les institutions selon des critères de performance qui sont peu liés à des missions scientifiques, on considère que la notoriété d’une institution se mesure principalement par les publications de ses chercheurs et leur renommée internationale. Pour mesurer celle-ci, on se réfère notamment au classement des revues dans lesquelles ils diffusent leurs travaux.

Le classement est mesuré par le taux de lecture et comme le lectorat international est principalement anglophone, on retrouve donc la plupart des revues classées aux meilleurs rangs publiées en anglais. Ce que Gingras (2015) attribue à un « simple effet démographique ». En conséquence, et conformément aux règles que se sont données certaines institutions d’enseignement et de recherche (pas toutes !), il est certainement plus judicieux de publier ses travaux dans une revue anglo-saxonne à grand rayonnement, si l’on souhaite obtenir un important impact sur son CV. Or, un tel classement ne peut être qu’un indicateur partiel puisqu’il couvre le volet « recherche » des activités de l’institution et le fait de façon imparfaite[9]. Il met également de l’avant « l’impact » de la recherche au sein des communautés savantes sans égard aux autres effets possibles.

Les connaissances publiées dans les revues savantes ne sont pas réservées qu’aux chercheurs, elles visent aussi les milieux d’enseignement à différents cycles de formation, les vulgarisateurs scientifiques, les journalistes et pour certains, les milieux de pratiques (consultants, pouvoirs publics, organismes d’accompagnement). Publier ses travaux dans sa langue de travail et partager avec ses collaborateurs (autres que les chercheurs) pourrait accroître la visibilité du chercheur dans son environnement immédiat. La communauté de chercheurs qui publient dans RIPME est pour une très grande partie encastrée dans des milieux francophones (il y a évidemment une causalité). Ces milieux peuvent ainsi accéder à des connaissances dans lesquelles ils vont se reconnaître d’où une appropriation plus rapide pour procéder à une mise en action des résultats de la recherche.

Les chercheurs peuvent alors valoriser davantage un impact important dans une société multiforme plutôt qu’un impact étroit dans une société savante ! Interrogé sur ses motivations à publier en français alors qu’il travaille dans un milieu entièrement anglophone, Gond (2013) mentionne la diversité des publics visés l’étendue des commentaires suscités dans les médias et par les praticiens, l’aisance à communiquer un message difficile dans sa langue maternelle. Voilà autant de bénéfices que peut retirer un chercheur francophone ou francophile, de publier en français !

Ajoutons finalement que publier en français permet aussi de conserver cette langue « vivante » qui évoluera à la lumière des concepts et des connaissances qui seront diffusés. Rappelons que certains spécialistes ont souligné les faiblesses de la langue arabe[10], et probablement d’autres langues qui n’ont pas de mots pour définir, dire et mieux comprendre certains concepts nouveaux ou évoluant, à cause de leur présence de plus en plus faible du côté scientifique et ainsi de l’écrit en cette langue. Pourtant, un bon nombre d’Arabes, au Moyen Âge, faisaient partie des plus grands scientifiques de l’époque, obligeant les penseurs à apprendre cette langue en plus du grec et du latin.